L’auteur québecois Guy Delisle a remporté le Fauve d’Or à Angoulême pour ses Chroniques de Jérusalem, peut-être son moins bon album. C’est dire son talent.
Le palmarès de la 39ème édition du festival d’Angoulême est donc tombé et il me laisse une drôle d’impression. Une sensation que tout amateur d’art -qu’il s’agisse de musique, de cinéma… ou de BD- a déjà connu à l’énoncé des lauréats d’un festival. Un sentiment où se mêlent étrangement la joie et la déception, la satisfaction et le regret. Cette impression, c’est celle que l’on ressent lorsque l’on voit enfin récompensé un auteur talentueux, qui mérite les lauriers depuis des années, mais qui est célébré pour une œuvre moins aboutie que d’autres de sa main que l’on estime beaucoup plus. Ce goût étrange dans ma bouche m’est laissé par le Fauve d’Or, qui célèbre le meilleur album de l’année, que vient de recevoir Guy Delisle pour ses Chroniques de Jérusalem.
Vous allez dire que je suis vexée parce que je ne l’avais pas cité dans mon trio de favoris en décembre dernier, et vous aurez sûrement un peu raison. Néanmoins, j’avais quand même un peu flairé le coup en écrivant :
Dans cette même volonté de raconter l’histoire ou l’actualité, les BDs “journalistes” sont à l’honneur cette année: entre Chroniques de Jerusalem de Guy Delisle, Reportages de Joe Sacco ou même Les Ignorants” de Davodeau. Ce genre là est, pour ma plus grande joie, en expansion ces dernières années. Malheureusement, les derniers albums des deux premiers auteurs cités, s’ils sont intéressants, ne sont pas leurs meilleurs.
A travers la récompense attribuée à Delisle, c’est effectivement tout un genre qui a été salué, celui du BD-reportage. Un genre en vogue (et c’est tant mieux) à en juger le nombre d’articles écrits ces dernières semaines dans les “grands médias” pour en vanter l’émergence. En fait, ça fait des années que le BD-reportage existe avec comme pionniers l’américain Joe Sacco et… le québécois Delisle pour ce qui est de la langue française. D’ailleurs en interview, Joe Sacco précise souvent avec modestie que l’on peut faire remonter le genre au XIXe siècle, lorsque les journaux envoyaient des dessinateurs pour couvrir l’actualité, comme par exemple au cours de la guerre de Sécession. Art Spiegelman, avec sa bd historico-reportage Maus, prix Pulitzer en 1992, et avec son travail au New Yorker, y a aussi grandement contribué.
Mais revenons à Guy Delisle. Qu’on ne se méprenne pas : les Chroniques de Jérusalem méritent la lecture, tout simplement parce qu’au-delà des enjeux informatifs, c’est de la bonne BD. Le trait de Delisle a une simplicité qui rend son regard d’autant plus fort qu’il est véritablement le sien. C’est là, je crois, l’une des qualités indépassables de la BD reportage: à l’heure de l’information vidéo omni-présente, des images télévisuelles brutes, le dessin parce qu’il est éminemment personnel offre une vision singulière des choses. D’autant plus, donc, pour Delisle qui a un dessin qui ne s’embarrasse pas de l’exactitude, d’un réalisme photographique, pour se concentrer sur l’émotion.
Dessiner là où on ne peut pas photographier
Une autre vertu du reportage dessiné, pas assez souvent rappelée, c’est qu’il permet de rapporter des faits là où la caméra est strictement interdite. Je crois que Joann Sfar relève le fait dans son carnet Maharajah(dont la lecture est par ailleurs dispensable) lorsqu’en Inde, il peut dessiner à l’intérieur d’un édifice sacré où il est interdit de prendre des photos. [EDIT : c’est la scène tout à fait inverse qui se produit en fait, merci à Jess en commentaires !] Mais l’auteur de BD qui a sûrement fait le meilleur usage de cette caractéristique propre au dessin, c’est justement Guy Delisle dans Pyongyang.
