Les feuilles tombent, il pleut et il fait froid. Heureusement, il y a plein de bonnes à lire sous la couette.
Après Toxic, Charles Burns revient et nous offre une suite. Toujours cette ambiance de Tintin passé à l’acide de Tchernobyl, ce monde accablé de chaleur et notre héros à la houpette qui a trouvé un boulot. On ne sait jamais ce qui est de l’ordre du rêve ou de la réalité, on ne comprend pas ce qui se passe, les personnages de la BD eux-mêmes ne comprennent rien, tout le monde s’insulte et se méprise. L’une des plus étranges et belles séries de ces dernières années.
Le grand oeuvre de Manu Larcenet se poursuit avec la sortie du troisième tome de Blast. Dans cet avant dernier opus (la série doit à terme être une tétralogie), les choses se font un peu plus précises. Le puzzle de la narration commence à se reconstituer et on entrevoit le bout du tunnel. Mais avant la lumière, la pénombre n’a jamais été aussi forte. Ce troisième tome est véritablement crépusculaire alors que le sublime et le sordide continuent de se mélanger avec magie (noire). Si vous n’avez toujours pas entamé la lecture de Blast, c’est le moment!
Un petit western, encore, vous connaissez mes goûts. L’américain Rich Tommaso s’amuse avec les codes du genre et l’histoire tourne autour de Sam Hill, un jeune mec un peu déboussolé. Dans l’hôtel ouvert par son père, ancien shériff et alcoolique fini, il est un peu le garçon à tout faire. Amour, sexe, poker, sous fonds d’industrialisation et d’or noir, ce récit un peu désabusé marque au final la rupture de Sam Hill avec son univers familial, avant une suite plus portée sans doute sur le voyage et la découverte de nouveaux espaces.
J’ai consacré un post entier à l’excellent ouvrage de Chester Brown. Pendant plus d’une dizaine d’années, cet auteur a fréquenté des travailleuses du sexe. Il est devenu un ardent défenseur de ce type de rapports sexuels et expose avec un style clair, en noir et blanc, patiemment ses arguments.
Publié pour la première fois en 2009 aux Etats-Unis, Far Arden fait penser à One Piece aux premiers arbords. Une ambiance de pirate où les autorités sont pourries et un lieu inconnu, mystérieux et magnifique à trouver: Far Arden. L’ambiance, les bastons notamment, rappellent l’univers du manga. Mais la comparaison s’arrête là. Pas de Luffy chapeau de paille pour être toujours motivé et naif, plutôt des personnages désabusés et tristes, cherchant plus qu’une île: un sens à leur vie. Surtout, cela ne dure pas 3000 épisodes comme les séries japonaises, et à la fin, personne ne gagne.
Le deuxième tome d’Aâma de Frédérik Peeters, l’un des mes auteurs préférés grâce à sa série Lupus, est paru. Si dans le premier tome, on ne savait pas trop s’il fallait se concentrer sur la ville destructrice où la nature inconnue, ce deuxième opus insiste plus sur le voyage. Un peu à la manière d’un album de Léo (Beltegeuse, Alderaban), les personnages vont affronter une nature de plus en plus extraordinaire et hostile. Sauf qu’ici la nature a perdu la tête à cause d’un robot devenu hors de contrôle des humains et Frédérik Peeters affirme une nouvelle fois sa fascination pour la science-fiction mêlée à un scepticisme certain du tout technologique.
Je le notais récemment au détour d’un papier: la série B a le vent en poupe en ce moment. Le dernier album de Joann Sfar, Tokyo, s’inscrit dans cette veine délirante et quelque peu régressive. Sur une île radioactive, on trouve des bikeuses sexys et tatouées, des lions et des tigres rockeurs bardés de cicatrices, des seins, des tentacules, du cul et de la violence. L’hommage à l’univers des nanards cinématographiques n’est pas dur à déceler dans cet album déroutant, à la narration complètement décousue, mais finalement très prenant. Peut-être parce que graphiquement, le travail mêlant dessins et photos est aussi psychédélique qu’hypnotisant.
