Les BD de l’automne

Les feuilles tombent, il pleut et il fait froid. Heureusement, il y a plein de bonnes à lire sous la couette.

  • La Ruche, Charles Burns, Cornélius

Après Toxic, Charles Burns revient et nous offre une suite. Toujours cette ambiance de Tintin passé à l’acide de Tchernobyl, ce monde accablé de chaleur et notre héros à la houpette qui a trouvé un boulot. On ne sait jamais ce qui est de l’ordre du rêve ou de la réalité, on ne comprend pas ce qui se passe, les personnages de la BD eux-mêmes ne comprennent rien, tout le monde s’insulte et se méprise. L’une des plus étranges et belles séries de ces dernières années.

  • Blast tome 3, La tête la première, Manu Larcenet, Dargaud

Le grand oeuvre de Manu Larcenet se poursuit avec la sortie du troisième tome de Blast. Dans cet avant dernier opus (la série doit à terme être une tétralogie), les choses se font un peu plus précises. Le puzzle de la narration commence à se reconstituer et on entrevoit le bout du tunnel. Mais avant la lumière, la pénombre n’a jamais été aussi forte. Ce troisième tome est véritablement crépusculaire alors que le sublime et le sordide continuent de se mélanger avec magie (noire). Si vous n’avez toujours pas entamé la lecture de Blast, c’est le moment!

  • Sam Hill, 1924 : les débuts, Rich Tommaso, Ca et là

Un petit western, encore, vous connaissez mes goûts. L’américain Rich Tommaso s’amuse avec les codes du genre et l’histoire tourne autour de Sam Hill, un jeune mec un peu déboussolé. Dans l’hôtel ouvert par son père, ancien shériff et alcoolique fini, il est un peu le garçon à tout faire. Amour, sexe, poker, sous fonds d’industrialisation et d’or noir, ce récit un peu désabusé marque au final la rupture de Sam Hill avec son univers familial, avant une suite plus portée sans doute sur le voyage et la découverte de nouveaux espaces.

 

  • Vingt-trois prostituées, Chester Brown, Cornélius

J’ai consacré un post entier à l’excellent ouvrage de Chester Brown. Pendant plus d’une dizaine d’années, cet auteur a fréquenté des travailleuses du sexe. Il est devenu un ardent défenseur de ce type de rapports sexuels et expose avec un style clair, en noir et blanc, patiemment ses arguments.

 

 

  • Far Arden, Kevin Cannon, Ca et là

Publié pour la première fois en 2009 aux Etats-Unis, Far Arden fait penser à One Piece aux premiers arbords. Une ambiance de pirate où les autorités sont pourries et un lieu inconnu, mystérieux et magnifique à trouver: Far Arden. L’ambiance, les bastons notamment, rappellent l’univers du manga. Mais la comparaison s’arrête là. Pas de Luffy chapeau de paille pour être toujours motivé et naif, plutôt des personnages désabusés et tristes, cherchant plus qu’une île: un sens à leur vie. Surtout, cela ne dure pas 3000 épisodes comme les séries japonaises, et à la fin, personne ne gagne.

  • Aâma tome 2, La multitude invisible, Frédérik Peeters, Gallimard

Le deuxième tome d’Aâma de Frédérik Peeters, l’un des mes auteurs préférés grâce à sa série Lupus, est paru. Si dans le premier tome, on ne savait pas trop s’il fallait se concentrer sur la ville destructrice où la nature inconnue, ce deuxième opus insiste plus sur le voyage. Un peu à la manière d’un album de Léo (Beltegeuse, Alderaban), les personnages vont affronter une nature de plus en plus extraordinaire et hostile. Sauf qu’ici la nature a perdu la tête à cause d’un robot devenu hors de contrôle des humains et Frédérik Peeters affirme une nouvelle fois sa fascination pour la science-fiction mêlée à un scepticisme certain du tout technologique.

  • Tokyo, Joann Sfar, Dargaud

Je le notais récemment au détour d’un papier: la série B a le vent en poupe en ce moment. Le dernier album de Joann Sfar, Tokyo, s’inscrit dans cette veine délirante et quelque peu régressive. Sur une île radioactive, on trouve des bikeuses sexys et tatouées, des lions et des tigres rockeurs bardés de cicatrices, des seins, des tentacules, du cul et de la violence. L’hommage à l’univers des nanards cinématographiques n’est pas dur à déceler dans cet album déroutant, à la narration complètement décousue, mais finalement très prenant. Peut-être parce que graphiquement, le travail mêlant dessins et photos est aussi psychédélique qu’hypnotisant.

 

  • Jour J tome 10, Le gang Kennedy, Duval, Pécau et Wilson, Delcourt

J’avais été un peu déçue par Apocalypse Texas, le précédent tome de Jour J, cette série d’uchronies qui habituellement me ravit. Heureusement, la dernière livraison redresse la barre avec une histoire qui nous plonge en 1947 dans une Amérique alternative où les Etats sont désunis. Et pour cause: le continent se partage entre un nord anglo-saxon et un sud francophone, qui a la Nouvelle Orléans pour capitale depuis la guerre d’Indépendance. Ah oui, Hitler est toujours au pouvoir et les Kennedy essaient de passer de l’alcool de contrebande. Ca part dans tous les sens tout en restant cohérent: le signe d’une uchronie réussie.

 

Laureline Karaboudjan

Illustration de une extraite de Far Arden par Kevin Cannon, DR.

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Les BD de la rentrée

Le neuvième art fait aussi sa rentrée littéraire. Voici une sélection de BD qui viennent de sortir et qui méritent votre attention.

  • La Gröcha, Peggy Adam, Atrabile

La si tranquille Suisse a perdu toute quiétude depuis que sévit une mystérieuse épidémie dans ses villes. Du coup le gouvernement met en place des barrages filtrants à la sortie des zones urbaines, organise des camps de quarantaine et sanctuarise les montagnes. Dans cette ambiance d’apocalypse, un couple se brise: elle est malade, il ne l’est pas et s’en va vers la verdure. Mais la fuite n’est pas forcément un refuge… Dans cette histoire fine et aux planches soignées, la civilisation et la nature se confrontent et l’auteure interroge la place de l’homme, ce qui fait réellement notre humanité. Une lecture entraînante et qui ne peut pas laisser indifférent.

 

  • Zone Blanche, Jean-C. Denis, Futuropolis

Tout juste auréolé du Grand Prix d’Angoulême lors de la dernière édition du festival, Jean-Claude Denis est présent pour cette rentrée littéraire avec Zone Blanche, un polar sur fond d’électrosensibilité et de panne de courant. Policière certes, mais pas trop noire non-plus, cette histoire de courants est alimentée par le dessin caractéristique de l’auteur, proche de la ligne claire hergéenne, et par un scénario à la fois efficace et astucieux. A dévorer en une fois, comme une pâtisserie.

 

 

  • Lorna,(Heaven is here), Brüno, Glénat

Une femme mutante, des extra-terrestres, des surfeurs allumés, des scientifiques bizarres, des acteurs porno, tous réunis dans un road-movie américain délirant. Un film de Quentin Tarantino? Presque: une BD de Brüno. L’auteur a pris de multiples références de séries Z, a tout mis dans un shaker, et en a tiré un cocktail explosif, truffé de clins d’oeil qui sauront ravir les amateurs du genre. Peut-être pas le BD la plus aboutie de Brüno, mais ce n’est là que le premier tome, et le rythme soutenu emporte le reste.

