Obama en Président Superman

L’éditeur DC Comics va sortir une BD où Barack Obama prend la place de Clark Kent. Un choix loin d’être anodin en cette année électorale.

Quand il n’est pas occupé dans d’interminables réunions à la Maison Blanche, en voyage diplomatique ou en conférence de presse, Barack Obama tombe le costume de président et endosse celui de super-héros. C’est la dernière idée de l’éditeur DC Comics, l’un des deux poids-lourds américains avec Marvel de la bande-dessinée de super-héros, qui s’apprête à sortir dans quelques semaines une BD sur ce scénario saugrenu.

Intitulée “President Superman”, l”histoire qui doit sortir en mai prochain dans la fameuse revue Action Comic, met en scène un président américain afro-américain qui prend la place de Clark Kent dans le rôle de Superman. President Superman doit y combattre un super-villain nommé Superdoom et doit notamment stopper une attaque nucléaire depuis la Maison Blanche, d’après les premières informations qu’a laissé filtrer l’éditeur.

S’il n’en porte pas officiellement le nom, President Superman fait évidemment penser à Barack Obama. Et la seule image pour l’instant disponible ne laisse guère de doute, tant le super-héros a les traits proches du président américain en exercice. Le site spécialisé Comicbook.com en fait d’ailleurs la démonstration en comparant cette image à une illustration du dessinateur Alex Ross, qui travaille lui-même de manière récurrente pour DC, publiée pendant la campagne présidentielle de 2008 aux Etats-Unis. «Il est frappant de voir à quel point l’image de couverture de DC est similaire à l’illustration d’Alex Ross», note le site. Cette illustration figurait un Obama qui arrache sa chemise, reprenant le célèbre geste de Superman, pour laisser entrevoir un costume de super-héros frappé d’un «O» tel le «S» de l’original.

Un coup autant politique que commercial

En faisant d’Obama (ou presque, mais on aura compris) l’équivalent de Superman, DC affiche clairement la couleur et assume de rouler pour les démocrates. Ce n’est pas étonnant à de nombreux titres. L’industrie du comic est très majoritairement «de gauche» aux Etats-Unis (ce qui historiquement n’a pas toujours été le cas, surtout au début), et a montré, à de très nombreuses reprises sa sympathie pour Barack Obama. Et pas simplement parce que le président américain est un fan déclaré de Spideman (ils se sont d’ailleurs rencontré dans le numéro #583 des aventures l’homme-araignée). La campagne puis l’élection du président américain ont suscité de très nombreuses BD, bien plus que pour n’importe quel autre président américain, depuis les biographies classiques et souvent ennuyeuses, jusqu’aux comics de super-héros. Je rappelais dans un précédent article cet engouement pour Obama, qui outre Spiderman était également apparu dans une BD du super-héros Savage Dragon, qui oeuvre à Chicago.

Mais au-delà de la sympathie politique, faire apparaître Obama dans un comic est un bon coup commercial pour un éditeur car ça crée évidemment la controverse. En l’occurrence, tous les ingrédients sont réunis pour que l’initiative de DC fasse polémique: elle touche au symbole américain par excellence qu’est Superman, elle met en scène la figure clivante d’Obama, adulé par les démocrates mais haï par une frange croissante de la droite américaine et elle touche à la couleur de peau. Comicbook.com rappelle ainsi les polémiques qu’avait suscité Marvel l’an passé en sortant un Spiderman “nouvelle génération” à moitié latino et à moitié afro-américain.

DC avait également fait polémique, l’an passé, en s’attaquant déjà à la figure de Superman qui menaçait de renoncer à sa nationalité américaine. A l’époque, les conservateurs républicains s’étaient émus de voir les comics accaparés par les démocrates alors qu’étant des éléments symboles de la culture américaine, ils devraient être au-dessus des questions partisanes. De ce point de vue là, ils n’ont peut-être pas tout à fait tort de se plaindre. En ce qui me concerne, c’est surtout la fréquence toujours plus grande des “coups médiatiques” autour des super-héros qui m’agace quelque peu. Et si on laissait les justiciers masqués un peu tranquilles?

Laureline Karaboudjan

llustration : aperçu de la couverture d’Action Comic #9 du mois de mai prochain, DR.

