De nombreuses séries de BD ne connaîtront jamais de fin. Frustrant.
Dans la bibliothèque de n’importe quel amateur de BD, on trouvera toujours au moins une série incomplète. Parfois, c’est votre cousin qui vous a emprunté un Astérix dont vous attendez le retour depuis une petite décennie (mais que vous ne voulez pas racheter car vous mettez un point d’honneur à ce qu’on vous rende vos affaires). D’autres fois, plus agaçantes, c’est un album égaré en vacances qui n’est plus réédité, et que vous vous échinez à retrouver à longueur de brocantes. La plupart du temps, c’est surtout que la série en question n’était pas si bien que ça, et que vous n’aurez de toutes façons jamais plus que les trois ou quatre albums que vous possédez, et qui en plus ne se suivent même pas. Ou alors c’est parce que vous avez lus les albums manquants à la bibliothèque municipale.
Et puis, il y a celles qui ne seront jamais entières, même dans les étagères des maniaques qui n’arrivent pas à concevoir qu’ils puissent entamer une série sans la compléter systématiquement (j’en connais, leurs bibliothèques sont monotones et ils me font peur). Parce que certaines séries sont tout simplement inachevées. Soit parce que l’auteur est mort, soit, plus souvent, parce que l’éditeur n’a pas souhaité poursuivre une aventure éditoriale pas assez lucrative. Autant d’histoires sans fin qui ont donné une drôle d’idée à un éditeur indépendant…
Leur première édition est un tome 2
J’ai découvert tout récemment, grâce à un article de Bodoï, l’existence de la toute petite maison d’édition Une idée bizarre, qui a pour ambition de ne publier que des séries abandonnées ou des histoires oubliées. Son originalité, surtout, c’est non seulement de publier les tomes déjà sortis de ces récits maudits, mais d’en sortir également les suites inédites ! Dans la bien-nommée collection “Etcaetera”, le tout premier album publié par Une idée bizarre est ainsi… un tome 2, celui de la BD Ombres et lumière de Régis Parenteau-Denoël, dont le premier volume était sorti chez Glénat en 1997.
Ainsi, c’est le dessinateur original de la série qui a repris plume et pinceaux pour livrer, quatorze ans plus tard, la suite des aventures d’Erik, un peintre hollandais plongé dans les intrigues de la cour de Louis XIV. Bien sûr, le petit éditeur associatif n’a pas du tout la même assise financière qu’une grosse maison comme Glénat et joue donc la carte du collector pour pouvoir rentrer dans ses frais. L’album sort donc en habits d’apparât : tirage limité à 300 exemplaires numérotés et signés, en grand format (26,5 x 36,5 cm) dos toilé et accompagné d’un carnet de croquis. Le tout pour la somme de 51€, bien plus cher que le prix habituel d’une BD, mais un prix que sont prêts à payer les fans inconditionnels de la série.
L’idée, évidemment, me séduit beaucoup et je me suis donc demandée, en lectrice enamourée et nostalgique, quelles sont les séries que j’aimerais voir continuer.
Tintin et l’Alph Art. Évidemment, je ne pouvais pas passer à côté du 24ème album des aventures du plus célèbre des Belges, interrompu à jamais par la mort d’Hergé en 1983. Embarqué dans une enquête sur un faussaire d’art doublé d’un gourou mystique, un certain Endaddine Akass, Tintin se fait attraper. La dernière case de l’album nous montre le reporter emmené, sous la menace d’un pistolet, vers une mort certaine puisqu’il est destiné à être transformé en compression de César. Que va-t-il arriver vraiment ? Milou volera-t-il au secours de Tintin ? Endaddine Akass est-il bien Rastapopoulos comme on le devine tout au long de ce début d’aventure ? Autant de questions laissées sans réponses… Bien-sûr, il y a une dramaturgie involontairement géniale dans cette interruption de l’oeuvre sur un tel pic de suspense, et la série de Tintin ne pouvait pas se terminer de la meilleure façon. Et en même temps, j’ai ce caprice de petite fille de vouloir connaître à tout prix la fin. Mais ne dit-on pas que le désir s’éteint aussitôt qu’il est satisfait ? Au pire, on peut toujours se rabattre sur l’album pirate de Rodier, ou sur les innombrables suites que l’on trouve sans peine sur le Net pour peu qu’on se donne la peine de chercher…
La quête de l’Oiseau du Temps. La première aventure a été publiée en 1983, 28 ans plus tard, il n’y a eu que 7 albums ! Il en reste donc encore 5 publier pour l’aventure scénarisée par Serge Le Tendre et dont le dessinateur principal est Régis Loisel (un tome du cycle avant la quête et tout le cycle après la quête restent à faire). Donc, même si le rythme s’accélère, il reste encore un sacré bout de chemin à parcourir et des années d’attente frustrantes pour le lecteur. Théoriquement, sauf mort précoce des auteurs, le cycle aura une fin, c’est déjà ça. Bon d’ici là j’aurai sans doute ma carte vermeil, mais c’est la vie.
