Jean-Pierre Coffe, chroniqueur gastronomique et chantre de la bonne bouffe, s’est penché en 2010 sur la restauration universitaire. Pour la sauver?
Lui et son compère Jean-Robert Pitte, géographe spécialiste de la gastronomie et ex-président de l’université Paris IV ont fait un tour de France des RU, englouti des tonnes de carottes râpées, de steaks sauce au poivre et de Flamby®, en prenant un tas de notes. Le résultat: un rapport remis en mars 2010 à Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Le document, intitulé «Améliorer la restauration universitaire », propose huit «suggestions»: aménager les marchés publics, poursuivre l’amélioration de la qualité culinaire, éduquer les étudiants au bien manger (diététique, goût), réformer la politique tarifaire, réduire les files d’attente, créer des boutiques de proximité, favoriser les animations, et enfin nommer un chargé de mission qualité.
Le rapport Coffe a été un point de départ, même s’il n’a pas été appliqué à la lettre, d’autant plus que toutes les propositions n’ont pas été officiellement retenues par la ministre. Voyons comment ces suggestions ont été traitées, ou mises à la trappe.
Clémence, étudiante en pharmacie à Grenoble, ne voit pas ce qui a changé: «Ce sont toujours les mêmes menus. Pas pire, pas mieux!». Emeric, étudiant à Sciences Po Paris, ne voit pas non plus de bouleversements dans les derniers mois: «Peut-être de nouvelles sortes de sandwichs dans notre cafétéria? Et l’apparition des boîtes de pâtes à réchauffer, pas forcément savoureuses. A part ça, je ne vois pas».
En fait, un an et demi après ce rapport, les progrès dépendent fortement du lieu d’étude observé. Il existe de fortes disparités entre les RU: ceux-ci sont gérés par les CROUS (Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, un réseau de 29 établissements publics) chapeautés par le CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires). Les CROUS sont financés par l’Etat et par leurs fonds propres.
Ce qui ne change pas, c’est le prix d’un ticket de RU, 3,05 euros pour l’année 2011-2012. Dominique Francon, conseiller restauration du directeur du CNOUS, explique les disparités entre les villes:
«Les différents RU ne s’approvisionnent pas de la même façon et aux mêmes endroits. Les équipes sont différentes, et les cuisines n’ont pas les mêmes équipements. Mais le budget n’est pas un facteur: à quelques centimes près, la valeur de l’assiette est la même dans tous les RU de France.»
Le grand chantier des CROUS ces derniers temps, c’est la remise à plat des politiques d’achat et le début d’une mutualisation. Ce qui correspond à la suggestion de Coffe d’«aménager les marchés publics».
lire le billetSus aux graisses et aux sauces! Le gouvernement entend régenter par le menu les repas servis dans les cantines.
L’affaire est grave. Grave comme tout ce qui touche à la table dans un pays dont la gastronomie est désormais inscrite au patrimoine mondial immatériel de l’humanité . Grave aussi en ce qu’elle concerne tous ceux (environ six millions d’enfants et un certain nombre d’adultes) qui goûtent, quotidiennement ou presque, aux délices des cantines scolaires. Et suffisamment grave pour que le gouvernement s’en saisisse toutes affaires cessantes ; avec ce décret-loi publié au Journal Officiel de la République française daté du 2 octobre.
Ce texte, signé de huit ministres (dont ceux de la défense et de l’intérieur) et secrétaires d’Etat concerne «la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire». Il y a là comme un parfum de déclaration de guerre.
Les mesures édictées sont entrées en vigueur dès le lendemain de la publication du texte et ce «dans les services de restauration scolaire servant plus de 80 couverts par jour en moyenne sur l’année». Conscient de l’état des troupes et des boutons de guêtres l’état-major laisse une petite année d’adaptation progressive aux services de l’arrière, ceux qui ont une activité moindre: les petites cantines des agglomérations isolées de nos campagnes.
L’affaire est urgente; l’ennemi n’est plus aux frontières mais bel et bien dans la place : ce sont les graisses et les sauces, le sel, le sucre et le feu des fourneaux. Il nous faut nous mobiliser et obtenir des plus jeunes qu’ils se tiennent droits à table.
L’heure n’est plus tant à «l’éducation du goût» qu’à l’apprentissage restrictif. Le bâton plus que la carotte. En cuisine on va voir ce que l’on va voir: les gestionnaires des services de restauration devront répondre à une batterie de nouvelles et drastiques exigences. On parle ici de la variété et la composition des repas, de la taille des portions, du service de l’eau, du pain, du sel et des sauces.
