Aéroport de Notre-Dame-des-Landes: manuel de résistance

La désobéissance civile contre de grands projets d’infrastructures est un thème récurrent en bande-dessinée.

C’est la guerre à Notre-Dame-des-Landes. Des militants ont décidé de monter des barricades. Ils sont contre le projet d’un nouvel aéroport à Nantes, un projet soutenu par Jean-Marc Ayrault. Pour le moment, malgré un dispositif policier exceptionnel pour faire fuir les résistants, il “reste trois maisons qui s’organisent en camp retranché, des dizaines de cabanes perchées dans les arbres et des tentes qui sont plantées dans les champs chaque jour”, rapporte Rue89.

Il y a quelques années, le parc Paul-Mistral de Grenoble avait été le théâtre d’une lutte similaire. Entre novembre 2003 et févier 2004, des dizaines d’activistes avaient monté des cabanes dans les arbres pour protester contre leur abattage destiné à laisser place au nouveau Stade des Alpes. On peut aussi citer le combat en cours contre la ligne à très haute tension qui traverse le Cotentin.

Plus généralement, tout grand projet d’aménagement, qu’il s’agisse d’une autoroute, d’une prison, d’un forage pour trouver des hydrocarbures ou d’un camp militaire occasionne des résistances locales plus ou moins fortes. Les militants débordent alors d’ingéniosité pour contrecarrer les plans des aménageurs, sur le plan juridique autant que par des actions de terrain. Mais si l’inspiration vient à manquer, j’ai quelques BD à leur conseiller.

Des tracteurs customisés contre les déchets radioactifs
Village Toxique constitue probablement le manuel de résistance en BD le plus complet en la matière (je vous en avais déjà parlé ici). Cet ouvrage relate l’histoire vraie de la lutte menée à la fin des années 1980 par les habitants de la Gâtine, dans les Deux-Sèvres, pour ne pas accueillir un site d’enfouissement de déchets radioactifs. Grégory Jarry et Otto T. (par ailleurs auteurs de la réussie Petite histoire des colonies françaises) racontent le bras de fer avec simplicité et beaucoup d’humour. Surtout, ils balaient tous les aspects du problème.

On retrouve les élus locaux tourneboulés par les promesses d’emplois et de ressources financières infinies, qui vendent à leurs administrés tous les équipements publics flambants neufs qui pourront être réalisés avec cette manne financière. On y découvre un “chargé d’information” de l’Andra (l’Agence pour la gestion des déchets radioactifs) dont la mission, d’après une note interne de l’agence, est de “aller chez des gens qui n’ont rien demandé et qui ne s’y attendent pas pour leur imposer un projet”. Et puis, bien-sûr, les habitants qui répondent par une mobilisation à l’ampleur de plus en plus grande: graffitis sur les routes, locaux de l’Andra murés et confrontation avec les CRS à bord de tracteurs customisés pour le combat. Bien évidemment, les auteurs prennent clairement le parti des résistants, mais leur ouvrage garde tout de même une certaine distance dans l’exposé de cette histoire édifiante.

L’autoroute menace les fermes
Le refus de voir un grand projet bouleverser son environnement est également au coeur de la BD Rural! d’Etienne Davodeau. L’auteur des Mauvaises Gens et des Ignorants endosse son habituel costume de BD-reporter pour nous raconter la résistance au passage de l’autoroute A87 dans le Maine-et-Loire dans les années 1990. On y suit notamment un jeune couple qui a mis dix ans à rénover une vieille ferme et leurs voisins, de charmants agriculteurs bios qui militent à la Confédération paysanne. Ils vont tous devoir se serrer les coudes lorsqu’ils apprennent qu’une autoroute doit traverser leurs terres.

Là encore, on suit les différentes actions de terrain, comme le collage d’affiches sur des panneaux indicateurs, et les évolutions politiques (l’espoir suscité par la dissolution de l’assemblée nationale en 1997 et l’arrivée de Verts dans la majorité). Mais contrairement à Village Toxique, la lutte racontée par Rural! n’est pas victorieuse. La maison est rasée et l’autoroute finira par se construire. Amer, l’auteur décrit l’endroit aux automobilistes: “A 20km au sud d’Angers, tu franchis le viaduc du Layon (…) C’est sur ta gauche. C’est bref. Quand tu passes à la hauteur du puits et des piliers, dis-toi que tu traverses à 130km/h la salle de bain de Catherine et Philippe”.

Lucky Luke plus souvent du côté des infrastructures que des résistants
La conquête de l’Ouest est aussi une histoire de résistance. Indiens contre cow-boys et tuniques bleues, mais aussi fermiers contre éleveurs, trappeurs contre chercheurs d’or, etc. Les différents albums de Lucky Luke, pour ne citer que cette série, dépeignent souvent ces luttes. Je pense à deux albums en particulier: le Fil qui chante et Des barbelés sur la prairie. Le premier est sorti en 1977 et il s’agit du dernier album auquel participe Goscinny avant de mourir. Le cow-boy-qui-a-arrêté-de-fumer participe à la construction du fil télégraphique. Mais le réseau traverse des terres appartenant aux Indiens, qui vont tout tenter pour le saboter.

L’affrontement entre progrès technologique et respect des valeurs est assez clair. Les Indiens défendent les anciens moyens de communication et des espaces vierges non violées par des poteaux disgracieux. Le télégraphe au contraire amène l’information jusqu’au fin fond de l’Ouest. Dans cet album, Lucky Luke choisit le camp du progrès technologique et est opposé aux résistants. Dans l’ensemble, il fait le plus souvent ce choix, comme lorsqu’il construit le chemin de fer ou le pont sur le Mississippi.

Mais parfois, il choisit le pot de terre plutôt que le pot de fer. Dans Des Barbelés sur la prairie (un album qui a par ailleurs inspiré une bonne chanson de Ludwig von 88) il soutient les gentils fermiers contre les méchants éleveurs. Les premiers veulent cultiver leurs champs qui sont systématiquement piétinés par les troupeaux de vache en transhumance. Les fermiers sont donc obligés de poser des barbelés et d’organiser une résistance tactique et armée.

Lorsqu’on lit l’album, on soutient forcément les fermiers, les petits exploitants contre les grands propriétaires. Pourtant, en y réfléchissant, peut-être que les éleveurs prônant des grands espaces ouverts à tous sont plus sympathiques que des hommes se défendant pour un bout de terrain bien à eux et à personne d’autre. Ouverture libertaire contre propriété petite bourgeoise, la résistance n’est pas qu’une affaire d’ouverture d’esprit.

Laureline Karaboudjan

Illustration de une: extrait de la couverture du Fil qui chante, DR.

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