Plantations d’huile de palme: quelles conséquences pour la planète?

Dernier épisode de notre série de papiers sur l’huile de palme (premier épisode: l’huile de palme, vraiment mauvaise pour la santé? et deuxième: pourquoi met-on de l’huile de palme partout?)

Le palmier à huile est cultivé en Afrique, en Amérique du sud, mais surtout dans les deux principaux pays producteurs, l’Indonésie et la Malaisie. C’est l’huile végétale la plus consommée au monde, plébiscitée par l’industrie agro-alimentaire. En plus des conséquences sur la santé comme nous l’avons déjà vu ici, l’huile de palme pose un certain nombre de problèmes écologiques…

Déforestation massive

L’huile de palme est extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits du palmier à huile. 85% des plantations d’huile de palme sont en Indonésie et en Malaisie. Boris Patentreger, chargé de programme conversion forestière et papier au WWF souligne:

«c’est un gros enjeu de développement dans ces deux pays, et en Afrique et en Amérique latine aussi, dans une moindre mesure. Mais on estime qu’en Malaisie et en Indonésie, 60% des plantations se sont développées à la place des forêts vierges. En Indonésie, 4 millions d’hectares sont menacés par les palmiers à huile».

Pour Greenpeace, en Indonésie c’est même “l’équivalent d’un terrain de foot de forêt qui disparaît toutes les 15 secondes. Les plantations de palmiers à huile sont l’un des principaux moteurs de cette catastrophe écologique”.

Le rapport de cause à effet n’est pas forcément direct pour tous. Alain Rival, chercheur au Cirad (Centre coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement), déclare:

«le plus souvent, quand les compagnies forestières coupent du bois, par la suite soit la forêt dégradée est laissée telle quelle, soit les villageois s’y installent, soit on y met des plantations. La conversion de la forêt en plantations de palmiers n’est pas systématique, mais la tendance s’accélère depuis quelques années dans des régions comme Bornéo ou le bassin du Congo, qui réclament une vigilance accrue.”

Biodiversité en baisse

L’inquiétude va aussi vers la disparition d’espèces animales et végétales. Pour Boris Patentreger du WWF, «une plantation, c’est 1 ou 2% de biodiversité par rapport au 100% de biodiversité d’une forêt vierge qu’elle remplace. Et cette perte de biodiversité menace des animaux comme les orangs-outangs ou les éléphants de Sumatra». L’orang-outang est d’ailleurs devenu un symbole des campagnes de lutte contre la déforestation en Indonésie.

Les organisations écologiques soulignent que cette production engendre aussi de fortes émissions de gaz à effets de serre et une utilisation massive d’engrais chimiques, croissant en même temps que la production, c’est à dire très rapidement. D’ici une dizaine d’années, la demande mondiale d’huile de palme devrait devrait doubler.

Alain Rival du Cirad explique que le problème de pollution majeur vient des déchets d’huilerie: “Le fruit du palmier doit être traité très vite, sur le lieu de plantation. Le mélange eau/huile produit par les huileries doit être traité comme les eaux usées d’une ville, dans des bassins de décantation. Mais cette fermentation rejette des gaz à effet de serre”.

Il existe un système de bassins couverts pour récupérer le méthane produit, permettant en même temps de produire de l’énergie, installé seulement dans les usines nouvelles pour le moment. Pour le Cirad, qui défend “une intensification écologique” profitant aux petits exploitants, ce système est “en passe de devenir la norme”.

Villages et villageois

La production d’huile de palme peut être perçue comme un facteur d’éradication de la pauvreté. Pour Alain Rival,

«un hectare en Indonésie, c’est 3000 dollars par an pour le planteur. Cette attractivité place le palmier à huile bien devant d’autres cultures, mais entraine une ruée vers l’or dans les campagnes tropicales. Les problèmes fonciers, sociaux sont aigus et les gouvernements doivent s’impliquer dans la filière, pour légiférer, normaliser et encadrer cette culture en plein boom ».

Boris Patentreger du WWF, explique que ces plantations engendrent aussi «de fortes pressions sur les communautés locales. Les forêts appartiennent souvent aux Etats, qui octroient des permis de planter. Cela entraîne des délocalisations forcées, voire des conflits armés».

