Les deux candidats et l’assiette des Français

Nicolas Sarkozy goûte des produits locaux d’une ferme d’Isserpent, dans le centre de la France, le 25 novembre 2010. REUTERS/Eric Feferberg

Où est l’alimentation dans la campagne et les programmes des deux candidats finalistes à l’élection présidentielle? Bien cachée, pour une thématique qui concerne la vie quotidienne de tous les français. Quels sont les engagements de François Hollande et Nicolas Sarkozy en matière de «bien manger» et de nutrition? Quelle place accordent-ils à la cuisine saine, au bio, à la prévention de l’obésité, à la qualité de la restauration collective, aux circuits courts?

Finalement, pendant cette campagne, un seul thème s’est rapproché de l’alimentation: la viande halal. Mais dans la bouche de Marine Le Pen, il s’agissait plus de parler d’immigration que de bouffe. Hors des détails personnels et des anecdotes de campagne (Hollande fait ses courses tout seul et aime acheter de la compote, Sarkozy a mangé du boudin à Bayonne…), l’alimentation n’a pas fait recette.

D’abord, examinons purement et simplement leurs programmes. Aucun des deux ne s’attarde vraiment sur le sujet. Parmi les propositions de Hollande, la 6ème concerne la défense de l’agriculture française et le soutien à la ruralité. Le candidat affirme là: “Je défendrai un budget européen ambitieux pour l’avenir de l’agriculture dans sa diversité, en particulier l’élevage, dans le cadre de la révision de la politique agricole commune. J’encouragerai la promotion de nouveaux modèles de production et de l’agriculture biologique. Je donnerai aux producteurs les moyens de s’organiser pour rééquilibrer les rapports de force au sein des filières face à la grande distribution.”

Chez Sarkozy, la section du programme intitulée “consolider le renouveau de notre agriculture” parle de “renforcer l’organisation des filières de transformation afin de permettre aux agriculteurs de peser dans la négociation de leurs prix face aux distributeurs”. Pas de précision sur une éventuelle répercussion des prix pour les consommateurs…

Prévention et éducation

Ni Hollande ni Sarkozy n’a pris le temps de répondre aux questions d’Alimentons 2012, qui lance un appel pour faire de l’alimentation une question politique de premier plan et non plus «un enjeu de spéculation commerciale et boursière». Par contre, ils ont bien voulu répondre à l’Ania (Association nationale des industries alimentaires), qui a posé des questions à tous les candidats, pour éclairer leurs postures concernant l’alimentation et les industries concernées.

Au sujet de la mise en place d’actions de prévention et d’éducation, Nicolas Sarkozy affirme qu’il veut privilégier «les enfants parce que l’enfance est le moment-clé pour éviter l’installation de l’obésité» et «mettre en place des règles nutritionnelles obligatoires dans les cantines dans le but de transmettre, dès le plus jeune âge, les bonnes habitudes et conduites alimentaires à adopter». Ces règles nutritionnelles existent déjà, on ne saura donc pas où réside l’innovation. Précisons que Sarkozy a annoncé en 2010 un plan triennal de renforcement de la lutte contre l’obésité comprenant un volet prévention. Le calendrier court sur le deuxième semestre 2011 et les deux années suivantes, il est encore un peu tôt pour en mesurer les effets.

François Hollande parle d’une «politique globale», allant «de la recherche à l’éducation, de l’activité sportive à l’alimentation, de la médecine au cadre de vie». Selon lui, l’éducation au goût doit se faire à l’école, mais aussi avec les parents, qui sont «les premiers éducateurs» et doivent donc être sensibilisés à cette thématique.

Pubs et campagnes

Quid de la pub alimentaire? Pour François Hollande, les restrictions de publicité sont intéressantes lorsqu’elles s’adressent aux plus jeunes, d’autant plus que «le message écrit qui déroule sous les spots TV est clairement insuffisant lorsque l’on s’adresse à des enfants. C’est se donner bonne conscience». Nicolas Sarkozy est plutôt satisfait des formats actuels, et estime qu’il faut poursuivre dans ce sens, en continuant à réglementer pour que les spots télévisés n’incitent pas à «des consommations qui s’écartent des principes d’une alimentation équilibrée».

Ensuite, l’Ania interroge les candidats sur «la diffusion de campagnes positives sur l’alimentation par les pouvoirs publics». Sarkozy répond qu’il a comme «priorité» de «faire mieux connaître le modèle alimentaire français et les règles sanitaires qui s’imposent à l’ensemble de la chaîne de transformation des produits». Mais Hollande déplore l’abandon par les gouvernements de droite d’un fonds créé en 1999 pour valoriser les savoirs-faire des agriculteurs et des industries agro-alimentaires et à communiquer positivement sur l’alimentation… Sarkozy affirme aussi que les français peuvent «avoir confiance en leur alimentation» et donc dormir tranquilles… Il veut «rétablir les vérités contre les marchands de peur qui laissent entendre que manger tue», par des moyens non explicités dans ses déclarations.

