Ils dessinent pour le Japon

Japon

Pour récolter des fonds, des illustrateurs francophones se mobilisent.

L’initiative n’aurait peut-être jamais vu le jour pour une catastrophe touchant un autre pays (à part la Belgique). Elle n’en est pas moins louable, et illustre le lien fort qui unit certains dessinateurs avec le Japon, terre de BD s’il en est. Depuis quelques jours, le projet “Tsunami, des images pour le Japon” fait pas mal parler de lui. Le principe est simple: des membres de la communauté de graphistes Café Salé, émus par la catastrophe japonaise, ont décidé d’ouvrir un site Internet dédié à la collecte de dessins sur la tragédie japonaise. Ces dessins seront ensuite revendus aux enchères dans une galerie spécialisée à Paris et rassemblés dans un ouvrage collectif prévu pour la rentrée prochaine. Les bénéfices doivent être reversés à Give2Asia, une association de soutien aux victimes de la catastrophe.

Au-delà de sa portée humanitaire, l’exercice est intéressant car il pose un certain nombre de questions. Comment rendre un hommage juste à travers un unique dessin? Faut-il une oeuvre joyeuse et porteuse d’espoir ou une illustration qui signifie la peine et la compassion? Comment jouer avec les clichés japonais sans tomber dans la caricature? Autant d’interrogations qui donnent, du coup, lieu à une production assez diversifiée, aux inspirations assez variées. Je vous ai fait une petite sélection personnelle en essayant d’établir une typologie de ces différentes oeuvres.

Le Japon antique et médiéval

Boulet

Parmi les grandes sources d’inspiration des dessinateurs, il y a de nombreuses évocations du Japon antique ou médiéval. L’illustration de Boulet en est un très bon exemple, faisant figurer un samouraï d’estampe en train de lutter contre les flots. La tension du combat est renforcée par un face-à-face haletant entre le guerrier et la vague, transformée en un de ces fameux monstres de la mythologie japonaise. La figure du samouraï pour personnifier le Japon donne l’image d’un pays tenace, prêt à lutter jusqu’au bout. Ce qui explique peut-être pourquoi on retrouve des samouraïs dans un certain nombre d’oeuvres du projet Tsunami ( ou par exemple).

La zenitude

Gaspard Delanuit

Comme un contraste avec le fracas des évènements que vient de vivre le Japon, plusieurs dessinateurs ont choisi de faire des dessins très apaisés. Ils rendent ainsi hommage à un des grands traits supposés de la culture japonaise : le zen. Si l’on trouve plusieurs illustrations figurant un milieu naturel (comme ici), celle de Gaspard Delanuit me plait particulièrement car elle est en milieu urbain, que l’on associe pas forcément à l’idée d’un paysage zen. De son dessin se dégage une grande sérénité, qui vire à l’inquiétant avec l’absence de toute forme humaine et ce ciel rouge menaçant.

L’affiche de propagande

JP Kalonji

Certains dessins du projet Tsunami reprennent eux l’esthétique de l’affiche de propagande. C’est le cas de cette illustration de JP Kalonji qui détourne la célèbre photo d’Iwo Jima où des soldats américains plantaient un drapeau au sommet de l’île contrôlée par les Japonais en 1942. Le renversement n’en est, du coup, que plus étonnant. Ici, le peuple japonais ne combat que la fatalité et reste uni autour de son drapeau malgré l’adversité. Une idée que l’on retrouve dans d’autres dessins très allégoriques, comme celui-ci par exemple.

Le soleil levant

Minikim & Séverine Gauthier

Evidemment, une foule de dessin fait figurer le motif du soleil levant, caractéristique du drapeau japonais. Mais dans ce dessin comme dans beaucoup d’autres (, ou ), le disque rouge évoque plutôt un soleil couchant, triste et flou. Toutefois, l’espoir est symbolisé par la petite fille qui peint un soleil radieux sur les ruines du tremblement de terre. Malgré l’âpreté de la réalité, il restera toujours le dessin pour ré-enchanter le monde.

L’hommage à des mangas célèbres

Quibe

Un certain nombre de dessinateurs ont choisi de rendre hommage au Japon à travers ses mangas les plus fameux. Une démarche relativement logique pour des illustrateurs. Ainsi, Quibe figure, dans un de mes dessins préférés, un Goldorak noyé par le tsunami. On retrouve le fameux robot dans ce dessin-ci, qui joue de l’image d’un Goldorak tout puissant mis à terre par la catastrophe naturelle. Autre personnage convoqué dans plusieurs oeuvres : AstroBoy, que l’on retrouve attristé ici ou carrément terrassé . Et il y a aussi le Totoro de Miyazaki qui apparaît ou , entre autres personnages.

