La gastronomie a souvent une bonne place dans les romans. On y trouve parfois même directement des recettes, comme dans On n’a pas toujours du caviar de Johannes Mario Simmel, ou dernièrement dans L’embellie, d’Audur Ava Ólafsdóttir.
Publié chez Eyrolles, La littérature gourmande, de François Rabelais à Marcel Proust, de Philippe Di Folco, propose une anthologie des plus beaux morceaux. D’abord, qu’est ce que la «littérature gourmande» ?
Déjà, soulignons que «l’adjectif «gourmand» connaît aujourd’hui les faveurs de la morale ou de la bienséance. Du temps de Rabelais ou de Montaigne par exemple, il était assez mal vu d’être gourmand». Un péché capital, tout de même, qui exposait à un certain nombre de risques…
Ces textes, choisis et rangés par époque, parlent donc de «cette fonction première car nécessaire qui est de «se nourrir», à laquelle vient se greffer peu à peu une dimension «irrationnelle» : le plaisir».
Ripailles et banquets
On commence le recueil par «la gourmandise au cœur des traditions médiévales». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas que «gruau, pain noir et soupe de raves au menu» (enfin, pas pour tous le monde). Les spécialistes de la gastronomie peuplent les cours européennes, ils écrivent des livres et commencent à transmettre leurs savoirs.
Marco Polo, parle de ses somptueux festins en Asie, tandis que Guillaume Tirel, alias Taillevent, «viandier», évoque les recettes d’une soupe à la moutarde, d’un civet d’huîtres ou de cretonnée de pois nouveaux.
A l’époque du «Nouveau monde humaniste», c’est bien sûr Rabelais qui décrit une «ripaille joyeuse», gloutonne et effrénée, avec son Pantagruel se régalant d’une quantité incroyable de gibiers. Montaigne raconte aussi, avec un regard ethnographique, ses découvertes gastronomiques en Allemagne.
«Sous les ors du grand siècle», celui des illustres banquets versaillais, on trouve entre autres le menu et les recettes de Lancelot de Casteau, aux cuisines des princes-évêques de Liège. Une petit repas comprenant «Un chapon bouilli, Potage de choux floris, Tourte ou Pasté haché, Heuspot de bœuf, Pied de mouton, Coschon ou oison rosty, Foye de veau frit, Gigot de mouton ou chair salée (…)». Et de nombreux autres plats !
On passe ensuite «du boudoir à la révolution du palais: naissance de la gastronomie», au XVIIIème siècle. Voltaire fait dialoguer un Indien et un Japonais sur des traditions culinaires, Chateaubriand évoque, peu glorieusement, la cuisine anglaise…
Grande époque
Pendant «l’Âge d’or de la gastronomie (1825-1870): entre gourmandise et nostalgie», les restaurants se multiplient à grande vitesse, tandis que l’appartement bourgeois se réorganise autour des cuisines et de la salle à manger. C’est l’époque de Brillat-Savarin, «chantre d’un nouvel hédonisme» et de son essai de référence, Physiologie du goût (1825).
L’occasion de donner sa belle définition de la gastronomie :
«La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments. Ainsi, c’est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments».
Toujours selon Brillat-Savarin, la gastronomie est liée à l’histoire naturelle, la physique, la chimie, la cuisine, le commerce, l’économie politique… Bref, «la gastronomie régit la vie toute entière».
Au XIXème siècle, Balzac disserte entre autres sur le café dans son Traité des excitants modernes (1838) et Alfred de Musset décrit un délicieux «souper chez Mademoiselle Rachel». Sans oublier Le Grand Dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, publié en 1872 et encore aujourd’hui une bible de la cuisine.
Fourier aussi attache de l’importance à la nourriture dans ses projets et réflexions. Dans un phalanstère, «le premier ressort de plaisir est la bonne chère. Si le peuple est mal nourri, il ne saurait prendre goût au travail. Il doit avoir en abondance, bon pain, bonne viande, bons légumes, bons fruits, bons laitages et bons vins ; plus des variantes en volaille, en poisson, etc.».
Ensuite, on passe au «culte des origines et appel des tropiques», une fin du XIXème pendant laquelle Charles Monselet écrit «Le sonnet de l’asperge», Edmond Rostand explique l’art des tartelettes amandines, dans la bouche du pâtissier Ragueneau, et George Sand disserte sur les huîtres.
Pour terminer ce tout d’horizon de la littérature gourmande, l’ouvrage entend nous emmener «vers de nouveaux territoires gourmands». On croise Marcel Proust, qui parle bien sûr des sensations que provoquent sur lui «ces petits gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques ». Paul Morand, en 1927, décrit les us et coutumes qu’il observe aux Etats-Unis: «New York est une ville mangeuse de viande».