 

 

  • Colo Bray-Dunes 1999, Dav Guedin et Craoman, Delcourt

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire maintes et maintes fois, mais faire de la BD autobiographique quand on n’a rien de particulier à raconter, ça n’a aucun intérêt (même si ça se vend). Ca tombe bien, Dav Guedin a quelque chose de particulier à raconter: son expérience en tant que moniteur d’une colonie de vacances pour handicapés mentaux lourds. Ou trois semaines dans ce qui ressemble à l’enfer, en tous cas tel que décrit par les auteurs. Une des qualités essentielles de l’album c’est justement que le regard de Dav Guedin et les dessins de Craoman n’ont rien de complaisants. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une BD toute en compassion et en pathos, on nous décrit plutôt un univers où les handicapés peuvent être méchants, où le narrateur n’est pas spécialement fier d’être où il est et a des réactions de lâcheté, de peur ou de dégoût. Et où les plus personnages les plus flippants sont peut-être les encadrants plutôt que les handicapés. C’est très fort car très vrai.

  • Les chevaux du vent, Fournier/Lax, Dupier, Dupuis

Deuxième tome pour ce diptyque qui nous emmène dans une famille de l’Himalaya, déchirée par la guerre, l’amour et la maladie (comme d’hab). L’un des fils part à la recherche de son père, parti sans laisser de nouvelles depuis de trop nombreuses années. Même si on regrette une ou deux scènes d’affrontements un peu confuses, on est doucement porté par cette errance guerrière et mystique et finalement presque déçu que cela soit la fin de l’histoire

 

 

  • Furioso, Lorenzo Chiavini, Futuropolis

«Oh non pas encore un récit de croisade !», peut-on se dire au départ. Le genre religo-médieval est sur-traitré en BD et rarement pour le meilleur. A première vue, l’italien Chiavini joue le jeu du grand spectacle. Un héros chrétien choisi par Dieu et en face un guerrier arabe invincible pour un combat qui doit décider du blabla… Mais finalement aucun des deux deux personnages principaux ne veut vraiment assumer, il n’y a pas tellement de bataille, et des deux côtés on se demande si tout cela vaut vraiment le coup, de se battre. Mille ans après, on se pose toujours la question, mais on continue.

 

  • En Silence, Audrey Spiry, Casterman

Comment une banale descente en canyoning, pendant les vacances, peut devenir une expérience initiatique aux confins du mystique et du fantastique? A travers les dessins quasi-impressionnistes d’Audrey Spiry, qui joue avec les reflets d’une rivière ou la lumière qui filtre à travers des branchages pour faire apparaître des présences spectrales. “En Silence” est avant tout une BD graphique très réussie, qui en met plein les yeux de couleurs et d’expressions sur les visages. En revanche, j’ai un peu regretté que ce canyon ne soit pas un peu plus profond dans son scénario.

 

  • Krrpk doit mourir, Bill, Delcourt

Krrpk n’a vraiment pas de chance. Ce petit extra-terrestre vert au visage respirant l’innocence débarque sur une planète étrangère comme travailleur immigré. Mais les autochtones sont racistes comme pas permis, il subit brimades sur brimades, ne parvient pas à trouver de boulot, loge dans un taudis dont la vieille propriétaire acariâtre exige d’être payée… sexuellement. Sur une ligne de crête entre l’absurde et le réalisme social (oui oui, avec des extra-terrestres, c’est possible), Bill livre une BD aussi drôle que rythmée, qui ne manque évidemment pas de faire écho avec nos sociétés bien terriennes.

 

 

Et non, je n’ai pas encore lu le dernier Joann Sfar!

 

Laureline Karaboudjan

Illustration de une extraite de Lorna, Heaven is here par Brüno, DR.

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Les BD à lire cet été

Une sélection d’albums sortis ces dernières semaines et qui méritent d’être glissés dans votre sac de plage.

Supplément d’âme, Alain Kokor, Futuropolis

A Dublin, tous les jours à la même heure, un drôle de bonhomme rondouillard vient s’asseoir au bord de l’eau. Il ne reste pas plus de cinq minutes, toujours au même endroit, le regard tourné vers l’horizon. Qui est-il? Pourquoi ce rituel? Mystère. Mais le jour où il ne vient plus, c’est tout le quartier, qui suivait son va-et-vient quotidien, qui est en émoi. Et deux personnages qui se rencontrent: Camille, responsable du service après-vente d’une société qui n’en a pas besoin (et pour cause, elle commercialise Sophie la girafe), et Willie, une artiste qui essaime des sculptures d’oiseaux en ville. Ne vous en faites pas, je ne vous ai pas vraiment raconté grand chose de cette BD qui tient moins par une intrigue que par l’univers poétique qu’elle dessine, le tout avec une grande justesse dans le trait comme dans le découpage.

L’Amour, Bastien Vivès, Delcourt

Après la Famille et les Jeux Vidéos, Bastien Vives continue ses petits strips avec cette fois-ci pour thème “l’amour”. Vaste sujet… L’album est un mélange de gags déjà parus sur son blog, (dont, à mon sens, le meilleur, celui sur les fantasmes) et des inédits. La thématique est éculée – en gros les incompréhensions répétées entre homme et femme en coupe- mais la manière de la traiter de Vivès est rafraîchissante et drôle. De plus, il n’hésite pas à assumer un point de vue “de mec” sur la question, il ne cherche pas à faire semblant d’être un auteur au-dessus de la mêlée, omniscient, raffiné et délicat. Et ce n’est pas plus mal comme ça.

 

La Grippe coloniale tome 2, Cyclone-la-Peste, Appollo et Huo-Chuao-Si, Vents d’Ouest

Voilà un deuxième tome que je désespérais un jour de voir sortir, comme ces trop nombreuses séries BD inachevées qui passent ainsi à la postérité (voir le post que j’y avais consacré). Pensez-vous: le premier opus de la Grippe coloniale est sorti il y a… neuf ans! Et j’avais beaucoup aimé cet album qui se passe, comme il se doit avec Appollo au scénario, à la Réunion. On suit le retour de la Grande guerre de quatre amis bidasses, aux couleurs de la Réunion: Camille l’aristocrate à la gueule cassée après s’être engagé comme officier de cavalerie, Grondin le grand rigolard à la proverbiale baraka, Voltaire le “tirailleur sénégalais” qui n’a jamais vu le Sénégal mais qui est un cafre, un noir de la Réunion et le narrateur, Evariste Hoarau, anti-héros pacifiste. Mais à la grande boucherie européenne suit une autre calamité: la grippe espagnole qui n’épargne pas l’île du continent indien. La suite-et-fin qui vient de sortir est aussi bien écrite que le premier tome et les dessins d’Huo-Chuao-Si n’ont pas perdu de leur expressivité. Un bémol toutefois: le coloriste a changé entre les deux albums, et ça se voit quelque peu (je préférais les couleurs du premier). Mais c’est une toute petite ombre comparée à la satisfaction de connaître enfin le dénouement de cette histoire.

