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Vous aimez autant le steak tartare que le poisson cru, et faites attention à l’environnement? Alors vous vous êtes peut-être déjà posé cette question, qu’un internaute a récemment soumise à l’Explication: le vrai écolo mange-t-il des sushis ou des steaks tartares?
Avant de rentrer dans les détails, rappelons quelques règles générales qui s’appliquent à tous types de nourriture, et qui peuvent faire pencher la balance pour l’un comme pour l’autre de nos deux concurrents. D’abord, la proximité géographique: en termes d’émission de gaz à effet de serre, un bœuf ou un poisson élevé à côté de chez vous est préférable à un steak importé d’Argentine ou à un poisson pêché au large du Japon. Transporter des aliments autour du monde augmente considérablement leur empreinte carbone à cause de l’énergie utilisée dans le processus.
Deuxième règle générale: que vous mangiez un tartare ou un sushi, les conditions d’élevage sont déterminantes. L’impact environnemental d’un produit issu d’un animal élevé selon un mode de production biologique est en théorie moindre que celui d’un animal produit dans des conditions industrielles. Achetez des produits labellisés, comme celui AB (pour Agriculture Biologique), ou assurez-vous que le restaurant que vous choisissez le fait. Enfin, préférez les produits frais à ceux congelés: la surgélation (congélation ultra-rapide en quelques minutes) des aliments et leur conservation au froid utilisent beaucoup d’énergie.
Bon, alors, entre un tartare et un plateau de sushis qui respectent ces règles, lequel est le meilleur pour l’environnement?
L’empreinte carbone de la viande fait l’objet d’un débat passionné depuis plusieurs années. En 2006, un rapport détaillé de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dressait un constat sans appel: l’élevage de bétail utilise plus de terres que n’importe quelle autre activité humaine, est une des plus grandes sources de pollution de l’eau et représente 18% des gaz à effets de serre dus à l’activité humaine, soit plus que tous les trains, avions et voitures de la planète réunis.
A cause de leur grand appétit, les ruminants nécessitent une grande quantité d’engrais, de pesticides et d’énergie pour produire leur nourriture, et produisent aussi beaucoup de méthane, un gaz à effet de serre particulièrement nocif, au cours de leur digestion.
Pire pour le tartare, la viande rouge est encore plus mauvaise pour l’environnement que les autres. Selon une étude gouvernementale britannique de 2006 prenant en compte l’utilisation d’énergie, de pesticides, de terres et de ressources non-renouvelables ainsi que l’impact sur le réchauffement climatique, l’acidification et l’eutrophisation, le bœuf est la pire des viandes pour l’environnement, devant l’agneau, alors que le poulet et la dinde sont les viandes les plus «vertes». Seul avantage du bœuf sur les autres viandes: il peut être élevé sur des sols non-arables, contrairement aux porcs ou aux volailles.
Mais début 2010, le spécialiste de la qualité de l’air au département des sciences animales de l’Université de Californie Frank M. Mitloehner est venu redonner espoir aux millions d’écolos amateurs de steak tartare en présentant les résultats de ses travaux lors du 239e meeting national de l’American Chemical Society à San Francisco. Selon lui, non seulement la réduction de la consommation de viande n’a pas de véritable impact dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais elle a aussi pour conséquence de détourner l’attention du plus grand nombre des solutions les plus efficaces pour lutter contre les changements climatiques mondiaux. Il pointe notamment les problèmes de méthodologie de l’étude de la FAO de 2006, qui faisait jusque là référence.
Si une petite partie des travaux de Mitloehner a été financée par les producteurs de viande, les résultats ont été pris au sérieux et ont rééquilibré le débat autour de l’empreinte carbone de la viande. Mais ils ne changent rien au fait que les bovins émettent naturellement de grandes quantités de méthane, et que leur élevage nécessitent beaucoup de ressources naturelles.
Du coté des sushis, les flatulences des poissons ne représentent pas un danger environnemental, mais le principal problème est ailleurs: la réduction parfois alarmante des stocks liée notamment à la surpêche, qui menace la biodiversité des océans.
Dans son dernier rapport sur la question, la FAO estime que 32% des stocks de poissons de la planète sont surexploités, épuisés ou en phase de reconstruction, et doivent être restaurés d’urgence, alors que la consommation mondiale de poisson n’a jamais été aussi importante (17kg par habitant par an en moyenne).
Parmi les poissons qui se retrouvent souvent sur les plateaux de sushi, tous ne sont pas dans la même situation. Le cas du thon rouge, dont les réserves sont menacées, a été largement médiatisé en 2010, tandis que le saumon sauvage est également en danger.
Pour éviter de faire disparaître des espèces entières, il y a la solution de l’élevage, qui représente une part sans cesse croissante du poisson consommé à l’échelle mondiale, et une grande majorité du saumon consommé en France par exemple. Mais l’élevage entraîne d’autres dangers pour la planète: il faut nourrir les poissons et donc en tuer d’autres plus petits, les fermes aquacoles produisent de la pollution souvent rejetée directement dans l’océan, présentent un risque d’eutrophisation ou encore avoir un impact sur le patrimoine génétique d’une espèce. Même les conditions d’élevage «bio» ne satisfont pas tous les experts.
D’élevage ou sauvage, origine géographique, espèces de poisson, conditions d’élevage et techniques de pêche: les facteurs à prendre en compte sont nombreux pour s’assurer de manger du sushi vert. Pour savoir si le menu B1 est moins mauvais pour la planète que le C5, l’amateur de poisson cru peut consulter des sites comme celui-ci (Etats-Unis) ou celui-là (France) qui comparent l’impact environnemental de chaque type de sushi, en attendant que plus de restaurant de sushis éco-responsables voient le jour.
Au final, le choix de l’animal cru qui va se retrouver dans votre assiette ce soir dépend de vos priorités: si vous êtes un fan de plongée sous-marine et que la biodiversité des océans vous tient à cœur, optez pour un tartare issu d’un bœuf bio élevé en France. Si vous vous inquiétez du réchauffement climatique et de la diminution des terres agricoles disponibles, munissez-vous du guide des sushis responsables et descendez harceler votre poissonnier de questions sur l’origine et les conditions de pêche ou d’élevage de ses poissons.
Grégoire Fleurot
L’explication remercie Mathieu Wernet pour avoir posé la question et Anne Barbarit de Graines de changement.
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