La feuille de route complémentaire figure dans un arrêté publié le même jour que le décret par le Journal Officiel. Extraits :
«Article 1
Les déjeuners et dîners servis dans le cadre de la restauration scolaire comprennent nécessairement un plat principal, une garniture, un produit laitier et, au choix, une entrée et/ou un dessert.
La variété des repas est appréciée sur la base de la fréquence de présentation des plats servis au cours de 20 repas successifs selon les règles fixées à l’annexe I du présent arrêté.
La taille des portions servies doit être adaptée au type de plat et à chaque classe d’âge. Les gestionnaires des restaurants scolaires doivent exiger de leurs fournisseurs que les produits alimentaires qu’ils livrent soient conformes aux valeurs précisées à l’annexe II du présent arrêté.Article 2
L’eau est à disposition sans restriction.
Le sel et les sauces (mayonnaise, vinaigrette, ketchup) ne sont pas en libre accès et sont servis en fonction des plats.
Le pain doit être disponible en libre accès.»
Mais le diable se nichant, comme toujours, dans les détails il fait se pencher sur les annexes I et II de cet arrêté pour mesurer l’ampleur des sacrifices à venir et, incidemment, la gravité du mal auxquelles étaient quotidiennement exposées les corps de nos très chères têtes blondes.
lire le billetOn vous en parlait début septembre, c’est désormais chose faite: les recommandations nutritionnelles sur ce qui se mange en restauration scolaire (à la cantine de vos enfants mais aussi à celle de votre travail ou de la maison de retraite de votre ville), mises au point par le GEM-RCN, sont devenues obligatoires.
Qu’est-ce qui change exactement?
En dehors de la nutrition, pas de recommandations à suivre quant à l’atmosphère de la pause du midi ou l’éducation au goût. La «circulaire des écoliers» (PDF) revue et corrigée en 2001 évoque bien le fait que l’école «peut assurer une formation élémentaire du goût en multipliant les occasions de découverte», rappelant que «l’aspect éducatif du repas» est trop souvent oublié ou négligé, et dont l’importance est pourtant cruciale puisque les habitudes alimentaires s’acquièrent très jeunes.
La circulaire reconnaît même à l’école un rôle complémentaire à celui des familles pour aider les enfants à choisir les aliments en se dégageant de l’influence «des tendances, des médias et des traditions». Elle donne également quelques idées d’axes autour desquels améliorer la pause-repas (valoriser le patrimoine culinaire, expliquer les secrets de fabrication en cuisine, etc), mais tout ce qui porte sur autre chose que la nutrition restera au niveau des recommandations.
Photo: cordon bleu / kochtopf via Flickr CC License By
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Suite et fin notre série sur le bio à la cantine, où Camille Bosqué réinvente son éco-cantine idéale.
Ma proposition de design global pour une éco-cantine vise à réinventer le scénario de ce service, de ses coulisses jusqu’à table et enfin dans l’école en général. J’ai pris comme cantine témoin l’une de celles du 12e arrondissement, cantines en gestion directe avec cuisines traditionnelles, qui me semblait être un contexte favorable à ce type de démarche, et dont j’ai observé le fonctionnement sur le terrain.
En coulisses
En assistant à la livraison et à la gestion des stocks, j’ai constaté que les cagettes qui arrivent tous les matins sont pour la plupart dépareillées, en carton ou en bois, et jetées après livraison.
Les informations sur l’origine des produits ne sont pas toujours indiquées de la même manière, ce qui rend le travail d’inventaire plus difficile pour le personnel de service, qui doit répertorier les arrivages et archiver les références de chaque livraison.
Un label. Ma première action est d’imaginer un nouveau label pour le 12ème arrondissement de Paris. C’est une manière fiable de lier les producteurs, fournisseurs et cuisiniers et de les fédérer autour du même engagement de qualité, en le rendant visible.
Ce label figurerait sur toutes les cagettes et documents:
Grâce à un nouveau système d’étiquettes (à droite), les informations sur l’origine des produits peuvent apparaître plus clairement : on y trouve le nom du fournisseur, et le nom et l’adresse du producteur, accompagnés d’un pictogramme qui indique en un coup d’œil le type de produit concerné (fruits et légumes, viande, poulet, fromages et produits laitiers…).