La Traversée du Louvre, David Prudhomme, Futuropolis

Généralement, quand on va dans un musée, c’est pour contempler les oeuvres qui y sont présentées. On peut aussi laisser aller son regard sur les cadres, les murs, les gardiens et… les autres visiteurs. C’est exactement ce qu’a fait le dessinateur David Prudhomme dans les couloirs du Louvre et qu’il restitue dans cet album qui se présente comme une déambulation. Pas d’histoires, pas de dialogues mais une succession de tableaux crayonnés, très doux, où les oeuvres et le public se répondent ironiquement. Tel ce groupe d’enfants rassemblés autour d’une conférencière au pied d’une icône où la Vierge est entourée d’anges. Ou ces innombrables visiteurs se disputant un coin de banc devant… le Radeau de la Méduse. Il y a du Sempé dans cette Traversée du Louvre très facétieuse.

La Bataille tome 1, Richaud et Gil, adaptation du roman éponyme de Patrick Rambaud, Dupuis

Je vous l’avoue, je n’ai pas lu le roman de Patrick Rambaud, dont j’ai appris après coup qu’il avait été récompensé à la fois du Goncourt et du Grand prix du roman de l’Académie française. Bon, au moins, ça pose quelques bases en matière de scénario. Cela dit, ce n’est pas parce qu’un roman est bon que sa transposition en BD est forcément réussie: de nombreux exemples d’adaptations boiteuses peuvent en témoigner. En l’occurrence, le premier tome de ce qui doit être une trilogie autour de La Bataille est une vraie réussite. Frédéric Richaud et Ivan Gil ont conjugué leurs talents de raconteurs d’histoires dessinées pour offrir un premier opus enthousiasmant. Le dessin est dynamique, le découpage nerveux, les plans s’enchaînent parfaitement… Et on se laisse raconter la bataille napoléonienne d’Essling, en 1809, sujet qui pourrait sembler rébarbatif au premier abord, avec le plus grand plaisir, car c’est bien la manière de faire qui importe…

Contribution à l’étude du léger brassement d’air au-dessus de l’abîme, Ibn Al Rabin, Atrabile

Voici une BD aussi drôle que foutraque. Dans une étrange mise en abîme, Ibn Al Rabin s’interroge sur le dessin en bande-dessinée alors qu’une invasion extra-terrestre s’apprête à déferler sur Terre. L’occasion de faire apparaître une ribambelle de personnages qui réagissent, chacun à leur manière, à la menace. Un politique fulmine parce que ses collaborateurs ne lui ont pas réalisé une page Wikipedia assez flatteuse, l’armée entend déclencher une guerre atomique avec les Russes et les Chinois (après tout, c’est toujours de leur faute non?) et un industriel lance une gamme de sucettes en forme de vaisseaux extra-terrestres, pour coller à la mode du moment. Quant à Ibn Al Rabin, il se demande s’il va pouvoir refourguer ses fanzines de BD aux nouveaux venus. On rit souvent à la lecture de cet ouvrage qui est aussi un prétexte pour interroger les codes de la narration séquentielle, avec comme souvent beaucoup d’inventivité de la part de l’auteur.

Campagne Présidentielle, Mathieu Sapin, Dargaud

On avait suivi Mathieu Sapin dans les couloirs du journal Libération. Après s’être fait plein de nouveaux copains journalistes, le dessinateur en a profité pour emboîter le pas d’un candidat en campagne présidentielle. Pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du président élu: François Hollande. A l’instar d’un journaliste embedded, Sapin a l’autorisation de traîner son crayon et son carnet de notes dans toutes les coulisses de la campagne. Et ça lui permet de saisir une foule d’anecdotes et d’épisodes marquants (Hollande apprenant sa victoire à la télé notamment) de cette campagne, qu’on a parfois jamais lus ailleurs. Les personnages de Manuel Valls et d’Arnaud Montebourg m’ont particulièrement fait sourire, tant ils semblent bien saisis. Si vous avez aimé une BD politique comme Quai d’Orsay (à laquelle Sapin rend d’ailleurs hommage), vous pouvez y aller les yeux fermés.

Le coin du Soupir :

Les Autres Gens, tomes 6 et 7, Thomas Cadène, Dupuis .

Au départ, j’aimais bien l’idée. Une BD-novela qui paraît sur Internet quotidiennement puis ensuite en gros tome en librairie, c’est une nouvelle manière de voir et de produire, et c’est suffisamment rare pour être signalé. Entre Thomas Cadène, le scénariste, très actif sur les réseaux sociaux, et tous les dessinateurs, cette BD-novela propose un panel intéressant de la nouvelle génération. Si j’approuve de tout cœur cette idée, sur le fond, je suis de moins en moins convaincue. En tant que lectrice, je dois avouer qu’au bout du 6ème et 7ème tome, je suis complètement perdue. Je ne comprends pas toujours l’intérêt des différentes histoires qui s’enchevêtrent et cela manque vraiment de souffle par moments. Après, il y a énormément de personnages, et le fait de changer en permanence de dessinateur, chacun ayant un style très différent, empêche parfois de les reconnaître (les personnages, pas les dessinateurs). Ce qui nuit d’autant plus à la lecture et à la compréhension. Les auteurs ont de toutes façons décidé d’arrêter la série. Ils ont peut-être fait le même constat que moi…

Laureline Karaboudjan

 

Illustration de une tirée de La Grippe Coloniale, DR.

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Les BD de mai

Qui a dit que j’étais en retard?

Détournements, Chihoi et Kongkee, Atrabile

Vous n’y connaissez rien à la littérature hongkongaise? Moi non plus. C’est ainsi une véritable découverte que j’ai fait en ouvrant Détournements, un ouvrage étrange édité par la maison suisse Atrabile. Deux dessinateurs, Chihoi et Kongkee, réinterprètent des textes d’une douzaine d’auteurs de l’ancienne colonie britannique, opérant le délicat transfert de la littérature à la bande-dessinée. Composé d’une multitude de très courtes séquences, le livre est forcément inégal mais sa diversité fait tout son intérêt. Et on peut picorer ça et là une ou deux historiettes comme autant de fenêtres ouvertes vers un imaginaire à découvrir.

 

Gringos Locos, Yann et Schwartz, Dupuis

Et si Morris, Jijé et Franquin traversaient les Etats-Unis à bord d’une vieille voiture, rebut de l’armée américaine? Et s’ils rêvaient de Mickey, de soirées jusqu’au bout du désert et de putes? Ça nous changerait un peu de l’image un peu compassée que l’on a parfois de la BD belge. Ça tombe bien, c’est vraiment arrivé en 1948, et Yann et Schwartz, élevés dans le culte de ces auteurs, ont décidé de nous le raconter. Comme je le racontais dans une chronique, cela ne s’est pas fait sans tension avec les ayants-droits, pas très heureux de l’image qui est donnée de leurs parents. Mais, pour nous, lectrices et lecteurs, ce n’est que du plaisir.

 

Jour J, tome 8 : Paris brûle encore, Duval, Pécau, Damien et Fernandez, Delcourt

Je sais, je vous parle régulièrement de cette série de BD uchroniques… Mais c’est que je dois admettre ne jamais bouder mon plaisir de voir sortir un nouvel opus qui nous propose, à chaque fois, une relecture de l’Histoire en en changeant le cours. Certains sont plus réussis que d’autres, et le dernier en date fait à mon sens partie des meilleurs. On est en France en 1976, les événements de mai 68 ont dégénéré en guerre civile et l’Hexagone a des airs de Vietnam. Voilà la toile de fond d’une aventure qui met en scène un journaliste du Boston Globe très intéressé par les œuvres d’arts… Si le contexte historique est, comme souvent, bien campé, le point fort de cet album c’est le scénario à la fois simple et bien mené, tout simplement crédible.

