Incompris les jeunes ? Pas par la bande-dessinée en tous cas…
«Attention, le voici puissant, félin, redoutable, le Jeune. Suivant les moments de la journée, il arbore différentes parures. Il vit dans un monde qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas». Le jeune, magistralement résumé il y a quelques années par une publicité La Poste. Incompris le jeune? Incompréhensible? Alors qu’en ce moment, la jeunesse se soulève en Espagne, en Grèce ou à Arcueil, que les jeunes font la révolution ou passent leur bac, le moment me paraît idéal pour se pencher sur le sujet. D’autant qu’un paquet de bonnes BD sur l’adolescence ou la post-adolescence viennent de sortir.
Parus chez Manolosanctis, KrstR ou Dupuis, une flopée d’albums “générationnels” sont apparus sur les étals de nos libraires ces derniers mois. Des ouvrages qui traitent de la jeunesse lycéenne et étudiante, produits par des jeunes auteurs qui en sont souvent tout juste sortis et qui livrent un portrait souvent assez juste de cette fameuse génération “15-25”.
Pourtant, dans la BD “traditionnelle”, les héros sont toujours jeunes. De Tintin à Spirou en passant par Ric Hochet ou Alix, tous ces personnages ont l’air d’être tombés dans une fontaine de jouvence. La raison est très simple : à l’époque où la BD s’adressait avant tout aux adolescents, il fallait des héros propres à l’identification. Le problème, c’est qu’ils ne sont jamais réels. Ils vivent des aventures hors du commun et sauvent le monde chaque dimanche avant de retourner à une vie banale le lundi matin. Ils ne sont que le prétexte à des évènements extra-ordinaires.
Quand le jeune devient le sujet principal et non le héros d’aventures qui dépassent sa condition, forcément, en première impression, il fait moins rêver. Il est rarement très courageux, souvent un peu lâche, voire passif. Il est mal dans sa peau et un peu obsédé par le sexe. Mais il est aussi oppressé par les contraintes qui réagissent notre société et, malgré tout ce que l’on dit, ne peut pas s’empêcher de se préoccuper de ses proches et de sa famille. Bien-sûr, la thématique n’est pas nouvelle (pensons au Retour au collège de Riad Sattouf par exemple, ou aux incontournables albums Tendre Banlieue) mais elle semble particulièrement en vogue en ce moment.
Si je prends par exemple les Branleurs de Jules et Tom Fradet, il s’agit, comme le titre l’indique, de raconter l’histoire de deux mecs qui s’ennuient à Nantes. Alcool, joints. Il y a une fille aussi, mais bon, ce sont des branleurs, ils ne savent pas trop comment faire. L’adolescence banale de gamins de province. La même “normalité” traverse Une vie sans Barjot, un bon album que viennent de sortir Appollo et Oiry. Le héros, 18 ans, doit quitter sa ville de Province (encore!) pour “monter à la capitale”. La BD raconte sa dernière soirée sur la trame du voyage initiatique, de l’entrée dans l’âge adulte. Se mêlent le bar rock où l’on va boire des coups pour se donner l’impression d’être grand, le copain boutonneux et qui n’a jamais rasé son duvet, la fille dont on est amoureux depuis des années sans oser lui dire… Tout ceci pourrait paraître assez cliché, mais si on y pense bien, ce sont des lieux-communs qu’on a traversé aussi, malgré nous, étant ados.
Débauche et précarité
Dans Skins Party de Thimotée Le Boucher, il s’agit d’explorer, à travers le point de vue de différents personnages, une fête d’adolescents un peu trash. Evidemment, la sauterie, qui se déroule dans une grande maison au bord d’un lac, tourne mal entre sexe, drogues et violence. La BD va même un peu trop loin pour être crédible, puis qu’il y a une scène de viol incestueux involontaire (oui, oui : elle porte un masque, elle dort, il est ivre) et des meurtres. Mais au contraire d’un reportage télé où l’on nous ferait la morale pendant 20 minutes, ici il n’y a pas de jugement, simplement des faits qui s’enchaînent. Et, quand bien même c’est peu crédible, le tout est assez réussi parce qu’on en ressort étourdi, mal-à-l’aise, exactement comme les jeunes personnages de la BD. Par certains aspects, la BD m’a fait penser à l’excellent diptyque du Roi des Mouches, où il est aussi question de mal-être adolescent, de drogues et de débauche. Le tout avec l’esthétique parfaite des dessins de Mezzo.
