Suite à la catastrophe de Fukushima, le Japon a fermé, depuis le 5 mai dernier, ses 54 réacteurs nucléaires. Décision que la société civile salue, ainsi que l’ONG Greenpeace, malgré son caractère provisoire. En effet, en dépit de l’hostilité de la population qui s’organise pour vivre avec la radioactivité, le gouvernement japonais envisage de rouvrir certaines centrales. Les solutions énergétiques s’offrant au pays étant fortement coûteuses, quel sera son avenir ?
Placé en troisième position des pays les plus nucléarisés, après les Etats-Unis (104 réacteurs) et la France (58 réacteurs), la décision prise par le Japon représente un véritable tournant. Cependant, les 54 réacteurs nucléaires maintenant éteints produisaient environ 30% (chiffres de 2010) de l’électricité du pays, le reste étant produit par les énergies fossiles, et l’hydroélectricité. Les conséquences de cette décision sont donc multiples : le pays prévoit une hausse sensible des tarifs, des restrictions, l’importation d’énergies fossiles doublée d’une dépendance énergétique accrue, une hausse de la production de gaz à effets de serre, entre autre. Le Japon a déjà été obligé d’augmenter ses importations en gaz (37%), pétrole (20%) et charbon (16%), le conduisant à un déficit commercial, le premier depuis les années 80.
Dans l’esprit de création d’un nouveau mix énergétique, le premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, n’exclut pas le nucléaire de la balance et propose « une réduction de la part du nucléaire », via la fermeture et le non remplacement des réacteurs en fin de vie. La population, qui a déjà fortement diminué sa consommation d’énergie, permet au gouvernement d’investir dans les énergies renouvelables (EnR) pour atteindre les 20% d’ici 2020.
Malgré la confusion qui règne au Japon depuis les annonces du gouvernement à propos de la possible réouverture des centrales nucléaires, le gouvernement envisage dans l’avenir de revoir son mix énergétique et de se concentrer sur le développement des énergies renouvelables. A ce propos, Greenpeace encourage le pays à saisir cette opportunité pour aller de l’avant en matière de transition énergétique. Suite au tsunami, le Japon, qui voulait jusque là renforcer la part du nucléaire à hauteur de 50% en 2030, s’est vu contraint de revoir ses objectifs à la baisse. Atteindre les 20% d’énergies renouvelables d’ici 2020 est un véritable défi pour le pays, d’autant que 8 des 9% d’énergies renouvelables dans la production totale proviennent de l’hydroélectricité. C’est sur le 1% restant que l’effort doit donc se porter, puisque les EnR doivent « être multiplié par 12 en 8 ans » pour atteindre les objectifs 2020. Selon le ministre de l’environnement japonais, M. G. Hosono, cette croissance portera essentiellement sur le photovoltaïque et l’éolien, la géothermie et la biomasse restant en retrait, leur développement se heurtant à la préservation des sites naturels.
Concernant le photovoltaïque, depuis le lancement du Japon dans l’aventure du solaire dans les années 70, le pays reste à la pointe en matière de recherche et de rendement. La production japonaise est une valeur sûre, malgré le monopole du marché du solaire pris en 2007 par la Chine, date à laquelle le gouvernement japonais a décidé de ne plus subventionner la technologie jugée « mature ». Des subventions continuent, toutefois, d’être accordées aux particuliers afin d’encourager les installations, les tarifs d’achat de « surplus d’électricité » restant également attractifs. Du côté de l’éolien, l’espace libre au Japon est assez limité, les éoliennes terrestres générant de la « pollution sonores et visuelles ». Toutefois, deux projets sont en cours de réalisation, dont une ferme d’éoliennes flottantes, arrimées aux grands fonds marins, au large de Fukushima, devant atteindre une capacité de 1000 MW en 2020.