Donjon. Finiront-ils un jour? La série Donjon n’est pas inachevée, me direz-vous, mais on peut légitimement se demander si on en verra le bout. Car les excellentes aventures d’heroic fantasy imaginées par Joann Sfar et Lewis Trondheim, ont un objectif supposé de parution de 300 albums (sans compter les nombreux à côtés) et si le rythme de parution a pu être effréné pendant un temps, avec de nombreux dessinateurs collaborant à la série, force est de constater que ça s’est beaucoup calmé ces dernières années. Pour ne pas parler de quasi point-mort. Sfar confiait sur son blog il y a plusieurs mois déjà que deux albums étaient en préparation qui devraient offrir “une forme de conclusion à tous les albums existants”, tout en promettant que “ça n’est pas du tout la fin de Donjon”. J’espère… Car si je n’ai jamais cru qu’il y aurait 300 albums à terme, les ponts scénaristiques qui ont d’ores-et-déjà été lancés méritent au moins une dizaine d’albums pour être correctement achevées. Après, on peut aussi imaginer au bout d’un temps que les scénaristes comme actuellement les dessinateurs viennent à tourner pour que l’on puisse aller jusqu’au bout car le vrai problème de la série, c’est le succès qu’on connu Sfar et Trodheim dans leurs autres entreprises. Et leur “don” pour s’éparpiller, surtout. Vous verrez, dans trente ans, des blogueuses BD écriront qu’ “il y a une dramaturgie involontairement géniale” dans cette oeuvre fragmentaire…
Jimmy Boy. Les amours de jeunesses sont inoubliables. Ainsi en va-t-il de Jimmy Boy, jeune garçon américain de la Grande Dépression, dont les péripéties ont d’abord été contées en récits courts dans le journal de Spirou avant de paraître en 5 albums édités chez Dupuis au début des années 1990. Si aujourd’hui le ton de la série peut me sembler un peu niais par moments, je me suis passionnée pour ces aventures pleines de rebondissements… et inachevées. Le dernier album, “Le Chat qui fume”, s’achève sur une révélation de la plus haute importance : le père de Jimmy, que l’on voit partir en prison au premier tome pour avoir tué involontairement un briseur de grève, s’est évadé ! “Peut-être que le je le retrouverai un jour” lance le héros à la dernière case de l’album. Mais seize ans plus tard, on ne sait toujours pas si le poor Jimmy Boy a retrouvé son papa. Frustrant.
Lapinot et les Carottes de Patagonie. Pourquoi un nouveau tome pour ce pavé de plusieurs centaines de pages, la première oeuvre délicieusement foutraque de Lewis Trondheim? Justement parce que le principe de départ de la BD était d’écrire le scénario au fil de la plume et de toujours avancer, fuite en avant perpétuelle. Du coup, l’idée même de fin n’a pas vraiment de sens. Lapinot et les Carottes de Patagonie aurait pu être pour Trondheim ce que la suite de nombres croissants a été pour l’artiste Roman Opalka, décédé récemment. Une lutte contre l’infini qui ne prendrait fin qu’avec la mort de l’auteur lui-même. Mais il semble avoir déjà renoncé…
Je pourrais aussi compter toutes les séries que j’aurais aimé voir s’achever avant qu’on ne commette l’album de trop : Astérix, Lucky Luke, XIII ou de nombreux mangas. Prenons One Piece par exemple : je ne sais plus combien j’en ai lu de chapitres et je ne veux pas savoir. Luffy chapeau de paille et ses amis sont entrés dans ma vie, et j’en étais plutôt contente au départ. Mais, au bout d’un moment, j’aimerais qu’ils partent! A chaque chapitre, je me dis désormais: mais tu vas la finir ta putain de quête, oui? C’est le problème avec les manges en général. Dès qu’une série a du succès, une armée de scénaristes et de dessinateurs se penchent dessus dans le seul but que l’histoire dure le plus longtemps possible à des fins commerciales. Et tant pis pour la cohérence de l’histoire.