J’avais été un peu déçue par Apocalypse Texas, le précédent tome de Jour J, cette série d’uchronies qui habituellement me ravit. Heureusement, la dernière livraison redresse la barre avec une histoire qui nous plonge en 1947 dans une Amérique alternative où les Etats sont désunis. Et pour cause: le continent se partage entre un nord anglo-saxon et un sud francophone, qui a la Nouvelle Orléans pour capitale depuis la guerre d’Indépendance. Ah oui, Hitler est toujours au pouvoir et les Kennedy essaient de passer de l’alcool de contrebande. Ca part dans tous les sens tout en restant cohérent: le signe d’une uchronie réussie.
Laureline Karaboudjan
Illustration de une extraite de Far Arden par Kevin Cannon, DR.
lire le billetLa désobéissance civile contre de grands projets d’infrastructures est un thème récurrent en bande-dessinée.
C’est la guerre à Notre-Dame-des-Landes. Des militants ont décidé de monter des barricades. Ils sont contre le projet d’un nouvel aéroport à Nantes, un projet soutenu par Jean-Marc Ayrault. Pour le moment, malgré un dispositif policier exceptionnel pour faire fuir les résistants, il “reste trois maisons qui s’organisent en camp retranché, des dizaines de cabanes perchées dans les arbres et des tentes qui sont plantées dans les champs chaque jour”, rapporte Rue89.
Il y a quelques années, le parc Paul-Mistral de Grenoble avait été le théâtre d’une lutte similaire. Entre novembre 2003 et févier 2004, des dizaines d’activistes avaient monté des cabanes dans les arbres pour protester contre leur abattage destiné à laisser place au nouveau Stade des Alpes. On peut aussi citer le combat en cours contre la ligne à très haute tension qui traverse le Cotentin.
Plus généralement, tout grand projet d’aménagement, qu’il s’agisse d’une autoroute, d’une prison, d’un forage pour trouver des hydrocarbures ou d’un camp militaire occasionne des résistances locales plus ou moins fortes. Les militants débordent alors d’ingéniosité pour contrecarrer les plans des aménageurs, sur le plan juridique autant que par des actions de terrain. Mais si l’inspiration vient à manquer, j’ai quelques BD à leur conseiller.
Des tracteurs customisés contre les déchets radioactifs
Village Toxique constitue probablement le manuel de résistance en BD le plus complet en la matière (je vous en avais déjà parlé ici). Cet ouvrage relate l’histoire vraie de la lutte menée à la fin des années 1980 par les habitants de la Gâtine, dans les Deux-Sèvres, pour ne pas accueillir un site d’enfouissement de déchets radioactifs. Grégory Jarry et Otto T. (par ailleurs auteurs de la réussie Petite histoire des colonies françaises) racontent le bras de fer avec simplicité et beaucoup d’humour. Surtout, ils balaient tous les aspects du problème.
On retrouve les élus locaux tourneboulés par les promesses d’emplois et de ressources financières infinies, qui vendent à leurs administrés tous les équipements publics flambants neufs qui pourront être réalisés avec cette manne financière. On y découvre un “chargé d’information” de l’Andra (l’Agence pour la gestion des déchets radioactifs) dont la mission, d’après une note interne de l’agence, est de “aller chez des gens qui n’ont rien demandé et qui ne s’y attendent pas pour leur imposer un projet”. Et puis, bien-sûr, les habitants qui répondent par une mobilisation à l’ampleur de plus en plus grande: graffitis sur les routes, locaux de l’Andra murés et confrontation avec les CRS à bord de tracteurs customisés pour le combat. Bien évidemment, les auteurs prennent clairement le parti des résistants, mais leur ouvrage garde tout de même une certaine distance dans l’exposé de cette histoire édifiante.
L’autoroute menace les fermes
Le refus de voir un grand projet bouleverser son environnement est également au coeur de la BD Rural! d’Etienne Davodeau. L’auteur des Mauvaises Gens et des Ignorants endosse son habituel costume de BD-reporter pour nous raconter la résistance au passage de l’autoroute A87 dans le Maine-et-Loire dans les années 1990. On y suit notamment un jeune couple qui a mis dix ans à rénover une vieille ferme et leurs voisins, de charmants agriculteurs bios qui militent à la Confédération paysanne. Ils vont tous devoir se serrer les coudes lorsqu’ils apprennent qu’une autoroute doit traverser leurs terres.