La population reste, malgré tout, très mobilisée après les déclarations du gouvernement de rouvrir deux réacteurs en juillet, faisant prévaloir le risque de pénurie d’énergie. Des manifestations ont d’ailleurs eu lieu à Tokyo, le 11 mars dernier, jour anniversaire de la catastrophe de Fukushima et le 5 mai, contre la relance des réacteurs nucléaires. Kolin Kobayashi, correspondant à Paris du Days Japan, explique que « loin de prendre cette mobilisation en compte, le nouveau gouvernement a au contraire fait pression sur l’autorité japonaise de sûreté nucléaire pour procéder à un seul stress test au lieu de deux, comme elle l’avait pourtant recommandé ». Le journaliste précise que l’avenir énergétique du pays reste flou depuis Fukushima, mais que « le gouvernement persiste » à vouloir conserver une branche nucléaire, « malgré les coûts financiers démesurés qu’elle implique. La commission du nucléaire civil évalue cette politique de relance à 18 milliards d’euros, un investissement impossible dans le contexte économique actuel ».
Face à ces décisions, la société civile se mobilise et s’organise en associations de défense contre le nucléaire. Rappelons que 80% des Japonais se déclarent contre la poursuite du nucléaire dans le pays. On voit notamment que des associations de parents, avec l’aide des ONG anti-nucléaires comme « Fukurô no kai, Greenaction ou Friends of the Earth Japan et l’appui d’experts scientifiques », se sont mobilisées « pour demander la décontamination et le contrôle des aliments dans les cantines ». Dans un autre registre, la population s’est organisée pour « avoir accès aux mesures de radioactivité et obtenir des informations non manipulées ». David Boilley, physicien, membre de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’ouest (ACRO), déclare à ce propos que « des dosimètres ont été distribués, 1 000 laboratoires citoyens ont été créés à travers le pays en un an, et même s’ils ne peuvent pas tout mesurer, faute d’avoir les outils nécessaires trop coûteux et les connaissances scientifiques pour déchiffrer les résultats, la population a repris en main les informations ». Au niveau local, la population peut faire des mesures concernant les taux de radioactivité, tandis que l’ACRO opère au niveau international. Avec ses outils, l’association a pu découvrir des contaminations 250 km autour de Fukushima.
Tandis que la population met en place des « solutions » pour vivre avec la radioactivité, les professionnels de la santé se divisent selon plusieurs opinions différentes. Certains jugent que la radioactivité est « sans danger pour la santé », une partie du personnel médical a préféré fuir la catastrophe de Fukushima et a quitté les hôpitaux, une troisième catégorie d’entre eux tentent d’apporter leurs services aux populations, notamment avec le « National Network of Parents to Protect Children from Radiation », ou en assurant des consultations gratuites aux victimes du drame. D’autres médecins encore, se sont regroupés pour « influencer le gouvernement en matière de dose et répondre aux sollicitations, comme l’association Citizen’s Science Initiative Japan ». David Boilley estime que beaucoup de membres du personnel médical n’a pas joué son rôle envers la population sinistrée, « sans doute parce qu’ils étaient trop déconnectés de la population ».
Concernant la défense des victimes des radiations consécutives à la catastrophe de Fukushima, des initiatives montrent que « les populations sont en train de s’organiser pour construire une autre société, alors que les autorités continuent sur un processus décisionnel centralisé qui ne tient pas compte de l’avis des personnes concernées ». L’ACRO explique que des avocats se battent pour que les populations puissent être dédommagés, « ils sont une cinquantaine et veulent maintenant bâtir une démarche collective de négociation avec TEP Co, pour donner plus de poids aux réclamations des personnes spoliées. Plus d’une centaine de victimes se sont déjà déclarées prêtes à les suivre dans cette démarche ».
La situation reste donc très complexe concernant le nucléaire et les solutions énergétiques au Japon, le combat entre les autorités et le gouvernement s’annonce difficile. Affaire à suivre.
Source : Novethic.fr
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