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Je est un super-héros

Certains font tout pour ressembler à leurs personnages favoris, jusqu’à la chirurgie esthétique ou patrouiller dans les rues. La preuve que l’homme ordinaire et le surhomme ne sont pas si éloignés.

Si Superman s’est souvent demandé s’il voulait être lui-même, d’autres rêveraient de le remplacer. Et comme le costume ne fait pas tout, certains sont prêts à utiliser les grands moyens. Un Philippin de 35 ans, Herbert Chavez, a ainsi annoncé avoir subi plusieurs opérations de chirurgie esthétique pour ressembler le plus possible à Clark Kent, l’alter-égo de Superman. Avec un certain succès si l’on se réfère aux photos de la page Facebook de ce doux dingue dont les traits se rapprochent, effectivement, de plus en plus de ceux du justicier à la cape rouge.

Je veux être comme lui et je sais que lui ressembler me rendra heureux et satisfait du moment que je ne fais de mal à personne”, écrit notamment Herbert Chavez. Selon l’AFP, “il dit espérer servir d’exemple et montrer que l’on peut réaliser ses rêves, si l’on s’en donne la peine“.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul à aller aussi loin. Plus encore que la fameuse Zahia, une jeune russe ressemble ainsi à s’y méprendre à Barbie. A grands coups de scalpels, la jeune fille singe quasiment parfaitement la célèbre poupée, quitte à faire franchement peur avec son 50 de tour de taille.

Phoenix Jones, lui, n’a pas eu recours à la chirurgie esthétique. Mais cet habitant de Seattle va peut-être encore plus loin que les deux précédents exemples. Costumé comme il se doit, il patrouille en effet dans les rues de sa ville pour combattre le crime. Une démarche qui fait les choux gras des médias locaux et qui amuse les passants, mais qui agace aussi la police, qui craint pour sa sécurité. D’ailleurs, à trop faire le mariole, Phoenix Jones a récemment été arrêté pour avoir aspergé des gens de spray au poivre. Il y a quelques mois, il s’est aussi retrouvé sous la menace d’un revolver…

Il existe en fait des dizaines de ces super-héros de la vraie-vie et chaque grande ville américaine semble avoir son illuminé en costume. Ils ont même un média dédié, Real Life Superheroes, un site Internet qui rassemble leurs faits d’armes et qui regorge de conseils pour créer son propre costume, s’équiper en conséquence, recueillir des preuves ou encore réaliser des acrobaties diverses et variées.

FoxNews a interviewé l’un d’entre-eux qui se fait appeler Razor Hawk. Derrière son masque, il explique que l’essentiel de son activité ne consiste pas à combattre le crime mais à organiser des actions de charité, par exemple auprès d’enfants malades. Toutefois, il patrouille lui aussi dans son quartier, et s’il ne “cherche pas à affronter des criminels”, il est “prêt à le faire si l’occasion se présente”. Concernant l’importance du costume, Razor Hawk explique que c’est avant tout pour marquer les esprits, pour que les enfants puissent s’identifier plus facilement à lui et retiennent ainsi mieux ses conseils.

Du surhomme à madame Michu

Ces exemples d’hommes ordinaires qui se prennent pour des super-héros nous renvoient à la notion philosophique du surhomme. Mais puisque Nietzsche ne connaissait pas Superman, c‘est sans doute Umberto Eco qu’il faut citer pour évoquer ce rapport particulier à la puissance qu’on ne peut avoir. Dans son ouvrage “De Superman au surhomme“, l’érudit italien écrit: “Dans une société nivelée où les complexes d’infériorité sont à l’ordre du jour, dans une société industrielle où l’homme devient un numéro dans le cadre d’une organisation sociale qui décide pour lui, le héros positif doit incarner, au-delà de toute limite, les exigences de puissance que le citadin ordinaire nourrit sans pouvoir les satisfaire“. Et comme la fable, au final, ne devient jamais la réalité, l’homme ordinaire est obligé de se substituer à elle.

Les comics américains ont mis très longtemps à prendre cette dimension en compte. Du super-héros sans peur et sans reproches des débuts on est passé, à partir des années 1960, à des personnages psychologiquement plus complexes. Des faiblesses diverses qui viennent trancher avec l’omnipotence des héros et dont on retrouve peut-être le point culminant dans “Watchmen, sorti au milieu des années 1980. La BD scénarisée par Alan Moore présente des super-héros déchus et déchirés, qui ne veulent plus sauver le monde car ils ne sont pas parvenus à se sauver eux-mêmes de leur condition.