Selon le quotidien indonésien Kompas repris par Courrier International en 2011, le nombre de conflit entre les gros producteurs de palmiers et les paysans s’opposant à l’extension de cette monoculture sur leurs terres a “pratiquement triplé en un an, passant de 240 à 660, et ont coûté la vie à 3 personnes”.

Des réactions diverses

Alors les associations ne restent pas les bras croisés. Début 2010, Nestlé a été la cible d’une campagne de Greenpeace dénonçant l’utilisation de l’huile de palme dans ses barres Kit-Kat. Avec un spot choc montrant que faire une pause Kit Kat revenait (presque!) à tuer un orang-outang…

L’association voulait dénoncer Sinar Mas, le premier producteur indonésien d’huile de palme, qui fournissait le géant de l’agro-alimentaire sans grand souci de l’environnement. Peu de temps après, Nestlé a cessé de se fournir auprès du producteur accusé de couper des arbres à tour de bras. Burger King a fait la même chose.

Evidemment, cela permet de faire passer une image d’enseigne soucieuse de la santé de la planète. Mais l’enjeu médiatique et financier est des deux côtés: ainsi, en juin dernier, l’Association Ivorienne des producteurs de palmiers à huile a porté plainte contre le groupe Système U (groupe qui s’est engagé à réduire ses produits contenant de l’huile de palme), à cause d’une publicité résumant schématiquement les dégâts de l’huile de palme. L’association affirmait alors au figaro.fr que «cette campagne est diffusée à des fins uniquement mercantiles, et sans conviction écologique aucune, ni analyse scientifique sérieuse».

Huile durable ?

Pour répondre à la demande en diminuant les conséquences négatives sur la planète, la production s’oriente doucement vers l’huile de palme durable. La Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO), rassemblant producteurs, industriels et des ONG, cherche à développer une production certifiée durable depuis 2004.

Cette table ronde a mis en place un  certain nombre de critères, comme la transparence, le respect des lois locales, nationales et internationales, l’usage raisonné d’engrais, des bonnes conditions de travail, le recyclage des déchets…

Selon ces critères, les nouvelles plantations ne doivent pas remplacer des forêts primaires ni occuper des «zones ayant une ou plusieurs hautes valeurs pour la conservation» et des cultures ne doivent pas être mises en place sur le sol d’une population locale sans son consentement libre et informé.

Pour Alain Rival, cette table ronde a «l’avantage d’établir une communication entre des acteurs multiples, aux intérêts souvent divergents. Elle a permis dans des délais relativement courts de mettre en place des principes et critères partagés, en constante évolution afin de les rendre adaptables à des types de plantation très différents».

Dans un rapport publié en mai 2011, les Amis de la Terre dénoncent «l’arnaque de l’huile de palme durable». Greenpeace n’est pas non plus enthousiaste et parle de cette affiliation RSPO comme d’une «belle illusion» ou d’un «cache-sexe écologique», à cause d’une «mise en œuvre lacunaire et défaillante» des critères, sans mécanisme de contrôle sérieux.

De nombreuses entreprises agro-alimentaires (comme par exemple en France Pasquier, Cémoi, Brossard, Nestlé, Saint- Hubert,Saint-Michel…) sont membres de la RSPO et s’engagent à utiliser plus d’huile de palme durable dans les prochaines années. Greenpeace parle de greenwashing: une recherche d’image marketing écolo pour les industriels utilisant une huile de palme “certifiée durable”…

Quid du boycott ? La question se pose souvent. L’échelle française ne ferait pas beaucoup bouger le marché, puisque 50% de la production va en Inde, Chine et Indonésie. Entre 12 et 17% de la production va en Europe. Pour les défenseurs de la RSPO, le boycott cesserait de tirer la filière vers le haut. De plus, arrêter de la consommer pour avaler de l’huile de coprah, produite dans des conditions similaires, ne ferait que déplacer le problème.

Au WWF, on pousse surtout, comme l’explique Boris Patentreger, à «avoir une alimentation non transformée, de saison. Car l’huile de palme se trouve en grande majorité dans les aliments industriels! Mais il restera toujours une dose d’huile de palme à utiliser. Alors elle doit être certifiée durable et tracée».

Lucie de la Héronnière

Photo: Oil palms/ Allen Gathman via FlickCC License by

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