Le Festival d’Angoulême dévoile sa sélection officielle

AngoulemeBaru
Le jury du plus grand festival de BD vient de dévoiler sa sélection officielle. Présentation de mes préférées.

Le jury d’Angoulême vient de dévoiler sa sélection officielle pour le prochain festival qui se tiendra du 27 au 30 janvier prochains. Toute la liste est ici. Voici quelques unes de ces BDs qui m’ont le plus marquée cette année (si je ne parle pas des autres, c’est soit que elles ne me paraissent pas être une des meilleures BDs de l’année, soit parce que je ne les ai pas (encore) lues). Comme le jury a globalement bon goût, on retrouvera certaines de ces BDs dans mon top de l’année que je ferai début décembre (je me spoile moi-même d’une certaine manière). Pour ne pas faire de jaloux les albums sont dans l’ordre d’apparition dans la liste du festival.

On peut noter l’absence de quelques poids lourds de la BD et qui sont habituellement nominés à ce genre de prix comme le Spirou de Trondheim, le Tome 4 de Blacksad (chroniqué ici) ou Chagall de Sfar. Perte de vitesse ou volonté délibérée de changement de la part du jury? Il faut dire que ces dernières années, les prix avaient tendance à rester dans le giron des mêmes auteurs (les deux cités plus haut auxquels on peut ajouter Sattouf ou Larcenet), qui ne manquent pas de talent (bien au contraire) mais qui représentent des courants assez similaires. Et puis bon, ça faisait parfois un peu copinage. Quoiqu’il en soit, on devrait voir de nouvelles têtes récompensées cette année, et c’est très bien. A moins que Blain avec son Quai d’Orsay… Le site Bodoï a déjà lui commencé ses pronostics.

Walking Dead – Un monde parfait (Robert Kirkman – Charlie Adland)

Décidément, Walking Dead cartonne. La série télévisée vient de commencer à être diffusée aux Etats-Unis (les deux premiers épisodes sont pas mal du tout d’ailleurs, très fidèles) et on est déjà au douzième album en France. Il y a toujours des moments qui m’énervent, certains dialogues, le fait que les mots importants soient en gras, j’ai l’impression d’être prise pour une idiote. Et pourtant, à chaque fois on est emporté par le scénario, on dévore les pages comme des zombies affamés et on frissonne. Même pour le Tome 12, sans doute le moins gore de tous, puisque nos héros découvrent un village encore à l’abri, où ils vont essayer de réapprendre à vivre. On se doute que l’accalmie ne va pas durer.

Trois Christs (Valérie Mangin – Denis Bajram)

Si je ne suis pas complètement emballée par le dessin, je ne peux que saluer l’ambitieuse tentative de Trois Christs. A partir de cases et de dialogues similaires, mais réorganisés, Valérie Mangin et Denis Bajram créent trois histoires différentes autour du Suaire du Christ. Une manière de montrer qu’il n’y a pas qu’une seule vérité, mais de multiples façons de la raconter. Une démarche proche de l’OuBaPo, mais qui s’exprime dans une bande-dessinée volontiers grand-public, accessible et divertissante.

Quai d’Orsay (Abel Lanzac – Christophe Blain)

Sur Quai d’Orsay, j’ai écrit une chronique complète. Ca m’arrive rarement. Un excellent album, tout simplement, qui met en scène un jeune thésard embauché dans le cabinet de De Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Vivement la suite.

Hmm. Mon fils… A nous deux nous pourrions fléchir l’Empereur et gouverner la galaxie.
On prend le contrôle de la force. TCHAC!
On fonde un nouvel ordre de chevalerie. TCHAC!
On rétablit la paix jusqu’aux confins des systèmes. TCHAC!

Pour l’Empire – Les Femmes (Merwann – Bastien Vivès)

J’avais bien aimé le premier tome de la série, intriguée par cet étrange péplum onirique qui met en scène une équipe de super-légionnaires, servi par les dessins naïf des auteurs qui font tout à quatre mains. J’ai trouvé le deuxième album encore meilleur. Les invincibles soldats de l’empire se retrouvent confrontés à un troublant ennemi: des amazones. Au-delà des combats, ce nouvel adversaire est l’occasion d’aborder, par touches, de grandes thématiques: les rapports hommes-femmes, le sexe et le sang, l’amour et la mort. Le tout avec beaucoup d’économie et (donc?) de puissance. A noter que Bastien Vivès a remporté déjà l’année dernière le Prix révélation pour Le Goût du Chlore. Le petit jeune qui monte.

