L’éditeur DC Comics va sortir une BD où Barack Obama prend la place de Clark Kent. Un choix loin d’être anodin en cette année électorale.
Quand il n’est pas occupé dans d’interminables réunions à la Maison Blanche, en voyage diplomatique ou en conférence de presse, Barack Obama tombe le costume de président et endosse celui de super-héros. C’est la dernière idée de l’éditeur DC Comics, l’un des deux poids-lourds américains avec Marvel de la bande-dessinée de super-héros, qui s’apprête à sortir dans quelques semaines une BD sur ce scénario saugrenu.
Intitulée “President Superman”, l”histoire qui doit sortir en mai prochain dans la fameuse revue Action Comic, met en scène un président américain afro-américain qui prend la place de Clark Kent dans le rôle de Superman. President Superman doit y combattre un super-villain nommé Superdoom et doit notamment stopper une attaque nucléaire depuis la Maison Blanche, d’après les premières informations qu’a laissé filtrer l’éditeur.
S’il n’en porte pas officiellement le nom, President Superman fait évidemment penser à Barack Obama. Et la seule image pour l’instant disponible ne laisse guère de doute, tant le super-héros a les traits proches du président américain en exercice. Le site spécialisé Comicbook.com en fait d’ailleurs la démonstration en comparant cette image à une illustration du dessinateur Alex Ross, qui travaille lui-même de manière récurrente pour DC, publiée pendant la campagne présidentielle de 2008 aux Etats-Unis. «Il est frappant de voir à quel point l’image de couverture de DC est similaire à l’illustration d’Alex Ross», note le site. Cette illustration figurait un Obama qui arrache sa chemise, reprenant le célèbre geste de Superman, pour laisser entrevoir un costume de super-héros frappé d’un «O» tel le «S» de l’original.
Un coup autant politique que commercial
En faisant d’Obama (ou presque, mais on aura compris) l’équivalent de Superman, DC affiche clairement la couleur et assume de rouler pour les démocrates. Ce n’est pas étonnant à de nombreux titres. L’industrie du comic est très majoritairement «de gauche» aux Etats-Unis (ce qui historiquement n’a pas toujours été le cas, surtout au début), et a montré, à de très nombreuses reprises sa sympathie pour Barack Obama. Et pas simplement parce que le président américain est un fan déclaré de Spideman (ils se sont d’ailleurs rencontré dans le numéro #583 des aventures l’homme-araignée). La campagne puis l’élection du président américain ont suscité de très nombreuses BD, bien plus que pour n’importe quel autre président américain, depuis les biographies classiques et souvent ennuyeuses, jusqu’aux comics de super-héros. Je rappelais dans un précédent article cet engouement pour Obama, qui outre Spiderman était également apparu dans une BD du super-héros Savage Dragon, qui oeuvre à Chicago.
Mais au-delà de la sympathie politique, faire apparaître Obama dans un comic est un bon coup commercial pour un éditeur car ça crée évidemment la controverse. En l’occurrence, tous les ingrédients sont réunis pour que l’initiative de DC fasse polémique: elle touche au symbole américain par excellence qu’est Superman, elle met en scène la figure clivante d’Obama, adulé par les démocrates mais haï par une frange croissante de la droite américaine et elle touche à la couleur de peau. Comicbook.com rappelle ainsi les polémiques qu’avait suscité Marvel l’an passé en sortant un Spiderman “nouvelle génération” à moitié latino et à moitié afro-américain.
DC avait également fait polémique, l’an passé, en s’attaquant déjà à la figure de Superman qui menaçait de renoncer à sa nationalité américaine. A l’époque, les conservateurs républicains s’étaient émus de voir les comics accaparés par les démocrates alors qu’étant des éléments symboles de la culture américaine, ils devraient être au-dessus des questions partisanes. De ce point de vue là, ils n’ont peut-être pas tout à fait tort de se plaindre. En ce qui me concerne, c’est surtout la fréquence toujours plus grande des “coups médiatiques” autour des super-héros qui m’agace quelque peu. Et si on laissait les justiciers masqués un peu tranquilles?
Laureline Karaboudjan
llustration : aperçu de la couverture d’Action Comic #9 du mois de mai prochain, DR.
lire le billetUn héros musulman devait accompagner Superman dans sa dernière aventure. Elle a été remplacée au denier moment par une histoire sans saveur avec… un super-chien. Polémique, forcément.