Là encore, on suit les différentes actions de terrain, comme le collage d’affiches sur des panneaux indicateurs, et les évolutions politiques (l’espoir suscité par la dissolution de l’assemblée nationale en 1997 et l’arrivée de Verts dans la majorité). Mais contrairement à Village Toxique, la lutte racontée par Rural! n’est pas victorieuse. La maison est rasée et l’autoroute finira par se construire. Amer, l’auteur décrit l’endroit aux automobilistes: “A 20km au sud d’Angers, tu franchis le viaduc du Layon (…) C’est sur ta gauche. C’est bref. Quand tu passes à la hauteur du puits et des piliers, dis-toi que tu traverses à 130km/h la salle de bain de Catherine et Philippe”.
Lucky Luke plus souvent du côté des infrastructures que des résistants
La conquête de l’Ouest est aussi une histoire de résistance. Indiens contre cow-boys et tuniques bleues, mais aussi fermiers contre éleveurs, trappeurs contre chercheurs d’or, etc. Les différents albums de Lucky Luke, pour ne citer que cette série, dépeignent souvent ces luttes. Je pense à deux albums en particulier: le Fil qui chante et Des barbelés sur la prairie. Le premier est sorti en 1977 et il s’agit du dernier album auquel participe Goscinny avant de mourir. Le cow-boy-qui-a-arrêté-de-fumer participe à la construction du fil télégraphique. Mais le réseau traverse des terres appartenant aux Indiens, qui vont tout tenter pour le saboter.
L’affrontement entre progrès technologique et respect des valeurs est assez clair. Les Indiens défendent les anciens moyens de communication et des espaces vierges non violées par des poteaux disgracieux. Le télégraphe au contraire amène l’information jusqu’au fin fond de l’Ouest. Dans cet album, Lucky Luke choisit le camp du progrès technologique et est opposé aux résistants. Dans l’ensemble, il fait le plus souvent ce choix, comme lorsqu’il construit le chemin de fer ou le pont sur le Mississippi.
Mais parfois, il choisit le pot de terre plutôt que le pot de fer. Dans Des Barbelés sur la prairie (un album qui a par ailleurs inspiré une bonne chanson de Ludwig von 88) il soutient les gentils fermiers contre les méchants éleveurs. Les premiers veulent cultiver leurs champs qui sont systématiquement piétinés par les troupeaux de vache en transhumance. Les fermiers sont donc obligés de poser des barbelés et d’organiser une résistance tactique et armée.
Lorsqu’on lit l’album, on soutient forcément les fermiers, les petits exploitants contre les grands propriétaires. Pourtant, en y réfléchissant, peut-être que les éleveurs prônant des grands espaces ouverts à tous sont plus sympathiques que des hommes se défendant pour un bout de terrain bien à eux et à personne d’autre. Ouverture libertaire contre propriété petite bourgeoise, la résistance n’est pas qu’une affaire d’ouverture d’esprit.
Laureline Karaboudjan
Illustration de une: extrait de la couverture du Fil qui chante, DR.
Sur fond de mutations de la presse, Clark Kent abandonne son poste au Daily Planet. Déontologiquement, ce n’est pas plus mal.
Superman n’a plus de boulot! Depuis ses débuts dans les années 1940, lorsque le surhomme n’enfilait pas sa célèbre tenue rouge et bleu, il était Clark Kent, journaliste au Daily Planet, un grand quotidien de sa ville de Metropolis. Mais dans la dernière livraison de ses aventures, à paraître aujourd’hui aux Etats-Unis, le super-héros claque la porte du journal et tourne le dos à une carrière de quelque 70 ans que même un Jean Daniel aura du mal à dépasser.