Les derniers jours d’un immortel (Fabien Vehlmann – Gwen de Bonneval)

En début d’année, j’étais passée à côté de cet album. Grave erreur! De la science fiction comme on l’aime, capable de créer un monde unique et d’être en même temps intimiste, d’aborder des thèmes philosophique tout en étant très agréable à lire. Je n’en parle pas beaucoup car j’ai prévu de revenir dessus plus longuement. Bientôt… Mais vous pouvez déjà la voler, l’acheter ou vous la faire offrir sans risque. Un des meilleurs albums de l’année.

La parenthèse (Elodie Durand)

Sans doute une des BDs les plus émouvantes. L’auteur y retrace sa longue maladie, ses pertes de mémoires et ses doutes. Je l’avais déjà conseillée avant les vacances: “Un récit aux dessins simples, épurés, très émouvant, parfois un peu poétique, sans tomber dans le pathos. Dans les dernières plages, j’avais les larmes aux yeux”. Après une deuxième lecture, je ne retire rien de tout ça, bien au contraire.

Incognito – Projet Overkill (Ed Brubaker – Sean Philips)

Voilà une autre BD que j’avais déjà conseillée cette année (c’est quand vous voulez pour que je sois jurée à Angoulême…). L’histoire d’un ancien super-vilain qui s’est rangé, a balancé ses anciens comparses pour bénéficier d’un programme de protection gouvernementale et changer de vie. Mais il s’emmerde sec en employé de bureau modèle, sans relief, méprisé par ses collègues de la gent féminine. Alors c’est trop fort, il replonge. Ed Brubaker continue de faire montre de tout son talent au scénario en racontant une histoire vraiment bien ficelée, qu’on lit sans discontinuer. Haletant.

Il était une fois en France – Aux armes citoyens (Fabien Nury et Sylvain Vallée)

La fresque historique sur la Deuxième guerre mondiale, entamée par Nury et Vallée avec Il était une fois en France, approche du terme sans s’essouffler. Le destin de Joseph Joanovici, héros trouble au possible, à la fois juif et collabo, n’en finit plus de rebondir puisque le voilà confronté à la Résistance. A travers le parcours de ce personnage atypique, les auteurs dépeignent de manière originale et précise une des pages de l’histoire de France les plus traitées en BD. Un bel exploit qui rencontre également un gros succès de vente. La recette idéale pour être récompensé en Charente?

Gaza 1956 (Joe Sacco)

On ne présente plus Joe Sacco, l’auteur américain qui s’est fait une spécialité des reportages BD en zone de guerre, comme Gorazde ou Palestine. Dans Gaza 1956, le dessinateur-baroudeur-journaliste ajoute une corde à son arc : il se fait historien. L’auteur se penche sur une « anecdote » entendue au cours d’un de ses voyages dans la bande de Gaza : le massacre de 275 personnes complètement oublié par les livres d’Histoire. Joe Sacco décide de mener l’enquête et livre un travail tout simplement impressionnant. Témoignages nombreux, fouillés et recoupés aident l’auteur à disséquer véritablement l’événement. Ses talents de narration et de dessin lui permettent, en plus, de le rendre passionnant.

Château de Sable (Frederik Peeters – Pierre Oscar Lévy)

De Peeters, on se souvient de l’excellent Pilules Bleues. Château de Sable est lui un drame à huis clos à ciel ouvert. Ca ne se passe pas dans un manoir comme à Cluedo, mais sur une plage, et le principal ennemi est le Temps qui enferme et dévore tout le monde à une vitesse folle. A chaque demi-heure, les héros vieillissent de plusieurs années, et ils ne sont pas immortels, loin de là. L’horloge biologique de chacun des prisonniers involontaires va sonner de manière implacable. Comme vous vous en doutez, ça finit mal, mais c’est très beau.

Laureline Karaboudjan

PS: Rappelons qu’il y a aussi une sélection jeunesse (avec notamment le bon dernier Spirou) et une sélection patrimoine.

Illustration : Extrait de l’affiche du festival d’Angoulême 2011 dessinée par Baru, DR.

