Le goût des algues

Manger des algues? L’idée effraie encore bon nombre de Français. Pourtant, il paraît que c’est très bon pour la santé…

Sincèrement, c’était excellent. Vraiment. Mais horriblement frustrant. Car où est donc passé le «grand cocktail aux algues» annoncé dans l’invitation? L’alignement de mini-bouchées que présentent les serveurs ressemble à n’importe quel buffet clôturant un colloque, un congrès ou une conférence de presse: suffisamment attirant pour faire bon effet, mais pas trop fourni pour n’attirer que les pique-assiette en rupture de tickets restaurants.

Aujourd’hui, les tables proposent quelques makis d’inspiration japonaise, des cuillères au saumon ou à la viande, des mini-roulades de quelque chose farcies à d’excellents machins (faute de liste d’ingrédients, impossible d’en dire plus),  et finalement, des minuscules petits fours (et ce n’est pas un pléonasme) aux goûts variés (citron, chocolat, fruits rouges) qui fondent dans la bouche. Exquis vraiment, mais aussi vraiment vraiment frustrant: je ne l’aurais pas su, je n’aurais jamais deviné la présence de ces fameuses algues qui devaient clôturer la présentation d’Ultrans, une constellation de 5 PME bretonnes bien décidées à valoriser le patrimoine algal de l’Armorique.

Evidemment, j’aurais dû m’y attendre. Thierry Marx, l’un des grands papes de la cuisine moléculaire et qui a, paraît-il, conçu ce «grand cocktail», n’est pas connu pour préparer des platées de légumes vapeur encore craquants –fussent-ils marins– assaisonnés d’une sauce aussi improbable qu’exquise.

Vous imaginez déguster une algue verte bretonne?

Mais quand même. Ses algues, il les a bien cachées. A part celles qui entourent les makis, et les petits bouts de vert qui saupoudrent quelques préparations, elles restent invisibles, inodores. Et surtout sans saveur. Mais il paraît qu’elles sont bien là, promis, juré, et que sans elles, nos mini-petits fours sans doute n’auraient pas si bonne allure.

Oui, mais pour le goût, on repassera.  J’en connais qui seront déçus, et notamment celui qui, à Slate –je tairai son nom–, prévenu de mon aventure culinaire, avait commenté: «Hahah oui, degueu, j’adore.» Pff… Même pas dégueu.

Evidemment, c’était peut-être le but. Car les algues ont en France bien mauvaise réputation. Tout habitué des côtes bretonnes, aussi amoureux soit-il du grand air iodé et des rochers de granit, finit toujours par pester lorsque, pour tenter quelques brasses, il lui faut d’abord escalader un malodorant mur d’algues (rouges ). Quand, en plus, il s’agit d’un mur d’algues vertes tueuses de sangliers et de chevaux, il devient vraiment difficile d’imaginer les mettre dans son assiette.

Pourtant, paraît-il, les algues sont excellentes pour la santé. Les centres de thalassothérapie, du reste, les mettent en bain. Une quinzaine d’entre elles sont également autorisées à la consommation, dont la laitue de mer, autrement dit, cette fameuse algue verte qui par ailleurs, a une fâcheuse tendance à recouvrir les plages de Bretagne-Nord. Car elle ne devient toxique qu’en fermentant. Récoltée en pleine mer, elle est pleine de  fer, de calcium, riche en protéines, manganèse et vitamine C.  Comme la majorité des algues comestibles. En Asie, et notamment en Chine et au Japon, l’algue fait partie de l’alimentation quotidienne. Elle expliquerait même pourquoi les Japonais –du moins ceux qui vivent au Japon, car lorsqu’ils déménagent et arrêtent de manger des algues, tout change– seraient épargnés par certains cancers.

Mais comment les manger?

On veut bien le croire, mais comment manger des algues? Christine Le Tennier, fondatrice de «Algues de Bretagne», le reconnaît elle-même: en France, la récolte des algues reste artisanale ce qui contraint parfois la dame –comble du paradoxe– à importer sa laitue de mer! Car pas question, bien entendu, d’aller les recueillir lorsqu’elles se sont échouées sur les plages: une algue à manger se ramasse encore pleine d’eau ou ne se ramasse pas. D’où l’initiative Ultrans, qui devrait permettre au moins d’industrialiser un peu les collectes en pleine mer. Avant, peut-être, que certains ne se lancent dans une véritable «algoculture» qui, comme son nom l’indique, permettrait de faire pousser des algues comme l’on cultive les salades.

Pour apprendre à cuisiner ce nouveau légume, Christine le Tennier  a écrit  un beau livre, Algues Gastronomie (Palémon Editions) où 26 des meilleurs cuisiniers bretons donnent leurs recettes aux algues. Elles ont l’air succulente: lotte pochée en  laitue de mer, allongé de sardines et de foie gras de canard aux algues bretonnes, macaron coco citron au chutney de dulse, agneau «Ecume Marine», morgate farcie au wakamé. Miam. Mais je me demande si les algues y jouent un véritable rôle gustatif ou plutôt décoratif.

D’un certain côté, quelle importance? Si les algues n’ont aucun goût, rien n’empêche de les manger en quantité. Si c’est bon pour la santé…

Catherine Bernard

Photo: une laitue de mer / Kristian Peters via Wikimedia Commons

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