Mais il a fallu attendre “Kick Ass” en 2008 pour avoir une série à grand succès qui mette en avant des gens ordinaires qui tentent de devenir des super-héros. Dave Lizewski, le geek de dix-sept ans, personnage principal, est extrèmement révélateur de la manière dont la figure du super-héros a évolué. Il n’est plus de sauveur suprême, c’est monsieur et madame Michu qui tentent de sauver le monde. Le tout avec une bonne dose de recul faite d’auto-dérision et de parodie. Paradoxalement, c’est quand le super-héros ne se prend plus trop au sérieux qu’il est le plus adulte.

Kick Ass, Prométhée des temps modernes

Pour Superman, Umberto Eco parle de mythologie et il a bien raison. On retrouve dans l’évolution narrative des comics, une cosmogonie assez semblable à celle des Grecs. Les Dieux arrivent et créent le monde, supérieurs en tout, comme le sont les super-héros. Ils s’affrontent entre eux, et on ne compte plus les déchirures qui traversent les super-héros, et à la fin, ils laissent les humains seuls ou presque. Dave Lizewski est un Prométhée qui doit prendre son courage à deux mains. Dans les deux cas, le mythe, la fiction et la réalité historique se mélangent.

Sur ce point là, les auteurs français ont  peut-être eu beaucoup plus d’avance. Comme je le signalais dans un article précédent, le genre du super-héros-Dieu n’a jamais vraiment pris dans l’hexagone. Dieu étant mort chez nous depuis bien longtemps. Nous sommes directement passés à l’humain ordinaire un peu ridicule mais terriblement attachant et à la parodie. Si Superman est l’Amérique, la France est elle Superdupont. A chacun ses mythes…

Laureline Karaboudjan

Illustration de une: extrait de l’album photo public d’Herbert Chavez sur Facebook, DR.

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Un chien plutôt qu’un musulman aux côtés de Superman

Un héros musulman devait accompagner Superman dans sa dernière aventure. Elle a été remplacée au denier moment par une histoire sans saveur avec… un super-chien. Polémique, forcément.

Muslims vs. Comics, épisode II. Il y a quelques mois, des conservateurs américains s’étaient offusqués qu’un épisode de Batman mette en scène un héros français d’origine algérienne et musulman. Selon eux, il ne représentait pas suffisamment la vraie France et il aurait mieux fallu un bon vieux paysan avec son béret et sa baguette. Une polémique qui avait été pas mal relayée dans l’hexagone (relire ici mon papier de l’époque).

Là, c’est globalement la même idée. Le mois dernier l’éditeur américain DC annonce que le prochain épisode de Superman, le #712, mettra en scène le super-héros en compagnie d’un certain Sharif. DC décrivait ainsi l’épisode: «Rencontrez le nouveau super-héros de Los Angeles: Sharif! Mais Sharif découvre que dans le climat culturel actuel (today’s current cutural climate), certaines personnes ne veulent pas de son aide, elles veulent juste le voir partir. Superman pourra-t-il aider Sharif et apaiser la foule, ou y-a-t-il des problèmes que The Man of Steel ne peut pas régler?»

Superman pour ramener la concorde entre les civilisations: joli programme. Sauf que DC annule finalement la publication et la remplace par une aventure avec un chien, Krypto the Superdog, dans laquelle, globalement, Superman sauve des chats. L’éditeur a expliqué que «l’histoire préalablement annoncée n’a pas été publiée car elle ne fonctionnait pas avec la trame générale de la série Grounded (la dernière en cours de Superman)».

Pour Chris Sims du site internet Comics Alliance, cette excuse est trop vague pour qu’on ne se pose pas des questions. Selon lui, Superman a été  mis en scène ces dernières années dans des scénarios tellement improbables comme “brûler des maisons de dealers de drogues avec sa vision de feu” ou “aider des aliens à construire une usine pour revitaliser l’économie”, qu’il parait difficile pour une histoire de ne pas respecter la ligne, puisqu’il n’y a plus de ligne.

Surtout, le site révèle que même des personnes directement impliquées, comme Chris Roberson, l’un des scénaristes, ont appris au dernier moment que l’histoire était annulée et remplacée par une autre.

