Congelé, concentré, en poudre, en bidon… Le monde de l’oeuf industriel

On parlait ici il y a quelques semaines des plats préparés par l’industrie agroalimentaire et du rôle de tout un tas d’ingrédients aux noms très mystérieux… Dont les oeufs, souvent largement transformés pour arriver dans nos biscuits.

Bien sûr, le fabricant de votre paquet ne casse pas les oeufs frais – pondus par des poules élevées en plein air -, un à un pour faire la pâte… Suite à la publication d’un dossier de l’INRA sur l’oeuf, revenons plus en détail sur cet ingrédient-là et ses utilisations industrielles…

La France est le premier producteur d’oeufs et d’ovoproduits, avec 290 000 tonnes en 2011, dont 40% destinées aux ovoproduits (c’est à dire les produits obtenus à partir de l’oeuf, de ses composants ou de leur mélange. Sans utiliser la coquille!).

L’industrie agroalimentaire est “très friande d’ovoproduits et il y en a partout dans nos cuisines”. Les oeufs et leurs dérivés sous toutes les formes entrent dans la liste d’ingrédients de nombreux produits industriels “en raison de leurs propriétés fonctionnelles (aptitude au fouettage, émulsification, moussage, stabilisation, gélification, texturation…)”.

L’INRA distingue trois catégories. D’abord les “ovoproduits intermédiaires”, destinés à être utilisés comme ingrédients par les industries agroalimentaires. Ils sont sous forme liquide, concentrée, congelée ou en poudre.

Là, le blanc sert par exemple à faire mousser (le contenu de votre pot de mousse au chocolat du supermarché) ou à gélifier (votre charcuterie…). Ce fabricant explique sur son site que les ovoproduits congelés peuvent se conserver 1 à 2 ans, et les oeufs en poudre 2 ans dans un endroit sec…

Ces ovoproduits-ingrédients industriels sont donc utilisés, selon le fabricant, pour des raisons de “sécurité bactériologique”, mais aussi de “rationnalisation, praticité et économie” (pour fonctionner en flux tendu, gagner du temps, conserver les matières premières…) et pour travailler avec du “prêt à l’emploi” (plus de rendement car “plus besoin de casser les oeufs”!…)

Ensuite, on rencontre les “ovoproduits prêts à l’emploi”, déjà transformés pour la restauration hors-domicile: “les oeufs durs écalés, les oeufs pochés, des omelettes précuites ou deshydratées, des blancs en neige…”. Vous qui avez déjà mangé dans une cantine scolaire ou d’entreprise, vous voyez de quoi on parle.

Et enfin, “les constituants du blanc ou du jaune”, pour l’industrie agroalimentaire et aussi non-alimentaire. On extrait les molécules utiles qui ont différentes propriétés: “le lysozyme, extrait du blanc d’oeuf, est par exemple utilisé dans la fabrication de fromages à pâte pressée cuite, comme conservateur naturel dans un grand nombre de préparations alimentaires ou comme principe actif de traitements contre les maux de gorge”.

Les fabricants de tous ces ovoproduits utilisent des machines de cassage “capables de les briser individuellement, avec des capacités pouvant atteindre jusqu’à 180 000 oeufs par heure”! Les coquilles sont toujours très vite évacuées, car elles peuvent être une source de contamination.

Ensuite, ils sont filtrés et transformés (pasteurisés, séchés, mis sous forme de poudre, de concentré…). Et vendus à des restaurants collectifs ou des industriels, qui les utiliseront donc dans vos plats de la cantine, pâtisseries, charcuteries, confiseries ou encore sauces…

Photo: Eggs/ George M. Groutas via FlickCC License by

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Mettre en avant les producteurs, une stratégie de l’industrie agroalimentaire?

Olivier Fourcadet est prof de management à l’ESSEC, spécialisé en stratégie des entreprises et en agroalimentaire. On a pu lire récemment sur son blog Nouvelles Perspectives en Agroalimentaires un article écrit par Clémentine Alaux, étudiante de l’école, intitulé Mettre en valeur les producteurs: une tendance forte de l’agroalimentaire? En période d’incertitude alimentaire et d’affaire de lasagnes au cheval, le marketing “local”, personnalisé avec des figures de producteurs semble faire recette… Quelques questions à Olivier Fourcadet:

Selon les tendances révélées par le Salon International de l’Alimentation 2012, les Français recherchent “simplicité et solidarité” dans leur consommation alimentaire, en privilégiant notamment les produits locaux. Comment explique-t-on cela?

