Le journal du canard avare , qui fête ses 40 ans, reste une porte d’entrée incontournable dans l’univers de la BD.
Quand j’ai appris la nouvelle, je vous avoue que j’ai été un peu étonnée. Avec son numéro d’avril, le 480, Picsou Magazine souffle… sa quarantième bougie. Le premier numéro français du canard des canards de Canardville est en effet sorti en mars 1972, tout en noir et blanc. Moi qui n’ai pas cet âge canonique, je n’imaginais pas que la publication soit aussi vieille. Même si j’avais le souvenir d’avoir, gamine, racketté mes parents pour acheter des Picsous moitié en couleur, moitié en noir et blanc dans les brocantes de ma belle province.
Je suis convaincue que tout ancien lecteur ou toute lectrice repentie de Picsou Magazine aurait cette difficulté à dater le magazine. Parce que c’est l’un des premiers titres de presse (c’est prestigieux dit comme ça) que l’on a entre les mains, le lien affectif qui se créée est très fort. Et l’on peine à imaginer que d’autres aient pu lire, avant ou après, “son” magazine.
Ils sont pourtant nombreux, les lecteurs de Picsou Mag. L’an dernier, la diffusion payée du magazine en France était de 98 198 exemplaires, tandis que le titre revendique la bagatelle d’1 705 000 lecteurs, selon l’AFP. D’après l’étude Junior Connect menée par Ipsos, Picsou Magazine serait le deuxième titre le plus lu par les garçons de 8 à 14 ans, juste derrière… Super Picsou Géant. Personnellement, je ne suis jamais partie en colonie de vacances sans les deux publications dans mon sac à dos !
Certes, au bout d’un moment, on passe à autre chose. Mais, à l’occasion, je n’hésite pas à me replonger dans une histoire de Picsou ou de Donald (comme beaucoup j’ai toujours moins aimé Mickey) quand je tombe dessus. Car beaucoup ne sont pas juste de simples histoires pour enfants mais ont une vraie qualité et ont inspiré de nombreux auteurs. Les premiers Picsou par Carl Barks sont une référence mais les meilleurs sont sans doute ceux de Don Rosa.
La Jeunesse de Picsou, modèle du genre
Au début des années 90, il dessina et scénarisa La Jeunesse de Picsou, déclinée dans Picsou Magazine et que l’on peut aujourd’hui lire en albums reliés. Parmi les nombreuses histoires qu’a réalisées l’auteur américain, elle fait figure d’exemple. Outre le fait d’être extrêmement divertissante car tout en rebondissements, cette biographie du canard avare est nourrie de références qui dépassent l’univers de Picsou à proprement parler.
Sur la pauvreté dans l’Ecosse industrielle, sur la conquête de l’Ouest, les chercheurs d’or ou même la colonisation de l’Afrique du Sud, l’histoire traverse les époques et offre un regard sur les Etats-Unis de la fin du XIXème et du début XXème, comme peuvent le faire Lucky Luke ou Blueberry, avec souvent des accents qui mélangent Dickens et Jack London. On comprend d’où vient l’envie d’argent de Picsou, sa foi inébranlable, son amour perdu (mais pourquoi n’a-t-il pas ouvert la lettre de Goldie?), sa misanthropie, ses grandes erreurs, etc.
Parce qu’on y trouve des histoires comme celles de Barks ou de Don Rosa, d’un calibre autrement supérieur que les autres gags qui peuplent le magazine (il y a des histoires aussi franchement pourries), Picsou Magazine reste, à mon sens, une porte d’entrée idéale dans l’univers de la bande-dessinée. C’est probablement ce qui explique la survie du titre dans un paysage qui a vu les magazines “d’illustrés pour la jeunesse”, selon l’appellation traditionnelle, s’éclipser tous peu à peu. Bien sûr il ne faut pas oublier la force de frappe générale de Disney qui entre la télévision, les parcs d’attraction et le merchandising divers occupe beaucoup plus facilement l’espace. Avant d’être de la BD, Picsou Magazine est un outil de promotion de la marque.
Le seul équivalent de cette qualité reste le Journal de Spirou, mais son âge d’or n’est plus. Le Journal de Tintin, lui, a disparu depuis bien longtemps et Pilote n’existe plus que par des hors-séries aléatoires, par ailleurs plutôt réussis (pour commémorer mai 68 ou pour célébrer l’érotisme). Quant à Pif, pendant anticapitaliste historique de Picsou dont il partage la même culture du gadget, il a bien tenté un come-back en 2004 mais l’aventure aura été de courte durée. Le dernier numéro du nouveau Pif, avec sa fameuse machine à faire des œufs carrés, est sorti en 2008, avant la liquidation judiciaire l’année suivante.
Ces œufs carrés symbolisent tout simplement le décalage entre les deux titres. On trouvait en effet des œufs de ce type dans une histoire de Carl Barks, Perdus dans les Andes, datant de… 1949.
Laureline Karaboudjan
llustration : dessin de Picsou par Carl Barks, DR.
lire le billetDésencyclopédie livre une définition absurde de la BD. Pas forcémment la plus mauvaise.
“La bande dessinée est un style de films étrange où jouent des gens muets et où les caméras sont si lentes que les images sont saccadées et dénuées de sens profond. De même, la succession de l’histoire n’est pas rectiligne : on va à droite, en bas, même à gauche dans certains cas“. Ainsi commence la description de la bande dessinée sur la page qui lui est consacrée sur le site satirique Désencyclopédie. Cette alternative peu sérieuse à Wikipédia touche en général assez juste et la BD n’est pas épargnée. Et même si ce n’est pas l’article le plus drôle, loin de là, l’entrée consacrée au neuvième art n’est pas dénuée d’intérêt.
On y apprend par exemple que “par son côté rudimentaire et souvent peu réaliste, on croit que la bande dessinée est apparue en même temps que les débuts de la cinématographie. (…) En raison de cette origine sans budget, la bande dessinée est souvent gravée sur papier et non sur une pellicule ou un support numérique”. Au-delà de la blague, la comparaison avec le cinéma est assez bien vue. Les deux disciplines sont souvent comparées, a fortiori lorsqu’une BD est adaptée à l’écran. J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer ici tout ce qui rapproche (le storyboard par exemple) et éloigne (l’interprétation des acteurs, entre autres) les deux arts.
En faisant de la BD une sorte de sous-cinéma, Désencyclopédie pointe ce qui pourrait être un des risques pour elle : perdre son statut d’art si durement acquis pour retomber en mode mineur et n’être qu’une anti-chambre pour blockbusters. La frénésie d’adaptations cinématographiques (Tintin, Lucky Luke, Iznogoud, Michel Vaillant, etc. -la liste est longue, sans compter les comics américains), plus ou moins réussies, de ces dernières années pourrait augurer d’un tel avenir. Surtout lorsque la logique d’adaptation pré-existe à la sortie d’albums, comme celà peut-être le cas quand studios BD et ciné cohabitent au sein d’une même entreprise. L’éditeur de comics Marvel fait figure de tête de proue de ce mouvement, et il pourrait très bien faire des petits.
Revenons à la Désencyclopédie. Avec humour, elle détaille quelques grands héros, tels Spirou, le “fanatique d’hôtellerie qui part à l’aventure pour civiliser des gens d’un marais maudit, des cyborgs ou bien des animaux à la queue cent fois plus longue que leur tête“, Lucky Luke “un homme [qui] arrête de fumer. Pour compenser, il se met à mâchonner une brindille, mais celle-ci provient d’une plante toxique et hallucinogène: du coup, il se met à voir des choses étranges, comme des quadruplés à moustaches et rayures, un cheval qui parle, et il croit même voir son ombre se déplacer plus lentement que lui” ou (ma préférée) Bécassine qui est “Tintin quand il est travesti en godiche à sabots“.
Le manga, une histoire de tentacules
Le manga, dans le même genre, est aussi bien servi. Grâce à Désencylopédie, on découvre -ou plutôt redécouvre- ses principaux thèmes (vous n’êtes pas obligé de lire le long paragraphe qui suit):
“Les violences sexuelles dans le cadre scolaire ; Les tentacules phalliques ; Les violences sexuelles dans le cadre de la pratique du sport ; Les tentacules phalliques ; Les enquêtes policières qui donnent lieux à des effusions de violence (physique ou sexuelle) gratuite ; Les tentacules phalliques ; Les histoires relatant la vie de pratiquants d’arts martiaux qui décapitent et éventrent à tour de bras ; Les récits fantastiques qui font intervenir des créatures démoniaques avec un appétit sexuel insatiable et impliquant le sacrifice de jeunes vierges ; Les histoires de robots pervers pouvant envoyer une partie de leur corps à l’autre bout de la galaxie ; Les histoires invraisemblables où des ados attardés sont amenés à sauver le monde ; Les difficultés dues à la vie en communauté pour un jeune homme habitant un harem/résidence étudiante/dojo/etc peuplé principalement de jeunes filles affriolantes et impudiques ; Les différentes interactions avilissantes possible entre une jeune homme et un robot/extra-terrestre/clone/esclave sexuel (barrer les mentions inutiles) en tout genre ; Les aventures de collectionneurs compulsifs qui se mettent en tête de récupérer les objets/animaux/monstres de poches les plus stupides dans un but obscur ; Les aventures de tentacules phalliques compulsives qui se mettent en tête de violer les objets/animaux/collégiennes/monstres de poches les plus stupides dans un but obscur“.
Si vous n’avez pas eu le courage de tout lire, cela parlait surtout de tentacules phalliques.
On y apprend également que Naruto est l’histoire de “comment un jeune ninja nommé Salamèche cherche à se taper sa coéquipière Rondoudou” ou Bleach “l’histoire de jeunes gens qui, dans un état second permanent dû à un abus de drogues hallucinogènes sont persuadés de vivre à coté d’un autre monde tout chelou où les gens viendraient sur la Terre (mais ya que eux qui les voient, tiens ! ^^) pour se battre on sait pas pourquoi avec des monstres chelou qu’on peut pas voir non plus (mais ils les voient aussi, comme c’est bizarre…)“. Enfin, dans le même esprit absurde et toujours sur le thème du cinéma, j’aime beaucoup la définition de phylactère: “Panneau de bois sur lequel est écrit le script en Arial taille 72 pour une bonne lecture et compréhension de l’histoire“.