Et puis, il ya les BD dont j’aurais aimé une autre fin, mais là vous allez dire que je suis vraiment difficile. Il n’empêche : dans La jeunesse de Picsou, j’aurais tellement voulu que ce sacré canard ouvre la lettre de Goldie. Comme dirait Pascal (pas Brutal, le philosophe) : la face du monde -ou au moins de Donaldville- en eût été changée.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Dernière case de Tintin et l’Alph-Art, DR.
lire le billetJe sais ce que vous allez me dire: tout ça n’est qu’une question de pilule bleue ou rouge et à la fin la réponse est 42. Nonosbtant, deux faits d’actualité m’ont récemment frappée. Au Japon, dans la vraie vie, les tests de robots androïdes sont de plus en plus avancés. Une sympathique personne, Geminoid F vient ainsi de débuter sa carrière d’actrice dans une pièce de théâtre.
Et sa petite sœur, Android F, a été conçue pour divertir les patients dans les hôpitaux. Ça y est, moi aussi je suis atteinte, je me rends compte que j’ai écrit “personne”. J’ai humanisé ces deux androïdes femmes, mais le méritent-t-elles vraiment? “Les robots sont-ils des humains comme les autres?” sera sans doute un des sujets du bac philo en 2050. En attendant, on peut toujours se pencher sur la bande-dessinée pour un embryon de réponse. Deux albums parus récemment interrogent d’ailleurs, chacun à leur manière, la frontière entre l’humain et le robot.
Sommes nous gouvernés par un robot androïde?
Les Fenêtres d’Eristom, une BD scénarisée, dessinée et mise en couleurs par Raphaël Drommelschlager, présente un univers futuriste ultra-technologisé : la ville d’Eristom qui donne son titre à l’album. C’est une véritable société optimisée, où on attribue une place à chaque citoyen avant sa naissance et où personne ne manque de rien. Sauf peut-être d’émotions, de sentiments autre que le bonheur béat dans leur travail. La ville est dirigée par Vance, qui en est également le génial concepteur. Sauf que Vance, en dépit de son apparence humaine, est un robot. Bien-sûr, dans cet univers lisse, particulièrement servi d’ailleurs par le dessin sans accrocs de l’auteur, un humain va sortir du rang. Et va se rendre compte, peu à peu, que derrière la façade sans failles d’Eristom se cachent d’autres réalités.
Au-delà de ce scénario un peu attendu, qui rappelle évidemment Matrix, mais aussi Le Meilleur des mondes ou 1984, la BD interroge le rapport entre l’homme et la machine en inversant les rôles. Les humains d’Eristom sont complètement robotisés dans leur vie quotidienne (et ne le sommes nous pas tous un peu aussi?) alors que leur dirigeant, robot de son état, tente le plus possible de masquer sa condition, au point de se croire vraiment humain. Comme ce n’est pour l’instant que le premier tome de la série, on n’entrevoit seulement cette thématique du rapport inversé homme/machine, mais j’imagine qu’elle sera développée plus en avant par la suite.