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Captain Tsubasa, c’était autre chose que l’Equipe de France!

captaintsubasa

Avec la Coupe du monde, les BD consacrées au foot reviennent en force. Mais là où avec Captain Tsubasa on pouvait rêver,  avec les Bleus et l’ex-sélectionneur en vedette, Domenech, on ne peut que rire. Jaune.

Depuis deux semaines, la Coupe du monde de football envahit tout, du petit écran, évidemment, au palais de l’Elysée, de manière plus surprenant. La planète Terre semble s’être arrêtée de tourner, s’étant transformée pour un mois en planète Jabulani. Il n’y avait pas de raisons que la bande dessinée échappe au mouvement général. Deux albums, en particulier, sont opportunément sortis pour la Coupe du monde. “Il faut shooter Raymond Domenech” de Micka et Juga et “Banc de Touche” d’Edmond Tourriol, Daniel Fernandez et Albert Carreres. Point commun? Les deux ont pour personnage principal l’ancien sélectionneur de l’équipe de France, Raymond Domenech, comme personnage principal. Si on ajoute à cela la bande dessinée de Faro “En bleu et contre tous“, sortie la veille de l’Euro 2008, et qui fait elle aussi de Raymond un héros de papier, on peut dire que Domenech a particulièrement la cote chez les auteurs de BD. En 1998, Aimé Jacquet n’avait pas eu ce privilège, la principale BD consacrée à la Coupe du monde, “Léo Loden et Jules sauvent la Coupe du monde“, était une aventure centrée sur l’organisation même du tournoi.

Le rôle de héros de bande dessinée correspond parfaitement à Raymond Domenech. L’ancien sélectionneur des Bleus a tout pour lui: des traits physiques bien reconnaissables (gros sourcils noirs, touffe de cheveux gris) qui facilitent la caricature, une sociabilité bien plus grande qu’un Lemerre ou un Santini, des répliques cultes et un côté complètement imprévisible à la Donald Duck. Pour Edmond Tourriol, auteur de “Banc de Touche”, “c’est un personnage attachant et – à titre personnel – il va beaucoup me manquer. Je trouvais ça super d’avoir un sélectionneur cultivé comme ça. On sait ce qu’on perd… Laurent Blanc sera moins rigolo à mettre en scène“. Le scénariste, qui écrit un gag par jour dans l’Equipe, s’inspire des faits et gestes réels des Bleus pour son travail. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, les multiples rebondissements de la Coupe du monde n’ont pas forcément été une aubaine : “si l’équipe de France avait fait parler d’elle sur le terrain et pas dans les coulisses, on aurait pu coller de plus près à l’actualité. Un rendez-vous tous les trois ou quatre jours, c’était encore gérable. Là, ils défrayaient la chronique 24 heures sur 24 en inventant des gags encore pires que les nôtres. Imaginer un gag devenait compliqué tant il risquait d’être obsolète une fois réalisé…“.

Aux albums dont Raymond est le héros, il faut ajouter toutes les BD publiées dans des magazines, journaux ou sur des sites internet. Ainsi, Guillaume Bouzard, l’auteur de “The autobiography of a mi-troll“, publie une fois par mois une planche de BD sur le football dans le magazine So Foot. Ces derniers temps (oui, je lis ce magazine, et je ne suis pas la seule fille à le faire…), Domenech était présent quasiment tous les mois sous sa plume. On retrouve aussi beaucoup l’ancien sélectionneur des Bleus sur le blog “Le Renard des surfaces“, qui se propose de commenter en bande dessinée l’actualité football. Et tant qu’à évoquer les blogs de BD consacrés au ballon rond, citons “Toufoulcan“, hébergé sur le site des Cahiers du Football, qui publie régulièrement des strips humoristiques.

Bilal imagine le foot sans ballon

Le foot est une activité qui passionne des millions de lecteurs potentiels et qui est propice à toutes les caricatures et gags possibles. Le physique des joueurs, leur performance sur le terrain, les destins cruels de certaines équipes ou certains entraîneurs, le marché des transferts, tout est objet potentiel d’humour. Parfois, la dérision peut prendre des teintes beaucoup plus sombres, pour virer carrément dans l’oppressant. Ainsi dans l’album “Hors-Jeu” dessiné par Enki Bilal et écrit par Patrick Cauvin, le football y est décrit tel qu’il pourrait évoluer dans un futur plus ou moins proche. Un sport de plus en plus agressif, où le ballon devient un enjeu secondaire. Cette vision violente du sport, Bilal avait déjà eu l’occasion de l’explorer dans “La Foire aux Immortels“où le héros, Nikopol, dispute une partie de hockey particulièrement sanglante ou bien dans “Froid Equateur” où il démolit son adversaire au Chess-boxing.