De la difficulté de définir la BD
Avec dérision Désencyclopédie accomplit l’exercice particulièrement délicat de la définition. Délicat parce que selon les mots que l’on choisit pour définir, le sens donné est évidemment changeant. C’est le cas pour n’importe quel terme, depuis “arrosoir” jusqu’à “zèbre”, mais ça l’est plus encore quand il s’agit de définir un art. Si j’ouvre mon bon vieux Petit Larousse en couleurs de 1972, je lis en sous-définition de “bande” que la “bande dessinée, illustrée” est “une histoire racontée en une série de dessins“. Si j’ouvre mon dictionnaire préféré, le Trésor de la Langue Française informatisé, je constate également que la bande-dessinée n’a pas de définition à part entière et qu’elle est “synon. de dessin animé” (sic). Mais surtout qu’il s’agit d’une “séquence d’images, avec ou sans texte, relatant une action au cours de laquelle les personnages types sont les héros d’une suite à épisodes (ex. : Bécassine, les Pieds-Nickelés, Tintin, Astérix, Lucky Luke, les Dalton, etc.)“.
On voit bien que la clé réside dans la succession d’images. Elle est au centre de l’une des tentatives de définition de la BD les plus abouties que j’ai lu, à savoir celle produite par Will Eisner dans son ouvrage “Comics and Sequential Art“. Pour l’auteur génial du Spirit, la BD est avant tout un “art séquentiel” à savoir un “moyen d’expression créatif, discipline à part entière, art littéraire et graphique qui traite de l’agencement d’images et de mots pour raconter une histoire ou adapter une idée“. S’il note lui aussi la parenté avec le cinéma, Eisner remarque aussi que “alors que chacun de ses éléments constitutifs -comme la conception, le dessin, la caricature et l’écriture- ont trouvé une reconnaissance académique, leur combinaison en un médium unique a mis longtemps à se faire une place aux côtés de la littérature et de l’art“. Et de noter, au moment de la parution du livre en 1985, que la BD “restait incapable, en tant que genre, de susciter la moindre critique intellectuelle sérieuse. Comme je l’enseignais souvent à mes élèves “un beau dessin n’est pas suffisant”.
En encore, je dois avouer que je n’ose pas m’attaquer aux définitions des sous-genres. Par exemple, le terme de «roman graphique» («graphic novel»), a une sérieuse tendance à me donner de l’urticaire quand j’essaye d’en parler: je me sens un peu à chaque fois comme le super-héros dans ce dessin de Chris Ware qui tente de s’envoler d’un building et qui s’écrase lamentablement par terre.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture de Chris Ware, la BD réinventée, DR.
lire le billetSur-représentés en BD, les roux y sont également plus valorisés que dans la vraie vie.
Le saviez-vous? Paul Scholes, le joueur de Manchester United, a décidé de prendre sa retraite. Bon, moi je ne le savais pas, mais je l’ai appris grâce à un article de Plat du Pied Sécurité , le blog de foot de Slate. Et, voyez-vous, bien que je ne suive pas spécialement le foot, ça m’a touchée. Car tout l’article se concentre moins sur les crampons de l’anglais que… sur la couleur de ses cheveux. Avec cette assertion pour le moins rapide : “les roux ne sont pas sexys“. Le hasard de la vie faisant que je suis moi-même rousse, cette phrase m’a fait rire tellement elle est fausse. Mais dans les commentaires, des gens bien plus furieux que moi ont animé le débat. Je vous passe tous les développements mais à un moment, l’auteur de l’article finit par en appeler à mes lumières (?) concernant les roux en bande-dessinée. Dont acte.
Si dans la vraie vie, nous ne sommes pas très bien servis en tant que roux, il en va tout autrement en BD. A commencer par les effectifs. Alors que les roux et rousses ne représenteraient qu’entre 1 et 2% de la population mondiale, on en trouve une tripotée dans les aventures dessinées. Une rafale d’exemples ? Obélix, Spirou, Boule (le copain de Bill), le sergent Chesterfield (des Tuniques Bleues), Jérôme K Bloche, Shanks le Roux (du manga One Piece), Lanfeust, Soda, Mortimer… Et chez les filles, citons par exemple Mélusine, Nadia (la copine de Titeuf) et, bien sûr, Laureline (la compagne de Valérian). Il est évidemment impossible de faire un décompte précis de la proportion de roux comparés aux blonds et aux bruns (sans parler des héros aux cheveux bleux ou verts) dans l’univers de la bande dessinée, mais ils semble bien qu’ils soient bien plus visibles que dans le monde réel.
La fascination du orange
Il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre cette invasion de cheveux de feu en BD. La teinte rousse des cheveux, couleur chaude par excellence, est très graphique. Couché sur le papier, un héros roux aura une présence souvent plus forte qu’un équivalent blond ou brun, parce que le orange de ses cheveux attirera plus le regard. Un roux en BD, ça pète, tout simplement. Il est par ailleurs intéressant de noter la largeur de la palette chromatique à disposition des dessinateurs de BD pour représenter la rousseur. Comme le roux est la couleur de transition entre les deux pôles que sont le brun et le blond, de nombreuses déclinaisons sont possibles : depuis les cheveux cuivrés, limite violets, d’un Soda jusqu’au quasi-blond vénitien de Nadia, en passant par le orange carotte de Chesterfield ou de Spirou. Le blond et le brun offrent une gamme de possibilités nettement moins étendue.
Notons pour l’anecdote que cette fascination du roux dépasse les frontières de la BD et peut s’appliquer aux arts graphiques en général. Est-ce pour cela que la photo la plus chère du monde, un cliché de Cindy Sherman vendu aux enchères le 11 mai dernier à New York pour la bagatelle de 2,76 millions d’euros, est un hommage à la rousseur, avec son orange omniprésent ?
Sexy-rouquins
Non seulement les roux sont sur-représentés en bande-dessinée, mais ils ont également très souvent un rôle valorisant. Quand très peu de méchants de BD sont roux (peut-être que j’occulte inconsciemment, auquel cas vous me rafraîchirez la mémoire dans les commentaires), on ne compte plus ceux qui tiennent la tête d’affiche des séries dans des rôles positifs et variés. Mortimer est un scientifique de génie, Matt Murdoch (alias Daredevil) un avocat de talent doublé d’un super-héros redoutable en dépit de sa cécité.
Et, contrairement aux clichés qui collent aux roux, certains sont plus que craquants en BD. Prenons Spirou, Shanks le Roux, Lanfeust ou Soda par exemple, soit, dans l’ordre d’apparition, un aventurier, un pirate, un héro, et un flic qui fait croire à sa mère que c’est un gentil prêtre. Difficile de faire plus sexy pour gagner sa croûte non? De tous, c’est sans doute Spirou qui est le plus célèbre. Il a en quelque sorte légitimé l’idée qu’un héros puisse être roux. Après lui, le boulevard était ouvert. Shanks est une réincarnation de Barbe Rousse dans One Piece. Beau gosse, toutes les filles (dont moi) ont un peu le béguin pour lui. Lanfeust est un peu niais, mais il sauve le monde, puis la galaxie. C’est important, il ne faut pas l’oublier. Quant à Soda, il aime sa maman et porte les Ray-Ban comme personne. Chez les filles, je pourrais déblatérer longtemps sur Laureline, mon homonyme qui parcourt l’espace-temps avec Valérian. Mais une recherche Google images sera bien plus éloquente qu’un inutile paragraphe.
Tout ceci ne doit pas faire oublier que dans la vraie vie, être roux peut tout de même être mal vécu. C’est ce que veut nous raconter Fabrice Erre dans Le Roux, une des seules BD à ma connaissance à aborder cette question frontalement. A travers le personnage de Pierre Leroux, qui comme son nom l’indique a les cheveux oranges, c’est tout le sujet du droit à la différence qui est évoqué. Le héros rouquin, lassé des moqueries, décide de se faire le porte-parole des roux et de revendiquer fièrement sa couleur de cheveux. Quitte à blâmer ses semblables qui s’éloignent du droit chemin. Ou comment on peut devenir intolérant à vouloir trop combattre l’intolérance au point de tomber dans l’affirmation identitaire.
Laureline Karaboudjan
PS: Tintin est-il roux?
Tout tintinophile s’est déjà posé la question: le reporter belge est-il blond ou roux? Selon le site Rousseur.org, notre journaliste préféré est roux. «Des doutes ? Dans plusieurs BD, il apparaît clairement roux même si ce n’est pas flagrant», y explique-t-on de façon un peu nébuleuse. En tous cas, la question est sujette à de grands débats sur YahooAnswer.
Effectivement, selon les albums il est plutôt roux ou blond, question de rendus d’impression sans doute. Mais pour les adaptations en dessin animé, les auteurs avaient plutôt choisi le roux. Ce qui semble d’ailleurs être le cas également pour le film de Jackson et Spielberg (dont la bande-annonce est sortie récemment et m’inquiète grandement). Du coup, je suis perturbée. Je l’avoue, pour moi, il avait toujours été blond. Cela correspondait plus à son profil idéologique et les conséquences néfastes que cela a pu impliquer aux époques les plus sombres de notre histoire. Je termine ma chronique sur les roux avec un point Godwin. Et oui.
Illustration : DR.
Bonus track (trouvée ici) :
lire le billetSpirou pourrait aussi porter plainte pour tentative de viol.
Entendons-nous bien. Ce qu’aurait subi la victime présumée au Sofitel dans l’affaire Strauss-Kahn est un drame inadmissible et, de ce point de vue là, je me range plus du côté de Slate.fr ou de L’imparfaite, que de Jack Lang et Jean-François Kahn. Cela dit, je trouve intéressant de voir qu’au-delà des clichés, le fantasme de la femme de chambre est vraiment très largement repris par la bande-dessinée (et d’autres arts évidemment). DSK, donc, l’aurait eu cette obsession. Voyons-voir ce qu’il aurait pu lire pour perdre tout sens de la mesure.