Dans le manga Ultimo, récemment paru en France, qui a pour particularité d’avoir été dessiné par un Japonais, Hiroyuki Takei, mais scénarisé par l’Américain Stan Lee (X-Men, Spiderman, Iron Man…), les robots ne sont pas encore au pouvoir mais ils s’en approchent. Des Karakuridoji, créés de toute pièces au temps des Samouraï, ressurgissent à l’âge moderne. Ce sont des sortes de marionnettes mécaniques qui ont pour particularité de ressembler en tout point à des enfants. Sauf qu’ils ont des pouvoirs extraordinaires. Bien sûr, ils sont censés avoir besoin d’être associés à un humain, le protéger et le mener à la victoire. L’une marionnettes robots incarne le mal absolu, l’autre le bien absolu, et ils doivent trouver des humains leur ressemblant. La question au final se pose: qui contrôle-qui, entre l’homme imparfait et le robot qui tend vers l’absolu ?
L’androïde, figure classique de la science fiction
Ces deux exemples récents sont à ajouter à la longue liste des androïdes en bande-dessinée. Comment en serait-il autrement puisque le robot à apparence humaine, tout comme son cousin le cyborg (un humain qui a vu certaines parties de son corps mécanisées) sont des lieux communs de la science fiction en général? Bien-sûr, je ne vais pas m’amuser à énumérer tous les exemples (de toutes façons vous allez vous en donner à cœur joie dans les commentaires), mais quelques uns méritent qu’on s’y arrête.
Pour rester dans le manga, impossible de ne pas évoquer Ghost in the Shell, le manga de Masamune Shirow adapté en anime en 1995. En lui-même, le titre de la BD pose la problématique. Littéralement, il signifie “l’esprit dans la coquille”. On retrouve ici l’opposition classique entre l’âme d’un côté et l’enveloppe corporelle de l’autre. Ce qui est drôle, c’est que “shell” est aussi un terme informatique pour désigner l’interface d’un système d’exploitation. Le visage de la machine en quelque sorte… Dans un Tokyo futuriste où la frontière entre l’homme et le robot est pour le moins floue, ce thriller (qui rappelle un peu Blade Runner au cinéma) narre la traque d’un cyber-criminel qui s’avère être… une intelligence artificielle. Incarnée dans un robot androïde, elle cherche à se reproduire, non par duplication mais par accouplement. Un désir purement humain, non?
Tiens, puisque je parlais de Blade Runner, signalons que la nouvelle de Philip K. Dick qui a inspiré le film, Est-ce que les androïdes rêvent de moutons électriques, a été adaptée en bande-dessinée. Prévue en 24 épisodes, cette série au dessin est élégant a la chance d’avoir sa première édition postfacée par Warren Ellis, l’auteur (entre autres) de l’excellent Transmetropolitan. La problématique est toujours la même : qu’est-ce qui se passe quand un androïde échappe au contrôle humain. S’il ne se transformait pas tout le temps en tueur psychopathe, les choses seraient plus simples.
Et puis, bien-sûr, on retrouve des androïdes dans la BD franco-belge. Citons simplement Yoko Tsuno, un classique de la science fiction, où l’héroïne se retrouve confrontée à des robots à apparence humaine dans les Archanges de Vinéa, le treizième album de la série. Dans une cité engloutie de la planète Vinéa règne une reine despotique, Hégora. Il s’agit en fait d’une androïde, qui a volontairement stoppé la croissance des enfants humains de la ville pour les conditionner à devenir des machines à tuer, et conquérir ainsi toute la planète. Encore une fois, les frontières sont brouillées et la présence de robots à l’apparence humaine va de pair avec une certaine robotisation des humains. Pareil dans le dernier album de la série, récemment paru, La Servante de Lucifer où elle doit affronter des androïdes venant… des enfers!