Dans le cadre de ce nouveau fonctionnement, des cagettes peuvent être données à l’ensemble des fournisseurs associés, qui les transmettraient à leurs réseaux de producteurs. Elles seraient consignées et standardisées pour éviter des déchets inutiles.
La nouvelle étiquette comporte des volets détachables, à la fois pour l’archivage des références et des données liées à chaque produit livré, mais aussi pour une diffusion de ces informations sur le menu, au self, et à table:
Le menu est un des moyens principaux de communication vers les parents. Il se résume souvent à la liste des plats servis, sans plus de détails. Il peut être amélioré.
Ici, chaque jour a une colonne colorée dans laquelle les plats servis peuvent être inscrits:
Cliquez sur l’image pour l’agrandir
Mais en plus de ce menu à la semaine, on trouve aussi une feuille supplémentaire (ci-dessous).
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Suite de notre série sur le bio à la cantine, où Camille Bosqué s’intéresse à la notion d’éco-convive.
Il est à la mode aujourd’hui d’aborder le repas dans une perspective diététique liée au souci de préserver la santé, la silhouette ou les deux. C’est dans ce même axe nutritionnel que l’on traite en général le repas de l’enfant.
Face à la montée de l’obésité infantile, l’école est devenu un lieu privilégié d’éducation à la nutrition et à l’alimentation. Mais par cette nouvelle mission, valoriser le bien-être, le plaisir, la qualité et la dimension sociale du repas est aussi devenu indispensable.
Notre alimentation représente 30% de notre empreinte écologique. C’est un des enjeux majeurs de la santé et du développement durable. Dans les cantines scolaires engagées sur des systèmes d’approvisionnement cohérents comme dans le 12e arrondissement de Paris, l’exigence sur la qualité des aliments choisis est peu mise en valeur auprès des enfants. Elle pourrait pourtant permettre dans l’école un vrai temps de découverte des saisons, et de valorisation de pratiques alimentaires de qualité, d’autant plus quand la nourriture est préparée sur place.
La cantine est le moment par excellence où l’enfant apprend à devenir un convive actif.
Les codes communs, les habitudes et les règles dans lesquels le repas se déroule sont autant de droits et de devoirs pour ce moment partagé. En rendant l’enfant responsable, la cantine peut être un terrain idéal pour amorcer une forme d’éducation à la citoyenneté alimentaire, et par extension à l’éco-citoyenneté. Cette notion est d’ailleurs très présente dans les programmes d’éducation au développement durable.
Devenir éco-citoyen, c’est «reconnaître la nécessité d’avoir des gestes et des comportements responsables tant par rapport à son lieu de vie qu’à l’égard de ses semblables».
Devenir un éco-convive, au regard de cette notion, va donc dans le même sens: comprendre la portée écologique de tous ses gestes quotidiens, de sa consommation et de ses rejets, autour du repas en groupe.
Voilà les objectifs que j’ai croisé pour imaginer un nouveau système de cantine éco-responsable, dans le cadre de mon projet de fin d’études.
Réintroduire de la convivialité à la cantine pour garantir un effort de responsabilisation commune et une implication collective face au respect et à la découverte de l’environnement n’est pas à penser uniquement entre enfants, à table.
Plus largement, cette question se pose dans l’école elle-même, entre les enfants et le personnel de cuisine et de service, et entre tous les acteurs de la chaine de service de la future éco-cantine. Quels sont les rôles et la place de chacun à l’heure actuelle? Quelle place leur donner dans l’hypothèse d’une nouvelle éco-cantine?
>Les enfants sont au centre du projet. A l’école élémentaire, ils sont âgés de six à douze ans, et sont suffisamment grands pour être autonomes à table et dans les activités annexes. Ils commencent à avoir le sens de leurs droits, de leurs devoirs, avec une curiosité de plus en plus étendue pour les choses du monde.
lire le billetSuite de notre série sur le bio à la cantine. Pour connaître la réalité de la situation du bio dans les cantines, Camille Bosqué est allée faire un tour dans deux arrondissements de Paris pour comprendre leurs choix.
Le 2e arrondissement de Paris sert actuellement 50% de produits bio dans les menus de ses dix cantines, et se présente un peu comme le modèle parisien en la matière. Le Grenelle de l’Environnement est évidemment une confirmation de ce choix, mis en place progressivement depuis 2001.