Dans Desert Park de Thomas Humeau, on refait le monde et on se suicide à la fin tandis que dans la BD feuilleton Les Autres Gens, une jeune étudiante se demande quoi faire de ses gains au loto alors qu’elle ne croit plus en grand chose. Génération No Future? Peut-être. Génération précaire? Sûrement. La blogueuse Yatuu vient ainsi de sortir Exploitée, la bd qu’elle a tiré de son blog où elle raconte son quotidien (traumatique) de stagiaire dans la pub. Une démarche qui rappelle celle de Leslie Plée qui avait raconté il y a deux ans dans Moi vivant vous n’aurez jamais de pauses son expérience dans une grande surface culturelle. La jeunesse d’aujourd’hui, et les manifs que j’évoquais en début de ce billet le rappellent, c’est avant tout une jeunesse précaire. La BD contemporaine se fait l’écho de cette réalité.
Rien d’étonnant à voir arriver autant d’albums qui traitent de ce même sujet et de sentir une certaine unité traverser toutes ces BD. C’est une même génération d’auteurs, confrontés aux mêmes difficultés, qui ont les mêmes genres d’amis qui galèrent, qui ont connu les mêmes expériences de jeunesse. Qui se sont fait, aussi, pour certains d’entre-eux, une place dans le monde de la BD via les blogs. Dans le style même, qu’il s’agisse du dessin ou des dialogues (souvent assez peu, de nombreuses cases silencieuses), on trouve des similitudes. Cette vague est par bien des aspects sympathiques. Elle a toutefois un défaut: il est difficile pour le lecteur de distinguer un auteur d’un autre. Pas évident, dès lors, de sortir du lot.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait d’Une vie sans Barjot, Appollo et Oiry, DR.
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Le top était le sport médiatique à la mode le mois dernier. J’y ai succombé. Mais en faire sans essayer d’en tirer des leçons, c’est un peu inutile. Si on considère que je suis une lectrice de BD lambda, on pourra généraliser ces enseignements à la situation de la BD européenne (il y a trop peu de mangas et de comics dans mon top pour que ce soit signifiant) dans la décennie. Si vous n’êtes pas d’accord prenez ça comme une auto-analyse de mes goûts en matière de bande dessinée.
L’affirmation du moi
Une des évolutions récentes qui me frappe le plus, et qui je crois est visible dans mon top, c’est le crédit qu’a pris l’autobiographie en BD. Relativement isolé dans la majeure partie du XXème siècle, le genre commence à s’affirmer dans les années 1980 avec par exemple aux USA des oeuvres comme American Splendor. Dans les années 1990, toujours de l’autre côté de l’Atlantique, on a l’incontournable Chris Ware avec son transparent Jimmy Corrigan. Mais en France, c’est bien au cours de la décennie passée que le genre autobiographique a pris son essor. Bien sûr il y a mon vainqueur, Le Combat Ordinaire, où Manu Larcenet se raconte à travers un héros qui a trop de points communs avec lui pour ne pas être suspect. Le Combart Ordinaire, c’est un peu l’apothéose du genre, mais il reflète une tendance qui est plus profonde, représentée également dans le top 10 par Pilules Bleues (7ème) ou Pourquoi j’ai tué Pierre (42ème).
Pour rendre compte de l’essor de l’autobiographie, deux auteurs qui sont parvenus à la consécration pendant la décennie sont symboliques: Riad Sattouf et Joann Sfar. Consécration que l’on jugera au fait qu’on les a autorisés à poser leurs plumes quelques temps pour prendre une caméra. Une bonne partie de l’oeuvre du premier est teinté d’autobiographie, qu’il s’agisse de Retour au Collège ou de La vie secrète des jeunes. A chaque fois, Sattouf se met en scène, il raconte ce qu’il voit, ce qu’il vit. Quant à Sfar, s’il se situe généralement plus dans la fiction, il cède aussi au genre autobiographique à travers ses carnets de dessins qu’il publie. Parfois c’est passionant (Greffier par exemple, qui raconte le procès des caricatures de Mahomet), parfois ça n’a aucun intérêt (comme quand Sfar raconte la matinée où il est allé chercher un chien à la SPA de Gennevilliers).