Juchée sur des talons plus ou moins hauts, engoncée dans un uniforme aussi strict que suggestif, la french maid a un potentiel érotique évident que les auteurs de BD affriolantes n’ont pas manqué de mettre en scène. D’ailleurs les éditions Tabou ne s’y sont pas trompées puisque c’est une femme de chambre qui fait la couverture du premier tome de leur Histoire en images de la BD Erotique. Les jambes galbées, la tunique légèrement soulevée par un courant d’air, elle regarde à travers le trou d’une serrure des ébats que l’on imagine à une paire de chaussures masculines laissée du côté prude de la porte.
Les héroïnes de BD érotiques en petit tablier blanc ne manquent pas. Citons par exemple Lydia, soubrette de luxe, une série des années 80 qui met en scène Lydia et sa copine Anna, toutes les deux employées dans un grand hôtel de luxe (suivez mon regard). Evidemment, à chaque fois qu’elles poussent une porte pour faire le room-service, les chambres sont encore occupées et leurs résidants eux-mêmes souvent bien occupés. Et comme elles ont le sens du devoir, Lydia et Anna ne manquent pas de participer aux ébats qu’elles dévoilent.
Plus récemment, Xavier Duvet a sorti Le journal d’une soubrette, une BD délicatement dessinée à l’aérographe dans un style hyper-réaliste. Là encore, le “scénario” résonne étonnamment avec l’actualité. Clara, l’héroïne, est une jeune française désargentée qui part tenter sa chance à… New-York. Si elle ne travaille pas dans un hôtel mais au service d’une grande bourgeoise de Big Apple, Clara ne manquera pas de se retrouver dans des situations que la morale réprouve. Et, parce que j’aime beaucoup cette BD, je ne résiste pas au plaisir de rappeler que dans les Filles Perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie, une femme de chambre fait également des folies de son corps dans l’hôtel autrichien où se déroule l’intrigue.
Rapports de domination
Par définition, la femme de chambre est issue d’une classe sociale moins élevée que les personnes qu’elle sert. Le rapport dominant/dominé est on ne peut plus explicite et participe évidemment de la popularité de ce type de personnage dans la BD érotique. Et si l’on remonte avant la naissance de la bande-dessinée, l’inégalité de classe est habituelle de l’imagerie érotique occidentale. L’oeuvre érotique de Thomas Rowlandson, un graveur anglais du début du XIXème siècle, en est l’illustration parfaite. Les personnages masculins sont tour à tour officiers de la Marine, gentlemen-farmers ou membres de la haute société. Les femmes, elles, sont de classe inférieure et souvent des servantes.
Au Japon, c’est un peu différent puisque c’est bien sûr l’archétype de la courtisane, la geisha, qui domine. On les retrouve dans de très nombreuses es estampes shunga (“images de printemps”), ainsi qu’on appelle les dessins érotiques qui ont fleuri à partir du XVIIème siècle. Si elles ne sont pas exactement servantes, les geishas partagent avec les femmes de chambre le port de l’uniforme. C’est un élément clé du potentiel érotique de ces personnages en tant qu’il matérialise ce rapport de domination. Pour la soubrette en particulier, d’un point de vue strictement graphique, le noir et le blanc du costume ainsi que sa mise parfaite lui confèrent un côté strict qui en fait un objet de convoitise d’autant plus grand. Des caractéristiques que l’on retrouve dans le costume de la nonne, autre grand classique de la BD érotique.
L’excellente série (pas érotique) d’Hubert et Kersacoët, Miss pas touche, illustre bien l’érotisme du costume de la soubrette. Dans les années 1930, Blanche se fait engager au Pompadour, un bordel parisien de luxe, pour enquêter sur l’assassinat de sa soeur. Problème, celle qu’on surnomme “miss pas touche” est prude personne. Heureusement, la mère maquerelle lui a trouvé un rôle parfait, sans rapports sexuels : elle sera “la vierge du bordel”, fantasme inaccessible chargé de distribuer coups de cravache et de talons à des hommes avides de masochisme. Pour ce faire, elle est habillée… en femme de chambre, dans une inversion du rapport de domination.
Spirou, groom harcelé
Dans la même idée d’inversion du rapport de domination, une autre BD (pas érotique non plus) récente me vient à l’esprit. Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais de Spirou Le Groom vert-de-gris de Yann et Schwartz. Dans cet album qui a pour cadre la Seconde guerre mondiale, l’hôtel où est employé Spirou est transformé en QG de la Gestapo. Et notre groom est littéralement harcelé par une grande et belle blonde allemande, officier de la Wehrmacht, appelée Chickengrüber. Il doit faire montre d’une diplomatie incroyable, voire parfois fuir carrément pour arriver à échapper à son appétit sexuel débordant. Par exemple lorsqu’elle l’appelle au beau milieu de la nuit pour une prétendue souris dans sa chambre, prétexte pour l’accueillir en petite tenue et tenter de mettre le grapin sur le jeune groom.
Le nom de Chickengrüber ressemble d’ailleurs étrangement à celui de Schicklgruber, le premier nom du père d’Hitler. De là à dire que les tentatives de viol de la grande allemande sur le petit groom sont une métaphore de ce que l’Allemagne faisait subir à la Belgique, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement. Ou alors Chickengrüber est simplement un jeu de mot pour parler d’une belle “poule”…
Spirou et Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel qui accuse DSK, même combat ? L’exemple vient en tous cas illustrer que, plus qu’un rapport de domination homme/femme, c’est bien une domination de classe qui régit les rapports entres maître et femmes (ou hommes) de chambre. Et c’est cela qu’il faut aussi combattre.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait d’une couverture de Lydia, soubrette de luxe, DR.
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Une nouvelle série pour enfants met en scène le neveu de Gaston Lagaffe. Les fans enragent, moi pas.
Quel est le meilleur moyen de s’attirer les foudres des fans de BD? S’attaquer à un personnage mythique. En l’occurrence Gaston Lagaffe, le plus célèbre des personnages de Franquin. Depuis deux semaines, un projet de couverture circule sur le web et sème le trouble. On y voit un enfant aux traits et aux vêtements similaires à ceux du fameux gaffeur et en train de s’adonner à un de ses passe-temps préférés : le ballon sauteur. En arrière plan, on reconnaît, également sous des traits juvéniles, d’autres personnages de la série: Jules-de-chez-Smith-d’en-face, Mademoiselle Jeanne ou Prunelle, le supérieur colérique de Gaston Lagaffe.
Sous l’intitulé “Gastoon”, les éditions Marsu productions s’apprêtent en fait à lancer une série dérivée de l’oeuvre de Franquin. Ainsi que le titre “Gaffe au neveu” le laisse entendre, il s’agit des aventures du jeune neveu de Gaston Lagaffe, que l’on suppose aussi maladroit et tête-en-l’air que son oncle. Comme l’explique un responsable de la maison d’édition à Libération.fr, le “seul but est de valoriser l’univers de Franquin qui est un auteur qu’on adore et dont le travail nous inspire beaucoup de respect” le tout “dans un univers enfantin et d’écolier” destiné à toucher un public plus jeune que celui de la série originale.
Un projet vu d’un très mauvais oeil par les fans de Gaston Lagaffe, qui se déchaînent sur Twitter et autres blogs. “JE NE VEUX PAS LE SAVOIR, C’EST NON” fulmine cet inconditionnel sur son blog. “Combien de temps doit-on attendre avant de violer un cadavre?” se demande carrément cet autre fan sur son blog, estimant alors même que l’album n’est pas sorti que “Gastoon fait le minimum syndical et pompe à mort l’univers de Franquin, parce que c’est plus facile (mais bon, c’est peut-être adressé aux acheteurs des Blondes, donc on se met au niveau)”. Bref, comme prévu, haters gonna hate, à qui le rappeur Booba répondrait quelque chose du genre “si tu kiffes pas renoi tu lis pas et puis c’est tout”.
Stop ou encore?
Ce projet relance en tous cas l’éternel débat sur la seconde vie des héros de BD. D’un côté les tenants du repos absolu des héros à la mort de leur créateur. De l’autre ceux qui estiment qu’un héros peut continuer à vivre sous la plume et le crayons d’autres auteurs. Les exemples abondent des deux côtés. Le plus fameux héros figé, c’est probablement Tintin, dont Hergé a toujours dit qu’il refuserait que quelqu’un d’autre que lui puisse reprendre les aventures. Et de fait, au-delà même d’imaginer ne serait-ce qu’un instant une tentative de continuer la série, les éditions Moulinsart sont hyper pointilleuse sur la moindre utilisation de l’image de Tintin, n’hésitant pas à poursuivre en justice les auteurs de parodie.
A l’inverse, un personnage comme Spirou, pour reprendre un héros que Franquin lui-même a repris à son créateur, continue d’avoir des aventures. Certaines sont très réussies, comme les récents one-shot Le journal d’un ingénu et Le groom vert-de-gris, d’autres le sont moins, comme certains des derniers albums parus dans la série principale. D’autres grands héros ont été repris de la sorte, avec plus ou moins de bonheur, que l’on pense par exemple à Lucky Luke ou Blake et Mortimer. Et puis, s’il y a des exemples de bonnes suites par d’autres auteurs, il y a aussi des exemples de créateurs originaux qui sabordent tous seuls leur oeuvre. Typiquement : n’aurait-il pas mieux fallu qu’Astérix soit repris par d’autres auteurs plutôt que de subir ce qu’en fait Uderzo depuis 10 ans?
Concernant Gastoon, on pourra rétorquer qu’il ne s’agit pas de la suite d’une série existante mais d’un “produit dérivé”, expression employée à dessein pour souligner l’intérêt commercial de la chose. Quelque chose dans la lignée de Kid Lucky pour Lucky Luke, de Gnomes de Troy pour Lanfeust ou, surtout, du Petit Spirou pour Spirou. Ce dernier mérite qu’on s’arrête justement sur son cas. C’est l’exemple parfait d’une série dérivée d’un univers existant et qui a su acquérir son identité propre, détachée du grand frère et qui est, pour les plus jeunes générations, probablement plus connue aujourd’hui que la série originale. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour Gastoon? D’autant qu’un certain nombre d’ingrédients sont réunis: le cadre de la maison d’édition récipiendaire de la mémoire de Franquin, une équipe d’auteurs reconnus (Yann et le père et fils Léturgie) et un terrain fertile pour de nombreux gags.