 

La mort de Staline, tome 2, Nury et Robin, Dargaud

Il n’y a pas que l’uchronie pour raconter de bonnes histoires, la grande Histoire, la vraie, peut également fournir des épisodes dignes des meilleurs polars. C’est le cas avec la Mort de Staline, dont le second tome est enfin sorti et clôt l’excellent travail de Robin et Nury, ses auteurs. Il s’agit donc de raconter le décès du dictateur russe et toutes les tractations dans l’ombre pour reprendre les rennes de l’URSS. Le grotesque et le machiavélique se donnent la main dans une histoire où les protagonistes, bien réels, ont de vrais caractères de personnages de bande-dessinée.

 

L’Ecume des jours, Morvan et Mousse, Delcourt

Habituellement, les adaptations de grands classiques littéraires en BD me font quelque peu soupirer. L’exercice est un peu facile, manque d’originalité et semble parfois dicté par le seul intérêt commercial. Souvent, les auteurs se contentent d’accompagner l’œuvre en dessins sans réellement se l’approprier. Pour retranscrire visuellement l’univers de Boris Vian, Morvan et Mousse ont au contraire trouvé le graphisme parfait, dans un noir et blanc élégant et arrondi, digne d’un écriture à la plume faite de pleins et de déliés. C’est un peu perturbant au premier regard, mais très vite on se laisse prendre dans le tourbillon et on ré-dévore la candide et triste histoire de Colin et Chloé.

 

Monsieur Strip, éditions altercomics

J’aime beaucoup Calvin et Hobbes, je supporte Garfield et les autres, mais le genre du strip en trois cases a parfois dû mal à se renouveler. Yassine et Toma Bletner ont tenté d’innover avec Monsieur Strip. Au départ publié chaque jour sur Internet, leurs histoires très courtes ont été regroupées dans un bel ouvrage. Ici, on est dans le strip pour adultes, volontiers moqueurs, ironiques et sexuels. Entre la jeune femme qui se met toute nue lorsqu’elle est contente ou l’homme aux chapeaux, plusieurs personnages récurrents apparaissent selon les strips et insèrent une variété bienvenue. Mais j’ai surtout craqué pour les strips photos de jouets pris dans les ateliers des auteurs ou de leurs amis, et mis en scène dans des positions absurdes.

Laureline Karaboudjan

 

Strips de Une tirés de Monsieur Strip.

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Les BD du printemps

La Douce, Intrus à l’Etrange, la Pieuvre… C’est le printemps : les arbres bourgeonnent, les oiseaux chantent et les bacs des libraires se remplissent de nouvelles BD. Voici une petite sélection des albums qui m’ont plu ces dernières semaines (et deux qui m’ont déçu pour faire bonne mesure).

  • American Tragedy, Calvez, Delcourt

Ce n’était pas une mince affaire que de s’attaquer à Sacco et Vanzetti, comme l’a fait Florent Calvez dans American Tragedy. Parce que l’histoire de ces deux anarchistes italiens, executés après un procès inéquitable aux Etats-Unis en 1927, est un véritable mythe dont l’avatar le plus célèbre est une chanson de Joan Baez. L’auteur de BD s’en sort pourtant plutôt bien. Il déconstruit toute l’affaire en assumant les zones d’ombres et les parts de doute dans une enquête passionnante. En dépit d’un ton parfois un peu trop didactique, American Tragedy est aussi, à l’instar d’Un Pays à l’aube de Dennis Lehane, une évocation réussie des troubles qui agitent les Etats-Unis dans les années 1920 et un réquisitoire très intelligent contre la peine de mort.

  • La Douce, Schuiten, Casterman

On ne présente plus François Schuiten, le dessinateur belge qui explore depuis près de trente ans les Cités Obscures avec son camarade Benoît Peeters. Il arrive toutefois qu’il travaille seul, comme dans La Douce, un album dont le personnage principal est… une locomotive. Une Atlantic 12 pour être précis, d’où son surnom qui donne son titre à l’album. Dans son habituel univers absurde et onirique, Schuiten fait déambuler un mécanicien à bacchantes à la recherche de sa locomotive promise. Comme d’habitude, c’est beau, poétique et amer à la fois. Les amateurs du dessinateur ne seront pas deçus, pour les autres, c’est une entrée en matière idéale.

  • Le Tampographe, Sardon, L’Association

Ce n’est pas une BD, mais c’est publié à l’Association et Sardon a déjà publié des BDs, il y a longtemps. «En 1995» il dirait sans doute, même si ce n’est pas vrai, mais il est resté bloqué à cette époque-là. Maintenant, il fait des tampons. Le plus souvent, il grave des insultes, “Crève salope” dans toutes les langues. Il décrit aussi sa vie dans un carnet de bord, même s’il la juge globalement sans intérêt et il prend des photos des gens les plus tristes qu’il peut croiser dans la rue. Ca a l’air complètement déprimant présenté comme ça mais c’est un ouvrage fort, original, acide et drôle.

 

  • Intrus à l’Etrange, Hureau, La boîte à bulles

De Simon Hureau, j’avais adoré Palaces, récit de voyage dépressif au Cambodge sur les traces des Khmers Rouges. L’auteur change complétement de registre dans Intrus à l’Etrange puisque cet ouvrage de fiction nous emmène dans un village paumé de la Creuse, au fil d’une intrigue particulièrement mystérieuse. A la mort de son grand-père, le héros hérite d’une valise où figure l’adresse d’un habitant dudit village. Sur place, nulle trace de la personne en question, mais un tombereau d’événements étranges, entre sorcellerie, science fiction et pâté de campagne. L’histoire est particulièremetn prenante et je comprends pourquoi la BD a été primée dans la catégorie Polar à Angoulème. C’est très réussi.

  • Olympe de Gouges, Catel et Bocquet, Casterman

Après le succès de Kiki de Montparnasse, les auteurs s’attaquent à une autre figure féminine, Olympe de Gouges, la révolutionnaire qui rédigea la Déclaration des droits de la femme en 1791. Mais là où beaucoup de biopics dessinés se contentent d’illustrer les grands moments de la vie des personnages dont ils traitent, le livre de Catel et Bocquet s’attache à alterner l’intime et le public, l’anecdote et l’essentiel. Les dialogues sont passionants et, au-delà du personnage d’Olympe de Gouges, éclairants sur la période pré-révolutionnaire et l’esprit des Lumières qui flottait alors sur le Royaume de France.

  • La Famille, Vivès, Delcourt

Vivès est fou. sa famille est bizarre, la tension sexuelle y est permanente alors que la plupart du temps les discussions devraient être banales. Dans une suite de courts strip il poursuit sa série commençait avec Jeux vidéo. C’est toujours aussi bon mais sans doute moins universel: tous les amateurs de jeu vidéo se reconnaissaient, là, sa manière de voir la famille est plus personnel. On image les diners de famille en ce moment, même si je sais qu’il n’a pas de soeur. Le père: Alors, comme ça, Bastien, c’était ça ton enfance, tu nous imagines comme ça? Le silence. Il baisse la tête.

  • Beauté, tome 2, Kerascoët, Dupuis

Le couple d’auteurs qui se cache derrière le pseudo de Kerascoët poursuit la narration de Beauté, son conte enchanteur. Cette histoire de laideron qui se voit dotée de la plus absolue des beauté par une fée prend toute son épaisseur dans ce deuxième tome. Car évidemment, le souhait de l’héroïne se retourne contre elle et ses atours physiques deviennent bien vite source de tracas. Le récit est très bien rythmé, avec de nouveaux développements toutes les deux pages et le tout servi par un dessin très moderne, particulièrement doux aux yeux.

