Qu’est-ce qu’une cantine scolaire vraiment bio?

Dans les coulisses d'une cantine du 12e arrondissement parisien / Camille Bosqué

Suite de notre série sur le bio à la cantine. Pour connaître la réalité de la situation du bio dans les cantines, Camille Bosqué est allée faire un tour dans deux arrondissements de Paris pour comprendre leurs choix.

Le cas des cantines bio du 2e arrondissement

Le 2e arrondissement de Paris sert actuellement 50% de produits bio dans les menus de ses dix cantines, et se présente un peu comme le modèle parisien en la matière. Le Grenelle de l’Environnement est évidemment une confirmation de ce choix, mis en place progressivement depuis 2001.

L’arrondissement reçoit ses repas de la Sogeres, un prestataire privé, qui les prépare dans une cuisine centrale. Les plats sont ensuite distribués en liaison froide aux cuisines satellites, où ils sont passés au four avant le service.

Accompagnée de Claude Kestel, directeur de la Caisse des Ecoles du 2e, j’ai pu visiter quelques cantines de l’arrondissement.

À quoi ça ressemble, une cantine bio à 50%?

Dans un petit brouhaha relatif, les cantinières vont et viennent entre les cuisines et le réfectoire. Dans les cuisines, on trouve de grands réfrigérateurs, de grands fours, et un grand lave-vaisselle… et pas tellement plus, à part des énormes poubelles vertes, pour jeter les nombreux contenants qui sont utilisés lors du transport pour le stockage du plat, qui arrive déjà tout prêt.

Il y est ensuite remis à température de cuisson et servi dans la foulée. Les entrées sont les seuls éléments du repas qui sont préparés sur place, mais à part couper des tomates et disposer quelques brins de persil dessus pour faire plus gai, la mission des cantinières a pour principal enjeu de passer au four des barquettes pour le plat, et disposer les pommes du dessert dans un plateau.

Les fours pour la «remise à température» dans une cantine du 2e arrondissement parisien / Camille Bosqué

Ces pommes –et les autres fruits proposés– sont généralement bio, c’est d’ailleurs annoncé sur le menu; mais leur origine n’est pas toujours bien précisée. La Caisse des Écoles du 2e n’est pas en relation directe avec les producteurs. C’est la Sogeres qui s’en occupe pour elle, et qui elle-même ne le fait pas directement puisqu’elle s’en remet à un fournisseur spécialisé, Biofinesse.

Dans le réfectoire, j’aperçois sur un coin de mur un panneau en liège avec des petites affichettes pour décorer, parmi lesquelles se trouve le menu de la semaine, avec une tentative d’information sur l’origine et la qualité des produits servis:

«La viande de volaille qui vous est servie est issue d’animaux nés, élevés et abattus en France.»

Je ne suis pas sûre que les enfants, consommateurs directs de ces produits et donc potentiels destinataires du message, soient vraiment sensibles à ce type d’information… Tout cela est à hauteur d’yeux d’adultes, avec des mots d’adultes, et écrit en minuscule.

C’est un peu dommage qu’à la cantine les enfants n’aient pas les outils pour comprendre que ce qui est dans leurs assiettes n’est pas tombé du ciel, mais que c’est le résultat d’un travail exigeant, lié aux saisons, à un territoire, à une réalité dont ils peuvent prendre conscience. En sachant cela, les enfants pourraient être plus respectueux de ce qui leur est servi, et ainsi peut-être moins gâcher, et être plus mesurés.

La perte progressive de la traçabilité

Déléguer à un prestataire privé la gestion des repas, qui lui-même s’associe de son côté à un fournisseur particulier a des conséquences: Claude Kestel explique qu’au moment de contrôler l’origine des produits reçus, il n’est pas rare de constater que les poires sont bio, d’accord, mais qu’elles viennent de très loin.

Assez vite, la définition de ce qu’est réellement une filière courte et un approvisionnement de proximité devient complètement extensible. L’approvisionnement de proximité et la traçabilité ne sont pas fondamentalement liés à ce qu’est le bio, mais il semble que ce soit ce qui peut donner tout son sens à ce type de choix.