En période de tensions, de doutes, on essaye de retourner à des valeurs traditionnelles. Il peut s’agir de valeurs religieuses, ou bien des racines… Les gens veulent plus s’enraciner avec le terroir, la proximité, cultiver les liens avec la terre. En période de crise, le produit devient aussi important que celui qui le fait. Alors les consommateurs ont une attention croissante pour les produits “de chez nous”. On voit que les consommateurs sont à la recherche de liens directs avec les agriculteurs, le concept de proximité parle à tout le monde. On observe par exemple le développement de “drive” fermiers, ou de distributeurs automatiques remplis par les producteurs du coin…

Les marques se saisissent donc de cette volonté de proximité, de local?

Les marques voient apparaitre ce rapprochement, elles veulent jouer un rôle, et utilisent donc cette image de proximité. En fait, cette stratégie orientée vers le local existe depuis les années 1990 et la crise de la vache folle. Des marques ont commencé à utiliser des figures d’agriculteurs, pour rassurer le consommateur sur la proximité et la traçabilité des produits.

Ce n’est pas une idée nouvelle: Carrefour par exemple utilise depuis longtemps le “made in France” avec sa marque Reflets de France. Certaines marques s’approvisionnent en local depuis longtemps – et notamment parce qu’il est plus facile d’avoir des fournisseurs juste à côté!- mais ne communiquaientnt pas forcément dessus.

En restant attentives à ce que la communication ne soit pas perçue comme négative (les costauds abusant des petits…), les marques commencent à vouloir répondre aux attentes en orientant leurs stratégies de communication vers l’offre locale, en mettant en avant directement les figures des agriculteurs.

Par exemple?

Comme le précise l’article, Danone, depuis 2010, met en avant les producteurs sur le packaging du produit et dans les publicité TV, avec une communication sur les “éleveurs laitiers français”. Autre exemple, Fleury Michon commercialise un “jambon de nos campagnes” avec la photo d’un producteur sur le packaging, avec des mentions insistant sur le made in France

Selon vous, cette tendance va se poursuivre?

Oui, je vois sur les marchés que ceux qui vendent du local ont beaucoup de succès… Même si les consommateurs ont des attentes différentes: dans une grande surface, les gens cherchent un beau produit, une tomate bien lisse. Dans les circuits courts, ils cherchent surtout le contact avec les producteurs, sans donner d’importance aux tâches sur les poires ou les pommes… Les initiatives se multiplient, comme la livraison de paniers dans les entreprises. Il est clair que les marques ne voudront pas être exclues et souhaiteront jouer un rôle.

L.D.

Photo: milk family/ tauress via FlickCC License by

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Plus de précarité = plus d’obésité?

La nouvelle étude Abena (sur l’alimentation et l’état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire) vient d’être rendue publique.

Elle révèle des chiffres préoccupants: les pathologies liées à la nutrition (obésité, hypertension artérielle, diabète) sont très élevées chez les usagers des aides alimentaires, qui connaissent “des contraintes dans leurs conditions de vie qui ont un impact sur, entre autres, leur santé nutritionnelle, même si le recours à l’aide alimentaire devrait permettre d’en atténuer les effets délétères”.

La prévalence de l’obésité chez ces usagers est ainsi de 28,8% (contre 17,6% dans la population générale selon l’ENNS 2006-2007), chiffre en augmentation depuis la dernière étude de ce genre en 2004-2005.

Les femmes sont particulièrement touchées, puisque 35,1% d’entre elles sont obèses, et 36,3% en surpoids. En outre, 48,5% des hommes et 39,3% des femmes souffrent d’hypertension artérielle (contre 34,2% et 27,8% dans la population générale).

Enfin, la prévalence du diabète semble plus élevée que dans la population totale, surtout chez les femmes (8,9% contre 3,3% de la population générale).

Cependant, certains “marqueurs biologiques de l’état nutritionnel” évoluent favorablement. On observe une baisse de l’anémie par carence en fer.

Ces chiffres concernant “les pathologies liées à la nutrition” s’expliquent, entre autres, par des conditions particulières de consommation. 39,5% des usagers déclaraient “moins de 3 prises alimentaires la veille de l’enquête”.