Prix et taxes

Que pensent-ils faire pour des prix alimentaires plus justes? Sarkozy pense qu’il faut «faire des efforts de compétitivité au sein des filières pour offrir à nos compatriotes des produits locaux au prix le plus «juste», mais également des produits qui répondent à leurs attentes en terme de qualité». Il souhaite conserver le taux de TVA réduit à 5,5% pour les produits alimentaires, tout comme son adversaire. Hollande veut «mettre en place des politiques de filière qui permettent le respect de l’ensemble des acteurs de la fourche à la fourchette». Peut-être en prenant mieux en compte les évolutions des coûts des facteurs de production… “Les consommateurs attendent des prix stables. Pour cela, il faut de la régulation à l’intérieur des filières” déclare-t-il encore.

Quand l’Ania les interroge sur la mise en place d’éventuelles taxes nutritionnelles, Sarkozy répond «qu’aucun aliment n’est a priori dangereux: tout est question de proportion» mais qu’il est d’accord pour «taxer certains produits pour améliorer notre lutte contre l’obésité», comme c’est déjà le cas pour les boissons sucrées. Pour François Hollande, la taxe est «punitive et frapperait d’abord les ménages les plus défavorisés. Ce n’est pas la bonne solution». Il croit donc à «une réglementation plus ferme: la politique de réduction de sel, de sucre et de certaines graisses saturées dans les produits industriels devra fixer des objectifs chiffrés et un calendrier précis comme le préconise le rapport sur l’obésité de l’Office Parlementaire des Choix Scientifiques».

D’ailleurs, toujours dans le document de l’Ania, François Hollande s’adresse clairement aux industries agro-alimentaires et à leurs dérives:

«Il ne faut pas oublier non plus que le pouvoir d’achat joue un rôle fondamental pour l’accès à la qualité et à l’équilibre alimentaire. De ce point de vue, le secteur de l’agro-alimentaire ne peut échapper à ses responsabilités au travers des choix de fabrication par l’ajout de graisses, de sel ou encore de sucre. C’est d’autant plus inacceptable quand ces excès concernent les produits les moins chers. Je peux entendre que le secteur industriel veuille garder un espace de créativité ouvert; mais j’en appelle à son sens des responsabilités. (…) Il est de l’intérêt des entreprises de veiller aux conséquences à long terme de la consommation de leurs produits, faute de quoi elles perdraient la confiance des consommateurs».

OGM

François Hollande considère que «la culture des OGM en plein champs n’a pas sa place en France aujourd’hui» mais que «cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à la recherche en biotechnologie, au contraire», mais donc plutôt sur des «sites confinés», pour «permettre une évaluation rigoureuse par les pouvoirs publics de ces produits». Sarkozy et ses amis refusent «les OGM quand ils n’apportent pas toutes les garanties en termes de sécurité sanitaire et de sécurité environnementale. C’est le cas du MON810 et c’est pour cela que sa culture reste interdite en France». Mais le candidat président pense que «pour chaque OGM, l’analyse de la mise en culture sur le territoire doit se poser en termes de bénéfices et de risques». Autrement dit, la recherche dans ce domaine doit continuer, car «les biotechnologies sont sans doute une des réponses aux défis à venir de l’agriculture».

Pendant la campagne, Sarkozy a vanté les mérites des circuits courts. Mais selon Ouest France, le groupe PAC 2013 (animé surtout par des associations environnementales) affirme qu’«un agriculteur sur cinq vend tout ou partie de sa production en circuits courts. De plus en plus de français plébiscitent ces formes de distribution. Or le modèle de la PAC (Politique Agricole Commune) défendu par la France (et donc par Nicolas Sarkozy ces 5 dernières années, ndlr) marginalise ces circuits». François Hollande a lui affirmé qu’il voulait “un mouvement puissant pour retrouver des agricultures de proximité notamment dans les ceintures vertes autour des villes”.

Enfin, pour les deux candidats, il n’est pas question de créer un ministère de l’Alimentation (mais donc plutôt de conserver un rattachement à l’Agriculture comme c’est le cas actuellement).

En fait, les Verts sont les seuls à avoir détaillé un vrai projet sur l’alimentation et ses liens avec la santé. Avec des idées comme un menu végétarien hebdomadaire dans la restauration collective, la mise en place d’un programme de recherche nationale en nutrition, la simplification des étiquettes, le soutien au bio et aux circuits courts par des commandes publiques,  le soutien aux associations comme les AMAP, les potagers collectifs ou les ateliers de cuisine… Eva Joly avait défini l’alimentation comme un secteur transversal qui intéresse «l’agriculture, la santé, l’économie, la consommation et même les rapports internationaux» et souhaitait d’ailleurs la création d’un service interministériel transversal. Les deux finalistes se sont contentés d’orientations, sans propositions très claires ou concrètes sur l’alimentation.

Lucie de la Héronnière

Un commentaire pour “Les deux candidats et l’assiette des Français”

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