Dans la fantasy aussi
La science fiction n’a pas le monopole du cœur androïde, même la fantasy en profite. Dans la série Donjon (qu’on ne présente plus), Vaucanson, ville d’origine d’Herbert, un des héros principaux, est protégée un temps par des automates animés par une flamme de vie. Si on les croise de temps en temps dans la série, ils surtout l’objet de deux albums de l’arc Donjon Monster, Le Grand Animateur et Le Grimoire de l’inventeur. Dans le premier, l’histoire raconte la destruction de Canard-Ville et sa reconstruction qui lui vaut d’être rebaptisée Vaucanson. Les automates tentent de faire partie de la vie de la cité, ils la défendent et participent aux débats publics, étant capables de se faire passer en tout point pour des hommes. Ils n’ont qu’une différence avec eux : ils ne savent pas mentir. Dans le second album, qui se passe bien des années plus tard, les automates ont disparu, à part quelques uns qui font semblant d’être des humains. C’est sans doute l’un des meilleurs Donjons. Sans résumer toute l’histoire, les automates s’avèrent bien moins cupides que les humains. L’un deux, pour sauver le monde, va même choisir un acte à ma connaissance unique: se suicider et tuer ses amis par la même occasion. A noter que les auteurs ont choisi le nom de la ville, Vaucanson, en hommage à Jacques de Vaucanson, inventeur et mécanicien du 18ème siècle. En collaboration avec des chirurgiens, il tenta de reproduire les principales fonctions de l’organisme humain et anamal et construisit des automates. Son premier est le flûteur automate et, surtout, son plus célèbre est un canard, le canard digérateur ! La boucle est bouclée.
On remarque que la plupart des androïdes de nos androïdes de BD ne respectent pas les trois règles de la Robotique normalement édictées par Isaac Asimov:
Est-ce si surprenant que ça? Pourquoi les robots respecteraient-ils des règles que la société et les hommes ne respectent déjà plus entre eux? N’oubliez-pas, ils ne sont que notre miroir.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de l’adaptation en anime de Ghost in the Shell, DR.
lire le billetDans le volcan islandais, on trouve évidemment des extraterrestres mais aussi des temples, des dieux, des pirates, des dragons…
Mardi, je lisais cette information fondamentale sur Le Post: certains affirment avoir vu des soucoupes volantes sortir du cratère islandais. Le sujet est sorti sur la chaîne Sky News notamment, le 18 avril, avec un journaliste expliquant que ce n’était que des oiseaux. Mais la loi du bon sens propre à Internet veut que personne ne l’a cru, car, “pourquoi des oiseaux seraient aussi stupides pour s’approcher aussi près?”. Non, clairement, ce sont des Ovnis. Tremblez braves gens, 2012 a un an et demi d’avance. Sans vouloir me vanter, je n’ai pas été très surprise par cette information. A vrai dire, je m’en doutais. En effet, depuis Vol 714 pour Sidney, il est bien connu dans les milieux informés (c’est à dire ceux qui lisent des bandes-dessinées) qu’il y a des extraterrestres dans les volcans.
Vol 714 pour Sidney est peut-être l’épisode le plus contesté d’Hergé. Celui qui est traditionnellement le moins aimé, tant par les tintinophiles convaincus que par les amateurs. Le coup des extraterrestres, personne n’arrive vraiment à y croire, même si cela ne tombe pas non plus complètement dans le ridicule du dernier album d’Astérix par exemple. Pour résumer l’histoire rapidement, pour ceux qui ont une mauvaise mémoire, Tintin, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol se retrouvent sur l’avion d’un riche milliardaire qui est détourné sur une île déserte par l’ennemi de toujours, Rastapopoulos. Après moult péripéties, l’infâme américain d’origine grecque provoque l’explosion du volcan de l’île (ce qui laisserait penser par ailleurs que les Grecs ont déclenché l’explosion de Eyjafjallajokull pour détourner l’attention de leurs problèmes, mais restons sur un seul complot à la fois…) et Tintin et ses amis sont sauvés par un initié en relation avec des extraterrestres qui embarquent tout le monde dans une soucoupe volante… De là à dire que s’est joué dans les entrailles islandaises le même type d’aventures, il n’y a qu’un pas. Que je franchis allègrement, car si pour Proust “La vraie vie c’est la littérature“, pour moi c’est la BD.
Nonobstant, les volcans sont un lieu d’inspiration assez courant en bande dessinée. Hergé est aussi l’auteur de l’Eruption du Karamako, un album de la série Jo et Zette et Jocko paru en 1952, et dont la couverture ressemble étrangement à celle de Tintin et les Picaros, dessinée trente ans plus tard.Là se mêlent pirates, savant fou et crachats noirs. Dans cette aventure comme dans Vol 714, le volcan est un personnage à part entière de l’histoire, peut-être même le personnage central.Bien sûr, les ressorts dramatiques propres au volcan sont très puissants. Le volcan, c’est la menace pesante, visible, qui domine le paysage de sa stature. Et quand il rentre en éruption, c’est un véritable spectacle visuel, panaches de fumée et flambeaux de lave, qui ne peut qu’inspirer les dessinateurs de bande dessinée.