Pour comprendre un peu la tendance, il ne faut pas perdre de vue que la décennie a aussi vu l’essor des blogs sur Internet, et entre autres des blogs de bande dessinée. Via un blog BD, on peut raconter sa vie en dessins, et certains qui s’y sont essayé ont gagné une vraie notoriété en étant à présent des auteurs « papier » très connus. C’est par exemple le cas de Boulet qui publie ses Notes en papier après une première parution sur Internet, ou celui de Pénélope Bagieu qui, avec son alter égo de dessin Pénélope Jolicoeur, conquiert les rayonnages de la Fnac après avoir triomphé sur le Net.
L’essor de la « BD vérité »
Autre variante de l’autobiographe: les carnets de voyage, représentés dans mon top par Le Photographe (21ème place) ou Pyongyang (17ème place). Le genre a explosé pendant la décennie grâce notamment à Guy Delisle, l’auteur de Pyongyang, qui, outre son voyage en Corée du Nord, signe aussi un carnet de voyage en Chine et un en Birmanie. Il y a aussi Joann Sfar qui raconte un voyage en Inde dans son carnet Maharadja, Nicolas Wild qui raconte son expérience afghane dans les deux tomes de Kaboul Disco ou Ted Rail avec La route de la Soie en lambeaux qui relate un périple en Asie Centrale. Il faudrait un jour s’amuser à placer sur une carte tous les carnets de voyage publiés en BD: je crois que les régions qui ont été « épargnées » sont rares.
Le succès des carnet de voyage est intéressant à analyser, car ils relèvent des deux grandes tendances que je voulais montrer (et font donc une transition parfaite de l’une à l’autre!): l’autobiographie et ce que j’appellerai la « BD vérité ». Comprendre: tout ce qui est reportage en bande dessinée ou BD qui plonge ses racines dans l’actualité. Dans mon top, outre Delisle, c’est par exemple Davodeau avec Un homme est mort (25ème) ou Les Mauvaises Gens (8ème). Mais au-delà de mon classement, je pourrais évoquer d’autres albums qui relèvent de la tendance, ou encore les reportages en bande dessinée publiés dans la revue XXI. Lentement mais sûrement, la BD s’affirme de plus en plus comme un format journalistique à part entière.
L’affirmation du moi et la BD vérité montrent que globalement les auteurs et les éditeurs ont pris des libertés avec les conventions et n’ont pas hésité à renouveler le genre. Dans le choix des histoires on le voit, mais aussi dans la narration, le style de dessin et le format, favorisé en partie par l’influence grandissante des productions étrangères, américaines et surtout japonaise. Cependant, les grands succès comme Titeuf ou Astérix montrent que le lecteur lambda reste aussi attaché à des BD plus conventionnelles.
Quelques gros éditeurs et plein de petits
Après avoir bouclé mon classement, je me suis aussi amusée à relever les différents éditeurs récompensés. Je souligne une fois de plus tous les biais dont souffre l’analyse, à commencer par le fait qu’elle se base sur un échantillon purement subjectif des BD que j’ai le plus aimé de la décennie. Il n’empêche, il se dégage des écarts assez impressionants: 12 pour Dargaud, 5 pour Delcourt, 5 pour Casterman, 4 pour Glénat/Vent d’Ouest, 2 seulement pour l’Association et Dupuis… Mon classement est dominé par une poignée de gros éditeurs, d’où émergent deux poids lourds: Dargaud et Delcourt. Et encore, j’ai pris en compte les premières éditions et non les traductions pour les ouvrages américains. Sinon les bouquins de Moore se seraient retrouvés aussi classés chez Delcourt (et on aurait vu débarquer Quartier Lointain et Jimmy Corrigan dans le classement, édités à l’étranger avant 2000, après en France). Ces chiffres ne reflètent pas tout à fait la réalité du marché, plutôt les éditeurs qui répondent le plus à mes intérêts. Neuf grands éditeurs actuellement concentrent à eux seuls les deux tiers des activités du secteur, précise l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée. Medias Participations (qui regroupe Dargaud, Dupuis, Blake et Mortimer…) est le groupe qui produit et vend le plus, devant Glénat et Delcourt.