L’arrondissement reçoit ses repas de la Sogeres, un prestataire privé, qui les prépare dans une cuisine centrale. Les plats sont ensuite distribués en liaison froide aux cuisines satellites, où ils sont passés au four avant le service.
Accompagnée de Claude Kestel, directeur de la Caisse des Ecoles du 2e, j’ai pu visiter quelques cantines de l’arrondissement.
Dans un petit brouhaha relatif, les cantinières vont et viennent entre les cuisines et le réfectoire. Dans les cuisines, on trouve de grands réfrigérateurs, de grands fours, et un grand lave-vaisselle… et pas tellement plus, à part des énormes poubelles vertes, pour jeter les nombreux contenants qui sont utilisés lors du transport pour le stockage du plat, qui arrive déjà tout prêt.
Il y est ensuite remis à température de cuisson et servi dans la foulée. Les entrées sont les seuls éléments du repas qui sont préparés sur place, mais à part couper des tomates et disposer quelques brins de persil dessus pour faire plus gai, la mission des cantinières a pour principal enjeu de passer au four des barquettes pour le plat, et disposer les pommes du dessert dans un plateau.
Les fours pour la «remise à température» dans une cantine du 2e arrondissement parisien / Camille Bosqué
Ces pommes –et les autres fruits proposés– sont généralement bio, c’est d’ailleurs annoncé sur le menu; mais leur origine n’est pas toujours bien précisée. La Caisse des Écoles du 2e n’est pas en relation directe avec les producteurs. C’est la Sogeres qui s’en occupe pour elle, et qui elle-même ne le fait pas directement puisqu’elle s’en remet à un fournisseur spécialisé, Biofinesse.
Dans le réfectoire, j’aperçois sur un coin de mur un panneau en liège avec des petites affichettes pour décorer, parmi lesquelles se trouve le menu de la semaine, avec une tentative d’information sur l’origine et la qualité des produits servis:
«La viande de volaille qui vous est servie est issue d’animaux nés, élevés et abattus en France.»
Je ne suis pas sûre que les enfants, consommateurs directs de ces produits et donc potentiels destinataires du message, soient vraiment sensibles à ce type d’information… Tout cela est à hauteur d’yeux d’adultes, avec des mots d’adultes, et écrit en minuscule.
lire le billetEn quelques épisodes, Slate publie ici une partie de l’enquête de Camille Bosqué sur les cantines scolaires bio.
Avec la crise de la vache folle et plus généralement les problèmes d’insécurité alimentaire, la restauration scolaire a souffert d’une remise en cause de la qualité des plats proposés sur le plan sanitaire et diététique. Dans ce contexte, le bio est progressivement en train de prendre de l’importance.
En 2007, le Grenelle de l’Environnement a fixé un objectif de 20% de bio à la cantine en 2012. C’est ce qui a été le point de départ d’un sursaut dans les communes de France.
Nos enfants nous accuseront, réalisé en 2008 par Jean-Paul Jaud est un film qui témoigne par l’exemple de cette cause nouvelle qui agite le monde des cantines. On y suit l’histoire d’une petite commune du Gard, Barjac, dont «la cantine scolaire, rurale, a décidé de changer l’alimentation ordinaire en alimentation bio» : débats publics, rencontres entre les agriculteurs, les producteurs locaux et la municipalité, et mise en route de cette «nouvelle meilleure cantine» dans laquelle les enfants redécouvrent aussi le «vrai» goût de la laitue, du pain, des poires…
Ce film a été projeté dans de nombreuses communes de France comme argument de réussite de l’introduction du bio dans les repas des cantines. Selon Jean-Paul Jaud, l’urgence est de lutter contre «une agriculture chimique et mortifère indigne d’un pays comme la France».
Le WWF France a enclenché le 18 juin 2009 une campagne nationale pour convaincre les mairies de privilégier les produits bio dans les menus de leurs cantines, en les aidant à trouver des moyens pour mettre en place des solutions concrètes, en mobilisant les parents d’élèves, les enfants et les responsables politiques autour d’un même objectif.
Selon Serge Orru, directeur du WWF, il s’agit de mettre en place une mécanique générale dans laquelle les cantines scolaires peuvent être la locomotive de la généralisation du bio en France. C’est un souci de santé publique qui suppose une modification profonde de nos modes de production agricoles, que l’État français doit être en mesure d’accompagner.
Serge Orru explique qu’à ce sujet «c’est une campagne qui pose des questions, et nous n’avons pas toutes les réponses».