  • La Pieuvre, Giffone, Longo, Parodi, Les Arènes

Ce roman graphique historique très ambitieux s’est lancé dans l’épopée tragique des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino contre la Cosa Nostra, à la fin des années 70. Une énième histoire de la mafia, cette fois-ci en BD, portée par le scénariste Manfredi Giffone. Publiée aux éditions les Arènes, les mêmes qui publient l’exigeante revue XXI, la BD narre par le détail la corruption et la violence de cette organisation et la volonté teintée d’impuissance de certains juge et policiers. C’est un peu long, il faut prendre le temps de rentrer dedans, même si l’animalisation des personnages -on sent pour le coup que les auteurs ont lu BlackSad – permet aux lecteurs de sortir un peu de l’impression de lire un cours d’histoire.

  • De Cape et de Crocs, tome 10, Ayroles et Masbou, Delcourt

J’ai consacré un papier récemment à De Capes et de Crocs. Vous pouvez le lire ici. Le dixième tome est dans la lignée des précédents, concluant bien l’histoire tout en laissant la possibilité évidemment d’une nouvelle quête sur d’autres mers. Quelques pages sont sublimes, autant dans la narration, le graphisme que la poésie, notamment l’abordage d’une caravelle par une maison volante à mi-chemin entre le soleil et la lune. Ecrit comme cela, ça a l’air bizarre, mais sur le moment, c’est logique.

 

Le Coin du Soupir

  • Saison Brune, Squarzoni, Delcourt

Alors qu’il écrit son précédent ouvrage, Dol, qui analyse la politique de libéralisation sous le second mandat de Jacques Chirac, Philippe Squarzoni se rend compte qu’il manque de culture sur le sujet des politiques environnementales, et plus particulièrement à propos du réchauffement climatique. Il décide donc de se pencher sur la question et y consacre un livre entier, Saison Brune. Si l’ouvrage est très docte et extrémement documenté, la démonstration souffre de son austérité. Je me suis malheureusement très vite ennuyée à la lecture de ce pavé quelque peu indigeste.

  • Ralph Azam, tome 3, Trondheim, Dupuis

Je n’ai jamais su trop quoi penser de cette série. Dessinée et scénarisée par Trondheim elle met en scène un canard qui a des pouvoirs et qui va devoir affronter d’autres canards, aidé par des magiciens et autres brigands, avec l’ambiance médiavalo-fantastique qui va bien. Et non, ce n’est pas Donjon. Alors qu’on attend désespérement un nouvel épisode de cette excellente saga, Trondheim s’est amusé dans son coin avec Ralph Azham sauf qu’il semble n’y avoir jamais vraiment cru. Le scénario est un peu baclé, certains personnages sont moyennement réussis, Trondheim s’est clairement reposé sur ses acquis. C’est dommage, parce que cela aurait pu être vraiment bien.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture de Intrus à l’Etrange, DR.

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Les BD du mois de février

La Métamorphose, la Mémoire du corps, Pablo… Le mois de février est peut-être plus court que les autres, il n’en est pas moins riche en sorties BD. Voici une petite sélection des albums parus dernièrement et qui m’ont plu.

  • Pablo tome 1, Max Jacob, Birmant et Oubrerie, Dargaud

Julie Birmant et Clément Oubrerie s’attaquent à la vie de Picasso, “Pablo”, par l’intermédiaire de Fernande Olivier, l’une de ses muses lors de sa période rose, qui est notamment représentée dans les Demoiselles d’Avignon. Au début, on se dit, “ouais bon, encore un biopic, on mange quoi ce soir”, et puis finalement on est bien entraîné par le récit. On découvre ou rédecouvre un Picasso arrivant à Paris, mal dégrossi, traversant des phases de succès importantes puis de grands doutes. Cette plongée début de siècle dans l’univers artistique à travers le regard de Fernande de la capitale est plutôt bien vue.

  • Le Jeu Vidéo, Vivès, Delcourt

A chaque fois on se dit qu’on ne va pas parler du dernier Vives car il publie un peu trop souvent, mais, pour le moment, c’est du tout bon. Le Jeu vidéo est un hommage à l’une de ses principales passions. Vivès se concentre sur les jeux de combats principalement et notamment Stree Fighter, mais cette petite série de sketch d’une ou plusieurs pages est un régal pour les amateurs qui y reconnaîtront leurs vies passées ou actuelles. Pour les non joueurs, cela risque de vous passer au-dessus de la tête.

 

  • Une métamorphose iranienne, Neyestani, Ca et là/Arte édition

J’ai consacré un post entier à cet album, un ouvrage très fort pour comprendre l’univers kafkaïen dans lequel sont obligés d’évoluer les Iraniens. Le narrateur, dessinateur de presse, est accusé de tous les maux pour avoir mis dans la bouche d’un cafard discutant avec un enfant un mot d’origine azéri, une ethnie minoritaire. Manifestation, morts, prison, ce qui s’ensuit est un long calvaire édifiant.

 

 

  • Pierre Goldman, Emmanuel Moynot, Futuropolis

La figure du militant d’extrême gauche Pierre Goldman, assassiné en 1979 par un mystérieux groupuscule “Honneur de la Police”, est éminemment romanesque. Il semblait donc logique de lui consacrer une bande-dessinée. Mais là où Emmanuel Moynot est extrêmement intelligent, c’est qu’il n’en rajoute pas dans la dimension “héroïque” du personnage et concentre son travail sur une enquête minutieuse et documentée. Outre une histoire passionnante, la BD est un véritable document qui replonge son lecteur dans une époque particulière, celle des années de plomb en Italie et en Allemagne de l’Ouest. Et un peu en France aussi.

  • La Mémoire du corps, Kim Hanjo, Atrabile

En refermant l’album, j’ai eu le souvenir d’un film coréen sorti il y a pratiquement dix ans maintenant, “La Femme est l’avenir de l’homme”. Entre émanations éthyliques et volutes de fumée, on y évoquait le temps qui passe, les occasions manquées, l’amour qui s’éteint et la mort qui attend tout un chacun. Des thématiques classiques mais abordées avec un regard à la fois épuré et très amer qui donnaient au film une force indéniable. “La Mémoire du corps” de l’auteur coréen Kim Hanjo s’inscrit dans cette même veine à travers huit nouvelles soutenues par un dessin très simple mais une construction complexe, le tout abondemment nourri de références artistiques.

 

  • L’Ostie d’chat, tome 2, Zviane et Iris, Delcourt

On pourrait soupirer à voir se multiplier les éditions en papier de blogs BD plus ou moins réussis. Car il y a des différences fondamentales dans l’écriture entre une BD selon que son média de diffusion soit un blog ou un ouvrage relié, ne serait-ce que parce que la notion de planche n’est pas la même. Oui, mais ça serait aussi ignorer la vertu de diffusion, voire de consécration, que peut avoir une BD papier vis à vis d’un blog. Prenez l’Ostie d’chat, dont le tome 2 vient de sortir. Je ne connaissais pas ce blog tenu par deux auteures québéquoises et c’est grâce à l’édition papier que je me délecte des aventures qui y sont publiées. Celles, complètement foutraques, de Jasmin et Jean-Sébastien, deux célibataires qui se partagent la garde d’un chat. Ecrit à quatre mains, le feuilleton part un peu dans tous les sens mais reste souvent très drôle.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture de Pablo, DR.