Muslims vs. Comics, épisode II. Il y a quelques mois, des conservateurs américains s’étaient offusqués qu’un épisode de Batman mette en scène un héros français d’origine algérienne et musulman. Selon eux, il ne représentait pas suffisamment la vraie France et il aurait mieux fallu un bon vieux paysan avec son béret et sa baguette. Une polémique qui avait été pas mal relayée dans l’hexagone (relire ici mon papier de l’époque).
Là, c’est globalement la même idée. Le mois dernier l’éditeur américain DC annonce que le prochain épisode de Superman, le #712, mettra en scène le super-héros en compagnie d’un certain Sharif. DC décrivait ainsi l’épisode: «Rencontrez le nouveau super-héros de Los Angeles: Sharif! Mais Sharif découvre que dans le climat culturel actuel (today’s current cutural climate), certaines personnes ne veulent pas de son aide, elles veulent juste le voir partir. Superman pourra-t-il aider Sharif et apaiser la foule, ou y-a-t-il des problèmes que The Man of Steel ne peut pas régler?»
Superman pour ramener la concorde entre les civilisations: joli programme. Sauf que DC annule finalement la publication et la remplace par une aventure avec un chien, Krypto the Superdog, dans laquelle, globalement, Superman sauve des chats. L’éditeur a expliqué que «l’histoire préalablement annoncée n’a pas été publiée car elle ne fonctionnait pas avec la trame générale de la série Grounded (la dernière en cours de Superman)».
Pour Chris Sims du site internet Comics Alliance, cette excuse est trop vague pour qu’on ne se pose pas des questions. Selon lui, Superman a été mis en scène ces dernières années dans des scénarios tellement improbables comme “brûler des maisons de dealers de drogues avec sa vision de feu” ou “aider des aliens à construire une usine pour revitaliser l’économie”, qu’il parait difficile pour une histoire de ne pas respecter la ligne, puisqu’il n’y a plus de ligne.
Surtout, le site révèle que même des personnes directement impliquées, comme Chris Roberson, l’un des scénaristes, ont appris au dernier moment que l’histoire était annulée et remplacée par une autre.
De plus, Sharif n’est pas totalement une création, c’est une ré-interprétation d’un personnage déjà apparu en 1990. Et d’ordinaire DC n’a pas froid aux yeux. Pour preuve l’épisode récent avec le héros français et musulman dans Batman ou, en avril dernier, la volonté de Superman de renoncer à la nationalité américaine car il ne se reconnaissait plus dans la politique de son pays d’adoption.
“Islamophobie rampante”
Pour Comics Alliance, c’est justement dans ces derniers épisodes qu’il faut chercher la raison de l’évincement de Sharif. Après deux grosses polémiques “Batman aide des potentiels terroristes” et “Superman déteste l’Amérique”, DC n’aurait pas osé prendre le risque d’en créer une troisième. Peut-être moins pour des raisons politiques que purement mercantiles. A l’heure où DC cherche de nouveaux publics, la trame “Superman inspire un héros musulman pour faire le bien dans le monde” serait plus clivante que des histoires de chiens et de chats… Pour le blog Death and Taxes, tandis que le Sharif des années 90 ne posait pas de problème, «aujourd’hui le pays a succombé à une islamophobie rampante et DC doit tenir compte des critiques des conservateurs».
Deux points: il est tout d’abord fascinant de voir à quel point les super-héros sont devenus un enjeu de pouvoir aux Etats-Unis entre démocrates et conservateurs. Savoir que désormais DC recule par avance face à de potentielles polémiques est plutôt inquiétant.
Second point: la «question musulmane» en elle-même. La culture populaire américaine est en partie construite sur la notion de bien et de mal. L’islamiste (généralisé en musulman) est depuis le 11 septembre 2001 ce qu’était le Russe pendant la guerre froide: l’ennemi. Sauf qu’avec le communiste, c’était assez simple: pour qu’il rejoigne les gentils, il lui suffisait de passer à l’Ouest en adhérant aux valeurs du monde libre et capitaliste. Pour le musulman, c’est plus compliqué. Il ne peut pas décemment quitter sa religion, or, pour beaucoup de conservateurs, l’Islam est le mal.