En effet, si au départ la production est bio et respectueuse de l’environnement, que devient finalement le poids écologique de ces produits s’ils ont parcouru des milliers de kilomètres en avion avant d’arriver dans les assiettes?

Un grand risque de manque de cohérence

L’information faite aux enfants est quasi inexistante et pas adaptée. Les panneaux et affiches que j’ai observés dans les salles des restaurants scolaires semblent plus être là pour un rôle de décoration ou de bonne conscience que pour une véritable possibilité d’information et de communication vers les petits.

Je me suis rendue dans ces cantines au début de l’année 2010, en hiver, et sur l’un des murs de la salle il y avait même une affiche marquée «Le printemps», avec des photos des fruits et légumes de saisons dans des petites vignettes carrées, le tout sur une grande image d’arbre en fleur.

Dans un collège de l’arrondissement, j’ai également remarqué un bon nombre d’affiches d’informations nutritionnelles, du type «Pour être le champion de la vitalité, tous les groupes d’aliments sont essentiels», avec un système d’étiquettes de différentes couleurs pour indiquer où est le calcium, où est le poisson, où sont les féculents, pour chaque plat servi.

Alors, même dans une cantine qui sert des produits bio en quantité, on continue à parler aux enfants uniquement en termes d’équilibre nutritionnel?

Il y a un manque total de compréhension des produits bio une fois dans l’assiette, lié aussi au flou général sur l’origine des produits et les conditions d’approvisionnement.

Dans une cantine du 2e arrondissement parisien / Camille Bosqué

 

Lors de ma première prise de contact au mois d’octobre 2009 j’avais eu la chance de prendre mon déjeuner dans la cantine d’une école élémentaire du 2e. Le menu était composé d’une salade de tomates (bio), de raviolis de saumon avec emmental râpé (non indiqués comme bio sur le menu) d’un kiri et d’un «flan au chocolat».

Je retiens qu’à part les tomates et le pain qui n’étaient pas mauvais et qui avaient un relatif bon aspect, le reste était d’apparence quasi industrielle. Et j’avais bien noté sur mon plateau l’immanquable entremet Dany, arôme chocolat.

Les cantines du 12e arrondissement de Paris, un modèle à part

J’étais un peu déçue de réaliser que derrière la vitrine des 50% de bio pour les repas dans le 2e arrondissement, il y a en fait une cantine qui ressemble à peu près à toutes les autres.

J’imaginais que dans une cantine bio, on trouverait des informations en quantité pour faire sentir la différence aux enfants, j’imaginais y trouver une qualité de goût différente, une autre façon de penser le service, un fonctionnement particulier… alors qu’en réalité quelqu’un qui ne saurait pas que ce qui est dans son assiette est bio pourrait aussi bien ne pas faire la différence.

J’ai donc poursuivi mes recherches, en cherchant à Paris d’autres cantines au fonctionnement particulier.

Les cantines du 12e ont fait à ce niveau un choix strictement opposé. Elles fonctionnent en régie directe, c’est à dire en cuisine traditionnelle. Les produits arrivent le matin bruts, et sont ensuite préparés et cuits sur place dans chaque école. Le personnel de service et de cuisine en tire d’ailleurs à juste titre une certaine fierté.

Mon projet de design visait à promouvoir une information transparente sur l’alimentation des enfants en école élémentaire, à les sensibiliser à une façon de s’alimenter consciente et responsable en réinventant le scénario de la vie à l’école autour du repas.

Les cantines du 12e, dont le modèle est intéressant mais pour lesquelles une grande marge de progrès reste encore possible, sont devenues dans ce cadre mon terrain d’étude privilégié.

Quelle proportion de bio pour les 10.000 petits demi-pensionnaires du 12e?

Actuellement, les enfants des écoles du 12e arrondissement ont un produit bio par jour dans leur assiette.

Le déjeuner des enfants n’est donc pas entièrement bio, en revanche la traçabilité est totale. En effet, pour chaque produit la Caisse des Écoles fait directement appel à des regroupements de fournisseurs et de producteurs, le plus souvent en région parisienne.

Audrey Balisson, diététicienne à la Caisse des Écoles du 12e arrondissement, explique ainsi:

«On a plusieurs contrats, avec des fournisseurs qui sont des grandes enseignes qui fédèrent de nombreux producteurs spécialisés dans leurs domaines: fromages, fruits, légumes, épicerie, etc.»

