Géo-ingénierie : du mythe au Parlement

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Un simple mot, publié en septembre dans le « résumé à l’intention des décideurs » du Giec, a suffi pour déclencher une avalanche de réactions dans les sphères d’information écologistes : la géo-ingénierie.

Bien que le rapport ne fasse que constater le manque de connaissances actuelles sur le sujet et la possibilité d’effets secondaires sur le climat, cette mention a suscité de grandes inquiétudes et bon nombre d’articles, notamment sur le site écologiste Basta !, les blogs de Mediapart et Attac France.

Dans les années 2000, la géo-ingénierie était un sujet d’article cher aux complotistes et autres Alex Jones francophones : on y dénonçait les « chemtrails », c’est à dire l’ajout de particules soufrées dans le kérosène des avions de ligne et militaires, dans le but de les pulvériser dans l’atmosphère, arrosant au passage les populations. Loin de considérations passionnées, jetons un œil sur cette nouvelle technique qui, sortant des cercles troubles, s’avance peu à peu sur le terrain politique.

La géo-ingénierie est, selon le Giec, « l’ensemble des techniques visant à stabiliser le système climatique par une gestion directe de l’équilibre énergétique de la Terre, de façon à remédier à l’effet de serre renforcé. » De nombreuses techniques de géo-ingénierie sont à l’étude mais deux techniques attirent particulièrement l’attention des politiciens, des scientifiques… et des militaires.

Des expériences à grande échelle

La première d’entre elles est le déversement de particules de fer dans les océans : le fer ainsi répandu favorise la prolifération du phytoplancton. Or, ces algues consomment du Co2 lors de la photosynthèse et l’emprisonnent au fond des océans lorsqu’elles meurent, transformant ainsi les océans en gigantesques puits de carbone. Le but de cette technique est donc de doper artificiellement ce phénomène naturel de photosynthèse en augmentant la masse de phytoplancton. Plusieurs expérimentations ont eu lieu hors laboratoire depuis 1993 ; la dernière, illégale, a eu lieu dans le Pacifique en octobre 2012. Or, ces expérimentations se sont révélées peu concluantes. Après le déversement de centaines de tonnes de sulfate de fer dans les océans, le phytoplancton s’est effectivement développé durant plusieurs semaines, mais la quantité de Co2 absorbée apparait extrêmement faible du fait de l’artificialité du fer déversé.

La deuxième technique, imaginée en 1991 par le prix Nobel de chimie Paul Josef Crutzen, consiste à pulvériser du soufre dans la stratosphère de manière à renvoyer une partie de la lumière solaire. Une méthode similaire, basée sur la dispersion d’aluminium, permet également de provoquer des précipitations sur un territoire atteint de sécheresse ; méthode efficace utilisée par les Américains durant la guerre du Vietnam pour transformer en bourbier les lignes ennemies.

L'homme d'affaire californier Russ George est le dernier à avoir mené une opération de géo-ingénierie à grande échelle en 2012. http://commonsensecanadian.ca

L’homme d’affaire californier Russ George est le dernier à avoir mené une opération de géo-ingénierie à grande échelle en 2012.
http://commonsensecanadian.ca

 

Un long chemin dans la sphère politique

Aux Etats-Unis, la géo-ingénierie est considérée comme une option depuis plusieurs décennies déjà mais sent le soufre du fait de l’intérêt que lui porte l’armée américaine. En 1996, un rapport détaillé de l’US Air Force intitulé « Weather as a Force Multiplier: Owning the Weather in 2025 » préconise de se doter d’une capacité de géo-ingénierie militaire dès 2025.

En 1997, Edward Teller, père de la bombe H, soutient ouvertement « la mise en place d’un bouclier pour renvoyer les rayons solaires». C’est à cette époque-là que l’Union européenne s’inquiète pour la première fois des effets néfastes de la géo-ingénierie. En 2002, Colin Powell déclare aux Nations-unies : « nous sommes engagés dans un programme de plusieurs milliards de dollars pour développer et déployer des technologies de pointe afin d’atténuer les conséquences des gaz à effet de serre ». En 2009, c’est au tour de John Holdren, nouveau conseiller environnemental d’Obama, de déclarer que l’administration américaine investit dans des recherches de géo-ingénierie, ajoutant : « Nous n’avons pas le luxe d’ignorer quelque approche que ce soit ». Avec le rapport du Giec et une réunion en avril 2013 au Parlement européen, la géo-ingénierie entre aujourd’hui de plain-pied dans la sphère publique.

Un pas vers l’incertain

Mais quid des effets collatéraux ? L’observation du volcan Pinatubo en 1991, celle-là même qui avait inspiré Paul Crutzen, a certes généré une baisse de la température, mais elle a également favorisé une dramatique sécheresse au Sahel. Ce simple exemple montre la méconnaissance des effets collatéraux que pourrait provoquer une utilisation massive de la géo-ingénierie. Des opérations de géo-ingénierie pour favoriser la mousson pourraient créer une sécheresse au Brésil. De même, on est dans l’inconnu quand il s’agit d’évaluer les conséquences des retombées d’aluminium ou de souffre sur la terre et les populations.

Alors ? Devant l’incertain, la tentation pour les gouvernements, appuyés par de nombreux scientifiques et investisseurs tels que David Keith, Bill Gates ou Murray Edwards, est d’expérimenter ces techniques qui sont aujourd’hui réalisables du point de vue technologique. Une juste utilisation du principe de précaution préconiserait néanmoins d’attendre des études d’impact sérieuses et indépendantes. En attendant, il y a urgence pour qu’une politique de transparence soit établie au niveau international concernant les expériences de géo-ingénierie actuellement en cours. L’histoire nous a appris que vouloir jouer les apprentis sorciers peut s’avérer dangereux.

Raphaël B.

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