Les auteurs de la série ont décidé de prendre en compte les récentes évolutions de la presse dans les histoires de Superman. Tout virtuel qu’il soit, le Daily Planet n’échappe pas non plus à la crise de la presse écrite. Jusque là indépendant, le titre a été racheté par Galaxy Broadcoasting, un immense conglommérat de médias, tel le Chicago Tribune sur lequel lorgne Ruppert Murdoch dans le monde réel. Et dans cet empire, le bon vieux journal papier qu’est le Daily Planet pèse de moins en moins lourd.
“La presse papier est un média en train de mourir” lâche même, désabusé, le rédacteur en chef de Clark Kent au détour d’une case. Et là encore, c’est l’actualité de notre monde réel qui trouve son écho dans Superman. On ne compte plus le nombre de plans de départs qui ont frappé les journaux américains (enfin, certains l’ont fait) et la tendance est la même en Europe, avec des plans de départ récents au Guardian au Royaume-Uni, à El Pais en Espagne ou Publico au Portugal.
Superman ne veut plus être un forçat de l’info
Mais ce n’est pas un plan social qui a eu raison de Clark Kent comme la kryptonite peut avoir raison de Superman. Face aux évolutions de son métier, le journaliste ne se reconnait plus dans son boulot. Il a l’impression d’être le seul à vouloir partager l’information correctement et estime que de devoir rester toute la journée devant son ordinateur n’est pas du vrai travail de journaliste. Clark Kent refuse d’être un OS de l’info, un forçat du web.
“Je suis un journaliste depuis à peine 5 ans (Ndlr: comme Tintin, Superman ne vieillit pas vraiment). Pourquoi suis-je le seul à penser comme un vieux journaleux tout tâché d’encre que les informations doivent être, je ne sais pas, des informations?” se demande le superhéros en pleine interrogation existentielle sur sa profession. Et son rédacteur en chef de répondre en substance que certes, les people en une ne le font pas rêver non plus mais qu’ainsi va le monde. La réponse ne satisfait pas Superman et il claque la porte.
Le départ de Superman, c’est la réaction “d’un jeune de 27 ans qui reçoit continuellement des instructions d’un conglomérat dont les intérêts ne sont pas les siens” estime le scénariste de la série Scott Lobdell sur le site de USA Today. Bon, en réalité, autant je pense que pas mal de jeunes journalistes partagent la vision de Superman, autant peu seraient prêts à sacrifier une place si durement acquise. Et quand ce même scénariste imagine Superman “créer un Huffington Post ou un Drudge Report”, j’espère qu’il pourra bénéficier des financements d’un Bruce Wayne pour ce faire… A noter que notre héros avait déjà quitté une fois la presse papier. C’était dans les années 1970, et modernité oblige, Clark Kent était avait troqué la plume pour un micro de journaliste télé. Avant de revenir finalement au Daily Planet.
Clark Kent, ce scandale déontologique
Mais dans le fond, est-ce que le départ de Superman est une perte pour le journalisme? Non sans doute pas. On peut même penser que c’était une honte à la profession. Comme je l’avais écrit il y a 3 ans dans mon tout premier billet sur ce blog (séquence émotion), en BD le métier de journaliste est très souvent un prétexte. Outre Superman, une tripotée de héros parmi les plus célèbres du neuvième art (Tintin, Spirou ou Spiderman) sont journalistes. Mais on ne les voit pratiquement jamais travailler… Dans les milliers de pages qui composent ses aventures, on ne voit Tintin écrire un article qu’une seule fois, dans Tintin au Pays des Soviets. Il en va de même pour Superman, plus souvent occupé à sauver le monde en justaucorps qu’à sortir des scoops.
Surtout, la double-vie de Superman l’exposait à un grave dilemme déontologique. Tout au long de sa carrière, plutôt que de révêler des infos, il en a caché au public. Et on n’ose imaginer la couverture “objective” qu’il pouvait faire des événements dans lesquels Superman était impliqué. En tant que journaliste, il a souvent menti et divulgué de fausses informations. Vous imaginez Lance Armstrong à la fois coureur cycliste et journaliste à l’Equipe? Non. Et c’est pour ça que le Daily Planet n’a pas à pleurer le départ de Superman.
