Face à la montée des prix de l’alimentaire, dont l’augmentation était de plus de 6% en 2008 –une première depuis 1984– «l’adaptation» est naturellement l’une des premières conséquences de la situation économique. «Avant la crise, la santé et le plaisir de manger étaient essentiels. Aujourd’hui, l’argument prix est majoritaire et cela, toutes catégories sociales confondues», explique Jean-Pierre Corbeau, professeur émérite à l’Université François Rabelais de Tours et sociologue de l’alimentation.
Alors, les pratiques évoluent. Les consommateurs ont tendance à revenir vers les fondamentaux, à réduire leurs achats de marques. Ils jouent «intelligent», multiplient les lieux d’achats de nourriture, redécouvrent les joies du marché tout en cherchant le bon. Selon une étude (PDF) du Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (Credoc) publiée en 2009, 17% des Français comparent de plus en plus les prix, chassent les promotions (16%), suppriment le superflu (18%) et descendent en gamme de produits (28%).
La conséquence est une tendance au «manger malin», notamment pour les classes moyennes. En d’autres termes, on cuisine davantage ce qu’hier on pouvait acheter tout prêt. «En anticipant la crise, des personnes se sont mises à recuisinier des éléments basiques, poursuit Jean-Pierre Corbeau. Certains achètent par exemple du chocolat pour faire un gâteau et n’achètent pas ce dernier déjà fait. De la même manière, ils auront tendance à ne plus acheter des salades sous vide mais à les préparer eux-mêmes».
C’est en quelque sorte un retour à l’alimentation plaisir avec le souci de la convivialité et de la valorisation de soi, dans une dynamique portée par la multiplication d’émissions culinaires. Pourtant, la «tension» du portefeuille, comme disent les sociologues, ainsi que la nécessité de «faire des économies» reste prégnante.
Incontestablement, la crise a dopé leur business des fast-food et discounters. Déjà auréolés d’un développement majeur au cours de la décennie passée, fast-foods et hard discounters ont profité de la morosité ambiante et des portefeuilles en berne.
Pour les chaînes de restauration rapide, dont la croissance a été de 5% par an en moyenne entre 2000 et 2008, la recette du succès est simple: rapidité du service, proximité géographique et surtout accessibilité psychologique. En clair: le budget. Ainsi, les menus ne dépassent généralement pas la somme symbolique de sept euros.
Alors la sortie familiale et hebdomadaire pour aller dîner à l’extérieur évolue. «Les Fast-Foods ont bénéficié de cette crise, analyse Jean–Pierre Poulain, anthropologue de l’alimentation à l’Université de Toulouse II-Le Mirail. Les classes moyennes par exemple, qui auront connu une tension sur le budget, ont déplacé leurs dépenses, de la sortie “classique” au restaurant jusqu’au fast-food. Cela fait plaisir aux enfants et les prix sont bien moindres».
Ainsi, le n°2 de la restauration rapide en France, Quick, a dépassé pour la première fois en 2010 le milliard d’euros de chiffre d’affaires (PDF) et affiche une croissance de 11%, la plus importante depuis quinze ans. Quant au leader du marché, McDonald’s, dont la direction française n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, il a bien résisté ces dernières années à la crise.
En mai dernier, le groupe américain se félicitait même des «fortes performances» de ses antennes en Europe et notamment en France. La nouveauté de la restauration rapide, c’est qu’elle n’est plus synonyme de «Junk Food». De leur côté, les Hard Discounters ont développé leur offre (notamment des produits estampillés «bio»), amélioré leur «réputation», accueillant par la même une clientèle plus aisée et auparavant réticente.
Pour autant, «l’adaptation» n’est pas nécessairement à la portée de toutes les bourses. La précarité alimentaire touche plus violemment encore les personnes démunies. Sociologiquement, plus un foyer est aisé, plus la part accordé à son budget alimentation sera peu importante. Son attention se portera alors sur des produits de qualité aux proportions plus faibles.
A contrario, pour les familles les plus démunies, le poids du budget alimentaire peut-être lourd, pouvant atteindre 50% pour les plus démunis. «Pour les personnes en grande précarité, la crise n’a pas changé grand chose. Ces familles s’orientent vers les produits les plus basiques, les moins chers. Il s’agit avant de calmer une satiété. La crise peut dans le cas présent se traduire par un risque de surpondération», explique Jean-Pierre Corbeau.
L’inégalité alimentaire devient une inégalité nutritionnelle aux risques multiples. Rappelons que deux millions de personnes vivent de l’aide alimentaire de façon durable ou ponctuelle. Lors de leur campagne 2009-2010, les Restos du Cœur ont ainsi aidé 830.000 personnes (PDF), soit 30.000 de plus que l’année précédente, déjà considérée comme une année «record».