Le risque de la muséification
Je ne dis pas que Gastoon sera forcément une bonne BD, cela sera même peut-être une daube commerciale. Je dis juste qu’avant de monter sur ses grandes bulles, il faut lui laisser sa chance et la lire. Ce débat est toutefois intéressant car il illustre une tendance à rechercher la muséification de la bande-dessinée francophone. En partant du principe que c’était mieux avant, on se refuse justement à aller de l’avant.
Je peux comprendre les réflexions inconscientes qui doivent traverser certains auteurs et lecteurs. La BD a mis tellement de temps à acquérir ses lettres de noblesse – et encore pour beaucoup cela reste réservé aux enfants – qu’ils s’arquent-boutent sur les grands totems sacrés auxquels on ne pourrait plus toucher, pensant sans doute ainsi protéger et légitimer le neuvième art. Ils oublient alors que la BD est aussi, et doit rester, populaire et proche des enfants, et qu’une oeuvre comme Gastoon est sans doute le meilleur moyen de permettre à des gamins d’entrer dans l’univers du héros flemmard, comme le Petit Spirou l’est pour Spirou. C’est peut-être le meilleur moyen de préserver la mémoire de Gaston Lagaffe.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait du projet de couverture de Gastoon, DR.
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Polémique aux Etats-Unis pour la sortie du dernier album de Superman. Le camarade Clark Kent, normalement représenté comme un journaliste d’âge mur mais sexy ( un peu comme les rédac-chefs de Slate) avec des lunettes, apparaît là sous des traits rajeunis. Pour tout dire, il ressemble un peu maintenant à un héros de Twillight ou à Peter Parker, alias Spiderman. “Oui, et alors, de toute façon il vient de Krypton”, me direz-vous, sauf qu’aux Etats-Unis, ce changement abrupt ne va pas de soi.
Le nouveau Clark Kent
Le magazine The Week s’interroge ainsi, «Superman nous revient-il en tant que hispter?» Difficile de traduire le terme de “hipster”. Disons que cela désigne actuellement les gens qui sont tellement cools qu’ils peuvent porter des fringues ultra-ringardes et avoir l’air tendance. Le mieux est de regarder la vidéo Being a Dickhead’s Cool pour comprendre. “Hipster” aux Etats-Unis, c’est un peu comme “bobo” en France : quand le terme est utilisé c’est souvent de manière négative et la plupart du temps à tort et à travers. Et donc pour The Week, Superman, “ce symbole de la masculinité” revient avec des traits qui énervent les fans et les critiques. Clark Kent deviendrait un hipster de centre-ville, bien loin de l’américain moyen qu’il devrait incarner normalement. Et c’est ce qui était voulu par DC Comics, comme l’éditeur l’a expliqué : rendre le héros plus sexy, plus “moody” pour que les jeunes acheteurs s’y reconnaissent plus. Ainsi pour le magazine Death and Taxes, Superman devient une Superbitch (super salope) “ce n’est pas parce que les jeunes sont devenus des gothiques masochistes nymphomanes obsédés par la mort, le sang et les pénis effervescents de vampires que tous les scénaristes et les artistes ont besoin de créer tous leurs héros sur le modèle de Robert Pattinson (Twillight).» Et l’auteure de l’article d’expliquer qu’elle aurait préféré avoir un Superman acnéique et gros plutôt que ça.
Bien-sûr, tout le monde ne critique pas ce nouveau look. Sur CBS News, la journaliste Katie Couric rappelle que nous sommes en 2010 et que c’était peut-être le moment d’évoluer un peu, même si elle comprend que les fans soient surpris. Pour Glen Weldon de la National Public Radio, tout ça n’est que du blabla de médias prêts à polémiquer. Il rappelle que cet épisode n’est qu’un one shot peu relié à la série principale. Pour lui, ce qui est fondamental ce n’est pas la marque du jean de Superman, c’est son caractère, comme pour tous les autres héros de comics, et ça, ça ne peut pas changer.
Fondamentalement, il a raison. Mais la polémique reste intéressante, tout d’abord parce que, récemment, ce n’est pas la première du genre. En juillet dernier, le relooking d’une Wonderwoman affublée de leggings avait aussi fait débat. L’idée centrale reste toujours la même: on ne touche pas aux super-héros. Ce sont des icônes nationales et les modifier est un crime de lèse-majesté. Chacun incarne des valeurs types qui se recoupent, et tous ensemble ils forment une sorte d’idéal de l’American spirit.
Pour Superman c’est encore plus particulier. A l’instar de Captain America, il est l’Amérique à lui tout seul, il ne peut donc pas avoir de défauts. Dans leurs origines mêmes, les latitudes offertes aux personnalités de Spiderman, Batman ou d’autres, sont plus grandes. Ils sont toujours des cas particuliers, un morceau d’Amérique. Superman, lui, est le mythe américain entier. J’avais développé un peu plus cette idée ici.
C’est intéressant de voir que la polémique vient au moment des élections américaines qui ont fortement divisé et où l’enjeu a été de savoir, pour les électeurs, quelle société ils voulaient. Habiller d’une certaine manière Superman, comme un jeune cool de 20 ans hipster de centre-ville, c’est donc forcément le transformer en un étudiant démocrate, peut-être gay. Ce n’est alors plus un bon cadre qui travaille à la ville en conservant ses valeurs campagnardes, et qui est potentiellement autant républicain que démocrate (enfin plus républicain quand même).
A d’autres époques, plus apaisées, les modifications apportées à Superman seraient peut-être passées inaperçues. Rappelons-le, ce héros a déjà été communiste! C’était dans Superman Red Son, une excellente BD publiée en 2003. Pas de polémiques outre-mesure à l’époque. Alors qu’aujourd’hui, en pleine crise économique et de valeurs, il ne faudrait pas y toucher. Pour les vrais hommes virils, ce petit hipster ne semble pas capable de sauver le monde, et comme c’est l’incarnation de l’Amérique, cela veut dire qu’elle non plus. Drame.
Et chez nous?
En France, la question ne se pose pas pour les héros de bandes-dessinées. Tout d’abord, ils ont rarement rang d’icônes nationales (en plus, ils sont souvent belges). Surtout, les personnages, au contraire des Etats-Unis, appartiennent le plus souvent aux auteurs et non pas aux maisons d’édition. Ils risquent donc moins d’être changés à Touboutchan. Ce qui peut éventuellement faire jaser, ce sont plutôt les dérivés commerciaux qui peuvent en être tirés, comme la récente campagne de McDo avec Astérix. Polémique vaine alors que le vrai scandale, rappelons-le, est la médiocrité des derniers albums mettant en scène nos Gaulois.
Je ne vois que Spirou avec qui on pourrait établir un parallèle avec les personnages de comics. C’est le seul de nos héros principaux à suivre le temps présent (Astérix reste en -52, Lucky Luke et Blueberry à la conquète de l’Ouest, Tintin est mort avec Hergé, Blake et Mortimer se sont stabilisés dans d’uchroniques années 50). De plus, l’éditeur Dupuis, à qui appartient la série, fait se succéder les duos d’auteurs pour s’occuper du groom. Les derniers albums se passent dans le temps présent, avec les dernières technologies, et la physionomie des personnages ou le style du dessin n’ont plus grand chose à voir avec les premiers de Rob-Vel. Sauf que dans l’idée, Spirou reste accoutrée de son uniforme de groom et, fondamentalement, l’enchaînement action-innovation technologique est resté la sauce de base de chaque scénario (à ce titre, le dernier, Alerte aux Zorkons, est pas mal du tout dans le genre). Et comme Dupuis pense à tout, pour les nostalgiques des Trente Glorieuses, il y a le Petit Spirou (dont le prochain album, Tiens-toi droit, sort prochainement) et pour les adultes, la série Une aventure de Spirou et Fantasio par, qui confie le personnage à de grands auteurs de BD pour des résultats excellents.
Il n’y a que Tome et Janry à avoir essayé de changer profondément Spirou, au début par petites touches – il embrasse une fille dans Luna Fatale – puis radicalement, avec La Machine qui rêve en 1998. Là Spirou n’est plus Spirou, c’est à peine le héros principal de l’histoire, il est passif au lieu d’être sur-actif, on ne comprend pas tout, l’atmosphère est sombre et les dessins sont réalistes. Le tournant proposé n’avait pas vraiment pris auprès de public. Dommage, je le regrette encore.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Montage avec l’ancien et le nouveau Clark Kent, DR.
lire le billetDans le volcan islandais, on trouve évidemment des extraterrestres mais aussi des temples, des dieux, des pirates, des dragons…
Mardi, je lisais cette information fondamentale sur Le Post: certains affirment avoir vu des soucoupes volantes sortir du cratère islandais. Le sujet est sorti sur la chaîne Sky News notamment, le 18 avril, avec un journaliste expliquant que ce n’était que des oiseaux. Mais la loi du bon sens propre à Internet veut que personne ne l’a cru, car, “pourquoi des oiseaux seraient aussi stupides pour s’approcher aussi près?”. Non, clairement, ce sont des Ovnis. Tremblez braves gens, 2012 a un an et demi d’avance. Sans vouloir me vanter, je n’ai pas été très surprise par cette information. A vrai dire, je m’en doutais. En effet, depuis Vol 714 pour Sidney, il est bien connu dans les milieux informés (c’est à dire ceux qui lisent des bandes-dessinées) qu’il y a des extraterrestres dans les volcans.