Et après?
Au-delà des nouvelles tendances qu’elle a vu naître ou évoluer, la décennie 2000 aura été celle de la confirmation de l’essor du marché de la bande dessinée. Il n’est jamais sorti autant d’albums que depuis dix ans. 4.863 BD ont été publiées ainsi en 2009, dont 3.599 nouveautés. C’est trop? Pour une amatrice de BD comme moi, c’est clairement parfois difficile de suivre vu tout ce qui sort et, devant la masse, on ne peut s’empêcher d’être influencée par la mise en avant des les rayons ou les campagnes marketings (ce qui automatiquement favorise les grosses maisons). Les éditeurs, eux, doivent s’y retrouver et la tendance ne devrait pas faiblir trop vite. Mais rien ne dit qu’un retournement de conjoncture ne peut pas s’opérer, à la faveur d’un changement de mode ou bien du développement de la BD numérique qui s’annonce déjà comme une des évolutions à suivre dans la décade qui s’ouvre. Enfin, pour ce qui est des contenus, difficile de le prévoir. On peut simplement espérer qu’il y aura d’aussi bonnes histoires à lire dans les 2010’s que lors de la décennie passée.
Laureline Karaboudjan
Illustration: extrait de la couverture de Pilules Bleues, de Frederick Peeters
RVoici le troisième volet de mon top 50 des meilleures BD de la décennie. Ca chauffe, avec les BD de la 30ème à la 21ème place, après celles de 50 à 41 et celles de 40 à 31.
30. Retour au Collège (Riad Sattouf) – Hachette – 2005
Ah, les années collège… Celles où tout le monde est moche, où tout le monde le fait remarquer à tout le monde, où le chariage est élevé au rang d’art et où les histoires d’amour prennent une proportion démentielle alors qu’en fait, personne ne sort vraiment avec personne. Riad Sattouf, encore grand ado de 27 ans, a passé un mois dans un collège du XVIème arrondissement. Avec son dessin simple, il raconte ce qu’il voit, il note les expressions, tel un anthropologue qui étudierait cette période si cruelle qu’est l’adolescence. Depuis, il a fait un film, Les Beaux Gosses, qui est au moins aussi drôle que la BD qui l’a inspiré.
29. DMZ Public Works (Brian Wood, Ricardo Burchielli) – DC Comics – 2007
Improbable, une nouvelle guerre de Sécession au XXIème siècle? C’est en tous cas ce qu’imagine Brian Wood pour plonger New York dans une ambiance qui ferait passer Sarajevo en 1992 pour un camp de vacances. Dans la Big (rotten) Apple, on suit un jeune photographe de presse qui décide de capturer toutes les petites et grandes histoires d’une métropole en état de siège. Comme le scandale d’un chantier de reconstruction qui fait la saveur de ce 3ème tome, le meilleur de la série pour le moment. En filigrane, c’est le 11 septembre et l’Irak qui apparaissent dans les rues new yorkaises, sublimées par les impacts de balle et les graffitis omniprésents et auxquelles DMZ est une véritable déclaration d’amour.
28. Où le regard ne porte pas – 2 (Olivier Pont, Georges Abolin, Jean-Jacques Chagnaud) – Dargaud – 2004
Avez-vous parfois l’impression d’avoir vécu d’autres vies ? Et d’y avoir croisé les gens que vous côtoyaient tous les jours ? Si oui, alors Où le regard ne porte pas est fait pour vous. Une femme, quatre hommes, un symbole étrange qui se transmet à travers les siècles. Ce n’est pas ésotérique, cela ne va pas changer le monde, l’histoire est juste entre eux. Ils l’aiment, elle en aime un. D’un petit village italien à la forêt amazonienne, de la jeunesse à l’âge adulte. Tragique parfois. S’il y a quelque défauts dans le dessin, comme parfois les visages qui ont des sourires trop colgate et des traits trop carrés, l’ambiance intimiste et rêveuse est particulièrement agréable. Les deux albums forment un tout, ils n’ont d’ailleurs pas de titres propres, mais, si je devais marquer ma préférence, je la porterais vers le deuxième tome. Pour les trois dernières pages, la petite maison, le vieil homme, la mer, si bleue. Le plongeon.
