Sauvez la BD, votez Sarkozy!

Oubliez les programmes et les postures, seul compte le potentiel en tant que personnage de BD. A ce titre, Sarkozy est champion toutes catégories.

Normalement, je ne prends pas de position politique (ou peu), mais là, je me sens obligée d’intervenir. Alors que Nicolas Sarkozy est abandonné par tous ses anciens amis people, même Johnny!, je me dois de le soutenir. Oui, je vous en conjure, le 6 mai, votez Nicolas Sarkozy! Non pas pour sauver le vrai travail ou pour faire barrage au droit de vote aux étrangers, mais parce que c’est le dernier espoir de sauver la bande-dessinée politique. Le président-candidat a annoncé qu’il se retirera de la vie politique s’il perd. Il sortira donc de l’agenda médiatique et on risque de perdre un personnage de BD formidable. Probablement le meilleur de la cinquième République.

Petit, pugnace, hargneux, colérique, souvent vulgaire, Sarkozy n’avait même pas besoin d’être caricaturé pour que cela saute aux yeux: il semble tout droit sorti d’une case de bande-dessinée. Ce n’est pas pour rien qu’il est si souvent comparé à Iznogoud… C’est du pain-béni pour les auteurs de BD qui ne se sont pas privés d’accommoder le président à toutes les sauces. D’autant que Nicolas Sarkozy est une figure clivante. Jamais on n’aura autant aimé ou détesté un président de la République. Sauf peut-être Mitterrand. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’aura jamais sorti autant de BD sur un président que sur Sarkozy.

Des BD à foison sur Sarkozy
Il suffit de se rendre dans n’importe quelle librairie spécialisée pour s’en rendre compte: la production est aussi foisonnante qu’inégale. Signalons par exemple la récente et bonne adaptation des “Chroniques du règne de Nicolas 1er” de Patrick Rambaud en bande-dessinée. Ou bien la floppée de BD “La face kärchée de Sarkozy”, “Sarkozy et les femmes” ou “J’aurais voulu faire président”, qui ont toutes comme point commun d’avoir été rédigées non pas par des scénaristes habituels de BD mais par des journalistes (Thomas Legrand, Renaud Dély, Philippe Cohen) ou l’avocat de Charlie Hebdo (Richard Malka).

Plus traditionnelles, il y a aussi les BD qui sont le fait de dessinateurs de presse, comme la série “Silex and the city” de Jul ou “Les Sarkozy gèrent la France” de Luz. Là encore, les titres sont extrêmement nombreux et les albums ont tous plutôt bien marché.

Même le journal de Spirou s’y est mis. Après un numéro spécial anti-partition de la Belgique, il en sort un pour “Sauver la France“, “l’histoire d’une élection très.. heu…” avec plusieurs BD courtes consacrées à ce thème. Si Hollande est bien en couverture avec le président-candidat, c’est Sarkozy qui revient en permanence dans les pages intérieures, preuve qu’il a beaucoup plus inspiré les dessinateurs. Certains comme Bourhis et Spiessert imaginent que Nicolas Sarkozy se reconvertit en dessinateur de BD après l’élection, ayant découvert le vrai bonheur. Bouzard lui se voit en conseiller rural du président à coup de poêlée de petits pois mange-tout et de verre de gnôle.

Hollande, cet anti-héros
A l’inverse, François Hollande semble dénué de toutes les qualités propres à en faire un personnage de BD. Il incarne une certaine mollesse, adopte une posture de “candidat normal”, ne traîne pas de grosses casseroles de type Fouquets ou yatch de Bolloré et en plus, il se charge tout seul de faire des blagues. A priori, il n’offre pas de matière très alléchante pour les dessinateurs de BD.

Mais sait-on jamais. En incarnant la fonction présidentielle, le député de Corrèze prendra une autre dimension et sera sous le feu des projecteurs. Nul doute qu’alors certains traits seront plus saillants et que son potentiel de caricature s’en trouvera renforcé. Et surtout, il ne faut pas oublier les personnages secondaires. Un ministre comme De Villepin a su inspirer “Quai d’Orsay”, la meilleure BD politique de ces dernières années.

Le gouvernement que formerait Hollande s’il était élu pourrait regorger de personnages de ce type. Manuel Valls semble tout désigné pour reprendre le flambeau du petit colérique qu’incarnait Sarkozy. Surtout si le maire d’Evry est nommé ministre de l’Intérieur. Du haut du perchoir de l’assemblée qu’on semble lui promettre, Ségolène Royal pourrait de nouveau faire le bonheur des caricaturistes. Même s’il n’entrerait sans doute pas au gouvernement, gardons un oeil sur Mélenchon, parfait poil à gratter.