Parfois, le jeu de ballon n’est qu’une toile de fonds à des enjeux plus importants. Le premier tome des “années Spoutnik “de Baru, intitulé “Le Penalty ” met ainsi deux groupes de gamin d’un même village qui passent leur temps à s’affronter pour l’honneur, parfois de manière assez violente. Remake de “La Guerre des Boutons”, cette fois-ci on s’y affronte sur un terrain de foot, au lieu de détruire les cabanes des autres avec le tracteur du père. Mais, comme le titre l’indique, l’action se passe en France au temps de la Guerre Froide, est, au-delà de simples affrontements entre gamins, ce sont des idéologies plus fortes qui s’affrontent: le communisme, le conflit algérien… Dans la BD “Carton Jaune“, la toile de fond est encore plus sombre, puisque le héros est un joueur de l’équipe de France de 1938, originaire de Tunis, amoureux d’une juive, qui va voir son amour mis en péril par la Seconde Guerre Mondiale. Rien qu’à voir ces deux albums, il est curieux que le foot ne soit pas plus souvent utilisé pour des scénarios autour des questions d’immigration ou des rapports de classe. Ce sport est pourtant un prétexte idéal.

Captain Tsubasa, Captain Tsubasa!

Comme disent mes amis de Plat du Pied, “le foot est la preuve que la vie seule ne suffit pas“. Donc, les caricatures ou la toile de fond, ça va cinq minutes, mais il y a un moment où les choses sérieuses commencent. En France, on a eu ainsi Eric Castel dans les années 80, un blond mélancolique joueur de Barcelone, mais, le plus bel exemple, celui qui a bercé la jeunesse de mes frangins, c’est Captain Tsubasa, plus connu en France sous le nom d’Olive et Tom. S’il a essaimé dans nos contrées essentiellement à travers le dessin animé, c’est au départ un manga de Yôichi Takahashi, publié pour la première fois en 1981. A l’époque diffusé par J’ai Lu dans l’hexagone, la série va connaître une nouvelle jeunesse chez Glénat qui vient de rééditer le tome1 en mai 2010. Le rêve de Tsubasa est d’offrir la Coupe du monde au Japon. Dans la première série, il y parviendra presque, puisqu’il remportera avec le Japon le championnat mondial des -16 ans avant de s’envoler vers le Brésil pour jouer pour Sao Paulo. Là il gagne la coupe nationale et continue de connaître le succès avec sa sélection, devenant champion du monde des -20 ans, battant le Brésil 3-2 en finale, sans oublier le match de légende contre l’Uruguay, 6-5, en phase de groupe. Puis il est finalement acheté par Barcelone, tandis que son grand rival de toujours, Kojiro Hyuga, va lui à la Juve et joue avec David Trezeguet (David Tresaga dans l’anime)!

Pour Edmond Touriol, “le foot, c’est quand même un des rares sports où tout est possible sur le terrain. Même avec quatre ou cinq divisions d’écart, une petite équipe peut se qualifier contre un ogre du championnat, en Coupe de France. Pour la dramaturgie, c’est super. Les scénaristes n’ont même pas besoin de violer le bon sens pour maintenir le suspense. Bon. Sur Captain Tsubasa, ils violent carrément les lois de la physique. Mais peu importe, cette série était géniale“. Ah les ballons déformés, les terrains interminables et ces joueurs de papier, toujours unis, qui ne refusent jamais de s’entraîner…

Laureline Karaboudjan

Illustration : Captain Tsubasa, DR

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Top 50 : les meilleures BD des années 2000 (de 40 à 31).

Voici venu le deuxième volet de mon top 50 des meilleures BD de la décennie. On se rapproche doucement de la tête du peloton, avec les BD classées de la 40ème à la 31ème place, après celles de 50 à 41.