27. De Gaulle à la plage (Jean-Yves Ferri) – Dargaud – 2007
Là où chez les Américains cela tient parfois du génie, en France, on est souvent très mal à l’aise pour jouer avec des personnages politiques contemporains, même s’ils sont morts depuis un certain temps. Seule la caricature donne l’impression d’avoir le droit de cité. En cela, De Gaulle sous le trait de Ferri est un bol d’air rafraîchissant. Justement, cela se passe sur la plage. Eté 56, le Général a pris du retrait et prend des vacances avec Tante Yvonne et son aide de camp. Toujours tête haute, on retrouve le grand Charles tantôt rêveur, tantôt passionné, toujours conscient de son destin. Même torse nu et en tongs. Et Ferri -oh tabou !- ose poser la question du désir libidineux. “Et cette petite secrétaire bilingue que vous aviez à Londres ?”, demande une fois sa femme. “C’est pour la France que j’étais à Londres, Yvonne. Pour la France“, répond le général. “Admettez que tout ça est très confus“. Tout en finesse, on ne peut que s’y attacher, comme on tombe amoureux des héros du Retour à la Terre du même scénariste avec le même principe d’une succession de scènes courtes.
26. Là où vont nos pères (Shaun Tan) – Dargaud – 2007
Enjoy the silence, nous chantait Depeche Mode il y a vingt ans. En dépouillant cette BD de mots, Shaun Tan raconte au mieux une histoire universelle, celle de l’immigration dans un pays étranger. Tout est contenu dans le dessin, le cadrage et le séquençage des planches. Toute en tons sépias, les cases sont brumeuses, envoûtantes et installent une ambiance inimitable. Ainsi, à l’instar d’un Fabrica (qui aurait pu figurer dans ce top, refrain connu…), Là où vont nos pères est une de ces bandes dessinées sans paroles qui marquent bien plus que certaines planches très bavardes.
25. Un homme est mort (Etienne Davodeau, Kris) – Futuropolis – 2006
Ce n’est pas le tonnerre qui s’est abattu sur Brest, le 17 janvier 1950, mais la déflagration était sûrement aussi violente. Lors d’une manifestation syndicale, un militant de la CGT, Edouard Mazé, est abattu par la police. Le réalisateur René Vautier est immédiatement dépêché sur place par le syndicat pour faire un film de la mort du martyr. Un demi-siècle après les événements, Kris a enquêté minitieusement pour reconstituer cette histoire rocambolesque, et qui donc fait une bonne BD, surtout quand c’est Davodeau au crayon.
24. La Frontière Invisible (François Schuiten et Benoît Peeters) – Casterman – 2002
Le talentueux duo belge n’a pas arrêté son exploration des Cités Obscures au tournant des années 2000, et c’est tant mieux! Dans la décennie, outre La Théorie du Grain de Sable (qui aurait pu, etc.), Schuiten et Peeters ont découvert pour nous, en deux albums, la Frontière Invisible. Roland, jeune géographe, intègre le Centre de Cartographie de Sodrovno-Voldachie. On le charge de réaliser une maquette extrêmement précise du territoire national, mais bien vite les pressions politiques s’en mêlent, pour pousser les projets expansionnistes que nourrit le pouvoir. Comme d’habitude, le tout est profondément poétique, servi par un dessin plus aérien que jamais. Comme aimait à le rappeler ce grand parano de Philip K. Dick, “la carte n’est pas le territoire“. Il aurait adoré ce diptyque.
23. Universal War One, Le Patriarche (Denis Bajram) – Quadrant Solaire – 2006
Dans toute bon film américain, il y a toujours le gros un peu làche mais finalement au grand coeur, et l’homme courageux, sourire enjôleur, tête brûlée. Ajoutez y un chercheur de génie, une équipe de gueules cassées, des vaisseaux, une guerre civile, une bonne dose de voyage dans le temps, des armes impressionnantes, le destruction de la terre, un zeste de folie humaine, de la bible new age, touillez fort et vous aurez Universal War One. Sans doute l’épopée de science fiction apocalyptique de la décennie. Mettons en avant le sixième tome, celui qui explique tout, notamment le rapport au voyage dans le temps. « Le continuum espace-temps est un tout cohérent : le temps y est la conséquence de tous les voyages qui y ont lieu et qui y auront lieu un jour. […] les héros d’UW1 n’ont pas modifié l’Histoire : ils ont leur propre histoire de tout temps. Si leurs actes avaient été différents, l’Histoire aurait toujours été différente de tout temps», a expliqué l’auteur, Denis Bajram dans l’annexe de son dernier tome.