Et puis, il est vrai qu’il faut parfois innover. Se reposer sur Nicolas Sarkozy revient à toujours appliquer les mêmes recettes, notamment comiques. Elles sont efficaces mais peut-être est-ce au bout d’un moment tourner en boucle. En Bd, le changement, c’est maintenant?

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture des Chroniques du règne de Nicolas 1er, DR.

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«Il faut de l’avenir à notre futur»

Slogans ridicules, propositions farfelues sont au programme de La Course à l’Elysée, un jeu de société politique des auteurs de la BD Quai d’Orsay.

A quelques jours du premier tour, la tension est à son comble (ou pas). Tous les soirs le sujet revient à table ou dans les bars: “Et alors, et toi, pour qui tu votes?” “Poutou, mais tu sais, depuis longtemps hein, pas depuis le Des Paroles et des Actes de la semaine dernière…” “Non, mais Poutou, c’est une blague?” “Non, sérieusement”. Bref, au bout d’un moment, c’est fatiguant de se répeter.

Un jeu de société, La Course à l’Elysée, qui vient de sortir, propose enfin une alternative et permet de s’engueuler sur des cas concrets. Créé par les auteurs de l’excellente BD Quai d’Orsay, Abel Lanzac et Christophe Blain, ce jeu met en scène six candidats qui tentent de gravir les marches de l’Elysée jusqu’au deuxième tour de l’élection présidentielle, puis à la fonction suprême. Au hasard, on incarne donc le Parti anti-capitaliste, les Alter-écologistes, le Parti social-démocrate, le Parti conservateur, le Centre et le Parti nationaliste.

Le principe est simple: pour gravir les marches de l’Elysée, on alterne entre des cases coulisses et des cases débats. Les premières sont d’assez banales peaux de bananes à glisser à vos adversaires ou bonus pour vous aider à monter dans les sondages. L’essence du jeu se trouve dans les secondes. Il s’agit avant tout de piocher un thème de débat, souvent un fait d’actualité imaginaire mais proche de la réalité. Par exemple “Trois meurtres à Toulouse après un règlement de comptes” (si, si, cette proposition quelque peu prémonitoire est vraiment dans le jeu).

A partir de ce thème de débat, il s’agit de choisir un adversaire et de défendre une mesure précise que l’on a, elle aussi, piochée au hasard. Le tout en arrivant à placer le slogan de son parti, car c’est en le martelant que l’on frappe les esprits. Évidemment, tout le sel du jeu réside dans les situations absurdes que cela entraine. Par exemple lorsque l’on est candidat nationaliste et qu’il s’agit de réagir aux mauvaises conditions de détention dans les prisons en prônant la légalisation du cannabis: “C’est une mesure juste, ainsi les prisonniers seront moins stressés. Et bien entendu, ces drogues douces seront distribuées aux Français avant tout”.

Une expérience surréaliste

En parlant de drogues douces, j’ai testé le jeu lundi soir, avec des ami(e)s, je dois avouer que nous avons beaucoup ri. Les gens s’amusent vraiment à incarner les personnages, ça parle fort, cela devient vite outrancier et très divertissant. Nous sommes tombés dans des grands moments de débats démocratiques avec des phrases chocs et des slogans hallucinants. Petit florilège : “Il faut de l’avenir pour notre futur”, “Pour résoudre le problème des banlieues, je propose de relancer la filière nucléaire afin de procéder à des frappes thermo-nucléaires sur les quartiers”, “Pour répondre à la violence de notre société, il faut créer un statut spécifique de l’animal contre les maltraitances”, “Il faut un président du monde, ni de droite, ni de gauche” ou encore, pour reprendre la parole en plein débat, “C’est bon? Je peux parler? Un autre monde est possible?”.

J’avais noté mentalement pleins d’autres phrases mais là mes souvenirs sont un peu embrumés. En tous cas voilà autant de sorties, autant de tirades qui n’ont rien à envier aux plus célèbres phrases des débats politiques passés. A côté, on doit même admettre que le “monopole du coeur” ou le “Taisez-vous Elkabbach” font presque pâle figure. A cet égard, La Course à l’Elysée, outre être un bon divertissement, fait presque figure d’expérience surréaliste. Le jeu agit en tout cas comme une métaphore plutôt bien sentie de la vie politique (on devrait même dire politicienne), qui pousse les candidats (les vrais) à devoir réagir à tout et n’importe quoi avec des promesses plus ou moins acrobatiques.