De plus, Sharif n’est pas totalement une création, c’est une ré-interprétation d’un personnage déjà apparu en 1990. Et d’ordinaire DC n’a pas froid aux yeux. Pour preuve l’épisode récent avec le héros français et musulman dans Batman ou, en avril dernier, la volonté de Superman de renoncer à la nationalité américaine car il ne se reconnaissait plus dans la politique de son pays d’adoption.

“Islamophobie rampante”

Pour Comics Alliance, c’est justement dans ces derniers épisodes qu’il faut chercher la raison de l’évincement de Sharif. Après deux grosses polémiques “Batman aide des potentiels terroristes” et “Superman déteste l’Amérique”, DC n’aurait pas osé prendre le risque d’en créer une troisième. Peut-être moins pour des raisons politiques que purement mercantiles. A l’heure où DC cherche de nouveaux publics, la trame “Superman inspire un héros musulman pour faire le bien dans le monde” serait plus clivante que des histoires de chiens et de chats… Pour le blog Death and Taxes, tandis que le Sharif des années 90 ne posait pas de problème, «aujourd’hui le pays a succombé à une islamophobie rampante et DC doit tenir compte des critiques des conservateurs».

Deux points: il est tout d’abord fascinant de voir à quel point les super-héros sont devenus un enjeu de pouvoir aux Etats-Unis entre démocrates et conservateurs. Savoir que désormais DC recule par avance face à de potentielles polémiques est plutôt inquiétant.

Second point: la «question musulmane» en elle-même. La culture populaire américaine est en partie construite sur la notion de bien et de mal. L’islamiste (généralisé en musulman) est depuis le 11 septembre 2001 ce qu’était le Russe pendant la guerre froide: l’ennemi. Sauf qu’avec le communiste, c’était assez simple: pour qu’il rejoigne les gentils, il lui suffisait de passer à l’Ouest en adhérant aux valeurs du monde libre et capitaliste. Pour le musulman, c’est plus compliqué. Il ne peut pas décemment quitter sa religion, or, pour beaucoup de conservateurs, l’Islam est le mal.

Donc, pour eux, un musulman, s’il ne renie pas ses valeurs et sa religion, ne peut pas faire le bien puisque que ce sont ses croyances qui sont à l’origine de tous les problèmes. Accepter un héros musulman, c’est accepter que cette religion puisse faire le bien. Pour des conservateurs américains, «it’s complicated» comme on dit sur Facebook.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait de la couverture de l’épisode #712 non-paru, DR.

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Oussama Ben Laden ne pouvait pas lutter


Dans la droite ligne de mon article précédent sur Superman n’aurait pas tué Ben Laden, un détournement amusant de la désormais célèbre photo de la Situation Room avec tous les principaux personnages grimés en Super-héros. On notera que Barack Obama a très logiquement été déguisé en Captain America.

Petit test. Combien arriverez-vous à en reconnaître? J’attends vos réponses dans les commentaires!

D’ailleurs, dans la vraie vie des comics, les supers-héros fonctionnent assez régulièrement en groupe, comme les X-men:

Watchmen (ici les Minutemen, qui ont préfiguré dans les années 1940 les futurs Gardiens):

Dragon Ball Z chez les Japonais:

La Situation Room est elle devenue un meme, The Atlantic en a recensé une bonne collection:

 

PS:  pour la première photo, vue sur Twitter grâce à @HenryMichel.

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Superman n’aurait pas tué Ben Laden

Le héros de comics était le surhomme de la situation à Abottabad. Sauf qu’il aurait livré Ben Laden à un tribunal.

Bien-sûr, un commando héliporté, suréquipé et surentraîné, dont on peut suivre les opérations en temps réel depuis une salle de la Maison Blanche, ça a de la gueule. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée que l’homme, ou plutôt le surhomme, de la situation pour intervenir dans la résidence de Ben Laden, c’était Superman. Ne serait-ce qu’en terme de symbole, qui d’autre que Superman, incarnation suprême de l’Amérique, aurait été mieux placé pour mettre une trempe au super-terroriste? Après tout, au cours de la Seconde guerre mondiale, c’est bien le super-héros en rouge et  bleu que convoquaient les auteurs de comics pour rosser l’ennemi public numéro 1 de l’époque : Adolf Hitler.

