Dé-formatage général, Pascal Colrat.
Quand quatre artistes se penchent sur la malbouffe, ça donne quoi? L’expo “République de la Malbouffe”, à la Galerie Talmart à Paris jusqu’au 25 février, soutient le film éponyme dont j’ai déjà parlé ici.
Xavier Denamur, restaurateur engagé, a proposé à Marc Monsallier, directeur du lieu, d’organiser une exposition avec des œuvres spécialement conçues pour l’occasion. Ce dernier réunit alors 4 artistes «représentatifs des intérêts plastiques et géographiques de la galerie».
Ni une ni deux, tout le monde voit le film et se retrouve autour d’une bonne table (avec un canard aux pruneaux, selon mes sources). Marc Monsallier explique: «La galerie a déjà fait des expos citoyennes, notamment avec Pascal Colrat. J’ai saisi l’occasion de faire cette expo plastique exigeante, soutenant les idées du film. Les idées sont nées petit à petit, chacun ne dévoilant pas ses idées aux autres…». Voyons voir ça.
Déjeuner sur l’herbe, Nadia Benbouta; Crooked crooks, Gaston Damag; Fast flood, Julien Taylor.
Déjeuner sur l’herbe
Nadia Benbouta peint une scène joyeuse, un drôle de pique-nique de nains de jardin. Les images jouent avec les mots, c’est opulent et réjouissant. La peintre raconte sa démarche:«J’ai voulu montrer un aspect rablaisien du repas, le côté jouissif de l’alimentation. Je montre une vision joyeuse, festive… C’est le contraire de la malbouffe.»
Mouton taxidermisé
Pascal Colrat, habitué à travailler l’affiche comme outil d’engagement citoyen, propose ici un mur recouvert d’affiches «Dé-formatage général» et perforé par une tête de mouton qui nous contemple bêtement. L’animal emblématique du suivisme nous invite gentiment à penser par nous-même…
Pascal Colrat explique: «Il n’est plus temps pour nous d’être des moutons, on peut résoudre les choses par nous-même, en matière de bouffe et dans tous les autres domaines. Mais pour être actifs, il faut se dé-formater…». L’artiste est également à l’origine de la photo de la une de Rue 89 papier consacré à la malbouffe: «une jeune femme qui essaye de sortir de son conditionnement»…
Ma belle cuisine bien lisse
Le photographe Julien Taylor propose Fast flood, le photomontage d’une cuisine suréquipée, en noir et blanc, présentée par une dame souriante tout droit sortie d’une pub des années 50. Autour de ça s’incrustent des dizaines de boîtes, paquets et aliments représentatifs de la junk food (céréales de petit déj’, MacDo, pizzas surgelées…):
«J’ai voulu parler de l’évolution de la fonction et de la nature de la cuisine. Aujourd’hui on veut des modules de cuisine tout lisses, sans patine, sans charme, sans les trucs de grand-mère, pour une consommation pré-mâchée. Le fond est un magasin de cuisine, avec un côté ridicule. Je déforme la réalité avec des choses qui clochent : je me suis amusé à vandaliser la surface propre, avec tout ce qui va vite arriver dans cette cuisine. Car c’est paradoxal, les gens ont des super cuisines, mais ils descendent s’acheter un truc tout prêt au fast-food… Alors que les outils sont beaux par leur usure.»
Crooked crooks, Gaston Damag; Fast flood, Julien Taylor.
Têtes de cochon
Enfin, Gaston Damag a concocté des «crooked crooks» (des escrocs escroqués), des têtes de cochons en latex en en bois peint, à l’allure d’apparitions un peu inquiétantes.
Gaston Damag raconte:«Après avoir vu le film, je me suis dis que tout ça c’était des cochonneries. Tout le monde s’engraisse dans cette histoire: l’Etat, les restaurateurs… Les uns et les autres se mangent entre eux. Il y a aussi là l’aspect fantomatique de la nourriture…». Fantomatique comme les informations que l’on a sur le contenu de nos assiettes.
Lors du vernissage, jeudi dernier, un monsieur passe la tête un instant pendant que j’interview le directeur de la galerie, juste le temps de lancer une phrase de bon sens qui sera une parfaite conclusion:«Quand on voit les lumières allumées dans un resto à 7 ou 8 heures du matin, c’est que les gens sont en train d’éplucher des légumes… S’ils arrivent vers 10h, c’est qu’ils se font livrer des trucs tout prêts… Vous saviez ça ?».
Lucie de la Héronnière
Crédit photos: Guillaume Langlais
Expo du 26 janvier au 25 février à la Galerie Talmart, 22 rue du Cloître St Merri, 75004 PARIS.