Suite de notre série sur le bio à la cantine, où Camille Bosqué s’intéresse à la notion d’éco-convive.
Il est à la mode aujourd’hui d’aborder le repas dans une perspective diététique liée au souci de préserver la santé, la silhouette ou les deux. C’est dans ce même axe nutritionnel que l’on traite en général le repas de l’enfant.
Face à la montée de l’obésité infantile, l’école est devenu un lieu privilégié d’éducation à la nutrition et à l’alimentation. Mais par cette nouvelle mission, valoriser le bien-être, le plaisir, la qualité et la dimension sociale du repas est aussi devenu indispensable.
Notre alimentation représente 30% de notre empreinte écologique. C’est un des enjeux majeurs de la santé et du développement durable. Dans les cantines scolaires engagées sur des systèmes d’approvisionnement cohérents comme dans le 12e arrondissement de Paris, l’exigence sur la qualité des aliments choisis est peu mise en valeur auprès des enfants. Elle pourrait pourtant permettre dans l’école un vrai temps de découverte des saisons, et de valorisation de pratiques alimentaires de qualité, d’autant plus quand la nourriture est préparée sur place.
La cantine est le moment par excellence où l’enfant apprend à devenir un convive actif.
Les codes communs, les habitudes et les règles dans lesquels le repas se déroule sont autant de droits et de devoirs pour ce moment partagé. En rendant l’enfant responsable, la cantine peut être un terrain idéal pour amorcer une forme d’éducation à la citoyenneté alimentaire, et par extension à l’éco-citoyenneté. Cette notion est d’ailleurs très présente dans les programmes d’éducation au développement durable.
Devenir éco-citoyen, c’est «reconnaître la nécessité d’avoir des gestes et des comportements responsables tant par rapport à son lieu de vie qu’à l’égard de ses semblables».
Devenir un éco-convive, au regard de cette notion, va donc dans le même sens: comprendre la portée écologique de tous ses gestes quotidiens, de sa consommation et de ses rejets, autour du repas en groupe.
Voilà les objectifs que j’ai croisé pour imaginer un nouveau système de cantine éco-responsable, dans le cadre de mon projet de fin d’études.
Réintroduire de la convivialité à la cantine pour garantir un effort de responsabilisation commune et une implication collective face au respect et à la découverte de l’environnement n’est pas à penser uniquement entre enfants, à table.
Plus largement, cette question se pose dans l’école elle-même, entre les enfants et le personnel de cuisine et de service, et entre tous les acteurs de la chaine de service de la future éco-cantine. Quels sont les rôles et la place de chacun à l’heure actuelle? Quelle place leur donner dans l’hypothèse d’une nouvelle éco-cantine?
>Les enfants sont au centre du projet. A l’école élémentaire, ils sont âgés de six à douze ans, et sont suffisamment grands pour être autonomes à table et dans les activités annexes. Ils commencent à avoir le sens de leurs droits, de leurs devoirs, avec une curiosité de plus en plus étendue pour les choses du monde.
lire le billetSuite de notre série sur le bio à la cantine. Pour connaître la réalité de la situation du bio dans les cantines, Camille Bosqué est allée faire un tour dans deux arrondissements de Paris pour comprendre leurs choix.
Le 2e arrondissement de Paris sert actuellement 50% de produits bio dans les menus de ses dix cantines, et se présente un peu comme le modèle parisien en la matière. Le Grenelle de l’Environnement est évidemment une confirmation de ce choix, mis en place progressivement depuis 2001.
L’arrondissement reçoit ses repas de la Sogeres, un prestataire privé, qui les prépare dans une cuisine centrale. Les plats sont ensuite distribués en liaison froide aux cuisines satellites, où ils sont passés au four avant le service.
Accompagnée de Claude Kestel, directeur de la Caisse des Ecoles du 2e, j’ai pu visiter quelques cantines de l’arrondissement.
Dans un petit brouhaha relatif, les cantinières vont et viennent entre les cuisines et le réfectoire. Dans les cuisines, on trouve de grands réfrigérateurs, de grands fours, et un grand lave-vaisselle… et pas tellement plus, à part des énormes poubelles vertes, pour jeter les nombreux contenants qui sont utilisés lors du transport pour le stockage du plat, qui arrive déjà tout prêt.