Certains groupes d’aliments sont mangés bien moins souvent que ne le préconisent les recommandations nutritionnelles, et à des fréquences inférieures à celles de la population générale, comme par exemple pour pour les produits laitiers.

Seulement 6,5% des usagers affirmaient consommer des fruits et des légumes 5 fois par jour. Un quart des personnes déclaraient avoir consommé des boissons sucrées quotidiennement au cours des douze derniers mois.

L’étude note que l’aide alimentaire est “la principale source d’approvisionnement pour de nombreux types d’aliments”, comme les produits non périssables (pâtes, sucre, farine…), les conserves ou le lait.

Parmi les conclusions de l’étude,il apparaît donc prioritaire de renforcer les actions de prévention, notamment de proximité, ainsi que les dépistages du risque de maladies chroniques auprès de ces publics”.

Ces résultats sont bien sûr à mettre en parallèle avec les situations socio-économiques des personnes interrogées, et notamment l’accès aux soins. Une personne sur dix déclarait ne pas bénéficier d’une couverture maladie au moment de l’enquête.

Etude réalisée auprès de plus de 2000 bénéficiaires de l’aide alimentaire en 2011-2012, sur six territoires urbains (Paris, Marseille, Grand-Dijon, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Hauts-de-Seine), financée par l’Institut de veille sanitaire, l’ORS (Observatoire Régional de Santé) Île de France, l’Inpes.

Photo: Spaghetti/ angermann via FlickCC License by

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The Gaza Kitchen: des recettes, malgré les roquettes

Quand on pense à la bande de Gaza, on ne pense pas forcément directement de bons petits plats mitonnés. Npr nous parle d’un récent ouvrage, The Gaza Kitchen (La cuisine de Gaza), pas (encore?) traduit en français, qui raconte beaucoup de choses sur Gaza, à travers la cuisine et l’agriculture, bien particulières à ce territoire.

Maggie Smith a visité Gaza en 2009 et a écrit une série d’articles, dont un papier intitulé “In Gaza, Eating under siege”, publié dans The Atlantic. A l’époque, elle avait déjà constaté que, malgré les sévères restrictions en ravitaillement, les gens cuisinaient, se débrouillaient:

“Autrefois, Gaza était connue pour ses citronniers, ses extraordinaires fruits de mer, la senteur de son jasmin le matin. Cela n’a pas duré, aujourd’hui l’image de Gaza est associée à la mort et la destruction. Mais malgré le siège, malgré les bombes, malgré la tourmente politique, les habitants de Gaza continuent à créer des petits coins de beauté, où ils peuvent. Un de ces lieux est la cuisine”.

Elle expliquait alors que Gaza est riche de nombreux champs et vergers, mais que les “zones de sécurité” laissent de moins en moins de place aux terres arables. Que la viande est très chère. Et que les problématiques du gaz et de l’électricité entrent en considération aussi. Mais que malgré cela, “des plats magnifiques sont sur les tables des maisons”.

A ce moment là, explique Npr, en faisant des recherches sur le web, elle a trouvé peu de choses sur la cuisine à Gaza. Mais elle est tombée sur le blog de Laila El-Haddad, Gaza Mom, contenant (entres autres) pas mal de recettes.

Les deux femmes ont discuté, échangé des mails, et se sont rencontrées en 2010, pour faire le constat que de nombreuses personnes déplacées depuis des décennies ont gardé un sens très précis de leur identité… à travers la nourriture, les traditions très spécifiques de leurs villages. Le projet du livre est né.

“Le cumin, l’ail et les piments, voilà le trio incontournable de cette cuisine”, explique Laila El-Haddad, co-auteur. Autres ingrédients fréquents, “des herbes, du poivre, du citron, du piquant. Beaucoup d’aneth, des graines d’aneth, des saveurs aigres sous toutes les formes. Des citrons, des grenades, et beaucoup de poivrons aussi”.

Alors l’ouvrage distille des recettes de salades, des ragoûts, des pains, des desserts, des boissons: le Kishkik est ainsi une galette de blé fermenté, stockée pendant des mois. La version de Gaza est au lait de brebis et aux flocons de piments rouge. La Fattit Ajir est une jolie salade de pastèque épicée et rôtie.

