De plus en plus de gens photographient compulsivement le contenu de leurs assiettes. L’auteur du blog du Guardian The Word of Mouth se demande si cela ne les empêche pas de simplement profiter d’un repas… Mais d’où vient cette curieuse obsession d’enregistrer visuellement tout ce que nous avalons?
Platter, une nouvelle application permettant de partager son dîner en photo et de tagguer les principaux ingrédients, rejoint une myriade d’autres sites. Foodspotting, le chef de file qui permet de «recommander des plats, et pas seulement des restaurants», a comptabilisé plus d’un million d’images téléchargées sur son site depuis deux ans. Foursquare, SnapDish et Instagram surfent aussi sur cette tendance. Twitter, Facebook et Pinterest sont également innondés de photos de repas… Un des groupes les plus actifs de Flickr est I Ate this (ce que j’ai mangé), où plus de 25 000 membres ont partagé 470 000 images!
Les bloggeurs ne sont pas en reste. Libby Andrews, auteur du blog Libby Ravenous, raconte au Guardian que ses amis et sa famille connaissent le refrain: «Quand un plat arrive sur la table, tout le monde sait qu’il ne faut pas y toucher avant que j’aie pris une photo rapide».
Alors pourquoi ce besoin de graver sur son I-phone ou son appareil ohoto tout ce qu’on avale? Le Guardian évoque une étude de l’agence 360i, réalisée en 2011: pour le quart des photos de nourriture, il s’agit juste de publier un «journal alimentaire», de partager quelques moments de sa vie. Pour 22% des utilisateurs de ces applications, il s’agit plutôt de frimer avec leurs beaux plats faits maison… Pour 16% le but est d’enregistrer une occasion spéciale, pour 12% de crééer une œuvre d’art alimentaire, et pour 10% d’immortaliser sa famille ou ses amis en train de manger…
Beaucoup de restaurants, après quelques réticences, acceptent maintenant que les clients photographient allégrement les plats. Pour Juliette, qui tient un restaurant vietnamien, «cela veut dire qu’ils sont fiers de ce qu’il mangent. […]Certaines personnes font des photos un peu arty, parce qu’il veulent faire bonne figure. Après tout, ce que vous mangez et ce que vous affirmez manger sur les réseaux sociaux est un reflet de vous-même». Mais pour l’auteur de cet article, cela ne nous ferait pas de mal d’empiler les smartphone au milieu de la table, de laisser tomber photos et appels, pour profiter simplement d’un bon repas…
Photo: Meal of Restoration/ SanFranAnnie via Flickr CC License by
lire le billetOu l’art de la cuisine guérilla…
Quand j’étais en CE2 (3d grade aux Etats-Unis, NDLE), nous devions choisir chaque soir un mot nouveau dans le dictionnaire et recopier sa définition. Un jour, le gamin à côté de moi a oublié de faire ses devoirs. Alors que l’institutrice passait dans les rangs pour lire à haute voix nos trouvailles du jour, il m’a emprunté mon dico et a gribouillé quelque chose sur son cahier.
«Cuisiner: préparer les aliments au moyen de la chaleur», a lu l’institutrice.
Je ne me rappelle aucun autre mot de vocabulaire appris cette année-là, mais je me souviens très bien de cet incident: le dico de poche, le nom et le visage de mon camarade de classe (qui déménagea l’été suivant), le regard réprobateur de l’institutrice. Je me souviens m’être demandé pourquoi les auteurs des dictionnaires s’embêtaient avec des mots aussi banals que «cuisiner». Tout le monde savait ce que cela voulait dire. À quoi bon gâcher de l’encre?
Pourtant, cette définition a marqué mon esprit, parce qu’elle rappelle l’essence même de cette activité qui peut vite devenir complexe.
Cuisiner = aliments + source de chaleur
Aucune référence aux acides aminés ou aux Amap. Rien sur les couteaux en céramique et les machines à pain.