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Les BD du mois de janvier

Les Faux Visages, Masqué, la Conversion… Même si le mois de janvier est marqué par le festival d’Angoulème, cela n’empêche pas les BDs de sortir. Voilà donc ma sélection du mois (ou de BDs sorties un peu avant dont je n’avais pas eu le temps de parler).

  • Les Faux Visages, David B. et Tanquerelle, Futuropolis

David B. au scénar et Tanquerelle reviennent sur l’aventure du Gang des Postiches pour Futuropolis. Des braqueurs de banque, le sujet est mille fois traité, mais les Postiches appartiennent à cette race ancienne de gangster qui ont la classe et un certain code d’honneur. On ne leur demande pas d’avoir de la morale et ça défouraille à tout va. La BD ne révolutionne pas le genre mais elle saisit bien l’ambiance des années 80, les coups qui pouvaient se faire et qui ne se font plus, les truands qui vieillissent et Belleville qui change.

 

  • La Conversion, Gnehm, Atrabile

Un de mes gros coups de coeur de ce début d’année. En prenant le train, Kurt, un spécialiste d’architecture se replonge dans un souvenir précis de son adolescence dans un village suisse. Quand, par amour pour Patrizia, jeune et jolie demoiselle, il est entré dans le même groupe biblique qu’elle, lui qui n’avait pas vraiment d’idée sur Dieu. Avec minutie, Matthias Gnehm décrit alors un mécanisme doux d’embrigadement, qui va pousser Kurt à s’isoler de plus en plus. Parallèlement, le récit est ponctué de réflexions sur l’étalement urbain, comme une évocation métaphorique de l’affliction qui ronge peu à peu le héros. C’est à la fois tendre et oppressant, très bien construit et dessiné avec une délicatesse qui rend le récit poignant.

 

  • Les Cahiers Russes, Igort, Futuropolis

Je vous parlais de bande-dessinée de reportage dans mon dernier billet: en voici un exemple plutôt réussi. En partant de la mort de la journaliste Anna Politkovskaia, l’auteur Igort évoque plus largement le conflit en Tchétchénie, une guerre oubliée qui dure depuis plus de dix ans. Si la narration est un peu déroutante car assez déliée, les témoignages de ces Cahiers Russes sont réellement saisissants. La violence ordinaire de l’armée russe et des combattants tchétchènes est écoeurante et comme souvent, malheureusement, ce sont les civils qui en font les frais. Une BD dure, dont la lecture ne peut pas laisser insensible.

 

  • Aller/Retour, Bézian, Delcourt

Amateur de BD d’aventure, passe ton chemin! Tu trouveras Aller/Retour ennuyeux à mourir car il n’y a pas d’histoire à proprement parler. Tout juste suit-on un détective (mais embauché par qui, pourquoi?) qui enquête sur une disparition (mais laquelle ?) dans un village du Languedoc. Il n’y a pas d’intrigue et c’est bien ce qui rend la BD intrigante. Avec un dessin en niveaux de gris qui cache autant qu’il révêle, Bézian signe un album mystérieux, poétique, sur la recherche du souvenir, de l’innocence de la jeunesse, du temps perdu. Un album qui se déguste loin de tout, dans une maison abandonnée, au coin du feu, quand la tempête souffle dehors.

 

  • Masqué, tome 1, Lehman et Créty, Delcourt

Autant le dire tout de suite, j’avais beaucoup aimé la Brigade Chimérique, la précédente série de Serge Lehman, qui mettait en scène des super-héros made in France dans le Paris des années 1930. Sa nouvelle BD, “Masqué”, peut presque être prise comme une suite puisqu’il est toujours questions de super-justiciers, mais cette fois ci dans un Paris de futur proche. En ressort un premier tome alléchant et rythmé, par ailleurs pétri de références littéraires et artistiques. Vite, le deuxième volume !

 

 

  • Quoi !, ouvrage collectif, L’Association

Souvenez-vous le printemps dernier. L’Association est en grande difficulté, et Jean-Christophe Menu, l’un des fondateurs, fait face à une grève de ses salariés et des autres fondateurs, Trondheim et Killofer en tête. Finalement, ils ont eu sa peau après quelques AG épiques (relire par exemple ce reportage de Libération) et ils ont publié à la fin de l’année QUOI! un vieux projet qui revient sur la création et le parcours de la maison d’édition ces 20 dernières années. Tous les fondateurs et plusieurs auteurs publiés par l’Asso tentent de revenir dessus, ce qui a marché, ce qui a échoué. La “question Menu” est particulièrement traitée, elle montre un éditeur de génie, mais aussi alcoolique et égocentrique. Si ça semble parfois à charge, la subjectivité est assumée, donc ça passe. C’est, dans tous les cas, une tentative de critique et d’auto-critique rare dans le milieu qui permet de mieux comprendre les coulisses de ce métier.

  • Les Gratte-Ciel du Midwest, Joshua Cotter, éditions Ca et là

Un jeune garçon parle surtout à son robot qui est son seul véritable ami. Il est élevé dans le Midwest, les gens ont l’esprit fermé, que ce soient les enfants ou les adultes. C’est souvent triste, la plupart du temps poignant. L’auteur américain, Joshua Cotter, témoigne en partie de son enfance, de la perte de sa grand-mère, des difficultés de grandir et de sa relation fusionnelle et compliquée avec son petit frère. De la grande BD, plusieurs fois récompensée aux Etats-Unis.

 

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture de Masqué, DR.

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Les BD du mois de décembre

Une sélection d’albums sortis ces dernières semaines et que je vous recommande

Paradoxalement, malgré (ou plutôt à cause de) Noël, le mois de décembre est plutôt un mois creux en termes de sorties BD. C’est que les éditeurs anticipent généralement et publient leurs albums phares plusieurs semaines avant qu’ils ne se retrouvent sous le sapin, en octobre ou en novembre. Du coup je triche un peu avec ces BD qui sont majoritairement sorties ce mois-ci, ou un peu avant mais dont je n’avais pas encore trouvé l’occasion de vous parler.

  • Ô dingos, ô châteaux, Tardi et Manchette, Futuropolis

Rien à dire. En réadaptant en BD certains des polars du romancier Manchette, Tardi envoie du très lourd. A chaque fois, je me dis, “oui, bon Tardi, c’est toujours un peu la même chose”, mais dès qu’on entre dans la BD, c’est incroyablement efficace et percutant. Ô dingos, ô châteaux met en scène un millionnaire qui engage tout un tas de fous autour de lui et pour s’occuper de son neveu, hériter direct de la fortune familiale. Lequel neveu se fait évidemment kidnapper avec sa nouvelle nourrice, tout droit sortie de l’asile. Il y a donc des enlèvements, des morts et des châteaux baroques, tous les personnages sont plus dingos les uns que les autres, il n’y a pas de morale et c’est bien.

  • Les Melons de la colère, Vivès, Les Humanoïdes Associés

Réadapter l’oeuvre de Steinbeck, Les Raisins de la colère – un livre qui hante encore parfois mes nuits pour sa beauté et sa force destructrice – en BD érotique, il fallait le faire… Bastien Vivès s’y est plutôt joliment attelé, avec le même trait délicat et les tons noir, blanc et gris souris que dans Polina. Mais si vous pouvez offrir cette dernière BD à n’importe qui, Les Melons de la colère ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Ce n’est toutefois pas du cul pour du cul et il y a une vraie histoire, une vraie ambiance au-delà des enjeux érotiques. En tous cas, je ne cesse de m’étonner de voir ce jeune auteur arriver à maintenir la qualité face à un rythme de production élevé, qui le rend petit à petit incontournable.