Les auteurs expliquent leurs motivations à Npr: «Pour nous,  décrire la vie dans les foyers, l’économie familiale, était vraiment important», «parce que ce côté de l’histoire de la bande de Gaza est presque totalement inconnu”.

Et comme souvent, l’histoire des façons de cuisiner et de manger est fortement liée à l’histoire politique, en l’occurrence ici la répartition des rations alimentaires des Nations Unies, les pénuries d’électricité et d’eau, ou encore les restrictions sur la pêche, alors que Gaza était autrefois connue pour ses fameux poissons.

Pour lire plus de rencontres, reportages et recettes (en anglais), le blog The Gaza Kitchen retrace les avancées du projet depuis 2010.

Photo: Lemon tree/ andrewmalone via FlickCC License by

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Vos légumes, vous les achetez frais ou transformés?

Frais ou “transformés”? Il y a plusieurs manières d’acheter et de cuisiner courgettes, carottes et autres salades vertes. Le Programme national nutrition santé explique d’ailleurs que les “5 fruits et légumes par jour” peuvent être consommés sous des formes différentes.

Des chercheurs en sciences sociales de l’INRA (Institut national de recherche agronomique) se sont penchés sur la consommation de légumes des Français, dans une étude publiée dans l’European Journal of Public health:

“Depuis la fin du XXème siècle, la consommation de légumes frais décroît, même si elle est partiellement compensée par une augmentation de la consommation de légumes transformés”.

L’équipe a alors cherché à identifier les facteurs qui agissent sur la consommation de telle ou telle forme de légumes.

En excluant les pommes de terre et les lentilles, ils ont séparé les légumes frais, les légumes transformés (légumes épluchés et lavés en sachet, conserves, surgelés, légumes en potage, légumes cuisinés, et même les plats préparés contenant une portion de légumes identifiée. Par exemple du colin-petits pois-riz, mais pas des lasagnes…), et les aliments pour bébé comportant au moins une portion de légumes.

Alors, toutes formes confondues, les Français consomment en moyenne 114 kg de légumes par foyer et par an, dont 60% de frais. Plus on prend de l’âge, plus on achète des légumes. Ainsi, “les plus gros consommateurs sont les personnes âgées de plus de 60 ans, qui achètent deux fois plus de légumes que les trentenaires”.

Au rayon frais?

Plus précisément, du frais ou du transformé? “Les consommateurs achètent d’autant plus de légumes frais que leurs revenus sont élevés (14 kg/ an d’écart entre les 15% les plus riches et les 15% les plus pauvres) ou qu’ils sont diplômés”.

Le facteur de l’âge est aussi important, sans doute à cause d’un effet de génération (les plus âgées ont moins été habitués à fréquenter les grandes surfaces et donc les légumes préparés), mais aussi peut-être parce que les retraités ont plus de temps pour cuisiner des produits frais.

Par contre, il y a moins d’inégalités dans l’achat des légumes transformés: “les quantités de légumes transformés achetées sont indépendantes de l’âge et du niveau socio-économique des ménages”, mais varient juste en fonction du nombre d’enfants et d’adultes dans le foyer.

Du coup, les chercheurs pensent qu’il est important de continuer à encourager la consommation de légumes frais, qui reste majoritaire, mais que “les légumes transformés ne doivent cependant pas être négligés: consommés dans toutes les couches sociales, ils représentent une alternative intéressante à la baisse du temps consacré à la préparation culinaire”.

La qualité nutritionnelle pose question, les légumes frais préservant plus les nutriments. Mais Marie Plessz, une des auteurs de l’étude, expliquait ce matin que nous avons “peu d’informations sur la manière dont les gens cuisinent les légumes frais. Ils peuvent aussi être bouillis, ou préparés avec beaucoup de gras”… Donc les légumes achetés frais ne sont au final pas forcément plus nutritifs.

Quid des comparaisons internationales? Elles sont peu aisées, Marie Plessz précise que “la définition de la catégorie légumes n’est pas uniforme. Par exemple la pomme de terre est considérée comme un légume dans les études aux Etats-Unis”. En fait, cette question est toujours délicate, car on peut suivre la défintion potagère (potager ou verger?), culinaire ou nutritionnelle…

L.D.

