La France fait une croix sur les frites scolaires

Des frites à Hollywood, en Californie, le 3 octobre 2007. REUTERS/Lucy Nicholson

Sus aux graisses et aux sauces! Le gouvernement entend régenter par le menu les repas servis dans les cantines.

L’affaire est grave. Grave comme tout ce qui touche à la table dans un pays dont la gastronomie est désormais inscrite au patrimoine mondial immatériel de l’humanité . Grave aussi en ce qu’elle concerne tous ceux (environ six millions d’enfants et un certain nombre d’adultes) qui goûtent, quotidiennement ou presque, aux délices des cantines scolaires. Et suffisamment grave pour que le gouvernement s’en saisisse toutes affaires cessantes ; avec ce décret-loi publié au Journal Officiel de la République française daté du 2 octobre.

Ce texte, signé de huit ministres (dont ceux de la défense et de l’intérieur) et secrétaires d’Etat concerne «la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire». Il y a là comme un parfum de déclaration de guerre.

L’ennemi est dans la place!

Les mesures édictées sont entrées en vigueur dès le lendemain de la publication du texte et ce «dans les services de restauration scolaire servant plus de 80 couverts par jour en moyenne sur l’année». Conscient de l’état des troupes et des boutons de guêtres l’état-major laisse une petite année d’adaptation progressive aux services de l’arrière, ceux qui ont une activité moindre: les petites cantines des agglomérations isolées de nos campagnes.

L’affaire est urgente; l’ennemi n’est plus aux frontières mais bel et bien dans la place : ce sont les graisses et les sauces, le sel, le sucre et le feu des fourneaux. Il nous faut nous mobiliser et obtenir des plus jeunes qu’ils se tiennent droits à table.

L’heure n’est plus tant à «l’éducation du goût» qu’à l’apprentissage restrictif. Le bâton plus que la carotte. En cuisine on va voir ce que l’on va voir: les gestionnaires des services de restauration devront répondre à une batterie de nouvelles et drastiques exigences. On parle ici de la variété et la composition des repas, de la taille des portions, du service de l’eau, du pain, du sel et des sauces.

La feuille de route complémentaire figure dans un arrêté publié le même jour que le décret par le Journal Officiel. Extraits :

«Article 1
Les déjeuners et dîners servis dans le cadre de la restauration scolaire comprennent nécessairement un plat principal, une garniture, un produit laitier et, au choix, une entrée et/ou un dessert.
La variété des repas est appréciée sur la base de la fréquence de présentation des plats servis au cours de 20 repas successifs selon les règles fixées à l’annexe I du présent arrêté.
La taille des portions servies doit être adaptée au type de plat et à chaque classe d’âge. Les gestionnaires des restaurants scolaires doivent exiger de leurs fournisseurs que les produits alimentaires qu’ils livrent soient conformes aux valeurs précisées à l’annexe II du présent arrêté.

Article 2
L’eau est à disposition sans restriction.
Le sel et les sauces (mayonnaise, vinaigrette, ketchup) ne sont pas en libre accès et sont servis en fonction des plats.
Le pain doit être disponible en libre accès.»

Mais le diable se nichant, comme toujours, dans les détails il fait se pencher sur les annexes I et II de cet arrêté pour mesurer l’ampleur des sacrifices à venir et, incidemment, la gravité du mal auxquelles étaient quotidiennement exposées les corps de nos très chères têtes blondes.

La vie sans frites (ou presque)

Au risque de faire mal on peut le dire sans ménagement: les (pommes de terre) frites vont disparaître (ou presque) des cantines puisqu’il il ne faudra pas « proposer » plus de quatre produits frits sur vingt repas. On pourra se venger sans retenue sur l’eau claire et le pain (les boulangeries industrielles applaudissent déjà des deux mains).

Explication de texte par le premier signataire: Bruno Le Maire ministre  de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

«Six millions d’enfants mangent à la cantine chaque jour mais un sur deux a encore faim en sortant, assure-t-il. Les règles nutritionnelles ne sont ni appliquées, ni contrôlées. Nous les rendons obligatoires et nous allons surveiller les menus. Il doit y avoir plus de produits laitiers, plus de fruits au dessert, le moins possible de friture et une alternance entre viande et poisson dans la semaine.»

Sans oublier cette quête de l’exemplarité et de l’universalisme des valeurs que nous portons sans lesquels nous ne serions pas ce que nous fûmes et demeurons:

«La France doit être l’exemple mondial en matière de qualité de l’alimentation, à commencer par les enfants.»

La France est en retard!

A dire vrai Bruno Le Maire n’a pas été mis au parfum par ses services: non seulement la France n’est pas la seule à monter au front de l’anti-graisse mais elle est même déjà en retard. La veille même de la publication du décret gouvernemental  le Danemark devenait le premier pays au monde à introduire une taxe sur certaines matières grasses.

Cette taxe a été fixée à 16 couronnes (2,15 euros) par kilogramme de graisses saturées. Elle s’appliquera à tous les produits contenant de telles graisses, y compris celles –masquées mais bien présentes– des plats cuisinés.

«Nous doutons que cela aura un impact positif sur la santé, c’est simplement une taxe  supplémentaire», a commenté la Confédération danoise des industries qui voit là «un cauchemar administratif».

Les producteurs devront fournir des déclarations sur la quantité de graisses saturées contenues dans le produit mais également dans celles utilisées lors de sa préparation. Les professionnels  soulignent que cette taxe induit un risque pour la compétitivité des produits danois puisque les produits importés seront soumis à la seule taxe sur les graisses qu’ils contiennent effectivement.

Cette réaction est similaire à celles qui en Europe ont suivi les différentes mesures prises aux échelons gouvernementaux pour tenter de modifier les comportements alimentaires par voie fiscale.

En France la FCPE, principale fédération de parents d’élèves, a qualifié de «victoire» la publication du décret. L’initiative gouvernementale sur la qualité de la restauration scolaire fait suite à la récente décision de taxer les boissons contenant des sucres ajoutés au double nom de la santé publique et des indispensables mesures de réduction des déficits publics.

Modifier les comportements par les lois

Ces deux initiatives marquent un infléchissement notable de la politique gouvernementale en matière de lutte contre les effets sanitaires des déséquilibres hygiéno-diététiques. La priorité n’est plus d’inciter chacun (par voie publicitaire et «pour sa santé») à consommer «cinq fruits et légumes par jour», à ne plus «grignoter» ou à «se bouger». Elle est à modifier les comportements par voie économique ou réglementaire.

Et tout cela dans un bien beau et bien paradoxal bazar. C’est à dire en respectant pleinement la tradition jacobine française allergique par essence au pragmatisme britannique: une centralisation absolue des décisions associée à l’absence de toute évaluation des effets recherchés. Qui nous dira, après demain, combien de minutes d’espérance de vie gagnées par portion de frites en moins?

Jean-Yves Nau

Un commentaire pour “La France fait une croix sur les frites scolaires”

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