Laureline Karaboudjan
lire le billetDans l’excellent Vingt-trois Prostituées, paru chez Cornélius récemment, l’auteur canadien Chester Brown raconte les dix dernières années de sa vie. Approchant de la quarantaine, après une rupture amoureuse, il a décidé de ne commencer à fréquenter que des prostituées. Il raconte méticuleusement chaque rencontre, chaque femme, ses peurs vis à vis de la police et de sa sexualité, son budget “sexe tarifié” à gérer, etc. Il explique également que ses amis ne comprennent pas son attitude et il essaie du coup de défendre sa position et le travail du commerce du sexe, avec des arguments les plus rationnels possible. Que l’on soit pour ou contre la prostitution, il est intéressant de les lire. Rarement une BD, avec son style simple et claire, a, à mon avis, apporté autant à un débat public. Sur la grosse vingtaine d’arguments que Chester Brown développe à la fin de son ouvrage, j’en ai sélectionné neuf. Je vous invite à débattre et à exprimer votre désaccord dans les commentaires (et à lire la BD, surtout!).
La normalisation de la prostitution
“La prostitution n’est qu’une forme de rendez-vous. (…) Il ne se passe rien dans les rendez-vous tarifés qui ne se passe pas dans les rendez-vous non tarifés. D’un point de vue juridique, ils devraient être considérés comme similiares”.
Les droits sexuels
“Tous les droits sexuels sont fondés sur les notions de choix et de consentement.”
Votre corps vous appartient
“Vous devriez avoir le droit de faire ce qu’il vous plaît avec votre corps (et tout ce qui vous appartient) du moment que vous respectez le bien d‘autrui.”
Les clients n’achètent pas les prostituées
“Quand j’avais rendez-vous avec une prostituée, je ne l’achetais pas. Je payais pour avoir une relation sexuelle avec elle. Lorsque nous nous quittions, je ne la gardais pas… Elle ne m’appartenait pas”
Pouvoir
“Les prostituées ont un pouvoir sexuel dans leurs interactions avec leurs clients. Etre l’objet du désir d’autrui est un pouvoir en soi (..) Les travailleuses du sexe peuvent dire et n’hésitent pas à dire si elles réprouvent ce qui se passe”.
Le choix
“Quand ils se retrouvent face à des travailleuses du sexe qui déclarent avoir choisi leur profession librement, les militants anti-prostitution (qui sont souvent des féministes) se retrouvent dans la position de ceux qui cherchent à restreindre la liberté d’un groupe de femmes. (…) Les féministes ont pourant accepté la notion de choix concernant un autre sujet, qui s’avère épineux: l’avortement. (…) Si une femme a le droit de faire le choix de l’avortement, elle devrait avoir le droit de faire le choix de la prositution. C’est son corps, c’est son droit”.
La violence
Toutes les prostituées ne sont pas confrontées à la violence, mais effectivement, beaucoup le sont. Cela ne veut pas dire que la prostitution devrait être illégale. Quand un chauffeur de taxi est poignardé ou qu’il reçoit une balle, personne ne considère que conduire un taxi devrait être illégal.
Le trafic des êtres humains et les esclaves sexuelles
“D’apèrs leurs accents, je peux dire que quatre des prostituées que j’ai rencontrées ne sont pas nées au Canada. (…) S’il m’arrive à nouveau de me retrouver face à une prostituée d’origine étrangère, je me poserai certainement la question de savori si elle subit une prostitution forcée. Si j’ai de bonnes raisons de croire que c’est le cas, je lui demanderai si je peux l’aider et je lui proposerai d’appeler la police pour elle”.
Le proxénétisme
“Il est intéressant de noter que beaucoup de prostituées travaillent sans proxénète que les prostituées qui travaillent à domicile (incall) ou se déplacent chez les clients (outcall), sont moins enclines à avoir un proxénète que celles qui font le trottoir”.
Laureline Karaboubjan
(image extraite de la couverture de l’album)
lire le billetDe prestigieux auteurs collaborent sur un projet de revue dessinée numérique. Le Pilote ou le Métal Hurlant du XXIème siècle pourrait bien être en train de naître.