Il y est ensuite remis à température de cuisson et servi dans la foulée. Les entrées sont les seuls éléments du repas qui sont préparés sur place, mais à part couper des tomates et disposer quelques brins de persil dessus pour faire plus gai, la mission des cantinières a pour principal enjeu de passer au four des barquettes pour le plat, et disposer les pommes du dessert dans un plateau.
Les fours pour la «remise à température» dans une cantine du 2e arrondissement parisien / Camille Bosqué
Ces pommes –et les autres fruits proposés– sont généralement bio, c’est d’ailleurs annoncé sur le menu; mais leur origine n’est pas toujours bien précisée. La Caisse des Écoles du 2e n’est pas en relation directe avec les producteurs. C’est la Sogeres qui s’en occupe pour elle, et qui elle-même ne le fait pas directement puisqu’elle s’en remet à un fournisseur spécialisé, Biofinesse.
Dans le réfectoire, j’aperçois sur un coin de mur un panneau en liège avec des petites affichettes pour décorer, parmi lesquelles se trouve le menu de la semaine, avec une tentative d’information sur l’origine et la qualité des produits servis:
«La viande de volaille qui vous est servie est issue d’animaux nés, élevés et abattus en France.»
Je ne suis pas sûre que les enfants, consommateurs directs de ces produits et donc potentiels destinataires du message, soient vraiment sensibles à ce type d’information… Tout cela est à hauteur d’yeux d’adultes, avec des mots d’adultes, et écrit en minuscule.
lire le billetEn quelques épisodes, Slate publie ici une partie de l’enquête de Camille Bosqué sur les cantines scolaires bio.
Avec la crise de la vache folle et plus généralement les problèmes d’insécurité alimentaire, la restauration scolaire a souffert d’une remise en cause de la qualité des plats proposés sur le plan sanitaire et diététique. Dans ce contexte, le bio est progressivement en train de prendre de l’importance.
En 2007, le Grenelle de l’Environnement a fixé un objectif de 20% de bio à la cantine en 2012. C’est ce qui a été le point de départ d’un sursaut dans les communes de France.
Nos enfants nous accuseront, réalisé en 2008 par Jean-Paul Jaud est un film qui témoigne par l’exemple de cette cause nouvelle qui agite le monde des cantines. On y suit l’histoire d’une petite commune du Gard, Barjac, dont «la cantine scolaire, rurale, a décidé de changer l’alimentation ordinaire en alimentation bio» : débats publics, rencontres entre les agriculteurs, les producteurs locaux et la municipalité, et mise en route de cette «nouvelle meilleure cantine» dans laquelle les enfants redécouvrent aussi le «vrai» goût de la laitue, du pain, des poires…
Ce film a été projeté dans de nombreuses communes de France comme argument de réussite de l’introduction du bio dans les repas des cantines. Selon Jean-Paul Jaud, l’urgence est de lutter contre «une agriculture chimique et mortifère indigne d’un pays comme la France».
Le WWF France a enclenché le 18 juin 2009 une campagne nationale pour convaincre les mairies de privilégier les produits bio dans les menus de leurs cantines, en les aidant à trouver des moyens pour mettre en place des solutions concrètes, en mobilisant les parents d’élèves, les enfants et les responsables politiques autour d’un même objectif.
Selon Serge Orru, directeur du WWF, il s’agit de mettre en place une mécanique générale dans laquelle les cantines scolaires peuvent être la locomotive de la généralisation du bio en France. C’est un souci de santé publique qui suppose une modification profonde de nos modes de production agricoles, que l’État français doit être en mesure d’accompagner.
Serge Orru explique qu’à ce sujet «c’est une campagne qui pose des questions, et nous n’avons pas toutes les réponses».
Effectivement, en France, l’agriculture bio représente actuellement seulement 12 000 paysans et 2,6% de la surface totale cultivée. L’objectif de 20% de bio dans les repas des cantines d’ici 2012 reste difficilement atteignable en moins d’un an, sachant que la moyenne actuelle de bio servi en restauration scolaire atteint actuellement difficilement les 2%… et que pour l’instant, 40% des produits issus de l’agriculture biologique sont importés hors de France, d’après le WWF.
On peut distinguer deux principaux obstacles: la rareté des surfaces agricoles dédiées aux cultures biologiques d’une part, et d’autre part le temps que requiert la constitution de filières reliant les producteurs locaux aux restaurations municipales.