Dans cet album, l’auteur raconte un séjour de quelques mois en Corée du Nord où il travaille dans un studio d’animation. Le régime nord-coréen, probablement le plus dictatorial et fermé du monde, empêche la prise d’images et de photos par les visiteurs Occidentaux à peu près partout dans son pays. Parce qu’il dessine, Delisle peut s’affranchir de cette contrainte et livrer un témoignage des plus intéressants (et à mon sens supérieur aux Chroniques de Jérusalem) sur la Corée du Nord. Un ami me confiait d’ailleurs récemment qu’il avait bien moins appris des quelques reportages télés que l’on a vu récemment sur la Corée du Nord à l’occasion de la mort de Kim-Jong-Il, fabriqués à base d’images tournées sous le manteau par des journalistes qui sont entrés dans le pays avec un visa touristique, qu’en lisant Pyongyang de Delisle.
Le reste du palmarès
Sur la suite du palmarès, les petits éditeurs ont été gâtés avec des récompenses notamment pour L’Association, Cornélius et Les Requins Marteaux. Parmi les bonnes BDs de l’année 2011, je me réjouis du prix de la série à Cité 14 dePierre Gabus et Romuald Reutiman aux Humanoïdes Associés, du polar, qui crée un mélange agréable de comics et d’animalisation à la française, un peu pop, ambiance steam-punk et entre-deux guerres américaine. L’auto-fiction Portugal de Pedrosa, sans surprise, repart avec un prix également, celui de la BD Fnac qui lui permettra d’être bien mis en avant à la Fédération nationale d’achats des cadres. Quant au Prix du Patrimoine pour la Dynastie Donald Duck de Carl Barks, il me rappelle les plus belles heures de ma jeunesse.
Sur Jean-Claude Denis, grand Prix de la ville d’Angoulême, qui récompense un auteur pour l’ensemble de sa carrière, je dois avouer que je n’ai pas grand chose à écrire. Ni son style, ni ses BDs ne m’ont jamais vraiment marquée. Je crois que ce n’est pas ma génération: lorsque j’ai découvert pour la première fois la BD Luc Leroi, j’étais trop jeune, et lorsque j’étais en âge de l’apprécier, il y avait trop de BDs intéressantes d’autres auteurs pour avoir le temps d’y retourner…
Le palmarès complet :
Prix du meilleur album : Chroniques de Jérusalem, Guy Delisle (Delcourt)
Prix spécial du jury : Frank et le congrès des bêtes, Chris Woodring (L’Association)
Prix de la série : Cité 14, Pierre Gabus et Romuald Reutiman (Les Humanoïdes Associés)
Prix révélation : TMLP (Ta Mère La Pute), Gilles Rochier (6 Pieds sous terre)
Prix Regards sur le monde : Une vie dans les marges, Yoshihiro Tatsumi (Cornélius)
Prix de l’audace : Teddy Beat, Morgan Navarro (Les Requins Marteaux)
Prix intergénérations : Bride Stories, Kaoru Mori (Ki-Oon)
Prix du Patrimoine : La Dynastie Donald Duck, Carl Barks (Glénat)
Prix de la BD Fnac : Portugal, Cyril Pedrosa (Dupuis)
Prix Jeunesse : Zombillénium, Arthur de Pins (Dupuis)
Laureline Karaboudjan
Illustration : extrait de la couverture de Chroniques de Jérusalem, DR.
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Polina, Portugal, Habibi ou encore Les Ignorants… Autant de BD qui pourraient décrocher un fauve, dans un mois, lors de la 39ème édition du festival d’Angoulême .
Le Festival d’Angoulême a dévoilé, cette semaine, sa sélection des meilleurs albums de l’année. L’un d’entre eux recevra le Fauve d’or le 29 janvier prochain, la récompense suprême du festival européen de bande-dessinée le plus connu. Comme chaque année, la liste est longue comme le bras. Normal: il y a une dizaine de prix à se répartir et il faut faire plaisir à tous les éditeurs.
Du coup, il s’avère très difficile de faire des pronostics à l’avance… Qui aurait parié un mois à l’avance, en 2011, sur Cinq mille kilomètres par seconde de Manuele Fior, publié par la petite (et excellente) maison d’édition suisse Atrabile? Si, comme pour chaque festival, il y a toujours des favoris, le propre d’un bon palmarès c’est justement de les prendre à contre-pied. Et puis, surtout, le choix final dépend en grande partie des envies d’Art Spiegelman, le président de cette année, voire, si j’étais mauvaise langue, de la quantité d’alcool ingurgitée au bar de l’hôtel Mercure où se retrouvent les festivaliers.