Le style kawaï

Floe

Le kawaï, c’est ce genre de dessin particulier aux mangas que l’on pourrait traduire par “mignon”, très populaire notamment auprès des jeunes filles. En gros des petits chats, des gros nounours ou tout autre bestiole qu’on aurait envie de serrer très fort dans ses bras. C’est typiquement le cas de la bête du dessin de Floe, allégorie d’un Japon en deuil. On retrouve l’esthétique kawaï dans d’autres dessins, comme celui-ci.  Évidemment, le contraste entre le côté mignon du dessin et la catastrophe qui est évoquée est à chaque fois saisissant.

L’amertume face à la destruction

Nacho Fernandez

Certaines illustrations insistent sur le désespoir complet qu’ont causé le tremblement de terre et le tsunami. Le sentiment que tout a été emporté, qu’il ne reste plus rien, est particulièrement fort dans ce dessin de Nacho Fernandez. Les deux enfants sur le toit d’une maison submergée ne peuvent que contempler leur poupée emportée par les flots, la perte d’une certaine innocence. C’est le même sentiment qui domine dans ce dessin d’Aurélien Morinière, où un homme en costume cérémoniel ne peut que jeter un regard atterré devant tant de destruction.

L’espoir dans l’avenir

Marc Simonetti

Bien plus nombreux sont les dessins qui ouvrent, malgré tout, une porte sur l’avenir. Celui de Marc Simonetti est emblématique, avec son petit garçon qui arrose timidement une plante au milieu d’un champ de ruines. Le motif de la plante qu’on arrose, classique de la symbolique de l’espoir en l’avenir, revient d’ailleurs dans plusieurs dessins. C’est par exemple le cas dans celui-ci, où ce n’est plus un jeune garçon mais une petite fille qui arrose une fleur, sans sembler trop y croire. L’espoir peut prendre d’autres formes allégoriques, comme par exemple cette serveuse accorte qui nous l’assure : le soleil se lèvera de nouveau.

Le réalisme

Rémi Maynègre

Certains dessinateurs ont adopté le parti-pris de dessins réalistes, pour témoigner très simplement de la catastrophe. C’est par exemple le cas de cette illustration de Rémi Maynègre qui, peut être plus que n’importe quelle vidéo du tsunami, donne à sentir la puissance dévastatrice de la vague. Windboi choisit lui de rendre hommage aux sauveteurs qui vont chercher des survivants dans les décombres du séisme à travers une évocation au style également réaliste. Ces dessins sont souvent très réussis, et donnent un sentiment de grande pudeur de leurs auteurs par rapport à la catastrophe.

La grande peur nucléaire

Akiza

Au-delà du séisme et du tsunami, certains auteurs se sont focalisés sur la problématique nucléaire avec les inquiétants incidents de la centrale de Fukushima. C’est par exemple le cas d’Akiza qui a dessiné une figure allégorique inquiétante, hypnotique, tout en symboles radioactifs. Dans un très beau. D’autres décident de rendre hommage aux pompiers qui risquent leur vie en s’exposant aux radiations pour tenter de refroidir la centrale. C’est le cas à travers ce très beau dessin.

Laureline Karaboudjan

Illustration de une : Sébastien Vastra, DR.

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Le hentai sous surveillance

Hentai
La ville de Tokyo va interdire aux moins de 18 ans les mangas avec des scènes sexuelles jugées trop violentes. Un véritable tournant.

De la culotte aperçues sous la jupe plissée d’une innocente collégienne jusqu’à l’orgie la plus perverse impliquant, à tout hasard, une pieuvre (dans la grande tradition d’Hokusai), la bande-dessinée et les films d’animation japonais regorgent de représentation sexuelles. Parce qu’elles sont très variées, ces évocations rendent parfois assez difficile de distinguer une oeuvre “friponne”, d’un manga “osé” voire complètement pornographique (que l’on désigne sous le terme d’hentai, “perversion” en japonais). Et puis, comme l’explique Agnès Giard, auteur de L’imaginaire érotique au Japon, “dans tous les cas, c’est kawai, c’est-à-dire mignon. Les Japonais rendent tout mignon, même le hardcore”. Bref, dur de faire le tri…

C’est pourtant ce que la municipalité de Tokyo s’apprête à faire dès l’an prochain. Les élus de la capitale nippone ont adopté, le 15 décembre dernier, une réglementation limitant aux plus de 18 ans les mangas et animations où sont représentées des scènes de sexe jugées trop violentes. Le texte prévoit un meilleur contrôle de la vente et la location de mangas et d’animes où figurent notamment des incestes, des viols, des actes sexuels avec des enfants ou autres scènes jugées exagérément obscènes. Et, donc, la ville de Tokyo s’est arrogée la tâche de désigner quelles oeuvres seront interdites à la vente au jeune public.