Mais si Superman avait du intervenir au Pakistan, les choses se seraient probablement passées autrement pour Ousama Ben Laden. Et en tout état de cause, le terroriste n’aurait pas été tué. D’abord parce qu’il le peut : avec ses super-pouvoirs, nul doute que le héros dopé à la kryptonite aurait pu exfiltrer Ben Laden sans effusion de sang. Mais surtout, Superman n’aurait pas tué Ben Laden car ce n’est pas dans son éthique de tuer des gens. Car si le super-héros a la capacité d’intervenir sans donner la mort, l’inverse est tout aussi vrai. Pourtant, dans ses aventures, il me semble qu’à aucun moment celui qu’on appelle Clark Kent dans le civil ne tue un de ses adversaires. Car Superman est avant-tout un héros moral.

Je pourrais convoquer des philosophes pour traiter de la question. Spontanément, je pense à Nietzsche et ses concepts de volonté de puissance et d’Übermensch, mais également à Emmanuel Kant pour traiter de la morale. Mais certains font ça mieux que moi, comme ce professeur de philo américain qui n’hésite pas à utiliser une aventure de Superman comme exemple de la pratique du jugement au sens de Kant, ou, bien-sûr, l’écrivain italien Umberto Eco qui évoque le super-héros à propos de Nietzsche dans son livre De Superman au surhomme. Ce qui est certain, c’est que Superman, au-delà de ses muscles, incarne une certaine vision du “bien”, très empreint de tradition judéo-chrétienne ce qui explique son aversion au meurtre.

Superman aurait agi sous mandat de l’ONU

Superman à la place du commando américain à Abbottabad : très bien, mais Superman en a-t-il seulement envie? Rien n’est moins sûr depuis la parution de  sa 900ème aventure aux Etats-Unis, ou après une dispute avec le gouvernement américain, le Man of Steel envisage de renoncer à la citoyenneté américaine. Evidemment, les lecteurs conservateurs s’indignent de voir un des symboles des Etats-Unis tergiverser de la sorte. Car Superman, ne l’oublions pas, est l’incarnation absolue de l’ American dream. Parfait, puissant, sauveur des faibles et des opprimés, il est symbole de réussite et n’a pas de vice. Il est ce que l’Amérique voudrait être. Il a d’ailleurs été créé à une époque où le pays avait besoin d’espoir, dans les années 30, après la crise économique. Ses deux auteurs viennent eux de la Manufacturing Belt, de Cleveland, de la classe moyenne.

Si Superman renonce à la nationalité américaine, cela peut signifier deux choses. Soit cela veut dire qu’il n’a plus envie d’incarner ces valeurs primordiales. Soit il estime que les Etats-Unis ne représentent plus ces valeurs et qu’il faut donc s’en séparer. C’est plutôt cette deuxième option qui semble prévaloir puisque Superman explique dans cette aventure être “fatigué de voir mes actions interprétées comme des instruments de la politique américaine“. Aussi, si Superman avait du intervenir à Abbottabad, il l’aurait probablement fait sous mandat de l’ONU. Et l’on imagine mal une résolution des Nations Unies autorisant le meurtre de qui que ce soit, fusse Oussama Ben Laden.

Superman, ce communiste sado-maso

Ce n’est en tous cas pas la première fois que le super-héros fait des infidélités à l’empire. Dans l’excellent Superman Red Son, les auteurs se demandent ce qu’il serait adevenu si Clark Kent était né en URSS. Grace à sa super intelligence, il finit par diriger une nation qui crée un communisme juste et parfait, et le répand à travers le monde. Un seul pays résiste alors à la doxa mondiale : les Etats-Unis capitalistes.

Autre anecdote, dans les années 50, Joe Shuster, l’un des deux créateurs, alors en difficulté financière, illustra anonymement un recueil de nouvelles SM avec des personnages ressemblant comme deux gouttes d’eau à Clark Kent et Lois Lane. On peut y voir le premier fouettant la seconde, manière narquoise de prendre ses distances avec les valeurs de Superman (à lire sur le sujet un long papier dans le dernier numéro de la revue L’imparfaite).

D’autres héros aussi ont déjà marque leur distance avec le gouvernement des Etats-Unis. Il y a quelques années, un autre symbole des Etats-Unis, Captain America, s’érigea contre le Super-Human Registration Act (Loi de recensement des surhommes) une métaphore évidente du Patriot Act de l’administration Bush. Dans le crossover Civil War, Captain America prend même la tête des réfractaires à cette nouvelle législation. Ils finissent d’ailleurs par affronter les troupes loyalistes menées par Iron Man dans un combat épique en plein New-York.