Surtout, rien sur la nécessité d’une cuisine. Les cuisines sont, il est vrai, des endroits fort pratiques pour cuisiner, comme les lits sont de super endroits pour dormir. Mais tout comme on peut dormir n’importe où quand le besoin s’en fait sentir, on peut cuisiner n’importe où dès qu’on a l’essentiel, à savoir des ingrédients et une source de chaleur. Je peux cuisiner du riz pilaf, des légumes sautés ou des tacos n’importe où, n’importe quand. J’appelle ça «la cuisine guérilla».
lire le billet
Camille Adamiec est doctorante en sociologie à l’Université de Strasbourg. Elle a soutenu un mémoire de Master II sur l’orthorexie, perçue comme une nouvelle forme d’obsession alimentaire ou une nouvelle pathologie nutritionnelle, liée aux quêtes de l’équilibre et de la perfection des individus et des sociétés contemporaines. Ses recherches – réalisées en France sur un échantillon de blogs, forums et sites de partages – poursuivent celles de Steven Bratman.
Qu’est-ce que l’orthorexie ?
Camille Adamiec: Les orthorexiques sont obnubilés par l’idée de manger sain, selon des règles établies. Ils se sentent coupables dès qu’ils mangent un petit quelque chose considéré comme «malsain». Etymologiquement, c’est l’obsession de «manger droit»: les orthorexiques s’imposent de nombreuses règles, auxquelles il est impossible de déroger, par exemple dans le choix des aliments ou leur cuisson. Les grands principes de l’orthorexie sont donc la rigidité, la maîtrise (du temps, des courses, des lectures, des discussions, de l’ingestion…), et la rigueur. C’est une ascèse diététique, et donc une forme de désordre alimentaire. Il y a aussi un sentiment de supériorité, la fierté d’avoir une vie propre, soignée et ordonnée. On a la confortable illusion d’une vie plus longue. Pour les orthorexiques, la seule raison acceptable de manger, c’est la santé. C’est en quelque sorte une dictature du plaisir…
Qui sont les orthorexiques ?
C.A.: Je différencie deux profils, qui ne s’excluent pas. D’abord, le militant peut vivre en communauté, en suivant un mode de culture et de préparation des aliments. Il y a alors une volonté de prêcher l’alimentation saine. A ses yeux, cette morale devrait servir pour tous. L’autre profil, c’est le malade, qui a un désir de voir son mal-être reconnu. Il n’est pas responsable de son trouble mais en subit les conséquences sociales. Pour le processus de guérison, il doit mettre des mots sur sa souffrance. D’ailleurs, il n’y a pas encore vraiment de reconnaissance médicale, scientifique de l’orthorexie. L’orthorexie peut ainsi être considérée comme une maladie, ou comme un mode de vie. Les gens se sont emparés de cette notion, via les blogs, les forums…
Vous parlez même d’un versant spirituel de l’orthorexie ?
C.A.: Oui, on s’accroche à des valeurs morales, on veut donner un sens à sa vie… En outre, l’achat, la préparation, la cuisson des aliments correspondent presque à un rituel. L’orthorexique doit purger son corps: pour plus de légèreté, de transparence… Il recherche la tranquillité absolue, la transparence lumineuse… Il opte pour le monde des esprits plutôt que pour celui des hommes. Il a la sensation d’avoir le pouvoir de transformer sa cuisine en sanctuaire. Mais cela tue la spontanéité de la vie. C’est un idéal de spiritualité sans dieu, sans dogme, tout comme une tentative de suppression de la vieillesse.
Quelles sont les conséquences sur les relations sociales ?
C.A.: L’orthorexie tue aussi la convivialité, puisque pour pouvoir maintenir un manger «droit», il est plus simple de s’isoler. Et du coup, pas question d’accepter un resto! C’est un enfer, à cause de la nécessité constante de se justifier. On doit refuser de sortir ou emmener sa nourriture. C’est difficile de faire des nouvelles rencontres. Le contrôle isole. Quand on ne mange pas, on s’exclut du groupe.