Pour l’instant, ils semblent avancer à petits pas en levant timidement le voile sur leur projet. Mais en coulisses, ça s’affaire autour d’un des projets éditoriaux BD les plus ambitieux de ces dernières années. Cinq auteurs très reconnus du neuvième art s’activent depuis des mois au service d’un mystérieux Professeur Cyclope. Derrière ce nom insolite se cache l’ébauche d’une revue mensuelle de bande-dessinée bien particulière.
En effet, on ne la trouvera pas en kiosques, ni même en librairies puisque Professeur Cyclope se veut être la première publication de BD entièrement pensée pour le numérique, notamment pour tablettes et smartphones. Surtout, elle entend expérimenter et exploiter les nouvelles possibilités narratives qu’offre le support. L’équipe est emenée par Brüno (Commando Colonial, Lorna…), Gwen de Bonneval (Les Derniers jours d’un Immortel…), Cyril Pedrosa (Portugal…), Hervé Tanquerelle (Lucha Libre, Professeur Bell…) et Fabien Vehlmann (Seuls, Spirou et Fantasio…). J’ai rencontré ce dernier à Paris récemment pour en apprendre un peu plus sur leur alléchant projet.
Avec le débit soutenu caractéristique du créateur passionné, Fabien Vehlmann explique que “l’idée est venue il y a 2 ans. On avait tous une sensibilité au numérique, l’impression qu’on pouvait y faire des choses et qu’elles ne s’étaient pas encore faites”. Professeur Cyclope survient ainsi comme une évidence, comme la pièce manquant à un puzzle.
Depuis une dizaine d’années, Internet s’est en effet imposé comme un média incontournable, y compris pour le neuvième art. Mais l’offre y est encore inaboutie et déséquilibrée: des blogs amateur qui prolifèrent sans révolutionner la narration, des propositions trop rares et boiteuses des éditeurs et quelques tentatives expérimentales d’auteurs. “Pour l’instant, ce qu’on voit surtout ce sont des BD classiques transposées sur des écrans, résume Fabien Vehlmann. C’est pas forcément agréable à lire car ça n’est pas adapté, ça n’a pas été pensé pour à la base. Nous on veut inventer des formes, des récits qui soient véritablement créés pour le numérique”.
Penser la BD pour le numérique
La question de la forme, du format, prend donc une part essentielle dans le projet. “Des auteurs comme Marion Montaigne ou Vincent Perriot nous ont proposé des projets orientés vraiment numérique. Ca donne des choses très intéressantes” se réjouit Fabien Vehlmann. Sur le blog consacré au projet, l’équipe de Professeur Cyclope a publié récemment un exemple plutôt convaincant de ce que peut être une narration dessinée adaptée au numérique. Vincent Perriot a imaginé une histoire qui se découvre en la faisant défiler verticalement sur l’écran. Le procédé est assez classique dans la narration numérique, comme par exemple dans Georges Clooney, une histoire vrai.
Mais l’auteur a poussé l’expérimentation plus loin en s’affranchissant carrément des cases successives: l’impression immersive est saisissante. C’est toujours de la BD sans être de la BD telle qu’on la connait classiquement, c’est véritablement une nouvelle forme de narration dessinnée. Une forme à même de séduire un nouveau public d’après Fabien Vehlmann: “on peut s’adresser à des gens qui ne sont pas traditionnellement des lecteurs de BD mais qui pourraient être intéressés par cette nouvelle forme. L’idée c’est de surprendre les lecteurs. Quand on a montré des previews, on a eu deux types de gens agréablement surpris: les amateurs de BD qui ne se voyaient pas lire en ligne et qui se disent ‘tiens, ca peut aussi être ça la BD en ligne’ et des gens qui ne lisaient pas de BD du tout”.
Toutefois, Professeur Cyclope ne se veut pas non plus être une revue uniquement d’expérimentation formelle. “On ne veut pas que des trucs expérimentaux non plus: il faut que la forme serve un récit. C’est bien ce récit qui est au coeur du projet” détaille le scénariste Fabien Vehlmann. Car c’est bien des histoires qu’entend raconter Professeur Cyclope, à l’instar de Pilote, Metal Hurlant et A Suivre en d’autres temps.
