Dans le combat entre pro- et anti-nucléaires, la BD est une arme de choix.
Marcoule n’existe plus, ou presque. A Fukushima, on nous cache tout, des fumées étranges recouvrent Tcheliabinsk (une ville que vous ne connaissez pas au fin fond de la Russie) d’un nuage rose, et à Tchernobyl, plus rien ne sera jamais pareil 25 ans après. Inutile de vous faire un dessin: l’apocalypse nucléaire se rapproche de nous un peu plus chaque jour. Au moins. En tous cas, ce n’est pas en lisant des BD que je vais être plus rassurée…
Car globalement, quand la BD parle protons, neutrons et fission, c’est rarement joyeux et loin d’être réconfortant. Normal, me direz-vous: l’immense majorité des auteurs de BD sont anti-nucléaires, car la plupart du temps ce sont des artistes de gauche, donc des hippies. Et ils le font savoir. Plusieurs oeuvres parues récemment dénoncent le nucléaire et ses conséquences, comme Tchernobyl, la Zone, un roman graphique comme l’on dit un peu pompeusement, où l’on revient sur les traces du drame. A travers quelques portraits bien ficelés -la femme éplorée qui a perdu son mari qui travaillait à la centrale, les petits vieux qui reviennent habiter sur place quelques jours après le drame, les jeunes nés en 1986 qui y retournent de nos jours- l’auteur espagnol Francisco Sanchez cherche à nous faire comprendre que derrière les explications scientifiques alambiquées et qui peuvent sembler irréelles, des dizaines de drames humains se sont joués. Et après lecture, on a plutôt envie d’habiter à plus de 30 kilomètres d’une centrale nucléaire.
Sortie il y a un an, la BD Village Toxique parle du nucléaire bien de chez nous. Celui des négociations entre collectivités territoriales et lobbys influents, celui des petits combats perdus qui entraînent, vingt ans plus tard, des poissons à trois yeux dans les rivières. Avec le style à la fois didactique et plein d’humour de Grégory Jarry et Otto T. (vous savez, ce sont eux qui ont aussi sorti l’excellente Petite histoire des colonies françaises), on re-découvre une histoire vraie, celle du combat de plusieurs communes de la Gâtine, dans les Deux-Sèvres, pour ne pas accueillir un site d’enfouissement de déchets radioactifs à la fin des années 1980. Aux promesses d’emplois et de ressources financières mirobolantes formulées aux élus, qui rêvent déjà aux médiathèques et aux piscines toutes neuves qu’ils pourront faire bâtir dans leurs communes, les habitants répondent par une mobilisation qui va crescendo, jusqu’au face à face avec les CRS. Comme toujours, à la lecture la sympathie va à David plutôt qu’à Goliath. Pour l’anecdote: j’ai acheté cette BD dans une petite librairie du sud de l’Ardèche, en plein coeur d’une région toute entière mobilisée contre l’exploitation de gaz de schiste.
Dans un autre genre, je pense aussi à Toxic de Charles Burns, qui n’est pas une BD a proprement parler sur le nucléaire mais où je ne peux m’empêcher de voir un espèce d’hiver atomique. Dans cet espèce de Tintin passé à l’acide de Tchernobyl, le héros se réveille dans un monde accablé de chaleur, dans une ville où personne ne lui parle, entouré de personnes et d’animaux mutilés et déformés. Si l’on ne sait rien de ce qu’il se passe exactement, cela évoque forcément un monde post-apocalyptique désertique, un peu à la manière, en pire, du manga Trigun de Yasuhiro Nightow. Toxic nous rappelle que plus rien n’a de sens, qu’un jour où on se réveillera, boum Tchernobyl, boum Fukushima et que nous ne sommes que des Gregor Samsa complètement passifs. Charles Burns s’est amusé a publier une édition pirate de Toxic, tirée à quelques exemplaires, hommage aux contrefaçons chinoises. Là, les cases sont sens dessus-dessous et le texte en faux caractères chinois n’a absolument aucun sens. La perte de sens est alors totale et effrayante.