Vol 714 pour Sidney est peut-être l’épisode le plus contesté d’Hergé. Celui qui est traditionnellement le moins aimé, tant par les tintinophiles convaincus que par les amateurs. Le coup des extraterrestres, personne n’arrive vraiment à y croire, même si cela ne tombe pas non plus complètement dans le ridicule du dernier album d’Astérix par exemple. Pour résumer l’histoire rapidement, pour ceux qui ont une mauvaise mémoire, Tintin, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol se retrouvent sur l’avion d’un riche milliardaire qui est détourné sur une île déserte par l’ennemi de toujours, Rastapopoulos. Après moult péripéties, l’infâme américain d’origine grecque provoque l’explosion du volcan de l’île (ce qui laisserait penser par ailleurs que les Grecs ont déclenché l’explosion de Eyjafjallajokull pour détourner l’attention de leurs problèmes, mais restons sur un seul complot à la fois…) et Tintin et ses amis sont sauvés par un initié en relation avec des extraterrestres qui embarquent tout le monde dans une soucoupe volante… De là à dire que s’est joué dans les entrailles islandaises le même type d’aventures, il n’y a qu’un pas. Que je franchis allègrement, car si pour Proust “La vraie vie c’est la littérature“, pour moi c’est la BD.
Nonobstant, les volcans sont un lieu d’inspiration assez courant en bande dessinée. Hergé est aussi l’auteur de l’Eruption du Karamako, un album de la série Jo et Zette et Jocko paru en 1952, et dont la couverture ressemble étrangement à celle de Tintin et les Picaros, dessinée trente ans plus tard.Là se mêlent pirates, savant fou et crachats noirs. Dans cette aventure comme dans Vol 714, le volcan est un personnage à part entière de l’histoire, peut-être même le personnage central.Bien sûr, les ressorts dramatiques propres au volcan sont très puissants. Le volcan, c’est la menace pesante, visible, qui domine le paysage de sa stature. Et quand il rentre en éruption, c’est un véritable spectacle visuel, panaches de fumée et flambeaux de lave, qui ne peut qu’inspirer les dessinateurs de bande dessinée.
Et puis, un volcan, c’est dangereux.Certains héros de bande dessinée manquent parfois de périr dans l’un deux. C’est le cas d’Alix, dans le tome Les Proies du Volcan. Ici encore, le volcan se trouve sur une île déserte mais s’y ajoute également, antiquité oblige, la thématique du dieu en colère. Dans cet album, le volcan peut aussi symboliser les turpitudes de la passion amoureuse. En effet, dans les Proies du Volcan, Alix se rapproche d’une jeune sauvageonne autochtone nommée Malua. Enak en prend ombrage. Le volcan qui bouillonne, n’est-ce pas un peu le sang chaud qui bat aux tempes du jeune Egyptien? Mais sur la couverture, c’est bien Enak qui sauve Alix des périls du feu. On se croirait dans le Seigneur des Anneaux avec Sam récupérant Frodon. Et quitte à poursuivre le parallèle, Malua et Golum, tous deux présents dans les scènes respectives de chute au dessus du magma, sont chacun un élément de conflit. Jacques Martin avait-il lu Tolkien? Peut-être bien…
Du feu, des dieux, de la colère… Le volcan est un espace de fantasme. C’est un endroit où tout est possible, surtout l’extraordinaire. S’ils ne permettent pas tous d’accéder au centre de la terre comme chez Jules Verne, la plupart sont habités par des extraterrestres – on l’a vu – et d’autres permettent d’aller sur la Lune, notamment chez Peyo. Dans le Cosmoschtroumpf, un des petits êtres bleus rêve d’espace. Mais sa fusée ne marche pas et, pour qu’il ne soit pas malheureux, ses amis décident de l’endormir et de l’emmener dans le cratère d’un vieux volcan endormi, qui ressemble à la surface de la Lune, pour lui faire croire qu’il a réussi son voyage. Là, il croise des étranges personnages et croit vraiment qu’il est arrivé sur une autre planète. Le volcan, c’est vraiment un endroit à part.
Que ne ferait-on pas pour ses amis, même s’ils sont fous et que l’on risque de devenir fou soi-même? C’est ce qu’a dû se demander plusieurs fois Spirou dans la Vallée des Bannis, suite de la Frousse aux Trousses, qui sont deux de mes épisodes préférés du groom. Après avoir manqué de mourir noyés dans un torrent lors de leur expédition au Touboutt-Chan, les deux héros se retrouvent dans une vallée inconnue, qui semble être le cratère d’un immense volcan endormi, à la végétation luxuriante. Là encore, le volcan s’annonce comme un espace magique et dangereux, car c’est dans ce cratère que Fantasio se fait piquer par un moustique fatal et sombre dans la folie. Il tente à plusieurs reprises de tuer Spirou, qui, évidemment, le sauve, s’échappe, etc. Le boulot habituel d’aventurier quoi.
On a vu que les volcans pouvaient avoir des rôles majeurs dans certaines histoires. Parfois, il s’y joue même le destin du monde. C’est le cas dans la série Donjon, dont je vous ai déjà parlé, dans son arc final “Crépuscule”. Dans le tome 102, le Volcan des Vaucanson, on découvre que le Grand Khân, un des protagonistes de la série, niche dans un volcan. Maître des destinées, il a fait s’arrêter la planète Terra Amata, dont une partie est perpétuellement éclairée et l’autre entièrement plongée dans la nuit. A mesure que l’histoire avance, le Grand Khân se libère de l’Entité noire qu’il l’habitait et redevient Herbert, le canard farfelu des autres arcs de la série. La planète se remet à tourner mais se désagrège en une myriade d’îlots flottants qui surplombent un noyau de lave en fusion. Est-ce qu’on ira jusque là avec Eyjafjallajokull ?
Laureline Karaboudjan
Illustration : Vol 714 pour Sydney, DR
lire le billet(Cet article a été publié initialement dans le numéro 0 (préparatoire) du magazine sur le Très Grand Paris, Megalopolis, dont le numéro 1 vient de sortir. Courez l’acheter, c’est des petits jeunes qui se lancent.)
Quand j’étais petite, je ne connaissais pas Paris. Mais, grâce aux bandes dessinées, j’ai imaginé la capitale. Avec des monstres dans la Seine et des ptérodactyles dans le ciel…
Souvent, dans les rues de Paris, je cherche des petits cailloux. Il me faut les plus beaux, un peu biscornus d’un côté, plats de l’autre, pour que chaque rebond soit imprévisible. Une fois trouvé l’objet de mes désirs, je me prépare lentement. Je rentre la tête entre les épaules, je mets mes mains dans mes poches et commence à shooter dedans avec application, tout en grommelant.
Je ne me lasse pas, surtout quand je suis un peu ivre, de répéter à tout bout de champ des «par Toutatis» ou «les sangliers sont mal nourris». Quand j’étais petite, je n’habitais pas la capitale. Je ne la connaissais pas. Je l’ai découverte en lisant des BD, encore et encore. Une des premières, évidemment, fut Astérix et Obélix. Plusieurs fois, les deux moustachus durent s’y rendre, ce qui ne manqua pas de faire râler le vendeur de menhirs. Certes, pour découvrir le Paris d’aujourd’hui, ce n’était pas vraiment idéal. Paris n’est pas Lutèce et s’est étendu bien au-delà de l’île de la Cité.
Mais en lisant Astérix, j’ai tout de même appris l’essentiel de la culture parisienne: il y a toujours des embouteillages, il ne faut pas hésiter à s’énerver – «je travaille moi» ou «je me suis levé tôt» – et, par principe, il faut mépriser les provinciaux. Ils sont nombreux les Lutéciens/Parisiens à être venus dans le petit village d’irréductibles Gaulois. Entre le frère de Bonemine, l’aubergiste et sa femme insupportable, ainsi que la barde féministe, je n’en avais pas une très bonne image. Tous râleurs, tous égocentriques. Quand, aujourd’hui, je croise dans le 7e ou 16e arrondissement une femme avec un triple menton et l’air renfrogné, je me dis, «tiens c’est un descendant de la femme d’Orthopédix dans le Cadeau de César».
Je joue avec mon caillou un peu n’importe où. Parfois, ô malheur, je tape un peu trop fort, et il tombe dans le Canal Saint-Martin. Je ressens alors un grand moment d’abandon et de tristesse, mais on ne me verra jamais m’approcher trop près du bord, ça non ! J’ai trop lu Tardi pour me faire avoir. Je sais que dans ces eaux sombres, voire saumâtres, rôdent des bestioles bien plus inquiétantes que les femmes découpées en morceaux de Maigret.
Les dangers du Canal Saint-Martin
D’une seconde à l’autre peut surgir une immonde pieuvre rouge, telle que dans les aventures d’Adèle Blanc Sec. Venue je ne sais d’où, elle aime saisir les policiers en goguette, en prendre un pour taper sur l’autre et les manger goulûment. Pas folle, je préfère me tenir à carreau, je ne veux pas lui servir de dessert. Quand, collée contre les murs des immeubles, je regarde les jeunes s’enivrer à la tombée de la nuit presque les pieds dans l’eau, je ne peux m’empêcher de sourire. Pauvres fous, ils ne savent pas.
Tardi m’a appris beaucoup d’autres choses très utiles. J’ai la chance d’habiter tout près du Muséum national d’Histoire naturelle, dans le cinquième arrondissement. Tous les gens du quartier le savent, il faut éviter de regarder en l’air quand, tard le soir, vous rentrez chez vous. Abritez-vous toujours dans les recoins, et lorsque le vent se met à siffler plus que de raison, précipitez-vous sous le premier auvent venu. Et priez. Dans l’épisode Adèle et la Bête, la jeune femme affronte un Ptérodactyle, éclos par miracle dans le Muséum. Malheureusement, Adèle n’a pas été très efficace et l’infâme bête rôde toujours, même si l’actuel maire de l’arrondissement, Jean Tibéri, fait tout pour étouffer l’affaire. Je soupçonne sa femme, Xavière, de venir personnellement la nourrir – entre incomprises, le courant passe. On me dit qu’il était 4 heures du matin, on me susurre que j’avais trop bu ou trop fumé, mais la bête, je l’ai déjà vue trois fois.
C’était un 1er décembre, je descendais la rue Geoffroy Saint Hilaire. Je longeais le mur du Jardin des Plantes quand les feuilles des arbres touffus ont commencé à s’agiter. J’ai entendu un battement d’ailes, j’ai vu une ombre et perçu un rire strident. Je me suis jetée à terre en signe de soumission. Devant moi, un couple de Japonais a été emporté, sans vraiment comprendre. Le Parisien n’en a pas parlé, je crois qu’on n’a jamais retrouvé les corps. La dernière fois, un 30 août, je traversais le fleuve vers Austerlitz quand j’ai vu la bête passer au-dessus de moi, couvrant la lune de ses ailes déployées. C’était beau.