Effectivement, en France, l’agriculture bio représente actuellement seulement 12 000 paysans et 2,6% de la surface totale cultivée. L’objectif de 20% de bio dans les repas des cantines d’ici 2012 reste difficilement atteignable en moins d’un an, sachant que la moyenne actuelle de bio servi en restauration scolaire atteint actuellement difficilement les 2%… et que pour l’instant, 40% des produits issus de l’agriculture biologique sont importés hors de France, d’après le WWF.
On peut distinguer deux principaux obstacles: la rareté des surfaces agricoles dédiées aux cultures biologiques d’une part, et d’autre part le temps que requiert la constitution de filières reliant les producteurs locaux aux restaurations municipales.
Un des objectifs officiels du Grenelle pour accompagner cette volonté est d’atteindre 6% de surfaces agricoles bio en France d’ici à 2012 [PDF].
Mais, selon Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, ça ne suffit pas:
«Le gouvernement doit se donner réellement les moyens d’inciter des mises en cultures selon les méthodes de l’agriculture biologique […] et pour qu’on puisse le faire dans le cadre de nos responsabilités il faut encourager des mises en production de bio, ce qui ne se fait pas parce que les paysans, et les agriculteurs si on les aide une année et qu’on ne les aide pas une autre année sont dans une situation d’insécurité, et ils se disent “je ne m’emmerde pas, (passez-moi l’expression) je balance mes nitrates, mes produits phytosanitaires, ça me sécurise, et puis comme ça j’ai un revenu”.»
Il y a donc un décalage que les maires dénoncent entre les objectifs fixés au niveau national, et les moyens disponibles pour les agriculteurs, pour les appliquer au niveau local. En attendant, chaque commune et chaque institution trouve des solutions à sa manière.
Huit écoles privées (écoles Montessori, écoles bilingues ou alternatives) à Paris et en banlieue se sont quant à elles regroupées autour d’une initiative commune. Ces écoles maternelles et primaires ont négocié un accord avec le prestataire de restauration SAGERE (groupe RGC Restauration, aujourd’hui filiale de SODEXO), autour d’un cahier des charges «innovant et responsable»: plus de produits bio, équitables ou Label Rouge pour tous les aliments, une suppression des produits industrialisés, et des livraisons par des camions fonctionnant au GPL, avec une reprise des emballages.
Malgré les difficultés de mise en place de ces objectifs de ces engagements, ce mouvement général en faveur de l’introduction du bio dans les cantines scolaires reste un moyen de rendre les plus jeunes sensibles à l’importance d’une alimentation de qualité pour leur santé et pour l’environnement. Selon Hélène Guinot, de la Ligue de l’Enseignement, c’est surtout un enjeu de terrain pour former des «écocitoyens pour la société de demain».
Camille Bosqué
lire le billetCamille Bosqué est diplômée du DSAA de l’école Boulle en Design de Produit, d’un Master en Design à l’École normale supérieure de Cachan et prépare actuellement l’agrégation d’Arts Appliqués.
Dans le cadre de son projet de diplôme en 2010, elle s’est penchée pendant un an sur le fonctionnement et la réalité des cantines scolaires bio de Paris, pour finalement aboutir à un projet prospectif de design global pour les cantines du 12e arrondissement de Paris. Retour à l’article.
Qu’est-ce qui fait que l’on mange bien dans une cantine scolaire, sur le plan du goût, de la nutrition, et de l’atmosphère? Cinq facteurs principaux très reliés les uns aux autres jouent:
Marie-Line Huc du GEM-RCN parle d’une «petite révolution» quand elle évoque la nécessité pour les élus de «prendre conscience que faire des menus et servir des repas aux enfants demande des compétences»:
«Ils réagissent souvent en se disant que c’est simple puisque tous les jours on mange, et se disent qu’il suffit d’un peu de bon sens. Non, il faut un minimum de connaissance pour bien acheter les produits.»
Même si ce n’est pas «en étant cher qu’on a la garantie de faire bien», le budget reste important: elle déplore que trop de collectivités ne connaissent pas le coût moyen du repas à la cantine, et du coup ne sachent pas augmenter la qualité tout en faisant attention au budget.
Et le lien entre élus et budget est crucial, puisque ce sont eux qui décident pour quel type de restauration scolaire ils vont opter: quand, particulièrement dans les petites communes, il n’est plus possible de cuisiner dans les locaux actuels qui ne répondent plus aux normes, c’est un budget de décider d’investir dans une nouvelle cuisine plutôt que d’externaliser.