Photo: Eat Your Vegetables, They’re Good For You!/ the bridge via FlickCC License by

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Littérature et bonne chère: des banquets de Rabelais à la soupe de Duras

La gastronomie a souvent une bonne place dans les romans. On y trouve parfois même directement des recettes, comme dans On n’a pas toujours du caviar de Johannes Mario Simmel, ou dernièrement dans L’embellie, d’Audur Ava Ólafsdóttir.

Publié chez Eyrolles, La littérature gourmande, de François Rabelais à Marcel Proust, de Philippe Di Folco, propose une anthologie des plus beaux morceaux. D’abord, qu’est ce que la «littérature gourmande» ?

Déjà, soulignons que «l’adjectif «gourmand» connaît aujourd’hui les faveurs de la morale ou de la bienséance. Du temps de Rabelais ou de Montaigne par exemple, il était assez mal vu d’être gourmand». Un péché capital, tout de même, qui exposait à un certain nombre de risques…

Ces textes, choisis et rangés par époque, parlent donc de «cette fonction première car nécessaire qui est de  «se nourrir», à laquelle vient se greffer peu à peu une dimension «irrationnelle» : le plaisir».

Ripailles et banquets

On commence le recueil par «la gourmandise au cœur des traditions médiévales». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas que «gruau, pain noir et soupe de raves au menu» (enfin, pas pour tous le monde). Les spécialistes de la gastronomie peuplent les cours européennes, ils écrivent des livres et commencent à transmettre leurs savoirs.

Marco Polo, parle de ses somptueux festins en Asie, tandis que Guillaume Tirel, alias Taillevent, «viandier», évoque les recettes d’une soupe à la moutarde, d’un civet d’huîtres ou de cretonnée de pois nouveaux.

A l’époque du «Nouveau monde humaniste», c’est bien sûr Rabelais qui décrit une «ripaille joyeuse», gloutonne et effrénée, avec son Pantagruel se régalant d’une quantité incroyable de gibiers. Montaigne raconte aussi, avec un regard ethnographique, ses découvertes gastronomiques en Allemagne.

«Sous les ors du grand siècle», celui des illustres banquets versaillais, on trouve entre autres le menu et les recettes de Lancelot de Casteau, aux cuisines des princes-évêques de Liège. Une petit repas comprenant «Un chapon bouilli, Potage de choux floris, Tourte ou Pasté haché, Heuspot de bœuf, Pied de mouton, Coschon ou oison rosty, Foye de veau frit, Gigot de mouton ou chair salée (…)». Et de nombreux autres plats !

On passe ensuite «du boudoir à la révolution du palais: naissance de la gastronomie», au XVIIIème siècle. Voltaire fait dialoguer un Indien et un Japonais sur des traditions culinaires, Chateaubriand évoque, peu glorieusement, la cuisine anglaise…

Grande époque

Pendant «l’Âge d’or de la gastronomie (1825-1870): entre gourmandise et nostalgie», les restaurants se multiplient à grande vitesse, tandis que l’appartement bourgeois se réorganise autour des cuisines et de la salle à manger. C’est l’époque de Brillat-Savarin, «chantre d’un nouvel hédonisme» et de son essai de référence, Physiologie du goût (1825).

L’occasion de donner sa belle définition de la gastronomie :

«La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments. Ainsi, c’est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments».

Toujours selon Brillat-Savarin, la gastronomie est liée à l’histoire naturelle, la physique, la chimie, la cuisine, le commerce, l’économie politique… Bref, «la gastronomie régit la vie toute entière».

Au XIXème siècle, Balzac disserte entre autres sur le café dans son Traité des excitants modernes (1838) et Alfred de Musset décrit un délicieux «souper chez Mademoiselle Rachel». Sans oublier Le Grand Dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, publié en 1872 et encore aujourd’hui une bible de la cuisine.

Fourier aussi attache de l’importance à la nourriture dans ses projets et réflexions. Dans un phalanstère, «le premier ressort de plaisir est la bonne chère. Si le peuple est mal nourri, il ne saurait prendre goût au travail. Il doit avoir en abondance, bon pain, bonne viande, bons légumes, bons fruits, bons laitages et bons vins ; plus des variantes en volaille, en poisson, etc.».