Je n’ai pas appris les bons trucs de survie qu’avec Tardi. Avec sa bédé Jérôme K. Jérôme Bloche, Alain Dodier m’a bien rendu service. Il habite au 39 rue Francoeur dans le 18e arrondissement de Paris, derrière le Sacré Coeur. En théorie seulement, puisqu’en réalité la rue ne va pas jusqu’au 39 mais s’arrête au 33 ; je suppose que c’est de cet immeuble dont il parle. La concierge décrit le détective privé comme un garçon «gentil mais un peu timide, toujours à s’excuser avant de demander». Grâce à Jérôme K., mais aussi Monsieur Jean de Philippe Dupuy et Charles Berberian un peu plus tard, je sais que les concierges sont les créatures qui ont le plus de pouvoir à Paris. Elles contrôlent le courrier, les clefs, les rumeurs. Elles sont petites, grasses et ont de la moustache.
Depuis la lecture des aventures du détective, j’aime monter sur les toits de Paris. On peut presque traverser la ville d’un toit à l’autre. Je me pose contre une cheminée rouge un peu branlante et je regarde au loin le démon de la Tour Eiffel ; j’écoute des concerts clandestins ou j’espionne le détective rouquin qui tripote sa copine Babette. Mais je sais qu’il faut toujours se munir d’un parapluie en acier pour se protéger des fléchettes empoisonnées. Des admirateurs de l’ombre emplumée, qui a donné tant de fil à retordre à Bloche lors de son premier album, rôdent toujours. Je sais aussi que si quelqu’un vous menace de vous tuer dans un cimetière, celui de Montmartre par exemple, il faut dégainer le premier et viser à droite car, à cause d’une malformation, c’est là que se trouve le cœur des tueurs à gages.
Le Paris de Bloche ressemble à celui de Tardi. Souvent la nuit, souvent sous la pluie, souvent dans des coins un peu obscurs et glauques. Mais Jérôme est le plus mignon, surtout quand il dévale les rues du 18ème avec son solex. Je crois qu’il n’y a plus que lui et le journaliste Alain Duhamel à utiliser ce genre d’engin dans Paris. Ils pétaradent gaiement et aiment se moquer des vélibs qui n’arrivent pas à monter les côtes.
A Châtelet, des monstres en flammes
La BD m’a souvent donné de bons conseils avant d’arriver à Paris, mais parfois, j’ai l’impression qu’elle m’induit en erreur. Je pensais que tout le monde avait une moustache, portait des chapeaux melons dans des rues grises, sales et pluvieuses. J’ai aussi cherché les hôtels où descendent tous ces personnages : Hôtel chez Léo et du Cirque, mais ils n’existent pas. Je suis bien allée rue du Cirque dans le huitième, tout près de l’Elysée, pour en être certaine, mais il n’y avait que des vieilles dames avec des caniches et des attachés parlementaires. De bien tristes clowns.
Sur les traces de l’auteur Pétillon, j’ai cherché la rue Pfuit où se déroule l’histoire abracadabrantesque, Une sacrée salade. Les gens y courent très vite avec des imperméables un peu étranges et des femmes de mauvaise vie. Ça tire, ça meurt la bouche ouverte, ça explose, ça baise dans les coins, on est dans un rêve fantasmagorique et coloré, les flics sont impuissants et Jésus, représenté tel un clochard, se demande : «Reverrais-je jamais le Faubourg Saint-Denis ?» En arrivant à Paris, je voulais absolument habiter dans cette rue amusante, que je supposais proche des Grands Boulevards, mais elle n’existe pas ! J’en ai longtemps voulu à Pétillon. Pfuit, tout fout le camp.
Cela me rappelle ma première fois à Châtelet. Il y avait les lignes 1, 4, 7, 11 et 14 et les RER A, B et D. Jusque-là, rien d’anormal. Mais où était donc l’entrée vers l’hyperespace, vers Cassiopée ? L’auteur Mézières est pourtant formel dans le neuvième tome des aventures de Valérian et Laureline. A Châtelet, il y a des monstres tout en flammes et des départs réguliers vers Galaxity, la capitale terrienne du futur. J’ai eu beau chercher dans toutes les rames, je n’ai rien trouvé. J’ai cru un moment que Monsieur Albert, l’agent secret de Galaxity au 20e siècle, se cachait sous les traits du violoniste chinois qui est souvent sur la ligne 11 ou la 1. Mais, quand je lui ai demandé si les Foudres d’Hypsis allaient s’abattre sur nous, il m’a regardé sans comprendre. L’ignorant.
Et cet épisode récent de Spirou et Fantasio, Paris sous Seine, où tout le quartier de Beaubourg est englouti ! Je suis allée l’autre jour demander aux commerçants si les dégâts des eaux n’avaient pas été trop importants. Ils se sont moqués de moi. Je n’ose pas non plus traîner du coté de Botzaris. Un épisode d’Adèle Blanc Sec se termine sur cette question énigmatique : «Que se passe-t-il aux Buttes Chaumont ?» J’y suis donc allée et j’ai questionné les gens. Ils m’ont regardée bizarrement. «Que voudriez-vous qu’il se passe aux Buttes Chaumont, voyons !» Je ne sais pas, mais je sais que je ne suis pas folle.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Montage de Laureline Karaboudjan
lire le billetEt voici le tant attendu dernier volet du Top BD de la décennie, avec les albums classés de la 10ème à la 1ère place. Vous pouvez retrouver le reste du classement avec les BD de la 50e à 41e place, celles de 40 à 31, celles de 30 à 21 et celles de 20 à 11. Bon, là normalement c’est le moment où vous vous déchaînez en commentaire pour me demander pourquoi j’ai pas mis telle ou telle BD. Et c’est le moment où je vous explique pourquoi, ou alors où je vais courir me les procurer si je ne les ai pas lues! Très bonne année 2010 à tous!
10. Persépolis, tome 2 (Marjane Satrapi) – L’Association – 2001
Elle est devenue incontournable dès qu’on parle de l’Iran, au point que ça en devienne un peu agaçant. Il n’empêche, ce n’est pas pour rien. En signant Persépolis, la BD présente dans toute bibliothèque bobo qui se respecte, Marjane Satrapi n’a pas fait qu’un joli coup commercial. Perspéolis est un témoignage d’ampleur sur l’histoire iranienne depuis 1979, d’autant plus puissant qu’il assume sa subjectivité. La grande histoire est mêlée à la petite, celle du parcours de Marjane, qui grandit de tome en tome. Dans le deuxième opus, l’Iran et l’Irak rentrent en guerre, Marjane fume des cigarettes en cachette et préfère Michael Jackson à Dieu. C’est le début de l’adolescence, l’âge d’un certain éveil politique qui coïncide avec le durcissement du régime au début des années 1980. Avec ses désormais fameux traits tout en noir et blanc, doux même pour évoquer les pires horreurs, Marjane Satrapi a ouvert une grande fenêtre sur l’Iran contemporain, dont le passé proche ne cesse de résonner aujourd’hui. En étant détournée cette année par des opposants à Ahmadinejad, la BD prouve toute son actualité et a déjà atteint le statut d’oeuvre culte.
9. La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, volume 1 (Alan Moore, Kevin O’Neill) – America’s Best Comics – 2000
Parce qu’Alan Moore ne pouvait pas être absent du top 10. Avec la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, le scénariste s’attaque une fois de plus à quelques monstres sacrés de la littérature de genre, en réunissant dans une équipe de proto-superhéros Wilhelmina Murray, Allan Quatermain, le Dr Jekyll, le Capitaine Némo et l’Homme Invisible. Ils mènent des aventures rocambolesque dans le Londres victorien si souvent dépeint, et notamment par Moore dans From Hell. Ca part dans tous les sens, ça explose ici, ça se bastonne là, le tout dans des couleurs incroyables. La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, c’est la preuve, s’il en fallait, que la BD d’aventures à l’ancienne a encore de beaux jours devant elle.
8. Les mauvaises gens (Etienne Davodeau) – Delcourt – 2005
J’adore Etienne Davodeau. Voilà, c’est dit. Que ce soit pour son trait, élégant et subtil, ou la précision journalistique qu’il met dans l’élaboration de ses ouvrages, c’est à mon sens un des auteurs de la décennie. D’ailleurs, je mets les Mauvaises Gens dans ce top mais ça compte double avec Rural!. Mais le premier est le meilleur des deux à mon sens. La BD retrace, de l’après-guerre à l’accession au pouvoir de Miterrand, l’engagement militant dans les Mauges, une région rurale, ouvrière et catholique du Grand Ouest. Dans des terres volontiers conservatrices, la génération des parents de l’auteur se lance alors dans le syndicalisme, à la JOC –Jeunesse Ouvrière Chrétienne – puis à la CFDT. Sur la couverture de l’album, une cheminée d’usine se dresse face à un clocher d’église, résumant les contradictions, les déchirements, l’identité complexe des militants que Davodeau décrit. Il n’y a pas une page où l’on n’apprenne pas quelque chose. Et les pages sont nombreuses. Les Mauvaises Gens, ou le véritable journalisme de qualité en BD.
7. Pilules Bleues (Fréderik Peeters) – Atrabile – 2001
Des BD qui parlent du SIDA, on a l’impression d’en avoir lu des dizaines et de toujours savoir ce qu’on va nous raconter. Le syndrome Tendre Banlieue, sans doute. Pilules Bleues n’est pas de celles-là. Peut-être parce qu’elle est autobiographique, sûrement parce qu’elle est très bien écrite, cette bande dessinée fait partie de celles qui marquent durablement. L’auteur y narre sa propre rencontre avec Cati, jeune femme mère d’un enfant. Le courant passe bien entre eux et très vite Cati doit avouer à Frederik son lourd secret: elle est séropositive. Tout est raconté très simplement, sans pathos excessif ni atténuation volontaire. L’auteur ne se pose pas ni en martyr ni en héros: il témoigne d’une tranche de sa vie parce qu’elle a un réel intérêt. Une sacrée leçon à l’usage de tous les autobiographes de bande dessinée.