  • Quai d’Orsay, tome 2, Lanzac et Blain, Dargaud

J’en ai déjà parlé début décembre, la suite de Quai d’Orsay est à nouveau un excellent tome qui nous emmène dans les arcanes du ministères des Affaires étrangères lorsque De Villepin était aux manettes lors de la crise irakienne. Cette rencontre improbable entre un grand auteur, Blain, et un scénariste issu des cabinets ministériels, Lanzac, nous a offert une oeuvre inédite dans son rapport à la politique pour la BD française. Reste à savoir qui est vraiment Lanzac: il a toujours joué sur l’anonymat. Dans une interview récente au Monde.fr, il expliquait qu’il s’était reconverti en créateur de jeux de sociétés, mes oreilles ont, elles, entendu dire qu’il était toujours très bien placé au Quai d’Orsay. Le mystère demeure.

  • Reportages, Sacco, Futuropolis

Joe Sacco a donné ses lettres de noblesse à la BD de reportage, magnifiquement suivi ensuite par des auteurs comme Guy Delisle – qui a publié aussi en novembre ses Chroniques de Jerusalem – ou Etienne Davodeau – qui lui vient de sortir Les Ignorants. Comme son nom l’indique, Reportages est une sélection de divers reportages de l’auteur américain à travers le monde, de la Tchétchénie à l’Irak en passant par la Palestine. Si le style et le regard de l’auteur sont toujours là, il manque toutefois l’unité qui aime se déployer dans la durée de ses ouvrages habituels. A voir pour les fans, parce que c’est toujours aussi excellent. Mais si vous n’avez encore jamais lu du Joe Sacco, commencez plutôt par Goradze.

     

  • Sous l’entonnoir, Sybilline et Sicaud, Delcourt

Tiens, encore une BD autobiographique… Si le genre commence vraiment à perdre de son originalité de par la profusion des auteurs qui s’y essaient, des albums continuent à s’y distinguer par la pertinence de leur propos. Des auteurs qui ont des choses à nous dire à travers leur propre histoire. L’an passé était sorti La Parenthèse d’Elodie Durand dans laquelle on découvrait le combat de l’auteur contre une maladie grave à l’aube de ses 20 ans. Sous l’entonnoir m’y fait beaucoup penser: Sybilline raconte ses séjours à l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne dans sa jeunesse. Un album témoignage pas toujours complétement maîtrisé, mais dont on ne ressort pas indemne.

  • Sweet Tooth, Lemire, Vertigo

Je termine en mettant un coup de projecteur sur un comic qui n’est, certes, pas sorti tout récemment, mais que je viens de découvrir. A vrai dire, je ne suis pas si en retard puisqu’il n’est pas encore sorti en version française, mais on peut le trouver en import en anglais. Sweet Tooth raconte l’histoire d’un enfant mutant, mi-homme mi-cerf, traqué pour ce qu’il est dans une Amérique post-apocalyptique. Dit comme ça, ça semble très bizarre, mais c’est diablement prenant et extrêmement efficace. C’est dans la droite lignée de Walking Dead et, surtout, d’Y le dernier homme que j’avais déjà énormément apprécié. Bref, n’hésitez pas à vous jeter sur Sweet Tooth, c’est du tout bon pour démarrer cette nouvelle année!

 

Laureline Karaboudjan

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Les BD du mois de novembre

Une sélection d’albums sortis le mois dernier et que je vous recommande

Comme chaque fin de mois, je vous livre mes modestes conseils parmi les BD qui m’ont plu et qui sont parues ce dernier mois. Voici donc quelques coups de cœur et «le coin du soupir», pour les BD que vous pourriez aimer mais qui m’énervent un peu.

  • Cité 14, saison 2, tome 2, Gabus et Reutimann, Les Humanoïdes Associés

Je n’avais encore jamais parlé de cette excellente série qu’est Cité 14. Un mélange agréable de comics et d’animalisation à la française, un peu pop, ambiance steam-punk et entre-deux guerre américaine. Dans une ville corrompue où tous les immigrants du monde viennent échouer, un éléphant venu des Balkans tente de s’intégrer en suivant un castor journaliste, alcoolique mais (donc?) très doué. C’est déjà le tome 2 de la deuxième saison, ça se lit tout seul avec plaisir, comme une fusillade entre extraterrestres et trafiquants d’alcool, un jour pluvieux sur le port.

  • L’Evasion, Berthet One, Indeez

Bien-sûr, une BD écrite en prison par un taulard, c’est forcément attirant. Mais là où L’Evasionaurait pu être un témoignage aussi intéressant qu’un peu plombant, vu son sujet, la BD a ceci de génial qu’elle assume son regard comique sur la prison. On apprend énormément de choses, mais toujours en souriant. Et au fur et à mesure des pages, entre les lignes de la dérision, on lit en creux le quotidien d’enfermé que l’auteur a voulu affronter avec son crayon. Le trait et le texte fleurent bon la banlieue : ça pourra déplaire, mais moi je trouve ça très rafraîchissant.

 

  • Jour J Vive l’Empereur, tome 7 Blanchard, Duval, Gess et Pecau, Delcourt

Je n’ai jamais caché mon affection pour la série uchronique Jour J qu’édite Delcourt. Album après album, les auteurs revisitent plus ou moins l’Histoire récente en explorant les autres hypothèses selon le jeu bien connu du “et si…”. Peut-être parce que c’est l’album qui imagine le plus grand changement (un siècle d’histoire alternative tout de même), le dernier tome est celui qui m’a le plus plu jusqu’à présent. La France de 1925 n’a jamais connu la 1ère guerre mondiale et s’apprête à couronner Napoléon V. Mais tout le monde n’est pas de cet avis et un complot se prépare… Le scénario tient debout et l’aventure est extrêmement rythmée : un régal.

  • Incognito, tome 2, Brubaker et Philips, Delcourt

Être méchant, puis gentil et méchant à nouveau, ne jamais vraiment savoir… Incognito s’inscrit en plein dans cette veine bien connue du comics qui interroge, à chaque page, la question du bien et du mal en considérant que la réponse est grise foncée. Au final, il ne reste que la violence…. Le deuxième tome de cette série a mis un an à paraître en français. Une attente bien trop longue tant la série se distingue par sa grande exigence d’écriture et son efficacité à la lecture.


     

  • L’Ascension du Haut Mal, David B., L’Association

Je suis très heureuse de la sortie en intégrale de cette série de six tomes de David B. (1997-2003).  Sans doute son œuvre la plus belle, où il raconte son enfance, gamin obsédé par dessiner des monstres, des combats sanglants de Gengis Khan et l’épilepsie de son frère. Face à cette maladie, ses parents vont tout essayer, de la macrobiotique aux expériences hippies les plus improbables. On sort de cette lecture chamboulée, ayant soi-même l’impression souvent d’avoir oscillé entre la maladie fatale et un monde fantastique protecteur. De la très grande bande-dessinée.