Ces libertés prises avec la politique officielle américaine par les super-héros déplaisent généralement aux conservateurs, qui considèrent grosso modo que les maisons d’édition de comics comme Marvel ou DC Comics sont des repères de démocrates ébouriffés. Ils ont donc le sentiment que leurs supers-héros sont confisqués et mis au service d’une idéologie partisane. Les supers-héros ne sont plus l’Amérique, ils sont devenus une vision de l’Amérique, et cela ne plaît pas forcément à tout le monde. Les conservateurs ont ainsi récemment mal pris qu’un héros français et musulman vienne seconder Batman ou que le nouveau dessin de Superman fasse passer Clark Kent pour un vampire hipster des quartiers branchés de New York, loin de son image virile et campagnarde originelle.

Il est loin le temps du Comic Code Authority, où une véritable censure s’exerçait sur les publications. Des regrets?

Laureline Karaboudjan

 

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Superman devient un vampire hipster de Twilight

Superman

Superman transformé en adulscent new-yorkais branchouille peut-il encore sauver l’Amérique?

Polémique aux Etats-Unis pour la sortie du dernier album de Superman. Le camarade Clark Kent, normalement représenté comme un journaliste d’âge mur mais sexy ( un peu comme les rédac-chefs de Slate) avec des lunettes, apparaît là sous des traits rajeunis. Pour tout dire, il ressemble un peu maintenant à un héros de Twillight ou à Peter Parker, alias Spiderman. “Oui, et alors, de toute façon il vient de Krypton”, me direz-vous, sauf qu’aux Etats-Unis, ce changement abrupt ne va pas de soi.

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Le nouveau Clark Kent

Le magazine The Week s’interroge ainsi, «Superman nous revient-il en tant que hispter?» Difficile de traduire le terme de “hipster”. Disons que cela désigne actuellement les gens qui sont tellement cools qu’ils peuvent porter des fringues ultra-ringardes et avoir l’air tendance. Le mieux est de regarder la vidéo Being a Dickhead’s Cool pour comprendre. “Hipster” aux Etats-Unis, c’est un peu comme “bobo” en France : quand le terme est utilisé c’est souvent de manière négative et la plupart du temps à tort et à travers. Et donc pour The Week, Superman, “ce symbole de la masculinité” revient avec des traits qui énervent les fans et les critiques. Clark Kent deviendrait un hipster de centre-ville, bien loin de l’américain moyen qu’il devrait incarner normalement. Et c’est ce qui était voulu par DC Comics, comme l’éditeur l’a expliqué : rendre le héros plus sexy, plus “moody” pour que les jeunes acheteurs s’y reconnaissent plus. Ainsi pour le magazine Death and Taxes, Superman devient une Superbitch (super salope) “ce n’est pas parce que les jeunes sont devenus des gothiques masochistes nymphomanes obsédés par la mort, le sang et les pénis effervescents de vampires que tous les scénaristes et les artistes ont besoin de créer tous leurs héros sur le modèle de Robert Pattinson (Twillight).» Et l’auteure de l’article d’expliquer qu’elle aurait préféré avoir un Superman acnéique et gros plutôt que ça.

Bien-sûr, tout le monde ne critique pas ce nouveau look. Sur CBS News, la journaliste Katie Couric rappelle que nous sommes en 2010 et que c’était peut-être le moment d’évoluer un peu, même si elle comprend que les fans soient surpris. Pour Glen Weldon de la National Public Radio, tout ça n’est que du blabla de médias prêts à polémiquer. Il rappelle que cet épisode n’est qu’un one shot peu relié à la série principale. Pour lui, ce qui est fondamental ce n’est pas la marque du jean de Superman, c’est son caractère, comme pour tous les autres héros de comics, et ça, ça ne peut pas changer.

Fondamentalement, il a raison. Mais la polémique reste intéressante, tout d’abord parce que, récemment, ce n’est pas la première du genre. En juillet dernier, le relooking d’une Wonderwoman affublée de leggings avait aussi fait débat. L’idée centrale reste toujours la même: on ne touche pas aux super-héros. Ce sont des icônes nationales et les modifier est un crime de lèse-majesté. Chacun incarne des valeurs types qui se recoupent, et tous ensemble ils forment une sorte d’idéal de l’American spirit.