6. Le Cri du Peuple, Les heures sanglantes (Jean Vautrin, Jacques Tardi) – Casterman – 2003
En BD, Paris, c’est Tardi. Qu’il fasse déambuler Nestor Burma dans les différents arrondissements de la capitale ou qu’Adèle Blanc-Sec y combatte ptérodactyles et autres créatures étranges, la ville lumière s’illumine sous le crayon du dessinateur. Mais c’est peut-être avec le Cri du Peuple qu’il y rend le plus vibrant hommage, car il y associe un autre de ses traits constituants: l’engagement politique. En adaptant le roman de Jean Vautrin, Tardi raconte la Commune de Paris à travers une sombre histoire de vendetta, aux accents de polar, genre dont il se délecte. Le capitaine Tarpagnan, qui tourne casaque dès le début de la révolte, part à la recherche de Caf’Conc’, passionaria au visage d’ange et au sein lourd dont il est amoureux. Il va ainsi dans le Paris de 1871, des espoirs de mars aux massacres de mai. Tardi prend son temps pour raconter cette histoire: 4 volumes pour une grande fresque en format à l’italienne. L’idéal pour dessiner de superbes vues panoramiques de la capitale, radieuse ou en flammes.
5. De Cape et de Crocs, le Maître d’Armes (Alain Ayrolles, Jean-Luc Masbou) – Delcourt – 2007
Parfois les BD les plus classiques dans la forme restent les meilleures. Une ligne claire: classique. De belles couleurs: classiques. Un monde de cape et d’épées, époque vénitienne: classique. Mais avec des humains qui vivent aux côtés d’animaux humanisés qui parlent et se battent: déjà moins classique. Et s’ils parlent en alexandrins, en imitant le Don Juan de Molière, alors là c’est presque original. Le talent du scénariste fait le reste pour la plus formidable histoire d’aventure de la décennie. Surtout quand les héros quittent la Terre pour rejoindre la Lune. Là tout n’est plus que rimes, poésie et combats aux fleurets. Déjà 9 tomes sont parus, mais le huitième, Le Maître d’Armes, est mon favori. Dans des espaces magnifiques, le scénario permet à la fois d’aller vers des contrées inconnues, l’au-delà de la Lune, et d’amener ce qui sera la bataille finale dans le tome 9. Parfois, on a l’impression d’être dans une pièce de théâtre et, à chaque fois, après avoir relu les 9 tomes, je n’ai qu’une envie: non pas aller relire mes classiques, mais que quelqu’un enfin, dans les marges, pour les longs jours d’école, y ajoute des dessins à la manière De Cape et de Crocs.
4. Spirou, le journal d’un ingénu (Emile Bravo) – Dupuis – 2008
J’ai toujours aimé Spirou. C’est un classique avec Tintin, Astérix, Lucky Luke et d’autres. Mais depuis quelques années, la série est un peu en déshérence. J’aimais bien Tome et Janry même s’ils n’atteignaient pas le niveau du regretté Franquin. Par contre, les derniers de Morvan et Munurea ne m’ont vraiment pas plu. Mais depuis quelques années, Dupuis a lancé “Une aventure de Spirou et Fantasio par…” une collection de one shots dans lesquels carte blanche est laissée à un auteur. Et miracle, c’est souvent très bon. Spirou, le groom vert de gris s’est glissé à la treizième place de mon top, et l’album d’Emile Bravo se retrouve à une méritée 4ème place. Le trait, tout en douceur, colle avec ce qu’à voulu dire l’auteur. Un Spirou encore immature, déjà généreux, mais loin d’imaginer qu’un jour il vivra toutes ses aventures. Alors qu’il n’est qu’un groom dans un hôtel où se trame le début de la Seconde Guerre Mondiale, il est dépassé par les évènements. A sa manière, Spirou l’ingénu peut être vu comme une réinterprétation de Candide. Mais là où le héros du conte de Voltaire, après avoir vu tant d’horreurs, deviendra sage en choisissant de se couper des affaires du monde, de “cultiver son jardin“, chez le jeune Spirou germe à la fin de l’album les prémices du futur aventurier, toujours prêt à secourir la veuve et l’orphelin. En souvenir d’une jolie femme?
3. Donjon, Retour en fanfare (Joann Sfar, Lewis Trondheim, Boulet) – Delcourt – 2007
Si vous n’avez jamais lu Donjon mais simplement aperçu en librairie, vous vous demandez sans doute pourquoi cette série (car ici il faut parler d’une série dans son ensemble plus que d’un tome particulier) se retrouve à la troisième place. Bah oui: à première vue, l’album n’est pas très cher (et avec l’explosion des BDs à 22 ou 25 euros, il semble que pour les éditeurs le prix devienne un gage de qualité), les dessins sont colorés, les personnages sont animalisés. Pas de doute, c’est une série classique de heroic-fantasy pour enfants! Mais à y regarder de plus près, on change vite d’avis. Trondheim et Sfar au scénario. Larcenet, Blain, Boulet et d’autres aux dessins. Et l’on comprend que cette série de heroic-fantasy est un peu l’aboutissement de la nouvelle vague des dessinateurs et scénaristes français, qui ont tous plus ou moins gravité autour de l’Association (avant d’être récupérés par les “grands”, comme pour Donjon, publiée chez Delcourt). La série ne manque pas d’ambition puisque qu’elle veut raconter toute l’histoire d’un monde en différents cycles (Potron-Minet, Zénith, Crépuscule, auxquels s’ajoutent les cross-overs Donjon Parade et Monsters). De sa création à son crépuscule. Peut-être n’y aura-t-il jamais de fin, un peu à la manière d’un Balzac et sa Comédie Humaine, surtout que Sfar, notamment, a toujours d’autres projets en cours. Les deux scénaristes affirment que rien n’a été prévu à l’avance et qu’ils fonctionnent au coup par coup. Un peu comme Terry Pratchett, autre démiurge, qui dans les Annales du Disque-Monde, prétendait qu’il n’avait pas prévu grand chose et qu’il n’y avait pas de cartes précises. Au final, l’on se rend compte que tout prend forme au fur et à mesure et que dans la supposée incohérence un monde unique se crée. S’il ne fallait retenir qu’une BD, ce serait Retour en Fanfare, sixième tome de la partie Zénith, le cycle “principal” de la série. Parce que Boulet est au dessin et avec Kerascoet, Larcenet et Trondheim, c’est ceux qui incarnent le mieux le trait standard de la série. Parce que le canard Herbert revient chez lui et que cet album, chose assez rare, éclaire à la fois sur la partie Zénith, sur la partie Potron-Minet et sur des ébauches du Crépuscule. Mais je pourrais en sélectionner plein d’autres. J’ai un faible pour les Donjon Parade ou certains Monsters, comme Des soldats d’honneur, le plus tragique et poétique de tous.
2. Blacksad, Âme Rouge (Diaz Canales, Guarnido) – Dargaud – 2005
Rappelez-vous, c’était en 2000. Le premier tome de Blacksad, Quelque part entre les ombres, vraie bombe venue d’Espagne, sortait en France. Pourtant l’histoire, celle d’un chat détective privé, John Blacksad, dans le New York des 1950’s, a tout du polar habituel. Sauf que tout, mais absolument tout y est. Les dialogues savoureux, la voix off du privé, les réflexions cyniques et le scénario alambiqué côté plume. Le mouvement, le cadrage, les expressions du visage, la couleur côté crayon. Il faut dire que le dessinateur Juanjo Guarnido a fait ses classes dans les studios d’animation Disney, excusez du peu. Donc les personnages anthropomorphes à tête d’animaux, il maîtrise. Les aquarelles aussi. Le plus impressionnant, c’est peut-être de constater qu’après le premier tome, la série n’a fait que s’améliorer puisque des trois qui sont parus, je préfère le deuxième au premier et plus encore le troisième au second. Âme Rouge, ainsi que s’intitule le troisième opus, nous plonge en pleine chasse aux sorcières, à l’époque où la menace atomique hante les Etats-Unis. On y croise un décalque d’Einstein sous les traits d’une chouette, on reconnaît Allen Ginsberg en train de déclamer Howl en bison, et le sénateur McCarthy est un coq. Il n’y a pas une page qui ne soit pas un émerveillement graphique et le scénario rebondit comme il se doit. Depuis 5 ans, rien. Mais il paraît que le Tome 4 est prévu pour l’an prochain. Ah, vivement le changement de décennie…
1. Le Combat Ordinaire, les Quantités Négligeables (Manu Larcenet) – Dargaud – 2004
Je me suis parfois longtemps triturée le cerveau pour savoir si je classais une BD 26ème ou 27ème dans mon top. Cela n’avait pas vraiment d’importance. Pour le premier, le seul ou presque que l’on retiendra, donc le plus important, je n’ai pas hésité longtemps. Le Combat Ordinaire. Comme une évidence. La BD, très personnelle, scénarisée et dessinée par Manu Larcenet, réussit la prouesse d’allier deux récits très forts, notamment dans le tome 2, Les Quantités négligeables. D’un côté le récit de Marco, trentenaire, photographe névrosé qui ne peut pas se passer de son psy. Il tente de s’installer à la campagne. Il est le symbole de cette génération un peu perdue, qui ne sait pas trop pourquoi elle est là et ce qu’elle doit faire. Celle qui a regardé passer le temps. De l’autre un monde ouvrier en déshérence, dans un chantier naval. Marco fait régulièrement l’aller-retour entre sa maison de campagne et le port. Là, les ouvriers ont des gueules cassés, votent Front National ou coco et son père perd la mémoire. Entre les aléas de la vie quotidienne et la disparition d’un monde industriel, Larcenet livre une œuvre qui a su toucher la critique, les amateurs de BD et le grand public. On dépasse la bande-dessinée, on est dans une méditation sur la condition humaine, qui a la grand mérite de ne pas imposer sa vision, de seulement poser des pistes de réflexions. Entre désabusement, colère et, surtout, espoir.