Si ce n’est pas 100% bio, la façon de produire est considérée comme relevant de l’agriculture raisonnée:

«C’est  surtout le seul moyen d’avoir un vrai approvisionnement de proximité, avec une traçabilité sans faille. Jamais nos produits ne feront plus de 100km de camion pour arriver jusqu’ici. Si on doit faire venir du raisin du Sud Ouest, on combinera un peu de route, puis un transport en train, et ensuite à nouveau le minimum de trajet polluant pour arriver dans nos cuisines.»

Cuisine sur place, et de qualité

Et dans les cuisines, on cuisine vraiment! Tandis que dans le 2e, les menus sont établis en concertation avec la diététicienne de la Sogeres, et la commission de menus de l’arrondissement (qui comprend notamment la diététicienne de la Caisse des écoles, des représentants parents et élèves, etc), dans le 12e les menus sont établis par la diététicienne de la Caisse des Écoles, mais aussi avec les chefs des cuisines, directement concernés par les choix des plats qui vont être proposés.

Chacun peut ainsi apporter ses idées, sa petite touche personnelle et ses savoir-faire, ce qui rend le travail en coulisses bien plus gratifiant. La motivation du personnel de service et le fonctionnement en régie directe y sont donc pour beaucoup dans la qualité des repas servis.

Des cuisinières d'une cantine du 12e arrondissement parisien / Camille Bosqué

Le menu du jour lors de mon premier passage dans une des cantines du 12e était: salade de betteraves, filet de poisson avec lentilles aux poivrons, quelques lamelles de fromage dans une assiette, du bon pain, et une jolie petite pomme.

Le goût du plat et la richesse des saveurs n’a rien à voir quand le plat est cuisiné le matin même en cuisine traditionnelle avec celui testé dans le 2e.

Ce choix de privilégier des produits de proximité fournis par des producteurs exigeants sans se bloquer sur du bio strict paraît juste au regard de la rareté du bio français et des difficultés actuelles d’approvisionnement local en quantité pour la restauration collective.

Malgré tout, autour de cette organisation il reste encore beaucoup à faire pour transformer la cantine et l’école en un réel terrain de communication vers les enfants, autour de ces engagements.

En effet sur place malgré le beau travail fourni en coulisses et le bon goût des plats servis, malgré le soin porté à la cohérence de l’approvisionnement, l’information faite aux enfants et leur implication dans le système cantine n’est pas plus étudié.

Camille Bosqué

Camille Bosqué est diplômée du DSAA de l’école Boulle en Design de Produit, d’un Master en Design à l’École normale supérieure de Cachan et prépare actuellement l’agrégation d’Arts Appliqués.

Dans le cadre de son projet de diplôme en 2010, elle s’est penchée pendant un an sur le fonctionnement et la réalité des cantines scolaires bio de Paris, pour finalement aboutir à un projet prospectif de design global pour les cantines du 12e arrondissement de Paris. Retour à l’article.

11 commentaires pour “Qu’est-ce qu’une cantine scolaire vraiment bio?”

  1. […] Qu’est-ce qu’une cantine scolaire vraiment bio? Le 2e arrondissement de Paris sert actuellement 50% de produits bio dans les menus de ses dix cantines Source: blog.slate.fr […]

  2. […] suite d’une série d’articles sur le bio à la cantine chez Slate.fr. Pour connaître la réalité de la situation du bio dans les cantines, Camille Bosqué est allée […]

  3. En lisant votre article Mle ? Mme ? Bosqué on comprends une chose : le bio ça sert a rien, continuons donc notre bonne vieille habitude, puisque maintenant, comme par miracle la traçabilité est nickel chrome et qu’en plus….lol j’ai du mal a m’en remettre,c’est de l’agriculture “raisonnée” re lol.
    Un petit tour dans les exploitations dites raisonnée et l’immense majorité des gens foutra le camp et vite fait.
    Le terme “raisonée” n’est apparu que pour justifier et rassurer le consommateur qui ne veut/peut acheter du bio.

    Sinon, c’est bien écrit et tout.