Si l’on regarde la sélection de plus près, on trouve évidemment de bons et de très bons albums, mais aucun ne m’apparaît comme un gagnant évident. On peut néanmoins dégager quelques opus qui seraient plus «logiques» que d’autres. Dans cette catégorie, Habibi apparaît comme un prétendant solide. Puisant à la fois dans les contes des Mille et une Nuits et dans le Coran, Craig Thompson bâtit une histoire intemporelle où l’Art, comparable à la jouissance sexuelle, transcende l’amitié, l’amour et la mort. Une BD à la fois émouvante et très intelligemment construite, ludique et profonde, qui se dévore d’une traite sous un croissant de lune. Magistral. D’un autre côté, Art Spiegelman oserait-il récompenser un compatriote? Étant l’un des rares étrangers président du jury, il pourrait être tenter de donner des gages à une BD francophone plus traditionnelle. Mais bon, tout ceci n’est que de la spéculation. Reste la qualité d’Habibi que je vous invite à dévorer, prix ou pas prix.
Juste derrière, on pense évidemment à Polina de Bastien Vivès… Mais si, vous savez, l’album qui est sur les sacs qu’on vous donne quand vous achetez une BD, car il a reçu le prix des libraires et le Grand prix de la Critique. Si le jury était mon entourage, cette BD gagnerait sûrement par sa capacité à faire l’unanimité, chez les hommes et les femmes, chez les lecteurs assidus et chez ceux qui d’ordinaire n’aiment pas les livres avec des images. D’un autre côté, le festival aime bien surprendre et cette BD n’a pas besoin de ce prix pour se vendre. De plus, Bastien Vivès est encore jeune et il a le temps pour gagner tous les prix qu’il veut. Ce qu’il fera et il le sait.
Portugal de Cyril Pedrosa pourrait également faire l’unanimité. L’auteur raconte le voyage de Simon, alter-égo de plume et de crayon et auteur en panne d’inspiration, vers ses racines portugaises. Un voyage qu’il fait aussi bien au Portugal qu’en France, en remontant le fil des souvenirs de sa famille immigrée, depuis plusieurs générations. De l’expérience personnelle on s’élève vers une réflexion plus générale sur l’identité, l’histoire familiale, les attaches et l’immigration. Le tout servi par un trait et une mise en couleur très attachants. Je serai très étonnée que Portugal n’obtienne rien à Angoulême tant c’est une des BD les plus abouties que j’ai lu cette année.
Après cette année très politique, le jury pourrait également être séduit par l’Art de Voler de Antonio Altarriba pour le scénario et de Kim pour les dessins. L’album raconte à travers la vie du père du scénariste presque un siècle d’histoire de l’Espagne. La guerre civile tient évidemment une place essentielle, centrale, et de longues pages de la bande-dessinée y sont consacrées. Ce qui frappe le plus dans l’Art de Voler, ce sont moins les glorieux faits d’armes du héros que son caractère “normal“, avec autant de défauts que n’importe qui. La partie sur la guerre d’Espagne entre ainsi en dissonance assez réussie avec toute celle qui suit la Seconde guerre mondiale, où, après avoir été combattant républicain puis résistant, le héros devient… employé d’une petite entreprise, vit la routine, l’usure des sentiments amoureux, etc. Si je n’ai pas été toujours convaincue par le dessin, ce témoignage “vrai”, un peu à la Maus (tiens, tiens), ne laisse pas insensible. Et puis c’est pas tous les jours qu’une BD espagnole est ainsi mise en avant.
Dans cette même volonté de raconter l’histoire ou l’actualité, les BDs “journalistes” sont à l’honneur cette année: entre Chroniques de Jerusalem de Guy Delisle, Reportages de Joe Sacco ou même Les Ignorants de Davodeau. Ce genre là est, pour ma plus grande joie, en expansion ces dernières années. Malheureusement, les derniers albums des deux premiers auteurs cités, s’ils sont intéressants, ne sont pas leurs meilleurs. Davodeau, oui, pourquoi pas: c’est bien mené, ça parle de vin mais aussi de BD, ça donne envie de boire autant que de lire. C’est peut-être un peu trop gentil tout de même, après réflexion. Mais c’est en tous cas le cadeau idéal pour Noël.