Malgré les promesses de “tenir compte de la valeur artistique”, la décision a évidemment déclenché la fureur des éditeurs. En début de mois, dix des principales maisons d’édition nippones qui s’opposent à ces restrictions ont publié un communiqué commun menaçant de ne pas participer au salon annuel Tokyo Anime Fair, la vitrine de l’animation japonaise. Les dessinateurs se joignent également à la fronde, estimant qu’il en va de leur liberté d’expression.

Changement de mentalité

Le lecteur européen ne s’en rend peut-être pas compte, mais c’est un véritable coup de tonnerre au Japon. Si elles choquent au-delà des frontières de l’archipel, les scènes pédo-pornographiques (par exemple les Lolicon) sont non seulement acceptées mais protégées par la loi au Japon. La loi japonaise écarte ainsi les mangas et l’illustration en règle générale du champ des images pédophiles dont la diffusion est prohibée.

Dans son ouvrage, Agnès Giard explique que l’érotisme pré-pubère ou tout juste adolescent est une composante majeure de la culture japonaise. Elle cite ainsi Takashi Tanaka, un scénariste de jeux vidéos érotiques : “Les jeunes adultes veulent du sexe avec du romantisme, des histoires d’amour à l’école et des héroïnes mignonnes, à l’aspect enfantin, parce que cela les rassure de voir une jeune fille fragile, inachevée. Les Japonais ont d’ailleurs toujours aimé les jeunes filles inachevées”. Et note que le goût pour les femmes “en devenir” est très ancien au Japon. “En Japonais, le verbe « devenir » occupe la place royale dévolue au verbe « être » dans notre langue” remarque Alain Rocher dans son introduction à l’autobiographie de Dame Nijo (Splendeur et misères d’une favorite), que cite Agnès Giard. Le livre en question est consacré à Nijo, favorite de l’Empereur au XIIIème siècle alors qu’elle n’avait que 13 ans. Il l’appelait Agako, “mon enfant”, en témoignage de son affection, et cela ne choquait personne: à l’époque, on pouvait épouser une fille à 14 ans selon le mode de calcul japonais (12-13 ans selon notre mode de calcul occidental).

Dans ce panorama, Agnès Giard fait de l’écolière à jupe plissée la suite logique de cette tradition pour l’érotisme pré-pubère. Elle explique d’ailleurs qu’elle est née en avril 1984 avec une série de dessins animés grand public – Crime Lemon – dont le premier épisode – Be my baby – provoque un véritable scandale. Il faut dire que l’épisode raconte l’histoire d’un jeune et beau garçon qui tombe amoureux de sa sœur, une petite fille de 11 ans… “Les scènes d’inceste, très érotiques, suscitent à l’époque de vives protestations de la part des associations de parents, explique Agnès Giard dans son livre. Mais son succès propulse l’image de l’écolière en tête des fantasmes au Japon. Vêtue d’une jupe plissée bleue marine, d’un chemisier à col marin et de soquettes blanches montants jusqu’aux genoux, elle apparaît désormais dans une énorme majorité de productions érotiques qui mettent en scène son initiation à toute la gamme des pratiques sexuelles”.

Le fait que la première collectivité locale du pays prenne ainsi position pour freiner la diffusion de ces oeuvres est significatif d’un changement des mentalités. Comme souvent, c’est un faits-divers sordide qui a servi de déclencheur. Début 2005, Kaoru Kobayashi,coupable d’avoir kidnappé, violé et tué une fillette de 7 ans, justifie ses actes lors de son procès par l’influence d’un dessin animé pornographique qu’il a vu étant lycéen. La ministre Seiko Noda, membre du PLD, le parti de droite au pouvoir déclare alors: “Je crois que l’animation pornographique, bien qu’il s’agisse de fiction, est un problème que nous ne pouvons plus ignorer”. Dès lors, la guerre aux dessins est déclarée.

Laureline Karaboudjan

Illustration : Extrait d’un manga hentai, DR.

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Japon : l’indépendance par le manga

Naruto copy

Le nouveau gouvernement japonais de centre gauche, en tenant tête aux Etats-Unis sur la question de la présence militairesur les objectifs à fixer en matière de lutte contre le réchauffement de la planète, rompt en apparence avec ses prédécesseurs, plus enclins à suivre l’allié américain. Mais la tendance à l’émancipation par la culture existe, elle, depuis de nombreuses années, et semble indépendante de la volonté des gouvernements.

L’une des premières décisions du nouveau Premier ministre Yukio Hatoyama (issu du Parti démocrate du Japon (PDJ)), après son élection le 16 septembre dernier, a été d’annuler un projet de musée dédié au manga et à la culture populaire. Budgété à 11,7 milliards de yen (88 millions d’euros) et étendard de l’ancien chef du gouvernement Taro Aso, qui avait fait un fond de commerce de sa passion pour les manga, il fallait à tout prix l’enterrer pour marquer la rupture.

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