Donc, pour eux, un musulman, s’il ne renie pas ses valeurs et sa religion, ne peut pas faire le bien puisque que ce sont ses croyances qui sont à l’origine de tous les problèmes. Accepter un héros musulman, c’est accepter que cette religion puisse faire le bien. Pour des conservateurs américains, «it’s complicated» comme on dit sur Facebook.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture de l’épisode #712 non-paru, DR.
lire le billetPour des problèmes de subventions, Angoulême a failli ne pas avoir lieu cette année. Est-ce que cela aurait été si grave ?
Angoulême débute aujourd’hui. Pour cette 37ème édition, plusieurs centaines d’auteurs et de maisons d’éditions sont réunies. 200 000 visiteurs devraient braver le froid et oser aller jusqu’en Charente. Encore cette année, cela reste le principal festival de BD en France. Le seul vraiment relayé par les médias et qui permet, le temps d’une semaine, de voir les pages BD se multiplier dans les journaux comme par magie. Et, ensuite, de disparaître.
Sauf que cette année, le festival a failli ne jamais avoir lieu. Encore jusqu’à fin 2009, l’organisation n’était pas pérennisée. Stupeur chez l’amateur lambda pour qui c’est un rendez-vous aussi incontournable et donc immuable que le festival de Cannes pour les cinéphiles ou le Tour de France pour les fabricants de produits dopants. Normalement, la ville d’Angoulème assure 1 million d’euros de subventions directes. Mais la ville, pour protester contre le désengagement de l’Etat auprès des collectivités locales a un temps décidé de ne pas prendre en charge la totalité des frais techniques qui s’élèvent à 400 000 euros supplémentaires. Philippe Lavaud, le maire et le vice-président du Conseil Général de Charente, a ainsi expliqué en octobre 2009 à Sud Ouest, “rien n’empêche Neuvième Art + [la société organisatrice du festival, ndlr.] de facturer aux éditeurs l’intervention de son prestataire pour le montage des stands.” Mais Franck Bondoux, délégué général du FIBD a estimé ne pas pouvoir, pris à brûle-pourpoint, assurer les prestations indispensables. Et de râler en expliquant que le festival apporte tout de même chaque année “des dizaines de millions d’euros de retombées pour l’économie régionale et a beaucoup servi l’image de marque de la ville”. On a eu ainsi le droit à un coup de gueule du dessinateur Philippe Druillet, fondateur des Humanoïdes associés :
« Cette ville, qui représente le neuvième art, passe son temps à insulter la bande dessinée. Chaque année, il y a un scandale. Aujourd’hui, c’est le maire, Philippe Lavaud, qui fait chier. Un maire socialo, ce qui me fout encore plus les boules. J’ai l’impression qu’il a oublié le message de Jack Lang, qui s’était battu pour le Festival d’Angoulême pendant des années. »
Je viens en partie de cette région et je ne leur donnerai pas totalement tort. Parce qu’Angoulème, à part la BD… Le site spécialisé Actu BD préfère lui relativiser: «C’est près d’un million et demi d’euros, soit près de 50% du budget du Festival qui sont payés par 43.000 Angoumoisins. Rapporté au foyer fiscal, on imagine l’impact. Il n’est donc pas juste de dire que cette ville « passe son temps à insulter la bande dessinée » ». En comparaison, Paris, deux millions d’habitants versent 2,5 millions de subventions directes au PSG.
Globalement, le tout nouveau maire élu en 2008, socialiste pourtant, semble en avoir marre de mettre la main au portefeuille pour financer des évènements culturels puisque le Festival du film francophone d’Angoulême est lui aussi en difficulté (mais bon eux ils sont aussi en bisbille avec Ségolène Royal, la présidente de la Région). Finalement, pour la BD, mairie et gouvernement se sont mobilisés. Le haut commissaire à la jeunesse a accordé une subvention exceptionnelle à hauteur de 40.000 euros et en a profité pour créer un prix. Et surtout la ville et le festival se sont mis d’accord dans un communiqué commun.
Si personne n’a vraiment pensé que le festival allait disparaître, cet évènement traduit bien les tensions qui existent entre le festival et les acteurs locaux (parfois entre eux) au niveau local. Tensions qui n’ont pas de grands liens avec la bande dessinée.
Si Angoulême disparaissait, est-ce que se serait si grave?