Ensuite, il y a aussi les auteurs reconnus par la critique: pourquoi pas un Blutch avec son Pour en Finir avec le Cinéma, Enki Bilal avec Julia & Roem, Larcenet et sa parodie de Valérian, L’armure de Jakolass ou même Aâma de Frederik Peeters (même si c’est moins bien que Lupus ou le Château de sable). Je fais de tout ce beau monde mes outsiders préférés.
Et puis, qui sait, peut-être que le jeune auteur Brecht Evens, prix de l’audace en 2011, pourrait séduire le jury cette année avec Les Amateurs et sa capacité à renouveler les codes de la narration. Pour le prix de l’audace de cette année, justement, j’imagine bien 3’’ de Marc-Antoine Mathieu. Le projet de son album tient véritablement de l’expérimentation: il s’agit de raconter un instant (de 3 secondes, donc) sur plus de 600 cases à travers un procédé vertigineux d’images mises en abîme. On s’approche de la pupille d’un personnage, on y voit une pièce avec un miroir dont on se rapproche de plus en plus pour que se dévoile un autre angle de la pièce, où se trouve un vase dont on se rapproche de plus en plus.
Pour terminer, dans les BDs que j’ai appréciées mais que je n’imagine pas remporter le Fauve d’or, n’hésitez pas à lire Coucous Bouzon d’Anouk Ricard, l’Île aux Cent Mille morts de Fabien Vehlmann et Jason, Atar Güll de Brüno et Fabien Nury, Beauté d’Hubert et Kerascoët ou Cité 14 de Pierre Gabus et Romuald Reutimann.
Bonne lecture!
Laureline Karaboudjan
Illustration: extrait d’Habibi, DR.
lire le billetSi le prix du meilleur Album en déçoit certains, dont moi, la presse globalement salue la cohérence du palmarès du dernier festival d’Angoulême.
Angoulême a refermé ses portes. Je me suis permis quelques jours de digestion avant de donner mon avis sur le palmarès.
Le Fauve d’Or, qui récompense le meilleur album de l’année, est revenu au Pascal Brutal de Riad Sattouf. Je dois vous avouer que mes premières ambitions furent “Pourquoi pas, non, oui, non, bon, ok”. Cette indécision traduit bien mon ambivalence vis-à-vis de cette bande-dessinée.
J’aime Riad Sattouf et j’apprécie sa série sur Pascal Brutal. Et surtout, je l’apprécie de plus en plus. Le personnage principal prend au fil des épisodes de l’épaisseur et de l’ambiguïté et, à ce titre, le dernier album est sans doute le meilleur. Mais de là à le mettre meilleur album de l’année… C’est certain ça rentre dans la catégorie idéale: à la fois mainstream grâce à la popularité de l’auteur, jeune cinéaste, et en même temps accepté par la nouvelle vague des dessinateurs car il est l’un des leurs. Après, il y a tout une ribambelle d’albums que j’ai préféré cette année, notamment Blast de Larcenet. Je ne reviens pas sur les qualités de cet opus, j’en ai déjà abondamment parlé ici.
Cela dit, malgré certaines polémiques de couloirs et des chiffres de fréquentation inférieurs à l’édition précédente, la presse en général semblent plutôt satisfaite de cette cuvée angoumoise. Ainsi pour Olivier Delcroix du Figaro, Angoulême 2010 est un “bon bilan”. Il se réjouit surtout du grand prix du jury pour Baru qui “aura surtout marqué toute une génération de lecteurs grâce à son album L’Autoroute du soleil (Casterman)”. Il cite notamment Benoit Mouchard, directeur artistique du festival, qui juge que “C’est l’un de mes artistes préférés, conclut Benoît Mouchart. Son dessin est vif expressif et son écriture est pleined’intelligence; C’est logique qu’il soit récompensé de la sorte. C’est un auteur à la maîtrise exceptionnelle.