Photo: salad/ karomanah 1980 *كارومانة* via Flickr CC License by
lire le billetAu risque de contribuer à votre overdose de bovidés – Salon de l’agriculture oblige -, parlons vaches. Dans la dernière émission d’ «On va déguster» sur France Inter, François-Régis Gaudry recevait deux invités de poids pour parler de viande bovine française. D’un côté, Yves-Marie Le Bourdennec, virulent boucher d’Asnières, artisan indigné et auteur très médiatise de l’Effet Bœuf, pamphlet sur la filière bovine française. De l’autre, Guy Hermouet, éleveur de Charolaises en Vendée, Président de l’association interprofessionnelle INTERBEV Gros Bovins et Vice-Président de la Fédération nationale bovine.
Avant d’entrer dans le vif du sujet de l’avenir de la viande française, une petite digression sur la viande halal: pour Yves-Marie Le Bourdonnec, il y a un «faux débat» et une «récupération politique». Pour lui, il y a deux façons de mettre à mort les animaux dans le monde, l’étourdissement puis l’abattage, ou l’égorgement. Point barre. Et «aujourd’hui, personne n’est capable de dire qu’une méthode est mieux qu’une autre pour le bien-être animal». Question de goût, le boucher d’Asnières ne voit pas la différence à l’aveugle. Guy Hermouet commente sobrement en expliquant que «les industriels appliquent la réglementation sanitaire, contrôlée par les services vétérinaires». Point barre de nouveau.
Et si les vaches mangeaient de l’herbe ?
Dans son dernier ouvrage, Le Bourdonnec fustige les bêtes bodybuildées présentées au Salon de l’agriculture, «prétendue vitrine de l’élevage français». Le problème, c’est que ces belles gosses très musclées manquent cruellement de gras, facteur essentiel du goût. Elles sont tendres mais donnent de «la flotte en bouche». C’est la «quantité au détriment de la qualité»…
lire le billetRetrouvez tous nos articles de la rubrique L’explication ici
Vous aimez autant le steak tartare que le poisson cru, et faites attention à l’environnement? Alors vous vous êtes peut-être déjà posé cette question, qu’un internaute a récemment soumise à l’Explication: le vrai écolo mange-t-il des sushis ou des steaks tartares?
Avant de rentrer dans les détails, rappelons quelques règles générales qui s’appliquent à tous types de nourriture, et qui peuvent faire pencher la balance pour l’un comme pour l’autre de nos deux concurrents. D’abord, la proximité géographique: en termes d’émission de gaz à effet de serre, un bœuf ou un poisson élevé à côté de chez vous est préférable à un steak importé d’Argentine ou à un poisson pêché au large du Japon. Transporter des aliments autour du monde augmente considérablement leur empreinte carbone à cause de l’énergie utilisée dans le processus.
Deuxième règle générale: que vous mangiez un tartare ou un sushi, les conditions d’élevage sont déterminantes. L’impact environnemental d’un produit issu d’un animal élevé selon un mode de production biologique est en théorie moindre que celui d’un animal produit dans des conditions industrielles. Achetez des produits labellisés, comme celui AB (pour Agriculture Biologique), ou assurez-vous que le restaurant que vous choisissez le fait. Enfin, préférez les produits frais à ceux congelés: la surgélation (congélation ultra-rapide en quelques minutes) des aliments et leur conservation au froid utilisent beaucoup d’énergie.
Bon, alors, entre un tartare et un plateau de sushis qui respectent ces règles, lequel est le meilleur pour l’environnement?
L’empreinte carbone de la viande fait l’objet d’un débat passionné depuis plusieurs années. En 2006, un rapport détaillé de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dressait un constat sans appel: l’élevage de bétail utilise plus de terres que n’importe quelle autre activité humaine, est une des plus grandes sources de pollution de l’eau et représente 18% des gaz à effets de serre dus à l’activité humaine, soit plus que tous les trains, avions et voitures de la planète réunis.
A cause de leur grand appétit, les ruminants nécessitent une grande quantité d’engrais, de pesticides et d’énergie pour produire leur nourriture, et produisent aussi beaucoup de méthane, un gaz à effet de serre particulièrement nocif, au cours de leur digestion.