Enfin, Marguerite Duras donne des conseils pour la réussite d’une soupe aux poireaux. Et de conclure l’ouvrage: «Rien, dans la cuisine française, ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux». Un extrait savoureux parmi les 150 textes de ce recueil, choisis chez des auteurs connus et méconnus, mais tous fort intéressés par la bonne chère.
L.D.
Di Folco Philippe, La littérature gourmande, de François Rabelais à Marcel Proust, coll. Les plus belles pages, Editions Eyrolles.
Photo: Lavender Madeleines/ crayonmonkey via FlickCC License by
lire le billet«La gastronomie est une mine de récits passionnants, à la croisée des chemins entre la politique, la littérature, les arts et la société». En partant de ce constat, le chroniqueur gastronomique Emmanuel Rubin a concocté avec Aymeric Mantoux un Dictionnaire rock, historique et politique de la gastronomie, qui sort ce jeudi 30 août.
Nos façons de (bien) manger ont sérieusement à voir avec nos évolutions sociologiques, politiques, historiques. Elle sont mondialisées, médiatisées. Selon les auteurs, “l’ère du melting-popote est arrivée”!
Ce dictionnaire bien rempli entend nous donner les «anecdotes qui font le lien entre la petite histoire de l’aliment et la grande histoire des hommes» grâce à une «nouvelle sociologie de cuisiniers, de mangeurs et de gastrosophes, pressée d’inédites manières de table, forte d’une fraîche ethnographie alimentaire, ruminant son passé, salivant son futur». Tout un programme, plutôt bien ficelé dans ce dictionnaire qui se lit comme un grand roman de la bouffe.
On peut y apprendre un tas de choses, par exemple:
A comme ANGLAISE (cuisine): Jacques Chirac aurait un jour dit à Tony Blair «on ne peut faire confiance à des gens dont la cuisine est aussi mauvaise». Gordon Ramsay ou Jamie Oliver se chargent de le contredire, et Joël Robuchon a même un jour déclaré en 2010 que Londres est la ville du monde où l’on mange le mieux. Selon les auteurs du dictionnaire, on a piqué aux anglais l’art du sandwich, les chutneys, le brunch, le crumble ou le fish & chips chic. Et on ferait mieux de leur laisser la viande bouillie ou le pudding…
B comme BANQUET REPUBLICAIN: «Chez nous, le pouvoir s’est exprimé par la cuisine, en développant une cuisine de cours qui s’est ensuite répandue, sous la République, à toutes les couches de la population», raconte le spécialiste de la gastronomie Jean-Robert Pitte. Pompidou disait même que «les repas sont devenus un des moyens de gouverner». Alors, pour les politiques, la table est «un outil de domination» tout comme «un rite de partage collectif». Les banquets, sous quelque forme que ce soit, font donc partie du «mythe républicain».
D comme DROITE HAMBURGER: En Suisse, c’est l’équivalent de la gauche caviar, mais dans l’autre sens… Il s’agit de «gens riches, ces bourgeois, qui ont l’argent et le pouvoir mais qui se fondent au peuple en adoptant ses habitudes alimentaires, comme le burger, symbole de la malbouffe». Bon, pas sûr que cette définition marche en France, où le burger est parfois devenu un met de choix et pas vraiment bon marché.
F comme FOOD NAME DROPING: C’est le «gentil travers» qui consiste à bourrer les cartes des restaurants d’appellations connues: du pain de chez Cherrier, des viandes d’Yves-Marie Le Bourdonnec, du beurre Bordier. Mais, même si de bons produits sont un indice de qualité du lieu, «une bonne épicerie ne suffit pas à faire un bon restaurant»…
M comme MINISTRY OF FOOD: Winston Churchill avait créé un ministère de la Nourriture et de l’Alimentation, pour gérer le rationnement alimentaire de la période de la guerre… Un ministère qui lançait des campagnes pour encourager les gens à éviter le gaspillage et à manger sainement, pour participer à l’effort de guerre. Le chef Jamie Oliver a lancé un mouvement éponyme, pour encourager les Anglais à mieux manger.
R comme RAW (cook it): les adeptes du “Cook-it-Raw” (Cuisinez le cru) travaillent les produits tout crus, cherchent les produits bruts et veulent limiter le gaspillage d’énergie. «Ces locavores cherchent à exalter les richesses de la nature, sans se soucier de la technique ni des habillages des plats traditionnels», et se transforment en chasseurs, cueilleurs, pêcheurs, pour préparer le dîner du soir.
Des dizaines d’autres articles nous racontent des anecdotes sur le cannibalisme, le come-back de la cocotte, l’eat art, l’art d’accommoder les restes, Un dîner presque parfait, et même sur… Zorro, dont le nom sert mystérieusement d’enseigne à de nombreuses pizzérias du monde.
Lucie de la Héronnière
Délices d’initiés, Dictionnaire rock, historique et politique de la gastronomie, Emmanuel Rubin avec Aymeric Mantoux, Don Quichotte éditions.
Photo: Fourchette/ strelitzia via FlickCC License by
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