Le site BoDoi trouve lui aussi le bilan “positif” et le palmares “cohérent”. Il se réjouit surtout de la victoire de Pascal Brutal. “En récompensant du prix du meilleur album Pascal Brutal #3, le jury a fait un choix fort. Nommé à l’unanimité des sept membres du jury (dont Pierre Christin, Frédéric Poincelet et Blutch), le livre de Riad Sattouf représente à la fois une bande dessinée populaire (Pascal Brutal est sans aucun doute une des séries les plus drôles du moment) et politique, car elle parle de la France d’aujourd’hui, de la politique ultra-libérale en cours depuis des années, de l’uniformisation de l’offre culturelle, de l’angoisse sécuritaire et de la mollesse des médias”.
Pour Didier Pasamonik sur Actua BD, ce palmarès ” scelle la réconciliation des anciens et des modernes ” et salue un “vote intelligent et fédérateur”. Pour le site spécialisé: “Dans le palmarès officiel issu des votes du jury constitué par Blutch, on retrouve cette tendance : Jérôme K Jérôme Bloche d’Alain Dodier, série classique s’il en est, côtoie un Pascal Brutal de Sattouf formaté 48cc, les atypiques Dungeon Quest de Joe Daly (L’Association) ou Alpha… Directions de Jens Harder voisinant avec les très classiques Matthieu Bonhomme & Gwenn de Bonneval qui cherchent à renouer avec la magie de Peyo et dont la titre est d’ailleurs révélateur :L’esprit perdu.” Et de conclure, d’un point de vue que je partage: “Du point de vue de la créativité, nous vivons un âge d’or, tous les amateurs vous le diront. Un effet bénéfique de la surproduction ?” (Si vous avez le courage et une heure à occupée, je vous conseille d’aller lire sur Actua BD toutes les bisbilles autour de l’organisation du festival et entre la ville d’Angoulême, certains auteurs, les journalistes et l’Association: trop long à expliquer)
Mais pour le site belge Le Vif, au contraire, “ce palmarès est à oublier rapidement”. “Quelle mouche a donc piqué le jury pour attribuer le Fauve d’Or du meilleur album à Pascal Brutal de Riad Sattouf ?, se demande-t-il ? Si le personnage aux pectoraux sculptés à la gonflette est attachant par bien des points, il n’a pas la carrure pour porter un tel prix.”
Un constat que l’on retrouve souvent dans les commentaires sous les différents articles. A noter que Bodoï et Le Vif regrettent comme moi l’absence de récompense pour Blast et peut-être pour Delcourt en général.
Le palmarès officiel d’Angoulême 2010 :
– Grand Prix : Baru
– Prix du Meilleur Album (Fauve d’Or ) : Pascal Brutal T3 : Plus fort que les plus forts de Riad Sattouf (Fluide Glacial).
– Prix spécial du Jury (Fauve d’Angoulême) : Dungeon Quest T1 de Joe Daly (L’Association).
– Prix de la Série (Fauve d’Angoulême) : Jérome K. Jérome Bloche T21 : Déni de fuite d’Alain Dodier (Dupuis).
– Prix Révélation (Fauve d’Angoulême) : Rosalie Blum T3 : Au hasard Balthazar ! de Camille Jourdy (Actes Sud).
– Prix Regards sur le monde (Fauve d’Angoulême) : Rébétiko, La Mauvaise Herbe par David Prudhomme (Futuropolis)
– Prix de l’Audace (Fauve d’Angoulême) : Alpha… Directions de Jens Harder (Actes Sud).
– Prix Intergénérations (Fauve d’Angoulême) : Messire Guillaume – L’esprit Perdu : Intégrale de Matthieu Bonhomme & Gwen de Bonneval (Dupuis).
– Prix du Jury (Fauve Fnac-SNCF) : Paul T6 : Paul à Québec de Michel Rabagliati (La Pastèque)
– Prix jeunesse (Fauve d’Angoulême) : Lou T5 : Laser Ninja de Julien Neel (Glénat).
– Prix du patrimoine (Fauve d’Angoulême) : Paracuellos : L’Intégrale de Carlos Gimenez (Fluide Glacial)
– Prix de la bande dessinée alternative (Fauve d’Angoulême) : Special Comix N°3, Publié à Nanjing (Chine)
Pour des problèmes de subventions, Angoulême a failli ne pas avoir lieu cette année. Est-ce que cela aurait été si grave ?