40. Les années Spoutnik, Bip bip (Baru) – 2002

Troisième opus de la tétralogie des années Spoutnik, Bip bip est sans conteste le plus drôle. Dans un bourg industriel, agité depuis déjà deux albums par des affrontements de gamins dignes de la Guerre des Boutons, le Spoutnik débarque. Du moins, la fête que le Parti (le seul, l’unique) organise pour célébrer le lancement du sattelite. Alors les enfants rangent leurs panoplies d’indiens et s’affairent pour construire une fusée tintinesque et faire plaisir au délégué venu spécialement de Moscou. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes. Baru, si.

39. La grippe coloniale, Le retour d’Ulysse (Appollo, Serge Huo-Chao-Si) – Vents d’Ouest – 2004

Vous vous rappelez du Chikungunia qui a sévi dans l’île de la Réunion il y a quelques années? Et bien c’était une blague à côté de la grippe espagnole. Il n’y avait aucune raison que la maladie parvienne jusqu’aux pentes du Piton de la Fournaise, si ce n’est le retour au pays des soldats engagés dans la Première Guerre Mondiale en Europe. En l’occurrence celui de Grondin, Évariste, Camille et Voltaire, quatre amis vétérans et autant de classes sociales, de portraits et d’histoires. Une seule question: pourquoi il n’y a toujours pas de deuxième album?

38. Walking Dead, Days Gone Bye (Robert Kirkman, Tony Moore) – Image comics – 2003

Les vampires ont beau crâner au cinéma, en comics ce sont plutôt les zombies qui sont à la mode: la série Walking Dead est sans conteste un des cartons de la décennie. Pourtant, à première vue, rien de neuf sous le soleil. Un monde post-apocalyptique où errent une poignée de survivants, on l’a déjà lu dans Y The Last Man (autre excellente série qui aurait pu figurer dans ce top). Des hordes de zombies affamés de chair humaine, on connaît bien depuis les films de Romero. Un survivant qui se réveille d’un coma dans un hôpital vide, c’est 28 jours plus tard. Oui mais ça fonctionne quand même, justement parce que les meilleures recettes ont été réunies pour un cocktail sans failles. Et comme c’est mené tambour battant, on lit ça en haletant.

37. Palaces (Simon Hureau) – Ego comme X – 2003

Les carnets de voyage, c’est toujours un peu facile. On dessine des curiosités lointaines, sans forcément de talent, on se laisse aller à quelques réflexions à l’emporte-pièce sur l’exotisme et la richesse des différences, et hop, on remplit le contrat. Sauf que quand Simon Hureau va au Cambodge, il dessine principalement des hôtels abandonnés transformés par les Khmers rouges en lieux de détention, torture et exécution. Alors on lui pardonne quand il dessine un peu Angkor, et encore, sous un jour inquiétant, très différent des clichés habituels. Un album tout en nuances, qui met profondément mal à l’aise.

36. Klezmer, Conquête de l’Est (Johan Sfar) – Gallimard – 2005

Grands espaces, brigands qui assassinent et mettent le feu à des diligences, loi du plus fort, musique et tord-boyaux: ce n’est pas le Far West mais l’Est Lointain, celui des steppes ukrainiennes. Dans le froid, un groupe de musique klezmer se forme, comme se rassembleraient les sept mercenaires pour une ultime razzia. Il y a le jeune maestro juif peureux et le gros gitan qui raconte si bien les histoires, le fier pianiste et la sublime chanteuse. Et on les suit dans leur conquête de l’Est, à grands coups d’archet et de vocalises. Comme la vodka, les chansons en yiddish réchauffent le coeur. Les aquarelles de Sfar aussi.

35. Blueberry, Dust (Jean Giraud) – Dargaud – 2005

Il faut parfois rendre à César ce qui est à César, et à Blueberry son trésor mexicain. Là où Lucky Luke plonge à chaque épisode dans des abysses de médiocrité, Blueberry continue de me surprendre. Et son aspect, dans le cycle Mister Blueberry, de vieux crooner tendance western spaghetti, a tout pour séduire. Comme dans tous les films de Sergio Leone, la distribution autour de Blueberry est peuplée de personnages charismatiques, entre la belle Doree Malone, le psychopathe, les frères Earp ou Doc Hollyday. N’oublions pas de nous moquer des familles Clanton et McLaury. Et puis, si le courage vous en dit, allez marcher dans la forêt à la recherche de Géronimo. Là, face au vieux et sage guerrier, mettez-vous à genoux et inclinez-vous.