Quand EDF édite des BD sur le nucléaire…
A ces exemples récents, on peut aussi ajouter Au nom de la bombe, parue début 2010, et qui retrace les essais nucléaires français dans le Sahara dans les années 1960. Je pourrais également détailler une litanie de BD anti-nucléaires plus anciennes, dont un sacré nombre a été publié dans les années 1970. A cet égard, évoquons simplement All-Atomic Comics, parue en 1976, où une grenouille à trois pattes, symbolisant les anti-nucléaires, a maille à partir avec une ampoule antipathique qui représente le lobby pro-atomique. Le propos, étayé par des notes de bas de page, est là encore très clairement orienté contre l’énergie atomique.
Mais la BD ne sert pas que les anti-nucléaires. Les gouvernements et autres agences impliquées dans le développement de l’énergie nucléaire s’en servent aussi pour faire la promotion de leur action. EDF a ainsi édité plusieurs bandes-dessinées pédagogiques mise à disposition des professeurs français, comme par exemple Le Grand Secret (non, ce titre n’est pas ironique), où l’on apprend très simplement d’où vient l’énergie atomique. Les anti-nucléaires crient bien-sûr au scandale, à la propagande et à l’embrigadement de la jeunesse. Mais n’ayant pas eu ces albums entre les mains, je ne saurais en juger de la partialité.
Partial l’était en revanche le comic Power for progress, édité dans les années 1960 et évoqué dans le très bon ouvrage La propagande dans la BD. Produite par la Consumers Power Company, la bande-dessinée qui se veut impartiale est est “pur concentré de propagande” selon Fredrik Strömberg, l’auteur du livre sur la propagande. “On y voit ‘le club des sciences du collège Admas’ suivre avec moult soupirs de stupéfaction les explications de leur prof, un sosie de Clark Kent, lors d’une visite guidée dans une centrale atomique” nous raconte encore l’auteur.
Est-ce que les BD produites par EDF sont aussi lénifiantes? Mystère. En tous cas, l’auteur note avec malice que, comme je le pense aussi, les anti-nucléaires ont une longueur d’avance sur les pro-atomique en BD car aujourd’hui encore, un des personnages de fiction les plus célèbres à travailler dans une centrale est un modèle d’incompétence et de stupidité. Vous aurez, j’en suis sûre, reconnu Homer Simpson.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la 4ème de couverture de Village Toxique, DR.
Sans doute le fait que les BD pro-nucléaires soient des commandes joue pour beaucoup dans la différence de qualité.
On doit pouvoir trouver des auteurs de SF talentueux qui ont dessiné des mondes où l’énergie nucléaire est parfaitement maîtrisée et garantit une énergie gratuite et illimitée à tout le monde.
Dans le registre de la BD anti-atomique, on peut également citer l’excellent second tome des Entremondes de Manu Larcenet, Les Eaux lourdes, sorti en 2001 (le premier est très bon aussi, mais sur un sujet bien différent). La plongée instantanée d’un ouvrier d’une centrale nucléaire russe négligée dans un monde qui ne se remet pas de la Catastrophe est très flippante, évidemment un peu schématique (inévitable avec ce format) mais d’une force qui caractérise bien l’œuvre post-Fluide Glacial de Larcenet. A recommander chaudement (sans mauvais jeu de mot) selon moi.
Il y a aussi “Tchernobyl Mon Amour” de Chantal Montellier, évidemment anti-nucléaire. Pas lu, par contre.
Et l’édition pirate de Toxic a l’air assez incroyable!
Tu peux expliquer aux Inrocks (qui renvoient vers chez toi) que ton nom c’est Karaboudjan, pas djian. Ils n’ont jamais lu le Crabe aux pinces d’or. De plus, ils disent “une” éloge. Mais, plus important encore, ils n’ont pas été capables de faire un lien correct vers ton blog (manque le “r” du “.fr”). Tu perds des milliards de lecteurs. Je te laisse les informer.