Trois repas et tout va!

Petit déjeuner, déjeuner, dîner: depuis environ deux siècles, manger trois fois par jour et à heures à peu près fixes est devenu une pratique généralisée dans notre pays. Une norme qui s’impose encore aujourd’hui, au point qu’elle devient un baromètre de la santé, sociale, économique et psychologique, des individus.

Eclatement des familles, allongement des temps de transport, travail généralisé des femmes, métissage culturel, crise économique, généralisation du grignotage et même réchauffement climatique? La norme des trois repas par jour résiste à tout, ou presque. Les chercheurs de l’Inra l’ont encore confirmé dans un récent article «Who still eats three meals a day? Findings from a quantitative survey in the Paris area» dont un résumé gratuit est disponible en ligne. Une étude limitée à l’Ile-de-France qui, selon les auteurs, est la région la plus inégalitaire de France, tant au niveau économique que social, et donc la plus susceptible de désintégrer la tradition culinaire française.

Eh bien non: 66% des ménages franciliens enquêtés font bien trois repas par jour, le repas étant considéré comme une prise alimentaire «structurée» (à l’inverse du grignotage). Plus parlant encore, ils prennent tous ces repas à peu près à la même heure: pour une grande majorité de personnes, le petit déjeuner se déguste entre 7h et 8h, le déjeuner débute vers 12h ou 13h et le dîner entre 19h et 20h.

Moins d’un quart des Franciliens interrogés ne font que deux repas, le repas sauté étant alors, généralement, le petit déjeuner. Ceux qui ne font qu’un repas par jour sont carrément marginaux (3% des personnes enquêtées), une proportion plus importante (6,7%) en revanche s’attablant devant un quatrième repas, en général le goûter. On soupçonne qu’il s’agit de sportifs qui reprennent un peu de force entre leur travail et l’entraînement.

A noter cependant: si 23,6% des Franciliens ne s’attablent que 2 fois par jour, ils ne sont en revanche que 16% à ne faire que deux prises alimentaires par jour. Autrement dit, les autres font bien une troisième prise alimentaire, mais non structurée, sous forme de grignotage.

Mais la grande majorité des personnes fait donc trois repas par jour. Ce qu’elles mangent, en revanche, diffère énormément selon le type de famille, ce qui fait l’objet d’une autre étude de l’Inra. Les femmes, les familles et les personnes âgées sont celles qui se conforment le mieux à la norme. Les exceptions sont à chercher parmi les jeunes adultes, a priori ceux qui ont quitté le foyer familial mais pas encore fondé de foyer; parmi les entrepreneurs (ils n’ont pas le temps?); mais surtout, parmi ceux qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté.

«La principale césure est économique», confirme Olivier Cardon, l’un des auteurs de l’étude. Et la précarité touche d’abord les femmes seules avec des enfants qui sautent ainsi plus souvent un repas que les autres.

En réalité, souligne le chercheur, manger trois fois par jour et à des heures à peu près harmonisées est devenu une telle norme qu’elle en deviendrait presque un signe d’intégration économique, sociale, culturelle.

Tant qu’on mange trois fois par jour, autrement dit, c’est que tout va à peu près bien. Et quand on arrête, c’est que l’on est trop précaire, ou que l’on tombe dans la dépendance: «Les personnes âgées sont celles qui se conforment le plus à la norme, et s’y accrochent autant qu’elles peuvent», constate Olivier Cardon. Lorsqu’elles cessent de faire leurs trois repas quotidien, c’est le signe qu’elles tombent dans la dépendance, la maladie ou la dépression.

Servir des repas appréciés –à domicile ou en institution–, ou carrément associer les personnes du quatrième âge au choix voire à la confection des mets, apparaît donc comme une bonne méthode pour retarder leur entrée en dépendance.

Plus surprenant pour les chercheurs, il semble que les trois repas aux heures «françaises» constituent également un signe d’intégration pour les populations d’origine étrangère. Et de fait, les Français naturalisés s’y conforment comme le reste de la population (70% font trois repas, contre 68,6% pour les Français d’origine), alors que les étrangers ne sont que 50% à s’attabler trois fois par jour. L’enquête n’ayant cependant pas été réalisée dans ce but, les chercheurs ne savent pour l’instant pas s’il s’agit d’habitudes alimentaires différentes, ou simplement du fait que les étrangers ne considèrent pas le petit déjeuner français comme un repas à part entière et ne le comptabilisent donc pas comme tel. A suivre donc!

Catherine Bernard

Photo: Petit déjeuner

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La crise a-t-elle bouleversé nos habitudes alimentaires?

Face à la montée des prix de l’alimentaire,  dont l’augmentation était de plus de 6% en 2008 –une première depuis 1984– «l’adaptation» est naturellement l’une des premières conséquences de la situation économique. «Avant la crise, la santé et le plaisir de manger étaient essentiels. Aujourd’hui, l’argument prix est majoritaire et cela, toutes catégories sociales confondues», explique Jean-Pierre Corbeau, professeur émérite à l’Université François Rabelais de Tours et sociologue de l’alimentation.

Alors, les pratiques évoluent. Les consommateurs ont tendance à revenir vers les fondamentaux, à réduire leurs achats de marques. Ils jouent «intelligent», multiplient les lieux d’achats de nourriture, redécouvrent les joies du marché tout en cherchant le bon. Selon une étude (PDF) du Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (Credoc) publiée en 2009, 17% des Français comparent de plus en plus les prix, chassent les promotions (16%), suppriment le superflu (18%) et descendent en gamme de produits (28%).

La conséquence est une tendance au «manger malin», notamment pour les classes moyennes. En d’autres termes, on cuisine davantage ce qu’hier on pouvait acheter tout prêt. «En anticipant la crise, des personnes se sont mises à recuisinier des éléments basiques, poursuit Jean-Pierre Corbeau. Certains achètent par exemple du chocolat pour faire un gâteau et n’achètent pas ce dernier déjà fait. De la même manière, ils auront tendance à ne plus acheter des salades sous vide mais à les préparer eux-mêmes».

Fast-Foods et discounters, gagnants de la crise

C’est en quelque sorte un retour à l’alimentation plaisir avec le souci de la convivialité et de la valorisation de soi, dans une dynamique portée par la multiplication d’émissions culinaires. Pourtant, la  «tension» du portefeuille, comme disent les sociologues, ainsi que la nécessité de «faire des économies» reste prégnante.

Incontestablement, la crise a dopé leur business des fast-food et discounters. Déjà auréolés d’un développement majeur au cours de la décennie passée, fast-foods et hard discounters ont profité de la morosité ambiante et des portefeuilles en berne.

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