Pour Superman c’est encore plus particulier. A l’instar de Captain America, il est l’Amérique à lui tout seul, il ne peut donc pas avoir de défauts. Dans leurs origines mêmes, les latitudes offertes aux personnalités de Spiderman, Batman ou d’autres, sont plus grandes. Ils sont toujours des cas particuliers, un morceau d’Amérique. Superman, lui, est le  mythe américain entier. J’avais développé un peu plus cette idée ici.

C’est intéressant de voir que la polémique vient au moment des élections américaines qui ont fortement divisé et où l’enjeu a été de savoir, pour les électeurs, quelle société ils voulaient. Habiller d’une certaine manière Superman, comme un jeune cool de 20 ans hipster de centre-ville, c’est donc forcément le transformer en un étudiant démocrate, peut-être gay. Ce n’est alors plus un bon cadre qui travaille à la ville en conservant ses valeurs campagnardes, et qui est potentiellement autant républicain que démocrate (enfin plus républicain quand même).

A d’autres époques, plus apaisées, les modifications apportées à Superman seraient peut-être passées inaperçues. Rappelons-le, ce héros a déjà été communiste! C’était dans Superman Red Son, une excellente BD publiée en 2003. Pas de polémiques outre-mesure à l’époque. Alors qu’aujourd’hui,  en pleine crise économique et de valeurs, il ne faudrait pas y toucher. Pour les vrais hommes virils, ce petit hipster ne semble pas capable de sauver le monde, et comme c’est l’incarnation de l’Amérique, cela veut dire qu’elle non plus. Drame.

Et chez nous?

En France, la question ne se pose pas pour les héros de bandes-dessinées. Tout d’abord, ils ont rarement rang d’icônes nationales (en plus, ils sont souvent belges). Surtout, les personnages, au contraire des Etats-Unis, appartiennent le plus souvent aux auteurs et non pas aux maisons d’édition. Ils risquent donc moins d’être changés à Touboutchan. Ce qui peut éventuellement faire jaser, ce sont plutôt les dérivés commerciaux qui peuvent en être tirés, comme la récente campagne de McDo avec Astérix. Polémique vaine alors que le vrai scandale, rappelons-le, est la médiocrité des derniers albums mettant en scène nos Gaulois.

Je ne vois que Spirou avec qui on pourrait établir un parallèle avec les personnages de comics. C’est le seul de nos héros principaux à suivre le temps présent (Astérix reste en -52, Lucky Luke et Blueberry à la conquète de l’Ouest, Tintin est mort avec Hergé, Blake et Mortimer se sont stabilisés dans d’uchroniques années 50). De plus, l’éditeur Dupuis, à qui appartient la série, fait se succéder les duos d’auteurs pour s’occuper du groom. Les derniers albums se passent dans le temps présent, avec les dernières technologies, et la physionomie des personnages ou le style du dessin n’ont plus grand chose à voir avec les premiers de Rob-Vel. Sauf que dans l’idée, Spirou reste accoutrée de son uniforme de groom et, fondamentalement, l’enchaînement action-innovation technologique est resté la sauce de base de chaque scénario (à ce titre, le dernier, Alerte aux Zorkons, est pas mal du tout dans le genre). Et comme Dupuis pense à tout, pour les nostalgiques des Trente Glorieuses, il y a le Petit Spirou (dont le prochain album, Tiens-toi droit, sort prochainement) et pour les adultes, la série Une aventure de Spirou et Fantasio par, qui confie le personnage à de grands auteurs de BD pour des résultats excellents.

Il n’y a que Tome et Janry à avoir essayé de changer profondément Spirou, au début par petites touches – il embrasse une fille dans Luna Fatale – puis radicalement, avec La Machine qui rêve en 1998. Là Spirou n’est plus Spirou, c’est à peine le héros principal de l’histoire, il est passif au lieu d’être sur-actif, on ne comprend pas tout, l’atmosphère est sombre et les dessins sont réalistes. Le tournant proposé n’avait pas vraiment pris auprès de public. Dommage, je le regrette encore.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Montage avec l’ancien et le nouveau Clark Kent, DR.

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