  4. …Pourquoi accorder de l’importance a la distinction Mademoiselle-Madame, cela n’a rien a faire ici…
    De plus, ce que dit l’article n’est pas que le bio ne sert à rien, ni non plus qu’il faut continuer selon de vieilles habitudes! Il y a un vrai manque de possibilites pr la restauration collective d’avoir du bio français. Pr eviter de se trouver ds la situation absurde de faire venir les produits de bien + loin juste pour l’etiquette, une solution n’est pas idiote qui consiste a tisser avec des producteurs et des fournisseurs locaux un reseau aux exigences + realistes… Tout lol mis a part, c’est vrai que cet article est d’une remarquable actualite .

  5. Bonjour,
    Votre reportage montre bien qu’il faut distinguer la qualité intrinsèque des aliments de la façon dont ils sont cuisinés. Quelle que soit la qualité des aliments, le mode de production des repas en liaison froide annihile la qualité gustative des aliments.
    Cela ne doit pas remettre en cause l’introduction massive de produits bio dans les menus car l’enjeu est ailleurs. Il s’agit de fournir à nos enfants des produits sans résidus de pesticides. Il s’agit d’ouvrir des marchés à l’agriculture biologique qui est la seule selon la FAO a pouvoir nourrir la planète à long terme car elle entretient la biodiversité et préserve les terres.
    Alors certes les collectivités locales devraient certainement faire plus de communication auprès des enfants sur les bienfaits du bio mais ces bienfaits sont tellement incontestables qu’il faut encourager leur introduction massive dans les cantines scolaires.
    Pour en savoir plus:
    http://macantinebio.wordpress.com/

  6. […] site d’information en ligne Slate.fr fait une série de reportages sur le bio dans les cantines. Dans l’article de ce jour la […]

  7. Bonjour, Camille,
    Je lis avec attention vos articles. Dommage que ce soit souvent les mêmes expériences qui reviennent dans la presse. Chacun travaillant ou s’intéressant de près à cette question du bio dans les cantines les connait par coeur.
    Nous menons une expérience d’approvisionnement local ( Ile de France) en circuit court dans la ville de Bagneux. j’aurais aimé pouvoir vous inviter à regarder de près cette initiative. N’hésitez pas à me contacter.

  8. Bravo. Vous avez bien mis en évidence les disparités entre affichage et réalité.
    Mais je ne peux m’empêcher de penser aux américains, très informés sur la nourriture, que cela n’empêche pas d’être obèse.
    Et entre nous : un petit mcdo de temps en temps…

  9. Bonjour, et merci pour vos commentaires.

    Vous avez bien sûr raison, les bienfaits du bio sur la santé sont peu contestables. Néanmoins, rares sont les communes qui arrivent à atteindre les objectifs du Grenelle sans déléguer à des fournisseurs la charge de trouver du bio “quel qu’il soit”, c’est à dire potentiellement importé par avion…! Voilà la partie rageante de l’histoire.
    C’est un drôle de paradoxe puisque la restauration collective sous toutes ses formes peut et doit effectivement être un levier pour développer des aides pour la reconversion des agriculteurs locaux en bio et pour organiser des réseaux de producteurs engagés.
    Je ne connaissais pas la situation à Bagneux, mais cela semble être justement un bel exemple parmi toutes les communes qui sont engagées dans ce sens.

    Face à certaines incohérences, mon enquête cherche à dépasser la question du bio strict, pur et dur, pour mettre en avant des solutions plus raisonnables et s’inquiéter aussi des modes de préparation et de service des repas eux-mêmes. La suite de mon étude tend à déterminer le rôle que la cantine pourrait tenir dans le “système école”, pour envisager finalement des nouveaux scénarios possibles afin d’en faire un vrai temps d’éveil citoyen pour les enfants… À suivre ! 🙂

  10. […] Qu’est-ce qu’une cantine scolaire vraiment bio? […]

  11. […] Ma proposition de design global pour une éco-cantine vise à réinventer le scénario de ce service, de ses coulisses jusqu’à table et enfin dans l’école en général. J’ai pris comme cantine témoin l’une de celles du 12e arrondissement, cantines en gestion directe avec cuisines traditionnelles, qui me semblait être un contexte favorable à ce type de démarche, et dont j’ai observé le fonctionnement sur le terrain. […]

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