Ensuite, on passe au «culte des origines et appel des tropiques», une fin du XIXème pendant laquelle Charles Monselet écrit «Le sonnet de l’asperge», Edmond Rostand explique l’art des tartelettes amandines, dans la bouche du pâtissier Ragueneau, et George Sand disserte sur les huîtres.

Pour terminer ce tout d’horizon de la littérature gourmande, l’ouvrage entend nous emmener «vers de nouveaux territoires gourmands». On croise Marcel Proust, qui parle bien sûr des sensations que provoquent sur lui «ces petits gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques ». Paul Morand, en 1927, décrit les us et coutumes qu’il observe aux Etats-Unis: «New York est une ville mangeuse de viande».

Enfin, Marguerite Duras donne des conseils pour la réussite d’une soupe aux poireaux. Et de conclure l’ouvrage: «Rien, dans la cuisine française, ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux». Un extrait savoureux parmi les 150 textes de ce recueil, choisis chez des auteurs connus et méconnus, mais tous fort intéressés par la bonne chère.

L.D.

Di Folco Philippe, La littérature gourmande, de François Rabelais à Marcel Proust, coll. Les plus belles pages, Editions Eyrolles.

Photo: Lavender Madeleines/ crayonmonkey via FlickCC License by

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De l’importance des couleurs dans nos assiettes

Le lien entre la couleur d’un plat ou d’un aliment et les saveurs perçues pourrait être bien plus fort que l’on ne le croit, explique Amy Fleming dans un intéressant article du Guardian.

La perception des saveurs est clairement associée aux papilles et à l’odorat. La texture, la température, le toucher ont aussi un rôle. Mais on mange aussi clairement avec les yeux.

Pour Charles Spence, psychologue expérimental à Oxford, la vision est même plus importante que le goût et l’odeur dans la perception d’un plat. Donc, «la couleur d’un plat ou d’une boisson peut non seulement déterminer si ce plat est appétissant, mais aussi influencer sur la saveur ressentie».

Des couleurs préférées ?

On dit souvent que les humains ont une aversion intrinsèque à la nourriture bleue car elle est très rare dans la nature. Mais alors pourquoi les M&M’s bleus ont tant de succès? Autre théorie souvent entendue, nous serions attirés par la nourriture rouge, signe de maturité, de douceur, de calories…

Mais pour Chris Lukehurst, directeur de recherche à la «Marketing Clinic», pas d’aversion ou d’attirance innée: le lien entre couleur et appétit est «directement lié à l’expérience, aux attentes, aux associations, aux normes culturelles et aux modes».

Par exemple, pensez à de la nourriture verte. Il vous vient à l’esprit des images fraîches, de la roquette, du cresson, du concombre ou des fruits acides… «Mais si je vous parle de viande verte, votre estomac se retourne probablement» explique-t-il au Guardian.

Un steak coloré en bleu aura le même effet, même si vous savez qu’il est parfaitement sûr. Si vous faites manger de la viande artificiellement bleue à des gens dans l’obscurité, puis que vous allumez les lumières, beaucoup vont se sentir mal: «Tel est l’effet repoussant d’une couleur alimentaire complètement hors-contexte ».

Un bonbon bleu nous repoussera moins, parce qu’on a l’habitude, on sait que de toutes façons, sa couleur est artificielle, pourquoi pas du bleu, ma foi…

Les emballages aussi

Les packagings ont aussi des saveurs. «Nos cerveaux excellent pour amasser des associations et utiliser ensuite des raccourcis. Quand une couleur nous fait attendre quelque chose avec un certain goût, nous allons sentir ce que nous attendons sauf si c’est scandaleusement différent» dit Spence. Il a ainsi trompé des gens en permutant le contenu et l’emballage de chips au vinaigre et de chips aux fromage et à l’oignon.

Autre preuve de l’importance de la couleur, la multiplication des teintes différentes de Smarties et de M&M’s serait une stratégie pour nous en faire manger plus… On se ressert plus volontiers d’un bol contenant plusieurs «espèces» de ces bonbons, que d’un bol contenant uniquement des bonbons de notre couleur préférée.

Rouge ou blanc?

Dans le cas du vin, la couleur est essentielle pour évaluer un vin, son âge, sa fraîcheur. Mais elle affecte aussi la manière dont les buveurs perçoivent le bouquet d’un vin.