Angoulême débute aujourd’hui. Pour cette 37ème édition, plusieurs centaines d’auteurs et de maisons d’éditions sont réunies. 200 000 visiteurs devraient braver le froid et oser aller jusqu’en Charente. Encore cette année, cela reste le principal festival de BD en France. Le seul vraiment relayé par les médias et qui permet, le temps d’une semaine, de voir les pages BD se multiplier dans les journaux comme par magie. Et, ensuite, de disparaître.
Sauf que cette année, le festival a failli ne jamais avoir lieu. Encore jusqu’à fin 2009, l’organisation n’était pas pérennisée. Stupeur chez l’amateur lambda pour qui c’est un rendez-vous aussi incontournable et donc immuable que le festival de Cannes pour les cinéphiles ou le Tour de France pour les fabricants de produits dopants. Normalement, la ville d’Angoulème assure 1 million d’euros de subventions directes. Mais la ville, pour protester contre le désengagement de l’Etat auprès des collectivités locales a un temps décidé de ne pas prendre en charge la totalité des frais techniques qui s’élèvent à 400 000 euros supplémentaires. Philippe Lavaud, le maire et le vice-président du Conseil Général de Charente, a ainsi expliqué en octobre 2009 à Sud Ouest, “rien n’empêche Neuvième Art + [la société organisatrice du festival, ndlr.] de facturer aux éditeurs l’intervention de son prestataire pour le montage des stands.” Mais Franck Bondoux, délégué général du FIBD a estimé ne pas pouvoir, pris à brûle-pourpoint, assurer les prestations indispensables. Et de râler en expliquant que le festival apporte tout de même chaque année “des dizaines de millions d’euros de retombées pour l’économie régionale et a beaucoup servi l’image de marque de la ville”. On a eu ainsi le droit à un coup de gueule du dessinateur Philippe Druillet, fondateur des Humanoïdes associés :
« Cette ville, qui représente le neuvième art, passe son temps à insulter la bande dessinée. Chaque année, il y a un scandale. Aujourd’hui, c’est le maire, Philippe Lavaud, qui fait chier. Un maire socialo, ce qui me fout encore plus les boules. J’ai l’impression qu’il a oublié le message de Jack Lang, qui s’était battu pour le Festival d’Angoulême pendant des années. »
Je viens en partie de cette région et je ne leur donnerai pas totalement tort. Parce qu’Angoulème, à part la BD… Le site spécialisé Actu BD préfère lui relativiser: «C’est près d’un million et demi d’euros, soit près de 50% du budget du Festival qui sont payés par 43.000 Angoumoisins. Rapporté au foyer fiscal, on imagine l’impact. Il n’est donc pas juste de dire que cette ville « passe son temps à insulter la bande dessinée » ». En comparaison, Paris, deux millions d’habitants versent 2,5 millions de subventions directes au PSG.
Globalement, le tout nouveau maire élu en 2008, socialiste pourtant, semble en avoir marre de mettre la main au portefeuille pour financer des évènements culturels puisque le Festival du film francophone d’Angoulême est lui aussi en difficulté (mais bon eux ils sont aussi en bisbille avec Ségolène Royal, la présidente de la Région). Finalement, pour la BD, mairie et gouvernement se sont mobilisés. Le haut commissaire à la jeunesse a accordé une subvention exceptionnelle à hauteur de 40.000 euros et en a profité pour créer un prix. Et surtout la ville et le festival se sont mis d’accord dans un communiqué commun.
Si personne n’a vraiment pensé que le festival allait disparaître, cet évènement traduit bien les tensions qui existent entre le festival et les acteurs locaux (parfois entre eux) au niveau local. Tensions qui n’ont pas de grands liens avec la bande dessinée.
Si Angoulême disparaissait, est-ce que se serait si grave?