22. Le Photographe, tome 1 (Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert, Fréderic Lemercier)- Dargaud – 2003
Bon, soyons clairs, tous les ingrédients étaient réunis pour faire du Photographe une BD poignante. Elle se base sur un témoignage réel, celui de Didier Lefèvre, photographe envoyé en mission par Médecins du Monde pour rendre compte de l’installation d’un dispensaire de fortune au fin fond de l’Afghanistan, en 1986. Le pays étant tristement revenu dans l’actualité, les souvenirs du photographe, évoqués par un mélange de dessin très sobre et de clichés en noir et blanc, n’en résonnent que plus fort. Ajoutez à celà la mort de Didier Lefèvre peu de temps après la parution du dernier album de la trilogie et vous avez la série probablement la plus chargée émotionnellement de la décennie.
21. L’Âge de Raison (Matthieu Bonhomme) – Carabas – 2002
Dans la savane bleue, l’homme rouge marche. Guidé par ses instincts (et par la faim), il chasse. Seul. Heureusement, il se trouve un perroquet pour compagnon. Du coup il est moins seul. Et puis, quand l’hiver arrive, la chair du perroquet fait un bon amuse-gueule. Comme Jean-Jacques Annaud au cinéma avec La Guerre du Feu, Matthieu Bonhomme décrit la vie d’un homme préhistorique. Point de scénario, guère plus de dialogues, plutôt une longue promenade dans un univers aux couleurs hallucinées, où la simplicité des enjeux est compensée par une grande force narrative. Groumph.
Laureline Karaboudjan
lire le billetPourquoi il ne faut pas attendre grand chose du film Lucky Luke
Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vu le nouveau Lucky Luke et j’ai au moins une chance sur deux de me planter avec un titre pareil. Parce que Lucky Luke sera peut-être vraiment bien, parce que Jean Dujardin, parce que teasing péchu, belle affiche, tout ça, tout ça. N’empêche, si on regarde empiriquement les adaptations de bandes dessinées, a fortiori francophones, au cinéma, il y a de bonnes raisons d’avoir peur. De “Blueberry” à “Michel Vaillant” en passant par… “les Dalton”, justement, nombreux sont les films tirés de BD que l’on a bien vite oubliés. Peut-être pour mieux rouvrir les albums originaux. De fait, que la qualité soit là ou pas, la bande dessinée est depuis longtemps adaptée au cinéma. C’est le cas depuis longtemps, dès les années 1930 avec “Bécassine”, beaucoup dans les années 1960 avec par exemple “Tintin et le Mystère de la Toison d’Or” (encore un bon navet, d’ailleurs), mais depuis une décennie, le nombre d’adaptations s’est considérablement accru, qu’il s’agisse des comics américains ou des bandes dessinées européennes. Pourquoi fait-on autant de films tirés de bandes dessinées, surtout s’ils sont souvent mauvais ?
Par essence, et on ne le répètera jamais assez, la bande dessinée c’est traditionnellement de l’action, de l’aventure, des personnages hauts en couleurs et tout ce qui s’en suit. Autant d’ingrédients qu’exploite aussi le cinéma et qui permet donc des passerelles évidentes. Surtout, le cinéma et la bande dessinée sont deux arts de figuration narrative séquentielle. Leur mode de construction est très similaire et les correspondances sont nombreuses. Les deux sont circonscrits à un cadre, avec un notion de plan, de composition, de photographie (on parlera plutôt de couleur en BD, mais l’idée est la même). La proximité entre la bande dessinée est le cinéma tient d’ailleurs dans un seul objet : le storyboard. D’ailleurs on en a vu certains sortir en librairie au rayon BD. Yves Alion, rédacteur en chef du magazine “Storyboard”, dans un entretien à ActuaBD, nuançait à peine : “S’il s’approche de la bande dessinée, le storyboard ne s’y confond pas. Parce qu’il ne s’embarrasse pas de phylactères et qu’il admet une certaine discontinuité dans la narration. Et pourtant… “.
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