The Guardian parle d’une étude étonnante : des étudiants en œnologie à Bordeaux ont utilisé des termes comme chicorée, charbon, prune, chocolat, tabac pour définir un vin blanc coloré en rouge (sans qu’ils ne le sachent bien sûr). Vin blanc qu’ils avaient goûté auparavant dans sa vraie couleur, et son arôme avait évoqué le miel, le citron, le litchi, la paille…

L’INRA concluait alors: “les résultats montrent que les descripteurs olfactifs choisis par les dégustateurs pour un vin ont effectivement la couleur de ce vin. Il suffit donc de modifier la couleur d’un vin pour en modifier la perception des arômes”.

Le goût des aliments que nous percevons est donc largement lié à nos autres récepteurs sensoriels, comme la vue et plus précisément la perception de la couleur. Ainsi, on peut “préférer” les M&M’s verts, même s’ils ont le même goût que les autres…

Photo: m&m’s !/ :: Suwaif :: via FlickCC License by

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Finalement, pas touche aux sodas XXL!

On en a parlé plusieurs fois ici, Michael Bloomberg, le maire de New York, a décidé d’interdire les sodas XXL (plus de 47 cl !) dans sa ville, dans le cadre de sa politique de lutte contre l’obésité.

Le débat a passionné les habitants (liberté de boire ce que bon nous semble versus politique de santé publique efficace…), mais un nouvel événement vient juste de changer le cours de l’affaire: un juge, Milton Tingling, a déclaré que cette mesure était «arbitraire et capricieuse» et l’a bloquée «de façon permanente», juste avant son entrée en vigueur, explique Libération.

Le juge a souligné les disparités dans l’application de cette mesure, par exemple les boissons contenant plus de 50% de lait comme de gros milk-shake bien sucrés, n’auraient pas été concernées. Aucune restriction non plus n’était prévue pour les épiceries et supérettes, mais seulement pour les bars, restaurants, fast-food, qui se sentaient donc lésés…

Un collectif d’industriels du soda avait lancé une campagne contre la mesure, avec de nombreuses affiches dans le métro, des bannières de pub accrochées à des avions au dessus de la ville… Avant de porter l’affaire en justice en octobre, ce qui a conduit à la décision du juge.

La mesure était toute prête à entrer en vigueur. Selon le New York Times, «les bars et les restaurants avaient déjà imprimé les nouveaux menus, formé les employés et averti les clients des changements à venir. (…) Dunkin’ Donuts, par exemple, avait déjà demandé à ses employés de ne plus ajouter de sucre dans les grands cafés».

Qui est gagnant dans cette histoire? D’abord, les industriels qui produisent les boissons sucrées, selon le Washington Post. Mais «c’est aussi une victoire de la droite. Beaucoup de conservateurs se sont insurgés contre les régulations et restrictions dans le domaine de l’alimentation, et notamment contre la campagne de Michelle Obama sur le bien manger. Cette décision de justice est une aubaine pour eux».

Michael Bloomberg, pas du tout content, a annoncé que la ville allait faire appel. C’est un coup dur pour lui, puisque son mandat, dont un des combats emblématiques est la lutte contre l’obésité, se termine cette année.

Photo: Untitled/ wholehole via FlickCC License by

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Bientôt des capteurs pour tester la fraîcheur des aliments?

Des tonnes et des tonnes d’aliments encore tout à fait comestibles sont jetées chaque année, parce que leur date de péremption, prudemment apposée par les industriels pour minimiser les risques, est dépassée. Et non pas parce que leur fraîcheur réelle est vraiment douteuse.

Quartz rapporte que des chercheurs européens, et notamment de l’Université d’Eindhoven, aux Pays-Bas, ont mis au point un capteur permettant de déterminer si tel ou tel aliment est encore bon ou doit être jeté. Quelque soit la date inscrite sur l’emballage. Pour en finir avec la date de péremption ?

En pratique, un minuscule capteur mesure certains paramètres de la nourriture, comme le niveau d’acidité. Le capteur produit un signal, converti en signal numérique et diffusé par un système RFID (Radio Frequency Identification, comme les puces des passeports biométriques: une «radio-étiquette» permet de récupérer des données à distance).

Les résultats peuvent être lus avec un mobile: certains téléphones sont déjà équipés pour capter un signal RFID, et cela devrait se développer selon Quartz.