Le coin du soupir :

  • The Beats, Pekar et Piskor, Emmanuel Proust

C’est probablement une de mes plus grandes déceptions de lectrice  de BD américaine indépendante qui vient d’être traduite chez Emmanuel Proust. A priori, un portrait de la beat generation dressé par Harvey Pekar, le génial auteur d’American Splendor, ça ne pouvait être que bien. Et bien non : c’est pour ainsi dire assez ennuyeux. Pekar livre trois biographies successives de Kerouac, Burroughs et Grinsberg qui s’apparentent à du Wikipedia illustré, et tombe ainsi dans le piège absolu du biopic (en BD comme au cinéma). Plutôt que d’enchaîner les passages obligés dans un exposé didactique, il aurait été souhaitable que Pekar s’approprie réellement son sujet. C’est raté.

 

Laureline Karaboudjan

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Les BD du mois d’octobre

Une sélection d’albums sortis le mois dernier et que je vous recommande.

Deuxième rendez-vous pour vous signaler des BD qui m’ont plu et qui sont parues ces mois-ci. Un mois riche d’ailleurs (forcément, Noël approche) avec quelques coups de cœur et «le coin du soupir», la BD que j’aime bien mais qui m’énerve un peu tout de même.

  • Les Ignorants, Etienne Davodeau, Futuropolis

C’était une des BD les plus attendues de la fin d’année et à raison: le nouveau pavé de Davodeau est une réussite complète. L’auteur se met en scène dans une initiation croisée avec un ami vigneron. L’un ignore tout du vin, l’autre ignore tout de la bande-dessinée et chacun va éduquer l’autre. Les bouteilles s’échangent contre des albums, les visites à l’imprimerie ou au (chouette) festival Quai des Bulles de Saint-Malo se troquent contre des balades dans les vignes ou entre les cuves. Au-delà des enseignements dans les deux domaines que le lecteur peut retirer de l’album, c’est surtout une très belle ode à l’échange et au partage que signe Etienne Davodeau. Une oeuvre profondément humaine, drôle et tendre.

 

  • Atar Gull, Fabien Nury et Brüno, Dargaud

Prenez un des scénaristes grand public français les plus en vue, Fabien Nury, auteur de La mort de Staline ou de la série à succès Il était une fois en France (voir ci-dessous). Ajoutez y un de mes dessinateurs actuels préférés, Brüno, qui a prêté son trait à la fois simple et dynamique à Commando Colonial ou à Biotope. Donnez leur un roman du plus grand feuilletoniste français du XIXème siécle, Eugène Sue, à adapter et vous obtenez une très bonne BD. Les élans romanesques sont conjugués à une grande exigence dans la construction des planches et dans le rythme du récit, pour faire de cette vendetta sur fond de champs de cotons un album réjouissant.

 

  • Il était une fois en France: le petit juge de Melun, tome 5, Fabien Nury et Sylvain Vallée, Glénat

On ne présente plus Il était une fois en France. La série primée cette année à Angoulême, qui raconte la trajectoire trouble d’un homme d’affaires juif, mafieux, à la fois collabo et résistant pendant la Seconde guerre mondiale, se poursuit avec son avant-dernier tome Le petit juge de Melun. Les ingrédients qui font le succès de la saga sont toujours présents : rythme soutenu, dialogues précis et rebondissements incessants. Et cette réflexion, toujours présente lorsqu’on referme un album de la série: «Dire que c’est tiré d’une histoire vraie…»


 

  • L’armure du Jakolass, Valérian par Manu Larcenet, Dargaud

L’année dernière, Christin et Mézières ont apporté une touche finale (et avouons-le, un peu décevante) à la série Valérian et Laureline, qui m’est particulièrement chère puisque je lui dois mon patronyme. Lorsque j’ai appris que Larcenet allait reprendre la série pour un one shot, je fus donc très heureuse. Le résultat est bon, mais sans surprise. L’auteur reprend tous les codes de la BD et les personnages et le mixte avec son univers parodique habituel, un mélange des Cosmonautes du futur, d’Une aventure rocambolesque de... et de Chez Francisque. On sourit, on prend du plaisir et Larcenet mène parfaitement sa barque. Après, je me suis souvent demandé lors de la lecture ce qu’il aurait pu faire s’il avait fait une reprise «sérieuse». Une prochaine fois, peut-être.

  • Vous êtes ici, Yoann Constantin, The Hoochie Coochie

Prenez un personnage qui ressemble à celui de la Linéa d’Osvaldo Cavandoli. Mettez le dans un monde en formation avec des bulldozers qui arrivent et une ville qui se crée. Un procès, des femmes qui ont disparu, des gens qui ne réfléchissent plus et le show qui a été créé de toutes pièces mais qui surtout ne doit pas s’arrêter. L’auteur, Yoann Constantin, nous propose une BD un peu absurde, mélange de Beckett et du procès de Kafka, un vrai petit objet agréable.

 

 

  • La Rupture tranquille, Terreur graphique, Même pas mal

Comme l’album précédent, il est plus paru en septembre qu’octobre, mais bon, on s’en fout. Rupture tranquille, c’est simple, une fois la Bd refermée, on se demande si ce n’est pas le meilleur album de l’année. Une petite maison d’édition marseillaise et un jeune auteur au doux nom de Terreur Graphique nous propose une œuvre trash, violente et dérangeante. C’est amorale, sexuel, graveleux et zoophile. C’est bon parce lorsqu’on le lit en terrasse de café, on n’ose pas l’ouvrir trop en grand, de peur des regards suspicieux des jeunes parents à côté de nous. A ne sans doute pas mettre entre toutes les mains. Pour les autres, précipitez-vous.

  • Super Rabbit, Martin Wautié, Manolosanctis

La jeune maison d’édition Manolosanctis qui proposait un modèle original d’interaction entre lecteurs sur le web et édition  a annoncé récemment qu’elle arrêtait l’expérience de la diffusion papier après une trentaine de publications, faute de succès. Super Rabbit est donc l’un des derniers opus publiés. Dans mon papier récent Je est un Super Héros, j’expliquais cette veine actuelle de l’homme ordinaire qui tente de devenir un super héros. Le personnage principal est ici déguisé en lapin et il essaye à tout pris de récupérer une gloire qui n’a sans doute jamais vraiment existé. Le dessin délavé et la narration plutôt efficace mettent bien dans l’ambiance du monde dans lequel on vit, un monde où l’on doit apprendre à oublier nos rêves. Ou pas… Sans doute l’un des albums les plus intéressants publiés par Manolosanctis, avec Le Grand Rouge d’Ivan Barnave (même si cet album était très fortement inspiré du magnifique livre pour enfants, Les derniers géants de François Place).

Le coin du soupir :

  • Les aventures d’Hergé, Jose-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromenthal, Stanislas, Dargaud

Alors que le tonitruant Tintin en 3D de Spielberg court, bondit, et explose dans tous le sens au cinéma, l’idée était bonne de sortir un album tout en contrepoint. Des “aventures d’Hergé” en hommage au créateur du héros à la houpette, dessinées dans une ligne-claire proche du trait original du maître par Stanislas. D’autant que la vie d’Hergé, aussi bien d’un point de vue historique, psychologique qu’artistique est assez riche pour servir de prétexte à un biopic dessiné. Le problème, c’est que la BD ne dit pas grand chose et ne constitue, pour ainsi dire, qu’une succession de scènes plus ou moins réussies et de clins d’oeils multiples à l’oeuvre d’Hergé. Dommage. Si vous êtes en manque de Tintin, préférez le Perroquet des Batignoles, sorti cet été, avec le même Stanislas au dessin, et dont l’univers rappelle beaucoup celui du reporter belge.

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