Et, dans le fond, est-ce que cela aurait été si grave pour la bande dessinée qu’il n’y ait pas de festival cet année ? Comme toutes les manifestations culturelles de cet ordre, le festival de BD d’Angoulême est l’objet de critiques récurrentes. La sélection des ouvrages en compétition est un terrain idéal pour qu’elles s’expriment. Les accusations de copinages et le manque de représentativité des bandes dessinées représentées reviennent chaque année. Sur ActuaBD, Laurent Boileau et Didier Pasamonik s’interrogent encore, à l’occasion de ce 37ème festival :
«On aimerait connaître la philosophie de cette sélection dont les motifs ne nous apparaissent pas transparents. La représentativité de la production actuelle, au sein de laquelle le jury final choisirait subjectivement les meilleurs, nous semble relever du bon sens. Or, nous constatons que cette représentativité n’est pas assurée”. »
Beaucoup de Delcourt, peu de Glénat dans la sélection officielle. Et des noms qui reviennent tout le temps : Sfar, Sattouf, Loisel, Rabaté, Larcenet… De la très bonne BD, bien sûr, mais qui n’est pas forcément représentative de la réalité du paysage général de la bande-dessinée. Les grandes séries d’humour et d’aventure, poids lourds commerciaux du neuvième art, peinent à trouver leur place à Angoulème. Du coup, l’image d’un festival “élitiste”, «éloigné du public », s’impose facilement.
Les prix font aussi toujours débat. Une réforme a été menée cette année, alors que le précédent changement datait de… 2007. Motifs invoqués par Benoît Mouchart, directeur artistique du festival : “On a eu un retour mitigé des libraires. Le public n’accordait pas forcément de valeur aux prix ex aequo”. Du coup, cette année sera remis le Fauve d’Or, récompensant le meilleur album, et six prix Essentiels (Fauve d’Angoulême) : prix spécial du jury, prix de la série, prix révélation, prix de l’audace, prix intergénérations et prix du public. Histoire de faire plaisir à tout le monde ? Peut-être. En tous cas, on a parfois du mal à distinguer les différences entre les prix : le prix spécial du jury, qui “récompense un ouvrage sur lequel le jury a particulièrement souhaité attirer l’attention du public, pour ses qualités narratives, graphiques et/ou l’originalité de ses choix” ressemble quand même beaucoup au Fauve d’Or, vous ne trouvez pas ? Et le prix de l’audace, qui “récompense une œuvre développant une approche innovante (formelle ou narrative) de la bande dessinée”, il ne recouvre pas un critère du Fauve d’Or lui aussi ? Quant au prix du public, il sonne presque comme un aveu d’échec de la part du jury, qui n’arriverait pas à récompenser par lui-même des BD populaires.
Le déroulé lui-même du festival est sujet à critiques. L’aspect très commercial du festival en rebute plus d’un. Les longues files amenant aux auteurs qui dédicacent, aussi. Quand on attend devant un stand, on a parfois l’impression d’être dans La littérature à l’estomac de Julien Gracq, d’être ce «public en continuel frottement comme un public de Bourse a la particularité bizarre d’être à peu près constamment en ” état de foule “.: même happement avide des nouvelles fraîches, aussitôt bues partout à la fois comme l’eau par le sable, aussitôt amplifiées en bruits, monnayées en échos, en rumeurs de coulisses. »
L’auteur de bande dessinée Morvandiau commençait ainsi un article paru l’an dernier dans le Monde Diplomatique :
«Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie ? Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie avec l’intention d’acheter des livres ? Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie avec l’intention d’acheter des livres et de faire la queue afin d’obtenir des dédicaces ? Vous ? C’est possible. Le phénomène concerne déjà plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année en France. On l’observe notamment en janvier, à Angoulême, à l’occasion du Festival international de la bande dessinée.»
Bien sûr (et l’auteur de l’article le reconnaît), Angoulême ce n’est pas que ça. Il y a aussi des expositions (cette année, pas moins de 300m² pour Léonard de Turk et De Groot), des ateliers, etc. Il n’empêche, le modèle “entrée payante, file de dédicace” a essaimé un peu partout dans des festivals de moindre ampleur qui se tiennent en France pendant toute l’année.
Mais finalement, est-ce que ce n’est pas la vocation d’un festival leader que d’être l’objet de critiques continuelles? Comme Cannes pour le cinéma ou le Goncourt pour la littérature, on se plait à dénigrer Angoulême, parce qu’il faut bien dire que c’est le lot de tous les événements majeurs dans n’importe quelle discipline.
Laureline Karaboudjan
Photo Flickr, la fille des remparts, galerie Marsupilami92. 6 boulevard Pasteur, Angoulême.
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