Pire pour le tartare, la viande rouge est encore plus mauvaise pour l’environnement que les autres. Selon une étude gouvernementale britannique de 2006 prenant en compte l’utilisation d’énergie, de pesticides, de terres et de ressources non-renouvelables ainsi que l’impact sur le réchauffement climatique, l’acidification et l’eutrophisation, le bœuf est la pire des viandes pour l’environnement, devant l’agneau, alors que le poulet et la dinde sont les viandes les plus «vertes». Seul avantage du bœuf sur les autres viandes: il peut être élevé sur des sols non-arables, contrairement aux porcs ou aux volailles.
Mais début 2010, le spécialiste de la qualité de l’air au département des sciences animales de l’Université de Californie Frank M. Mitloehner est venu redonner espoir aux millions d’écolos amateurs de steak tartare en présentant les résultats de ses travaux lors du 239e meeting national de l’American Chemical Society à San Francisco. Selon lui, non seulement la réduction de la consommation de viande n’a pas de véritable impact dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais elle a aussi pour conséquence de détourner l’attention du plus grand nombre des solutions les plus efficaces pour lutter contre les changements climatiques mondiaux. Il pointe notamment les problèmes de méthodologie de l’étude de la FAO de 2006, qui faisait jusque là référence.
Si une petite partie des travaux de Mitloehner a été financée par les producteurs de viande, les résultats ont été pris au sérieux et ont rééquilibré le débat autour de l’empreinte carbone de la viande. Mais ils ne changent rien au fait que les bovins émettent naturellement de grandes quantités de méthane, et que leur élevage nécessitent beaucoup de ressources naturelles.
Du coté des sushis, les flatulences des poissons ne représentent pas un danger environnemental, mais le principal problème est ailleurs: la réduction parfois alarmante des stocks liée notamment à la surpêche, qui menace la biodiversité des océans.
Dans son dernier rapport sur la question, la FAO estime que 32% des stocks de poissons de la planète sont surexploités, épuisés ou en phase de reconstruction, et doivent être restaurés d’urgence, alors que la consommation mondiale de poisson n’a jamais été aussi importante (17kg par habitant par an en moyenne).
Parmi les poissons qui se retrouvent souvent sur les plateaux de sushi, tous ne sont pas dans la même situation. Le cas du thon rouge, dont les réserves sont menacées, a été largement médiatisé en 2010, tandis que le saumon sauvage est également en danger.
Pour éviter de faire disparaître des espèces entières, il y a la solution de l’élevage, qui représente une part sans cesse croissante du poisson consommé à l’échelle mondiale, et une grande majorité du saumon consommé en France par exemple. Mais l’élevage entraîne d’autres dangers pour la planète: il faut nourrir les poissons et donc en tuer d’autres plus petits, les fermes aquacoles produisent de la pollution souvent rejetée directement dans l’océan, présentent un risque d’eutrophisation ou encore avoir un impact sur le patrimoine génétique d’une espèce. Même les conditions d’élevage «bio» ne satisfont pas tous les experts.
D’élevage ou sauvage, origine géographique, espèces de poisson, conditions d’élevage et techniques de pêche: les facteurs à prendre en compte sont nombreux pour s’assurer de manger du sushi vert. Pour savoir si le menu B1 est moins mauvais pour la planète que le C5, l’amateur de poisson cru peut consulter des sites comme celui-ci (Etats-Unis) ou celui-là (France) qui comparent l’impact environnemental de chaque type de sushi, en attendant que plus de restaurant de sushis éco-responsables voient le jour.
Au final, le choix de l’animal cru qui va se retrouver dans votre assiette ce soir dépend de vos priorités: si vous êtes un fan de plongée sous-marine et que la biodiversité des océans vous tient à cœur, optez pour un tartare issu d’un bœuf bio élevé en France. Si vous vous inquiétez du réchauffement climatique et de la diminution des terres agricoles disponibles, munissez-vous du guide des sushis responsables et descendez harceler votre poissonnier de questions sur l’origine et les conditions de pêche ou d’élevage de ses poissons.
Grégoire Fleurot
L’explication remercie Mathieu Wernet pour avoir posé la question et Anne Barbarit de Graines de changement.
Vous vous posez une question sur l’actualité? Envoyez un mail à explication @ slate.fr
lire le billet