Et puis, un volcan, c’est dangereux.Certains héros de bande dessinée manquent parfois de périr dans l’un deux. C’est le cas d’Alix, dans le tome Les Proies du Volcan. Ici encore, le volcan se trouve sur une île déserte mais s’y ajoute également, antiquité oblige, la thématique du dieu en colère. Dans cet album, le volcan peut aussi symboliser les turpitudes de la passion amoureuse. En effet, dans les Proies du Volcan, Alix se rapproche d’une jeune sauvageonne autochtone nommée Malua. Enak en prend ombrage. Le volcan qui bouillonne, n’est-ce pas un peu le sang chaud qui bat aux tempes du jeune Egyptien? Mais sur la couverture, c’est bien Enak qui sauve Alix des périls du feu. On se croirait dans le Seigneur des Anneaux avec Sam récupérant Frodon. Et quitte à poursuivre le parallèle, Malua et Golum, tous deux présents dans les scènes respectives de chute au dessus du magma, sont chacun un élément de conflit. Jacques Martin avait-il lu Tolkien? Peut-être bien…
Du feu, des dieux, de la colère… Le volcan est un espace de fantasme. C’est un endroit où tout est possible, surtout l’extraordinaire. S’ils ne permettent pas tous d’accéder au centre de la terre comme chez Jules Verne, la plupart sont habités par des extraterrestres – on l’a vu – et d’autres permettent d’aller sur la Lune, notamment chez Peyo. Dans le Cosmoschtroumpf, un des petits êtres bleus rêve d’espace. Mais sa fusée ne marche pas et, pour qu’il ne soit pas malheureux, ses amis décident de l’endormir et de l’emmener dans le cratère d’un vieux volcan endormi, qui ressemble à la surface de la Lune, pour lui faire croire qu’il a réussi son voyage. Là, il croise des étranges personnages et croit vraiment qu’il est arrivé sur une autre planète. Le volcan, c’est vraiment un endroit à part.
Que ne ferait-on pas pour ses amis, même s’ils sont fous et que l’on risque de devenir fou soi-même? C’est ce qu’a dû se demander plusieurs fois Spirou dans la Vallée des Bannis, suite de la Frousse aux Trousses, qui sont deux de mes épisodes préférés du groom. Après avoir manqué de mourir noyés dans un torrent lors de leur expédition au Touboutt-Chan, les deux héros se retrouvent dans une vallée inconnue, qui semble être le cratère d’un immense volcan endormi, à la végétation luxuriante. Là encore, le volcan s’annonce comme un espace magique et dangereux, car c’est dans ce cratère que Fantasio se fait piquer par un moustique fatal et sombre dans la folie. Il tente à plusieurs reprises de tuer Spirou, qui, évidemment, le sauve, s’échappe, etc. Le boulot habituel d’aventurier quoi.
On a vu que les volcans pouvaient avoir des rôles majeurs dans certaines histoires. Parfois, il s’y joue même le destin du monde. C’est le cas dans la série Donjon, dont je vous ai déjà parlé, dans son arc final “Crépuscule”. Dans le tome 102, le Volcan des Vaucanson, on découvre que le Grand Khân, un des protagonistes de la série, niche dans un volcan. Maître des destinées, il a fait s’arrêter la planète Terra Amata, dont une partie est perpétuellement éclairée et l’autre entièrement plongée dans la nuit. A mesure que l’histoire avance, le Grand Khân se libère de l’Entité noire qu’il l’habitait et redevient Herbert, le canard farfelu des autres arcs de la série. La planète se remet à tourner mais se désagrège en une myriade d’îlots flottants qui surplombent un noyau de lave en fusion. Est-ce qu’on ira jusque là avec Eyjafjallajokull ?
Laureline Karaboudjan
Illustration : Vol 714 pour Sydney, DR
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