34. Lanfeust, La bête fabuleuse (Arleston-Tarquin) – Soleil – 2000

Oui Lanfeust et Soleil c’est commercial (bouh, caca). Oui, Lanfeust des Etoiles, c’est énervant. Mais la première saga sur le Monde de Troy reste dans les mémoires de très nombreux lecteurs. Le tome 8, magré sa couverture horrible, sonne la fin de l’aventure et celle d’une époque. Celle de l’âge d’or de Harry Potter, de Warhammer, du Seigneur des Anneaux en films, des geeks et geekettes qui n’étaient pas encore chics, vivaient cachés mais déjà heureux. Celle où l’on mélangeait tous les contes et les légendes possibles et où cela fonctionnait. Après, plus rien ne sera comme avant. Lanfeust ne sera plus puceau, Cixi continuera de nous énerver, Hébus sera à jamais le gros nounours rigolo de service. Mais, alors que les pétaures se sont cachés pour mourir, un monde a été créé avec ses Dieux, ses légendes, ses blagues vaseuses, ses pouvoirs magiques, ses trolls. Le combat est terminé. Enfin un peu de repos? Non car il faudra repartir ailleurs dans des aventures sans grand intérêt, sauf celui de remplir le compte en banque du club de rugby de Toulon, ce qui n’est déjà pas si mal.

33. Les petits ruisseaux (Pascal Rabaté) – Futuropolis – 2006

Quand je serai vieille, j’aimerais bien ressembler aux personnages de Rabaté dans Les Petits ruisseaux. J’irais à la pêche parce que je sais que c’est là que se niche la vraie vie. Je continuerais à chercher l’amour, en dépit de tout ce que la vie m’aura appris sur son compte. J’aurais encore des désirs charnels, que j’assouvirais très simplement. J’attendrais la mort le sourire aux lèvres, dans un petit village de province, sereinement. Je serais une jeune ridée, une vieille débridée, croquant dans la vie jusqu’au trognon.

32. La Brigade Chimérique, vol 1 (Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess, Céline Bessonneau) – L’Atalante – 2009

Ne serait-ce que parce qu’elle est rare, l’initiative de faire du comic français est à saluer. Mais la Brigade Chimérique ne se réduit pas à une simple tentative croquer des super-héros à la sauce européenne. C’est une uchronie au scénario précis dans le Paris troublé de la fin des années 1930. Dans les rues de la capitale, le Nyctalope essaye de faire régner l’ordre mais se chiffonne tout le temps avec l’Institut du Radium, géré par la fille de Marie Curie, véritable fabrique à héros modifiés par la super-science. A Berlin, le Dr Mabuse  règne en maître, comptant sur Gog et la Phalange, ses alliés italien et espagnol, pour mener à bien son étrange projet de ville au coeur des Alpes autrichiennes: Metropolis. Les références culturelles abondent, sont entremêlées et pourtant tout est très cohérent. Je savais bien que la Deuxième Guerre Mondiale n’était qu’une affaire de super-héros!

31. Le Grimoire des Dieux (Serge Le Tendre, Régis Loisel, Mohamed Aouamri) – Dargaud – 2007

La quête de l’Oiseau du Temps est la plus grande série de fantasy des années 80. Je crois que si je ne m’étais pas appelée Laureline, cela aurait été Pelisse ou Mara, des noms des deux femmes fatales de cet univers. Puis, après le tome 4, plus rien jusqu’à début 98 et l’Ami Javin, début d’un nouveau cycle, qui raconte la jeunesse des héros. Il aura fallu 9 ans de plus pour avoir la suite, le Grimoire des Dieux. Malgré le temps très long entre les épisodes, le plaisir est là à chaque fois. L’histoire tient toujours, le dessin ne vieillit pas. Les personnages, incertains, en plein construction, hésitant parfois entre leur destin et une vie facile, sont attachants. J’attends avec impatience la suite, la piste du Rige, qui devrait faire écho à mon album préféré de la série, le tome 3 intitulé le Rige. En espérant qu’il arrive dans moins de dix ans.

Laureline Karaboudjan

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