Depuis quelques années, les citoyens-consommateurs «avisés» sont de plus en plus nombreux. Selon l’agence Bio, 7 Français sur 10 privilégient l’achat de produits «responsables» (PDF). Soucieux du bien–manger et refusant l’opacité d’un système alimentaire, ils ont de plus en plus soif d’informations sur les produits qu’ils consomment.
Ainsi, les initiatives pour sortir des schémas de distribution classique se multiplient. Les «Associations pour le Maintien de l’Agriculture Biologique Paysanne» (AMAP) ont le vent en poupe. D’autres projets, plus marginaux, veulent développer des ventes alternatives –comme les ventes à la ferme ou l’achat de paniers sur Internet– ou dénoncer les méfaits de l’élevage industriel, à l’instar de la «journée mondiale sans viande» qui se déroule chaque année en mars.
De son côté, l’agriculture biologique qui s’est développé au cours de la décennie passée, se généralise aujourd’hui dans toutes les assiettes. Même si elle ne représente qu’1,9% du marché alimentaire total, sa consommation a doublé en cinq ans. Une tendance salutaire même si avec cette démocratisation, le bio est progressivement passé d’un marché de niche à un marché de masse.
Pierre-Anthony Canovas
Photo: Saturday Morning Market / Pussnboots via Flickr CC License By
[…] La crise a-t-elle bouleversé nos habitudes alimentaires? […]
Faisant partie d’une génération d’après guerre, j’ai eu la chance d’ avoir reçu une excéllente éducation dans tous les domaines y compris la cuisine, et comment consommer les aliments et l’art d’accomoder les restes, car JAMAIS, je n’ai jeté un aliment !! ! Je viens d’une famille de gastronomes donc toutes les ficelles pour bien cuisiner tout en économisant m’ont été enseignées !
Les fast-food ainsi que les plats cuisinés sont deux produits tabous, qui n’ont jamais eu droit d’entrée dans mes foyers, car sacrilège , ce sont des faussaires du goût par excéllence ! Sans parler des méfaits nutritionnels !
Crise ou pas crise j’ai toujours très bien et très correctement manger, soit à petits prix ou à prix plus élévés !
Pour moi, les habitudes alimentaires de toujours, sont restées les mêmes.
pour les personnes dont la situation financière n’a pas changé durant la crise, rien ne change vraiment dans tous les domaines (dépenses, vacances, voiture….) Quand on doit se serrer la ceinture à la suite de la perte d’un emploi ou d’une baisse de revenu, le calcul se fait vite : 1kg de pâtes versus une salade.
Je pense que nous allons revenir à une alimentation de proximité, comme dans les années 50.
L’industrie agro-alimentaire n’a pas fini de nous révéler tous les produits inconnus qu’elle a introduit dans notre circuit alimentaire.
Je pense aussi que la relation entre la personne qui mange et la nourriture qui nous permet de vivre nous demeure à la fois inconnue et dissociée.
il serait naturel que nous nous préoccupions de ce que nous mangeons, mais nous continuons à ” consommer” de la nourriture en fonction de ce que nous aimons, ou de ce que nous entendons dire par les uns et les autres.
Par exemple: il est plus facile de perdre du poids en mangeant moins, progressivement, sans trop se priver, plutôt que de faire un régime qui nous fera perdre du poids rapidement, mais que nous reprendrons dès que le régime s’arrêtera.
Donc, la crise aura eu pour effet de ramener notre conception de notre alimentation vers des notions plus simples et plus logiques. Nous sommes faits de ce que nous mangeons.
Au fond, ce sera le consommateur qui aura le dernier mot, puisque c’est lui qui achète.
Alors, vive le retour vers les épiceries et osef les supermarchés !!!!
C’est un mauvais signe. Dans les prochaines annees, nous allons devoir baisser notre conso de viande pour des raisons economique et ecologique (rappel : 50% des cereales cultivés dans le monde partent pour l’alimentation des animaux d’elevage. avec 9 mlrd d’humains, tjrs soutenable? – la quantité co2 issu de l’elevage est superieur a celui emis par l’ensemble des transports).
Le prix de la viande se doit d’augmenter sensiblement. Le probleme : au lieux de changer leur habitude alimentaire (= + de proteines vegetales) pour diminuer le cout du panier, les francais vont se tourner vers des produits industriels de plus pietre qualité (ex: produit a forte concentration en gras ) pour garder un “semblant” de leurs habitudes.
Il est donc necessaire de lancer des campagnes d’information pour accompagner les population vers un regime moins carné.
La consommation de viande devrait etre un des enjeux de la campagne presidentielle de 2012 pour des raisons ethiques (partage des ressources, bien etre animal), ecologique et sanitaire.