Un des objectifs officiels du Grenelle pour accompagner cette volonté est d’atteindre 6% de surfaces agricoles bio en France d’ici à 2012 [PDF].
Mais, selon Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, ça ne suffit pas:
«Le gouvernement doit se donner réellement les moyens d’inciter des mises en cultures selon les méthodes de l’agriculture biologique […] et pour qu’on puisse le faire dans le cadre de nos responsabilités il faut encourager des mises en production de bio, ce qui ne se fait pas parce que les paysans, et les agriculteurs si on les aide une année et qu’on ne les aide pas une autre année sont dans une situation d’insécurité, et ils se disent “je ne m’emmerde pas, (passez-moi l’expression) je balance mes nitrates, mes produits phytosanitaires, ça me sécurise, et puis comme ça j’ai un revenu”.»
Il y a donc un décalage que les maires dénoncent entre les objectifs fixés au niveau national, et les moyens disponibles pour les agriculteurs, pour les appliquer au niveau local. En attendant, chaque commune et chaque institution trouve des solutions à sa manière.
Huit écoles privées (écoles Montessori, écoles bilingues ou alternatives) à Paris et en banlieue se sont quant à elles regroupées autour d’une initiative commune. Ces écoles maternelles et primaires ont négocié un accord avec le prestataire de restauration SAGERE (groupe RGC Restauration, aujourd’hui filiale de SODEXO), autour d’un cahier des charges «innovant et responsable»: plus de produits bio, équitables ou Label Rouge pour tous les aliments, une suppression des produits industrialisés, et des livraisons par des camions fonctionnant au GPL, avec une reprise des emballages.
Malgré les difficultés de mise en place de ces objectifs de ces engagements, ce mouvement général en faveur de l’introduction du bio dans les cantines scolaires reste un moyen de rendre les plus jeunes sensibles à l’importance d’une alimentation de qualité pour leur santé et pour l’environnement. Selon Hélène Guinot, de la Ligue de l’Enseignement, c’est surtout un enjeu de terrain pour former des «écocitoyens pour la société de demain».
Camille Bosqué
lire le billetCamille Bosqué est diplômée du DSAA de l’école Boulle en Design de Produit, d’un Master en Design à l’École normale supérieure de Cachan et prépare actuellement l’agrégation d’Arts Appliqués.
Dans le cadre de son projet de diplôme en 2010, elle s’est penchée pendant un an sur le fonctionnement et la réalité des cantines scolaires bio de Paris, pour finalement aboutir à un projet prospectif de design global pour les cantines du 12e arrondissement de Paris. Retour à l’article.
Au rayon fruits et légumes des supermarchés, les tomates sont toujours belles, rondes, rouges. Si la forme et la couleur sont parfaites, en revanche, côté papilles, on a l’impression de croquer dans… euh. En fait, dans rien. La tomate n’aurait plus de goût?
«Je vais vous citer une anecdote, raconte, mi-rigolard, mi-consterné Roland Robin, président de l’association Jardins de tomates. Il y a quelques années, lorsque nous commencions à distribuer des plants de tomates rares, une vieille dame m’a dit : “Je voudrais celles en grappes“. J’ai souri, parce que c’était la mode. Puis, j’ai précisé qu’il s’agissait d’une variété ancienne, donc qu’elles ne seraient pas toutes mûres en même temps, comme dans un magasin. Et j’ai demandé :
– Quelle couleur ?
– Rouge !
– Quelle saveur ?
– Pourquoi ? Ca a du goût ?»
Jardins de tomates réunit quelques centaines de jardiniers amateurs animés d’une passion pour ce fruit qui n’est pas toujours ce que l’on croit.
Car la tomate, ça peut être ça…
Ça…
Ou ça.
Petites, grosses, rondes, cornues, oblongues, jaunes, vertes, rouges, orange, noires… Il y en a pour tous les goûts. On recense environ 10.000 variétés de tomates! Or, seule une infime portion est commercialisée. En France, on en compte une centaine, avec des zones de ventes plutôt régionales. Ce qui fait que le consommateur se retrouve au mieux face à une petite dizaine de variétés… Un choix restreint et souvent décevant : les tomates vendues sont fades.
D’où cette interrogation: