Villepin à l’ONU, côté coulisses

Le deuxième tome de Quai d’Orsay, qui sort ce vendredi , continue de révéler l’envers du décor de la diplomatie française. Mais c’est surtout une BD très drôle.

Le deuxième tome de Quai d’Orsay est dans les bacs, et pour tout fan de BD, c’est sûrement l’une des meilleures nouvelles de cette fin d’année. La sortie du premier opus, en 2010, avait été accueillie de manière très enthousiaste par le public et la critique. J’y avais d’ailleurs consacré un billet. Christophe Blain au dessin et Abel Lanzac, ancien collaborateur du Quai d’Orsay, au scénario arrivaient à retranscrire de manière surprenante l’atmosphère enfiévrée d’un cabinet politique. En l’occurrence celui de Dominique de Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères.

Si le premier tome était composé de diverses saynètes du Quai d’Orsay, ce nouvel opus se concentre sur les coulisses d’un des discours les plus célèbres de la dernière décennie. Mais si, souvenez-vous, c’était avant le CPE et Clearstream, quand Dominique de Villepin était le phare du rayonnement de la France, et que la grande tige se faisait applaudir à tout rompre, le 14 février 2003, aux Nations Unies à New-York. C’était autre chose que Douste-Blazy.

Même si l’effet de surprise n’est plus là, le second tome reste dans la lignée du précédent, toujours aussi efficace. Rien d’étonnant car, comme le confie Christophe Blain, «l’album a été écrit dans la continuité du premier. On a achevé les planches du premier avant l’été 2009, et en septembre on attaquait le second. Ca s’est fait bien avant la sortie même du premier album. Le succès du premier ne nous a donc pas mis la pression». Car le premier album, distribué initialement à 15.000 exemplaires en librairies, s’est est fait vendu à plus de 110.000 copies. Du coup, c’est un tirage aussi important qui est prévu pour le second.

Quelques différences, tout-de-même, entre les deux volumes. Avec cette suite, on est moins dans la découverte, en suivant le héros principal, dans les petites scènes d’exposition, mais dans le sérieux avec les négociations qui s’enchaînent. Pourtant, malgré la complexité de certaines thématiques, la BD n’est jamais pesante. «L’écriture est très tendue, très remaniée, pour qu’il y ait toujours de la fluidité, explique Christophe Blain. Il ne fallait pas être explicatif, il ne faut pas que le lecteur doive retourner à chaque fois dix pages en arrière pour comprendre de quoi on parle». Du coup, quelques artifices sont déployés pour faciliter la lecture: «Il y a beaucoup plus de conseillers et de directeurs en réalité, et le fonctionnement d’un cabinet est bien plus complexe, confesse Blain. Mais on a du réduire le nombre de personnages, sinon ça aurait été imbitable. Certains personnages sont chimiquement purs, comme le directeur de cabinet (ndlr: Pierre Vimont, qui est maintenant à la tête de la diplomatie européenne) ou le conseiller Moyen-Orient, d’autres sont des synthèses de plusieurs personnes». «Quand on a vécu dans un milieu, on entend encore parler les personnages, explique ainsi Lanzac au Monde.fr – qui après avoir arpenté les cabinets ministériels est aujourd’hui inventeur de jeux de société! – «Face à une situation, on sait ce qu’ils auraient pu dire. On peut les faire parler, bouger à perte de vue.»

Dark Vador, X-Or, Minotaure

Hormis ces quelques arrangements, tout ce que raconte le diptyque des Quai d’Orsay est véridique et c’est pour cela que c’est aussi drôle. La scène d’anthologie où Taillard de Vorms (l’avatar de De Villepin dans la BD) ne peut s’empêcher de donner un cours de géopolitique quand il est en vacances au Club Med, pour le plus grand bonheur des touristes, est forcément vraie. Tout comme le désopilant passage où tout le cabinet ministériel s’entasse dans un avion Falcon étriqué et très bruyant. «J’ai l’habitude de dessiner des trucs épiques, en décalage par rapport à la réalité, analyse Blain. Là je voulais rentrer dans la réalité, je me suis pris à contre-pied. Mais parler de politique, j’en ai rien à faire. Si je m’y suis intéressé, c’est grâce à Abel et aux histoires qu’il m’a racontées. C’était déjà de la BD».

Dans ma précédente chronique, j’avais eu l’occasion de développer tout ce qui faisait que Villepin était un parfait héros de BD. Une des grandes qualités de Quai d’Orsay, c’est que ses auteurs ne collent pas absolument à la personne de Dominique de Villepin («De toutes façons, les biopic, c’est toujours très chiant», tranche Blain) mais se l’approprient, et la réinterprètent. Dans le premier opus, le ministre était parfois représenté en Dark Vador ou en X-Or. Dans ce second album, il se métamorphose en Minotaure errant dans le dédale de la diplomatie. A l’instar de films comme la Conquête ou l’Exercice de l’Etat, Quai d’Orsay fait de l’homme politique une figure mythologique des temps modernes.

Laureline Karaboudjan

Illustrations: extrait de la couverture de Quai d’Orsay 2, DR.

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Le Festival d’Angoulême dévoile sa sélection officielle

AngoulemeBaru
Le jury du plus grand festival de BD vient de dévoiler sa sélection officielle. Présentation de mes préférées.

Le jury d’Angoulême vient de dévoiler sa sélection officielle pour le prochain festival qui se tiendra du 27 au 30 janvier prochains. Toute la liste est ici. Voici quelques unes de ces BDs qui m’ont le plus marquée cette année (si je ne parle pas des autres, c’est soit que elles ne me paraissent pas être une des meilleures BDs de l’année, soit parce que je ne les ai pas (encore) lues). Comme le jury a globalement bon goût, on retrouvera certaines de ces BDs dans mon top de l’année que je ferai début décembre (je me spoile moi-même d’une certaine manière). Pour ne pas faire de jaloux les albums sont dans l’ordre d’apparition dans la liste du festival.

On peut noter l’absence de quelques poids lourds de la BD et qui sont habituellement nominés à ce genre de prix comme le Spirou de Trondheim, le Tome 4 de Blacksad (chroniqué ici) ou Chagall de Sfar. Perte de vitesse ou volonté délibérée de changement de la part du jury? Il faut dire que ces dernières années, les prix avaient tendance à rester dans le giron des mêmes auteurs (les deux cités plus haut auxquels on peut ajouter Sattouf ou Larcenet), qui ne manquent pas de talent (bien au contraire) mais qui représentent des courants assez similaires. Et puis bon, ça faisait parfois un peu copinage. Quoiqu’il en soit, on devrait voir de nouvelles têtes récompensées cette année, et c’est très bien. A moins que Blain avec son Quai d’Orsay… Le site Bodoï a déjà lui commencé ses pronostics.

Walking Dead – Un monde parfait (Robert Kirkman – Charlie Adland)

Décidément, Walking Dead cartonne. La série télévisée vient de commencer à être diffusée aux Etats-Unis (les deux premiers épisodes sont pas mal du tout d’ailleurs, très fidèles) et on est déjà au douzième album en France. Il y a toujours des moments qui m’énervent, certains dialogues, le fait que les mots importants soient en gras, j’ai l’impression d’être prise pour une idiote. Et pourtant, à chaque fois on est emporté par le scénario, on dévore les pages comme des zombies affamés et on frissonne. Même pour le Tome 12, sans doute le moins gore de tous, puisque nos héros découvrent un village encore à l’abri, où ils vont essayer de réapprendre à vivre. On se doute que l’accalmie ne va pas durer.

Trois Christs (Valérie Mangin – Denis Bajram)

Si je ne suis pas complètement emballée par le dessin, je ne peux que saluer l’ambitieuse tentative de Trois Christs. A partir de cases et de dialogues similaires, mais réorganisés, Valérie Mangin et Denis Bajram créent trois histoires différentes autour du Suaire du Christ. Une manière de montrer qu’il n’y a pas qu’une seule vérité, mais de multiples façons de la raconter. Une démarche proche de l’OuBaPo, mais qui s’exprime dans une bande-dessinée volontiers grand-public, accessible et divertissante.

Quai d’Orsay (Abel Lanzac – Christophe Blain)

Sur Quai d’Orsay, j’ai écrit une chronique complète. Ca m’arrive rarement. Un excellent album, tout simplement, qui met en scène un jeune thésard embauché dans le cabinet de De Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Vivement la suite.

Hmm. Mon fils… A nous deux nous pourrions fléchir l’Empereur et gouverner la galaxie.
On prend le contrôle de la force. TCHAC!
On fonde un nouvel ordre de chevalerie. TCHAC!
On rétablit la paix jusqu’aux confins des systèmes. TCHAC!

Pour l’Empire – Les Femmes (Merwann – Bastien Vivès)

J’avais bien aimé le premier tome de la série, intriguée par cet étrange péplum onirique qui met en scène une équipe de super-légionnaires, servi par les dessins naïf des auteurs qui font tout à quatre mains. J’ai trouvé le deuxième album encore meilleur. Les invincibles soldats de l’empire se retrouvent confrontés à un troublant ennemi: des amazones. Au-delà des combats, ce nouvel adversaire est l’occasion d’aborder, par touches, de grandes thématiques: les rapports hommes-femmes, le sexe et le sang, l’amour et la mort. Le tout avec beaucoup d’économie et (donc?) de puissance. A noter que Bastien Vivès a remporté déjà l’année dernière le Prix révélation pour Le Goût du Chlore. Le petit jeune qui monte.

Les derniers jours d’un immortel (Fabien Vehlmann – Gwen de Bonneval)

En début d’année, j’étais passée à côté de cet album. Grave erreur! De la science fiction comme on l’aime, capable de créer un monde unique et d’être en même temps intimiste, d’aborder des thèmes philosophique tout en étant très agréable à lire. Je n’en parle pas beaucoup car j’ai prévu de revenir dessus plus longuement. Bientôt… Mais vous pouvez déjà la voler, l’acheter ou vous la faire offrir sans risque. Un des meilleurs albums de l’année.

La parenthèse (Elodie Durand)

Sans doute une des BDs les plus émouvantes. L’auteur y retrace sa longue maladie, ses pertes de mémoires et ses doutes. Je l’avais déjà conseillée avant les vacances: “Un récit aux dessins simples, épurés, très émouvant, parfois un peu poétique, sans tomber dans le pathos. Dans les dernières plages, j’avais les larmes aux yeux”. Après une deuxième lecture, je ne retire rien de tout ça, bien au contraire.

Incognito – Projet Overkill (Ed Brubaker – Sean Philips)

Voilà une autre BD que j’avais déjà conseillée cette année (c’est quand vous voulez pour que je sois jurée à Angoulême…). L’histoire d’un ancien super-vilain qui s’est rangé, a balancé ses anciens comparses pour bénéficier d’un programme de protection gouvernementale et changer de vie. Mais il s’emmerde sec en employé de bureau modèle, sans relief, méprisé par ses collègues de la gent féminine. Alors c’est trop fort, il replonge. Ed Brubaker continue de faire montre de tout son talent au scénario en racontant une histoire vraiment bien ficelée, qu’on lit sans discontinuer. Haletant.

Il était une fois en France – Aux armes citoyens (Fabien Nury et Sylvain Vallée)

La fresque historique sur la Deuxième guerre mondiale, entamée par Nury et Vallée avec Il était une fois en France, approche du terme sans s’essouffler. Le destin de Joseph Joanovici, héros trouble au possible, à la fois juif et collabo, n’en finit plus de rebondir puisque le voilà confronté à la Résistance. A travers le parcours de ce personnage atypique, les auteurs dépeignent de manière originale et précise une des pages de l’histoire de France les plus traitées en BD. Un bel exploit qui rencontre également un gros succès de vente. La recette idéale pour être récompensé en Charente?

Gaza 1956 (Joe Sacco)

On ne présente plus Joe Sacco, l’auteur américain qui s’est fait une spécialité des reportages BD en zone de guerre, comme Gorazde ou Palestine. Dans Gaza 1956, le dessinateur-baroudeur-journaliste ajoute une corde à son arc : il se fait historien. L’auteur se penche sur une « anecdote » entendue au cours d’un de ses voyages dans la bande de Gaza : le massacre de 275 personnes complètement oublié par les livres d’Histoire. Joe Sacco décide de mener l’enquête et livre un travail tout simplement impressionnant. Témoignages nombreux, fouillés et recoupés aident l’auteur à disséquer véritablement l’événement. Ses talents de narration et de dessin lui permettent, en plus, de le rendre passionnant.

Château de Sable (Frederik Peeters – Pierre Oscar Lévy)

De Peeters, on se souvient de l’excellent Pilules Bleues. Château de Sable est lui un drame à huis clos à ciel ouvert. Ca ne se passe pas dans un manoir comme à Cluedo, mais sur une plage, et le principal ennemi est le Temps qui enferme et dévore tout le monde à une vitesse folle. A chaque demi-heure, les héros vieillissent de plusieurs années, et ils ne sont pas immortels, loin de là. L’horloge biologique de chacun des prisonniers involontaires va sonner de manière implacable. Comme vous vous en doutez, ça finit mal, mais c’est très beau.

Laureline Karaboudjan

PS: Rappelons qu’il y a aussi une sélection jeunesse (avec notamment le bon dernier Spirou) et une sélection patrimoine.

Illustration : Extrait de l’affiche du festival d’Angoulême 2011 dessinée par Baru, DR.

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Top 50 : les meilleures BD des années 2000 (de 20 à 11).

Quatrième et avant-dernier volet du Top BD de la décennie, avec les albums classés de la 20ème à la 11ème place. Vous pouvez retrouver le reste du classement avec les BD  de la 50e à 41e placecelles de 40 à 31 et celles de 30 à 21. Conclusion la semaine prochaine!

20.Blast, Grasse Carcasse (Manu Larcenet) – Dargaud – 2009

Blast vient de sortir, c’est la dernière oeuvre de Larcenet. Dans Le Combat ordinaire, le héros a un ami d’enfance, Bastounet. Gros, persuadé d’avoir raté sa vie, il part un jour sans retour. Sans que le lien soit formellement établi, Blast raconte un peu cette histoire sauf que le personnage, Polza Mancini, au lieu d’être un ouvrier est un écrivain gastronomique. Si, dans Le Combat ordinaire, il y a encore l’espoir, Blast, tout en encre de Chine, est une oeuvre très sombre. L’aboutissement d’un processus où l’homme devient clochard, où le présent, sous quelque angle qu’on le prenne, est sans issue. Polza est en garde à vue, il a fait “quelque chose à Carole“. Avant de tout avouer, il veut expliquer aux deux flics son parcours. Les raisons et ses blasts, ces moments où son esprit s’envole et qu’il atteint un stade d’extralucidité, que Larcenet traduit par des dessins de ses filles, les seuls instants en couleur dans un album en nuances de gris. Blast n’est que 20ème de ce top car il vient de sortir, car il y aura une suite et qu’il serait peut-être trop rapide de le classer plus en avant. Mais quelque chose me dit que dans le top 2010-2019 il sera plus haut. Beaucoup plus haut.

19. L’enquête corse (Pétillon) – Albin Michel – 2000

Pétillon a soupoudré la décennie des aventures de Jack Palmer. L’enquête corse reste ma préférée. C’est la plus drôle et la plus juste. Chaque dialogue est digne d’un Michel Audiard. La BD a connu un succès fou, au point d’être adaptée au cinéma dans un nanar bien de chez nous avec Jean Réno et Christian Clavier. Pétillon est un vieux de la vieille aujourd’hui. Mais sa capacité de toujours créer chaque semaine pour le Canard et une ou deux fois par an en format cartonné me surprendra toujours. Evidemment, les ficelles sont connues et on est rarement bouleversé. Mais, comme avec un bon Audiard, on sourit toujours, et, dans le cas présent, on ne peut s’empêcher d’aimer ces Corses qui savent reconnaître à l’explosion la distance et la longueur de la mèche.

18. Isaac le Pirate, Les Glaces (Christophe Blain) – Dargaud – 2002

Je suis une descendante de pirate, une vraie. C’est une histoire que je vous raconterai peut-être un jour. Donc, fatalement, j’ai une faiblesse pour les marins de tous bords, les tempêtes et les batailles. Quand on me demande mon prénom, je réponds toujours, Call me Laureline, référence à Moby Dick d’Herman Melville. Dans Isaac le Pirate, il y a tout ce que j’aime. Des pulsions sexuelles, des grands voyages, la mort. Rien que par sa couverture, Les Glaces est mon album préféré des cinq. Le navire dérive lentement, plus personne n’a vraiment de prise sur sa propre réalité. Les fantômes et la maladie les guettent, c’est certain. De là à dire qu’Isaac en oublierait sa bien-aimée, non bien évidemment. Mais il comprend, et nous avec lui, qu’il y a autre chose déjà.

17. Pyongyang (Guy Delisle) – L’Association – 2003

La République Populaire de Corée du Nord, ses paysages charmants, sa dictature, ses ateliers de dessin, sa dictature, ses monuments géants, sa dictature. Guy Delisle, après avoir raconté la Chine de Shenzen et avant de sortir ses Chroniques Birmanes, raconte son expérience nord-coréenne dans le meilleur de ses trois carnets de voyage. Pendant trois mois, l’auteur a encadré un atelier de dessin animé dans la dernière dictature stalinienne du monde. Ca n’a pas l’air funky comme ça – d’ailleurs, ça ne l’a pas vraiment été – mais ça a permis à Delisle de livrer un témoignage exceptionnel (très rares sont les Occidentaux à être admis en RPDC) sur la vie quotidienne de l’autre côté du 38ème parallèle. Le trait est simple, presque naïf, et sert du coup parfaitement un propos proprement hallucinant. Heureusement, dans l’enfer gris, l’auteur conserve humour et détachement. L’antidote au totalitarisme?

16. Lost Girls (Alan Moore, Melinda Gebbie) – Post Shelf Productions – 2006

Je le savais. Je l’ai toujours su. Alice cède volontiers à la concupiscence, Wendy se complait dans le stupre et Dorothy n’est qu’une petite cochonne délurée. Quand les héroïnes du Pays des Merveilles, de Peter Pan et du Magicien d’Oz se retrouvent dans un sanatorium autrichien à la veille de la première guerre mondiale, elles se racontent leurs histoires de cul. Trois âges (pour respecter la date de publication des trois ouvrages, ayant 20 ans d’écart chacun), trois expériences, une seule et même célébration de la vie quand l’Europe s’apprête à entrer dans une danse macabre. Une œuvre conçue en couple, puisque Melinda Gebbie, excellente aux pastels, est la compagne d’Alan Moore qu’on ne présente pas. Deux vieux amants qui, comme dans la chanson, savent “être vieux sans être adultes“.

15. Le Roi des Mouches, Hallorave (Mezzo, Michel Pirus) – Glénat – 2005

Le Roi des Mouches, à ne pas confondre avec Sa Majesté de la même espèce, c’est une sorte de gros trip à l’acide aux fondements particulièrement sombres. Le décor: un suburb américain lambda. Le héros: un adolescent paumé, complètement accro à ses pilules, au point de virer psychotique et d’adorer s’affubler d’un énorme masque de mouche. Et nous voici embringués pour une histoire où le sexe, la drogue et le rock’n roll ont rarement été aussi intimement liés en un cocktail démoniaque. Le dessin est très sobre et ne cache pas ses influences américaines (Burns ou Clowes). Il est sublimé par une mise en couleur toute particulière, aux tons psychédéliques. Les personnages se quittent, se retrouvent, se croisent, dans un scénario complexe, entêtant et addictif, vraie drogue dure. A lire en écoutant Joy Division ou les Black Angels.

14. Lincoln, Crâne de Bois (Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray) – Paquet – 2002

Chier. Putain. No Future. Lincoln est un cow-boy, fils d’une pute et d’un alcoolique. Élevé à coups de torgnoles, gueule cassée mais sacrément intelligent. Sacrément égoïste aussi. Et râleur. Bah ouais, Putain, Chier, pourquoi aimer la vie? Il rencontre Dieu qui croit en lui. Drôle d’idée. Il le rend immortel. Le Tout-puissant veut qu’il sauve le monde. Lui en a rien à faire. Chier, putain. Lincoln est la création d’une même famille, les Jouvray, aux dessins, au scénar et à la couleur. Le dessin est assez simple, les couleurs aussi, et le scénario est plaisant, mais chier, putain, ça marche. Peut-être parce qu’au delà d’un simple cow-boy râleur, cette BD dresse un tableau assez juste d’une certaine jeunesse. Un peu désabusée, un peu emmerdée, à la recherche du plaisir, pas vraiment de morale, ni de gauche ni de droite, mais qui, au final, ne peut pas s’empêcher d’avoir un grand coeur.

13. Spirou, le groom vert-de-gris (Yann et Schwartz) – Dupuis – 2009

Je crois que j’ai déjà un peu tout dit sur ce Spirou dans cette chronique. L’un des albums pour moi les plus réussis. Parce que Yann a réfléchi très longuement au scénario et que chaque case est un hymne à la bande dessinée, comme les films de Tarantino en sont au cinéma. Au point parfois d’en oublier le réel ? C’est ce que pensent certains esprits chagrins, comme Joann Sfar qui a accusé Yann d’antisémitisme latent et de prendre trop à la légère la Seconde Guerre Mondiale. Querelle de générations ? Peut-être. Moi, je continue de ne pas bouder mon plaisir, de lire et relire cette BD, car et c’est une évidence de l’écrire, c’est aussi par le rire que l’on prend conscience de l’horreur de la guerre.

12. Peter Pan, Crochet (Loisel)- Vents d’Ouest – 2001

Le deuxième Loisel de ma liste. La série que tous les amateurs de BD ont lu. Il fallait oser s’attaquer à cette oeuvre qui dans l’esprit de beaucoup tient un peu du monde des Bisounours, Disney oblige. Tragique par moments, certes mais Bisounours quand même. Avec Loisel, on est plus dans le Dickens, avec Peter Pan qui a une mère alcoolique et Jack l’Eventreur qui n’est jamais loin. Comme toujours il aura fallu une quinzaine d’années pour arriver au bout de ce cycle, sans doute plus symbolique des années 1990. Dans Crochet, on est dans une sorte d’apogée du principe de cette série. Des allers et retours permanents entre les mondes réels et féériques, de la couleur et du noir sans savoir où est le bien et le mal, des aventures physiques et un affrontement psychologique éprouvant. Et le crocodile, évidemment.

11. Le chat du rabbin, la Bar Mitsva (Joann Sfar) – Dargaud – 2002

Oui, d’accord, chaque nouvel album s’est retrouvé en tête de rayon dans les supermarchés culturels et le Chat du Rabbin, avec Titeuf et quelques autres, est sûrement un des plus gros succès commerciaux de la décennie. Mais est-ce immérité? Il suffit de se replonger dans le premier opus de la série pour se convaincre du contraire. Sfar met tous ses talents de conteur au service d’une histoire où les chats devisent de religion, les rabbins et les imams s’entendent et où l’on peut rire des Juifs sans risquer de procès mal-intentionnés. Une jolie fable sur la tolérance, bien écrite et érudite, illustrée par le trait inimitable de Sfar, le meilleur des dessinateurs qui ne savent pas dessiner. Ah, en ces mois hivernaux,  je prendrais bien un thé à la menthe en caressant doucement le félin savant…

Laureline Karaboudjan

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