Aujourd’hui, il y a un vide en matière de grandes revues susceptibles de ce type, catalyseurs de création capables de faire émerger des auteurs. “Il y a bien le projet de la Revue dessinée, mais c’est uniquement de la BD-reportage, reprend Fabien Vehlmann. Nous on veut faire de la fiction. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. On veut faire de tout, de la science fiction, de l’aventure, de l’érotique… Mais il faut un type bien particulier de SF, un type bien particulier d’aventures, que tout ça ait une cohérence éditoriale”.
En l’occurrence, les auteurs entendent faire de la BD adulte au sens le plus large du terme. Et citent volontiers l’exemple des… séries télévisées produites par HBO pour appuyer leur démonstration. “Il suffit de voir ce que fait HBO avec Games of Thrones, lance Fabien Vehlmann. C’est de la fantasy et pourtant c’est pour adultes et de qualité. J’ai envie de faire pareil avec une série sur laquelle je travaille et qui met en scène des robots géants. C’est un clin d’oeil évident à une génération qui a vu Goldorak en étant enfant. Mais aujourd’hui, ces enfants ont grandi et ils peuvent avoir toujours envie de lire une série avec des robots mais pour adultes”.
(Cyril Pedrosa)
Si la proposition éditioriale est bien ficelée, reste à inventer un modèle économique viable. Pour l’instant, l’équipe de Professeur Cyclope s’oriente vers un modèle “freemium”, c’est-à-dire en partie gratuit mais avec une partie “premium” payante. “Avec Cyril, on a été très vite persuadé qu’il ne fallait pas tenter un modèle tout gratuit, explique Fabien Vehlmann. Je ne crois pas à la publicité comme unique source de financement.”
Industrialiser l’avant-garde
Et pour amorcer la pompe, l’équipe est en plein tour de table. “On a déjà des investisseurs qui ne sont pas forcément des acteurs traditionnels du monde de la BD, révèle Fabien Vehlmann. La crise complique un peu les choses mais en fait pas tant que ça. D’un côté tout le monde tire la langue et en même temps le numérique c’est l’avenir, et les gens sont prêts à investir pour l’avenir”. Même s’ils assurent ne pas être en guerre contre les grands éditeurs (chez qui, bien souvent, ils publient par ailleurs), les auteurs qui portent Professeur Cyclope entendent tout de même bousculer les usages du monde de l’édition quant à la rémunération des créateurs. “On essaie de trouver un pourcentage correct, de l’ordre de 15%. Aujourd’hui, les éditeurs papiers vont rarement au-delà de 8%. Pour la durée de cession c’est pareil, on n’a pas envie de demander la vie de l’auteur plus 70 ans comme font les éditeurs. On essaie de tout faire pour que les auteurs ne soient pas lesés”.
Un numéro 0 a été réalisé en juin et les auteurs comptent faire une présentation aboutie pour le prochain festival d’Angoulême. Professeur Cyclope devrait faire dans les 85 “pages”, si tant est qu’on puisse compter en pages pour cette revue sans équivalent. De là à parler de revue d’avant-garde, il n’y a qu’un pas. Mais pour Fabien Vehlmann c’est exagéré: “Des gens ont inventé des trucs avant nous. Disons qu’on essaie d’industrialiser l’avant-garde. On espère que ça sera une revue de son temps. La revue est un outil, elle sera intéressante si elle a permis de faire éclore des talents”.
Et au fait, pourquoi Professeur Cyclope? “C’est une référence à l’émission l’Oeil du Cyclone de Canal Plus et au Docteur Cyclone, une vieille série B” décrypte Fabien Vehlmann. Quant à moi, je ne peux m’empêcher d’y voir un clin d’oeil inconscient au professeur Cyclone de Tintin. La revue et l’egyptologue ont pour point commun une certaine dose de folie. Mais chacun sait que le génie en est l’immédiat voisin.
Laureline Karaboudjan
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