Le circuit du capteur juge donc de la fraîcheur de vos yaourts, vos steaks ou autres denrées périssables. Selon les chercheurs, le coût de ce système est inférieur à un centime d’euro par unité. Ils pensent qu’il faudra 5 ans pour que cette technologie entre réellement dans les épiceries et grandes surfaces.

D’autres technologies sont actuellement en travaux pour réduire le gaspillage alimentaire. Insignia Technologies, une entreprise écossaise, propose une «étiquette intelligente». A l’ouverture de l’emballage, une minuterie se déclenche, la couleur de l’étiquette commence à changer, pour indiquer si la nourriture vient d’être ouverte, ou bien doit être consommée, très, très rapidement.

Histoire de savoir si votre pot de crème fraîche a été ouvert il y a un mois et demi ou il y a 3 jours. Mais cette étiquette intelligente est toujours basée sur une date d’expiration préétablie, et non pas sur la fraîcheur réelle de l’aliment.

Ce genre de technologie pourrait aider à réduire l’immense quantité de nourriture mangeable jetée chaque année. «Sans parler du taux d’indigestion», souligne Quartz…

Photo: Enjoyment’s Interval/ CarbonNYC via FlickCC License by

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Peut-on s’entraîner à apprécier certains goûts?

Comment s’entraîner à aimer des aliments “sains”? Comment s’habituer à manger des plats ayant moins le goût du gras, du sucre ou du sel?

Si votre palais ne supporte que la pâte à tartiner et le fast-food, des psychologues pensent que des petits trucs peuvent vous apprendre à aimer des aliments qui vous repoussent, mais qui sont pourtant plus sains qu’un Big Mac… The Guardian nous donne quelques astuces de bon sens.

D’une saveur à l’autre

En partant du principe que beaucoup de préférences gustatives sont acquises, on peut apprendre  à aimer de nouveaux goûts en partant de nos préjugés, de nos goûts déjà enregistrés. Une sorte de reflexe pavlovien.

Si on mange un aliment dont le goût nous rappelle quelque chose, on peut aimer au début parce qu’on aime ce quelque chose apprécié dans le passé. Plus on en mangera, plus on appréhendera les autres carastéristiques gustatives de l’aliment.

The Guardian précise ainsi qu’une étude menée en 2006 a montré que sucrer les brocolis peut aider les enfants à en apprécier le goût…

Abaisser les seuils

Nos papilles et nos corps sont habitués à un certain niveau de sel ou de sucre. Si on veut diminuer ces doses, il faut diminuer les niveaux peu à peu, par d’imperceptibles étapes…

“Beaucoup d’industriels sont confrontés à la nécessité de réduire les quantités de sucre, de sel ou de graisses”, explique au Guardian Charles Spence, prof de psychologie expérimentale à Oxford.

“S’ils font le changement d’un coup, les gens n’aiment plus le produit. S’ils font le même changement petit à petit, sur une période beaucoup plus longue, alors les gens vont s’adapter”.

Le facteur “bien-être”

Les effets positifs des aliments que l’on avale ont bien sûr un rôle dans nos préférences. Ainsi, en buvant un verre de Coca, le glucose envoie un message positif à notre cerveau, en tant que source d’énergie.

En gros, un Mars c’est un peu de douceur dans ce monde de brutes. Mais d’autres aliments peuvent donner le même coup de fouet. Un bol de riz complet par exemple…

Plus de stimulus

Être exposé régulièrement à n’importe quel type de stimulus apporte une familiarité avec ce stimulus. Une étude menée en 2010 montre que pour des enfants de 9 et 10 ans, manger régulièrement des légumes augmente le goût pour ces derniers. Pas de raison pour que cette méthode ne fonctionne pas chez les adultes!

“Savoir, c’est pouvoir”

Un bon moyen pour susciter de l’enthousiasme pour un aliment est de devenir expert en la matière. Apprendre par exemple à apprécier les milles nuances entre un chou, une salade et des épinards…

Enfin, pour aimer un aliment – sauf profond dégoût-, il suffirait de trouver la bonne recette pour apprendre à l’apprécier. Ou bien de laisser faire le temps, puisque vos goûts d’enfant ne sont plus vraiment les mêmes que vos goûts d’ado ni même d’adulte…

Photo: Vegetables / mhaller1979 via Flickr CC Licence By

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