Laureline Karaboudjan
lire le billetQuatrième et avant-dernier volet du Top BD de la décennie, avec les albums classés de la 20ème à la 11ème place. Vous pouvez retrouver le reste du classement avec les BD de la 50e à 41e place, celles de 40 à 31 et celles de 30 à 21. Conclusion la semaine prochaine!
20.Blast, Grasse Carcasse (Manu Larcenet) – Dargaud – 2009
Blast vient de sortir, c’est la dernière oeuvre de Larcenet. Dans Le Combat ordinaire, le héros a un ami d’enfance, Bastounet. Gros, persuadé d’avoir raté sa vie, il part un jour sans retour. Sans que le lien soit formellement établi, Blast raconte un peu cette histoire sauf que le personnage, Polza Mancini, au lieu d’être un ouvrier est un écrivain gastronomique. Si, dans Le Combat ordinaire, il y a encore l’espoir, Blast, tout en encre de Chine, est une oeuvre très sombre. L’aboutissement d’un processus où l’homme devient clochard, où le présent, sous quelque angle qu’on le prenne, est sans issue. Polza est en garde à vue, il a fait “quelque chose à Carole“. Avant de tout avouer, il veut expliquer aux deux flics son parcours. Les raisons et ses blasts, ces moments où son esprit s’envole et qu’il atteint un stade d’extralucidité, que Larcenet traduit par des dessins de ses filles, les seuls instants en couleur dans un album en nuances de gris. Blast n’est que 20ème de ce top car il vient de sortir, car il y aura une suite et qu’il serait peut-être trop rapide de le classer plus en avant. Mais quelque chose me dit que dans le top 2010-2019 il sera plus haut. Beaucoup plus haut.
19. L’enquête corse (Pétillon) – Albin Michel – 2000
Pétillon a soupoudré la décennie des aventures de Jack Palmer. L’enquête corse reste ma préférée. C’est la plus drôle et la plus juste. Chaque dialogue est digne d’un Michel Audiard. La BD a connu un succès fou, au point d’être adaptée au cinéma dans un nanar bien de chez nous avec Jean Réno et Christian Clavier. Pétillon est un vieux de la vieille aujourd’hui. Mais sa capacité de toujours créer chaque semaine pour le Canard et une ou deux fois par an en format cartonné me surprendra toujours. Evidemment, les ficelles sont connues et on est rarement bouleversé. Mais, comme avec un bon Audiard, on sourit toujours, et, dans le cas présent, on ne peut s’empêcher d’aimer ces Corses qui savent reconnaître à l’explosion la distance et la longueur de la mèche.
18. Isaac le Pirate, Les Glaces (Christophe Blain) – Dargaud – 2002
Je suis une descendante de pirate, une vraie. C’est une histoire que je vous raconterai peut-être un jour. Donc, fatalement, j’ai une faiblesse pour les marins de tous bords, les tempêtes et les batailles. Quand on me demande mon prénom, je réponds toujours, Call me Laureline, référence à Moby Dick d’Herman Melville. Dans Isaac le Pirate, il y a tout ce que j’aime. Des pulsions sexuelles, des grands voyages, la mort. Rien que par sa couverture, Les Glaces est mon album préféré des cinq. Le navire dérive lentement, plus personne n’a vraiment de prise sur sa propre réalité. Les fantômes et la maladie les guettent, c’est certain. De là à dire qu’Isaac en oublierait sa bien-aimée, non bien évidemment. Mais il comprend, et nous avec lui, qu’il y a autre chose déjà.
17. Pyongyang (Guy Delisle) – L’Association – 2003
La République Populaire de Corée du Nord, ses paysages charmants, sa dictature, ses ateliers de dessin, sa dictature, ses monuments géants, sa dictature. Guy Delisle, après avoir raconté la Chine de Shenzen et avant de sortir ses Chroniques Birmanes, raconte son expérience nord-coréenne dans le meilleur de ses trois carnets de voyage. Pendant trois mois, l’auteur a encadré un atelier de dessin animé dans la dernière dictature stalinienne du monde. Ca n’a pas l’air funky comme ça – d’ailleurs, ça ne l’a pas vraiment été – mais ça a permis à Delisle de livrer un témoignage exceptionnel (très rares sont les Occidentaux à être admis en RPDC) sur la vie quotidienne de l’autre côté du 38ème parallèle. Le trait est simple, presque naïf, et sert du coup parfaitement un propos proprement hallucinant. Heureusement, dans l’enfer gris, l’auteur conserve humour et détachement. L’antidote au totalitarisme?
16. Lost Girls (Alan Moore, Melinda Gebbie) – Post Shelf Productions – 2006
Je le savais. Je l’ai toujours su. Alice cède volontiers à la concupiscence, Wendy se complait dans le stupre et Dorothy n’est qu’une petite cochonne délurée. Quand les héroïnes du Pays des Merveilles, de Peter Pan et du Magicien d’Oz se retrouvent dans un sanatorium autrichien à la veille de la première guerre mondiale, elles se racontent leurs histoires de cul. Trois âges (pour respecter la date de publication des trois ouvrages, ayant 20 ans d’écart chacun), trois expériences, une seule et même célébration de la vie quand l’Europe s’apprête à entrer dans une danse macabre. Une œuvre conçue en couple, puisque Melinda Gebbie, excellente aux pastels, est la compagne d’Alan Moore qu’on ne présente pas. Deux vieux amants qui, comme dans la chanson, savent “être vieux sans être adultes“.
15. Le Roi des Mouches, Hallorave (Mezzo, Michel Pirus) – Glénat – 2005
Le Roi des Mouches, à ne pas confondre avec Sa Majesté de la même espèce, c’est une sorte de gros trip à l’acide aux fondements particulièrement sombres. Le décor: un suburb américain lambda. Le héros: un adolescent paumé, complètement accro à ses pilules, au point de virer psychotique et d’adorer s’affubler d’un énorme masque de mouche. Et nous voici embringués pour une histoire où le sexe, la drogue et le rock’n roll ont rarement été aussi intimement liés en un cocktail démoniaque. Le dessin est très sobre et ne cache pas ses influences américaines (Burns ou Clowes). Il est sublimé par une mise en couleur toute particulière, aux tons psychédéliques. Les personnages se quittent, se retrouvent, se croisent, dans un scénario complexe, entêtant et addictif, vraie drogue dure. A lire en écoutant Joy Division ou les Black Angels.
14. Lincoln, Crâne de Bois (Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray) – Paquet – 2002
Chier. Putain. No Future. Lincoln est un cow-boy, fils d’une pute et d’un alcoolique. Élevé à coups de torgnoles, gueule cassée mais sacrément intelligent. Sacrément égoïste aussi. Et râleur. Bah ouais, Putain, Chier, pourquoi aimer la vie? Il rencontre Dieu qui croit en lui. Drôle d’idée. Il le rend immortel. Le Tout-puissant veut qu’il sauve le monde. Lui en a rien à faire. Chier, putain. Lincoln est la création d’une même famille, les Jouvray, aux dessins, au scénar et à la couleur. Le dessin est assez simple, les couleurs aussi, et le scénario est plaisant, mais chier, putain, ça marche. Peut-être parce qu’au delà d’un simple cow-boy râleur, cette BD dresse un tableau assez juste d’une certaine jeunesse. Un peu désabusée, un peu emmerdée, à la recherche du plaisir, pas vraiment de morale, ni de gauche ni de droite, mais qui, au final, ne peut pas s’empêcher d’avoir un grand coeur.
13. Spirou, le groom vert-de-gris (Yann et Schwartz) – Dupuis – 2009
Je crois que j’ai déjà un peu tout dit sur ce Spirou dans cette chronique. L’un des albums pour moi les plus réussis. Parce que Yann a réfléchi très longuement au scénario et que chaque case est un hymne à la bande dessinée, comme les films de Tarantino en sont au cinéma. Au point parfois d’en oublier le réel ? C’est ce que pensent certains esprits chagrins, comme Joann Sfar qui a accusé Yann d’antisémitisme latent et de prendre trop à la légère la Seconde Guerre Mondiale. Querelle de générations ? Peut-être. Moi, je continue de ne pas bouder mon plaisir, de lire et relire cette BD, car et c’est une évidence de l’écrire, c’est aussi par le rire que l’on prend conscience de l’horreur de la guerre.
12. Peter Pan, Crochet (Loisel)- Vents d’Ouest – 2001
Le deuxième Loisel de ma liste. La série que tous les amateurs de BD ont lu. Il fallait oser s’attaquer à cette oeuvre qui dans l’esprit de beaucoup tient un peu du monde des Bisounours, Disney oblige. Tragique par moments, certes mais Bisounours quand même. Avec Loisel, on est plus dans le Dickens, avec Peter Pan qui a une mère alcoolique et Jack l’Eventreur qui n’est jamais loin. Comme toujours il aura fallu une quinzaine d’années pour arriver au bout de ce cycle, sans doute plus symbolique des années 1990. Dans Crochet, on est dans une sorte d’apogée du principe de cette série. Des allers et retours permanents entre les mondes réels et féériques, de la couleur et du noir sans savoir où est le bien et le mal, des aventures physiques et un affrontement psychologique éprouvant. Et le crocodile, évidemment.
11. Le chat du rabbin, la Bar Mitsva (Joann Sfar) – Dargaud – 2002
Oui, d’accord, chaque nouvel album s’est retrouvé en tête de rayon dans les supermarchés culturels et le Chat du Rabbin, avec Titeuf et quelques autres, est sûrement un des plus gros succès commerciaux de la décennie. Mais est-ce immérité? Il suffit de se replonger dans le premier opus de la série pour se convaincre du contraire. Sfar met tous ses talents de conteur au service d’une histoire où les chats devisent de religion, les rabbins et les imams s’entendent et où l’on peut rire des Juifs sans risquer de procès mal-intentionnés. Une jolie fable sur la tolérance, bien écrite et érudite, illustrée par le trait inimitable de Sfar, le meilleur des dessinateurs qui ne savent pas dessiner. Ah, en ces mois hivernaux, je prendrais bien un thé à la menthe en caressant doucement le félin savant…
Laureline Karaboudjan
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