Qui dit bons cuisiniers, et cuisiniers qui aiment être en restauration scolaire, dit à la fois attention aux produits et aux enfants.
Chef de la restauration à Bezons, Jean-Pierre Allo fait par exemple attention à préparer un menu sans porc aussi proche du menu avec porc que possible, «pour qu’il n’y ait pas trop de ségrégation entre les enfants»: rôti de dinde pour rôti de porc, chipolata sans porc pour chipolata avec, etc.
Des hommes et des femmes de qualité en cuisine vont à la fois chercher à faire découvrir des produits ou des saveurs aux enfants et à leur faire comprendre comment sont transformés leurs aliments, tout en prenant en compte leur public:
lire le billetSi on ne mange pas pareil dans toutes les cantines, c’est aussi parce qu’on n’y cuisine pas pareil. Certains cuisinent sur place dans l’école qu’ils servent, d’autres fonctionnent avec une cuisine centrale pour plusieurs écoles ou toute une ville, cuisine qui peut être gérée par la ville ou par un prestataire extérieur…
Le choix dépend du budget que les communes, départements ou régions sont prêts à investir, qui dépend lui-même de l’importance qu’ils accordent à la cantine.
Le coût des matières premières d’un repas à la cantine coûtent en moyenne 1,50€ en élémentaire (maternelle+primaire), entre 1,8 et 2€ au secondaire (collège+lycée).
Mais le coût total du repas dépend du système employé pour le cuisiner: le fait de déléguer la préparation à une cuisine centrale qui s’occupe de plusieurs écoles permet de faire des économies d’échelle. C’est plus simple pour les acteurs locaux qui se «débarrassent» du problème, c’est moins cher, mais c’est généralement moins bon et les enfants n’ont pas de contacts avec les produits ou les cuisiniers.
Avoir une cuisine dans l’école engrange des coûts: la (re)mettre aux normes, acheter les fours industriels et autre matériel, payer la main d’œuvre nécessairement plus qualifiée que les cantiniers qui se contentent de réchauffer des plats préparés ailleurs. Mais le résultat est généralement meilleur –ou en tout cas davantage «fait maison»– et les enfants sentent, entendent et peuvent voir la cuisine se faire.
Alors, cuisine centrale ou sur place? Liaison froide ou chaude? Voici les différents types de cuisine, leur façon de fonctionner, leurs avantages et inconvénients:
La cuisine approvisionne en barquettes de nourriture des «satellites» dans les écoles, où des cantinières sont chargées de les remettre ou les garder à température.
lire le billetD’un côté il y a Elias, 8 ans, qui va à l’école dans le 10e arrondissement de Paris et ne mange rien à la cantine (sauf quand le menu propose pizza, fromage et glace au chocolat), au point que sa pédiatre lui demande d’au moins prendre le pain et le fromage, et que son père, accessoirement le rédacteur en chef de Slate.fr, me demande un article sur «pourquoi la cantine c’est pas bon».
Mais il y a aussi Sasha, 4 ans, qui va à l’école maternelle dans le 12e arrondissement, et «n’aime rien à la maison et tout à la cantine», raconte sa mère Nadia, qui ajoute:
«Il n’y a pas longtemps elle m’a dit qu’elle avait mangé des blettes. Même moi j’ai jamais mangé des blettes!»
Persuadée que «ça allait être atroce», Nadia s’est rendue (avec plaisir!) à l’évidence:
«C’est vachement bien, et mieux que chez moi.»
Sasha et Elias ne sont que deux exemples parmi des millions d’autres de vécus opposés, qui tiennent en partie aux goûts personnels des enfants, mais pas seulement:
6 millions d’enfants et d’adolescents fréquentent la cantine scolaire, pour un total d’environ un milliard de repas servis par année. Dans une semaine scolaire, la cantine peut représenter jusqu’à 1 repas sur les 3 ou 4 (si on compte le goûter) de la journée, parfois le seul repas avec des légumes ou des fruits. Mais mange-t-on aussi bien (ou mal!) dans toutes les écoles, collèges et lycées à travers le pays? Les écoliers sont-ils tous égaux devant la cantine?
Pas du tout, puisque l’organisation de la restauration scolaire ne se fait pas au niveau national mais au niveau local, et qu’à part des normes de sécurité vétérinaire, ses différents acteurs ont très peu de règles communes à respecter.
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