Et, dans le fond, est-ce que cela aurait été si grave pour la bande dessinée qu’il n’y ait pas de festival cet année ? Comme toutes les manifestations culturelles de cet ordre, le festival de BD d’Angoulême est l’objet de critiques récurrentes. La sélection des ouvrages en compétition est un terrain idéal pour qu’elles s’expriment. Les accusations de copinages et le manque de représentativité des bandes dessinées représentées reviennent chaque année. Sur ActuaBD, Laurent Boileau et Didier Pasamonik s’interrogent encore, à l’occasion de ce 37ème festival :
«On aimerait connaître la philosophie de cette sélection dont les motifs ne nous apparaissent pas transparents. La représentativité de la production actuelle, au sein de laquelle le jury final choisirait subjectivement les meilleurs, nous semble relever du bon sens. Or, nous constatons que cette représentativité n’est pas assurée”. »
Beaucoup de Delcourt, peu de Glénat dans la sélection officielle. Et des noms qui reviennent tout le temps : Sfar, Sattouf, Loisel, Rabaté, Larcenet… De la très bonne BD, bien sûr, mais qui n’est pas forcément représentative de la réalité du paysage général de la bande-dessinée. Les grandes séries d’humour et d’aventure, poids lourds commerciaux du neuvième art, peinent à trouver leur place à Angoulème. Du coup, l’image d’un festival “élitiste”, «éloigné du public », s’impose facilement.
Les prix font aussi toujours débat. Une réforme a été menée cette année, alors que le précédent changement datait de… 2007. Motifs invoqués par Benoît Mouchart, directeur artistique du festival : “On a eu un retour mitigé des libraires. Le public n’accordait pas forcément de valeur aux prix ex aequo”. Du coup, cette année sera remis le Fauve d’Or, récompensant le meilleur album, et six prix Essentiels (Fauve d’Angoulême) : prix spécial du jury, prix de la série, prix révélation, prix de l’audace, prix intergénérations et prix du public. Histoire de faire plaisir à tout le monde ? Peut-être. En tous cas, on a parfois du mal à distinguer les différences entre les prix : le prix spécial du jury, qui “récompense un ouvrage sur lequel le jury a particulièrement souhaité attirer l’attention du public, pour ses qualités narratives, graphiques et/ou l’originalité de ses choix” ressemble quand même beaucoup au Fauve d’Or, vous ne trouvez pas ? Et le prix de l’audace, qui “récompense une œuvre développant une approche innovante (formelle ou narrative) de la bande dessinée”, il ne recouvre pas un critère du Fauve d’Or lui aussi ? Quant au prix du public, il sonne presque comme un aveu d’échec de la part du jury, qui n’arriverait pas à récompenser par lui-même des BD populaires.
Le déroulé lui-même du festival est sujet à critiques. L’aspect très commercial du festival en rebute plus d’un. Les longues files amenant aux auteurs qui dédicacent, aussi. Quand on attend devant un stand, on a parfois l’impression d’être dans La littérature à l’estomac de Julien Gracq, d’être ce «public en continuel frottement comme un public de Bourse a la particularité bizarre d’être à peu près constamment en ” état de foule “.: même happement avide des nouvelles fraîches, aussitôt bues partout à la fois comme l’eau par le sable, aussitôt amplifiées en bruits, monnayées en échos, en rumeurs de coulisses. »
L’auteur de bande dessinée Morvandiau commençait ainsi un article paru l’an dernier dans le Monde Diplomatique :
«Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie ? Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie avec l’intention d’acheter des livres ? Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie avec l’intention d’acheter des livres et de faire la queue afin d’obtenir des dédicaces ? Vous ? C’est possible. Le phénomène concerne déjà plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année en France. On l’observe notamment en janvier, à Angoulême, à l’occasion du Festival international de la bande dessinée.»
Bien sûr (et l’auteur de l’article le reconnaît), Angoulême ce n’est pas que ça. Il y a aussi des expositions (cette année, pas moins de 300m² pour Léonard de Turk et De Groot), des ateliers, etc. Il n’empêche, le modèle “entrée payante, file de dédicace” a essaimé un peu partout dans des festivals de moindre ampleur qui se tiennent en France pendant toute l’année.
Mais finalement, est-ce que ce n’est pas la vocation d’un festival leader que d’être l’objet de critiques continuelles? Comme Cannes pour le cinéma ou le Goncourt pour la littérature, on se plait à dénigrer Angoulême, parce qu’il faut bien dire que c’est le lot de tous les événements majeurs dans n’importe quelle discipline.
Laureline Karaboudjan
Photo Flickr, la fille des remparts, galerie Marsupilami92. 6 boulevard Pasteur, Angoulême.
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