Plusieurs petits points à préciser toutefois:

  1. Il vaut mieux jouer avec des gens qui ont du recul et le sens de l’auto-dérision. Peut-être que tout le monde n’a pas envie de défendre des idées du FN, même si c’est pour de faux. Mais quel plaisir, à l’inverse, de voir votre ami centriste depuis toujours défendre des positions extrêmes ou un copain gaucho se faire l’avocat de l’UMP.
  2. Il faut des gens du même niveau. Comme c’est un affrontement permanent, pour les timides et ceux qui s’intéressent peu à la politique, cela ne va pas être très drôle face à des personnes qui partent dans des envolées lyriques. Ce n’est pas forcément le meilleur qui gagne, puisque comme ce sont les autres adversaires qui notent les affrontements, aucun joueur n’a intérêt à ce que quelqu’un monte trop vite.
  3. Le jeu est un peu court, le second tour aurait pu être mieux imaginé et les cartes coulisses ne sont pas assez variées.
  4. Je m’attendais à plus de jolies illustrations de la part de Blain, là c’est un peu froid. On sent qu’il est plus venu donner un coup de main qu’il n’a participé pleinement à la réalisation du jeu.
  5. C’est le moment où jamais d’y jouer, au moins jusqu’aux législatives. Le jeu peut tout à fait se jouer hors période électorale, mais il risque d’y perdre un peu de son sel.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la boîte du jeu La Course à l’Elysée, DR.

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Villepin à l’ONU, côté coulisses

Le deuxième tome de Quai d’Orsay, qui sort ce vendredi , continue de révéler l’envers du décor de la diplomatie française. Mais c’est surtout une BD très drôle.

Le deuxième tome de Quai d’Orsay est dans les bacs, et pour tout fan de BD, c’est sûrement l’une des meilleures nouvelles de cette fin d’année. La sortie du premier opus, en 2010, avait été accueillie de manière très enthousiaste par le public et la critique. J’y avais d’ailleurs consacré un billet. Christophe Blain au dessin et Abel Lanzac, ancien collaborateur du Quai d’Orsay, au scénario arrivaient à retranscrire de manière surprenante l’atmosphère enfiévrée d’un cabinet politique. En l’occurrence celui de Dominique de Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères.

Si le premier tome était composé de diverses saynètes du Quai d’Orsay, ce nouvel opus se concentre sur les coulisses d’un des discours les plus célèbres de la dernière décennie. Mais si, souvenez-vous, c’était avant le CPE et Clearstream, quand Dominique de Villepin était le phare du rayonnement de la France, et que la grande tige se faisait applaudir à tout rompre, le 14 février 2003, aux Nations Unies à New-York. C’était autre chose que Douste-Blazy.

Même si l’effet de surprise n’est plus là, le second tome reste dans la lignée du précédent, toujours aussi efficace. Rien d’étonnant car, comme le confie Christophe Blain, «l’album a été écrit dans la continuité du premier. On a achevé les planches du premier avant l’été 2009, et en septembre on attaquait le second. Ca s’est fait bien avant la sortie même du premier album. Le succès du premier ne nous a donc pas mis la pression». Car le premier album, distribué initialement à 15.000 exemplaires en librairies, s’est est fait vendu à plus de 110.000 copies. Du coup, c’est un tirage aussi important qui est prévu pour le second.

Quelques différences, tout-de-même, entre les deux volumes. Avec cette suite, on est moins dans la découverte, en suivant le héros principal, dans les petites scènes d’exposition, mais dans le sérieux avec les négociations qui s’enchaînent. Pourtant, malgré la complexité de certaines thématiques, la BD n’est jamais pesante. «L’écriture est très tendue, très remaniée, pour qu’il y ait toujours de la fluidité, explique Christophe Blain. Il ne fallait pas être explicatif, il ne faut pas que le lecteur doive retourner à chaque fois dix pages en arrière pour comprendre de quoi on parle». Du coup, quelques artifices sont déployés pour faciliter la lecture: «Il y a beaucoup plus de conseillers et de directeurs en réalité, et le fonctionnement d’un cabinet est bien plus complexe, confesse Blain. Mais on a du réduire le nombre de personnages, sinon ça aurait été imbitable. Certains personnages sont chimiquement purs, comme le directeur de cabinet (ndlr: Pierre Vimont, qui est maintenant à la tête de la diplomatie européenne) ou le conseiller Moyen-Orient, d’autres sont des synthèses de plusieurs personnes». «Quand on a vécu dans un milieu, on entend encore parler les personnages, explique ainsi Lanzac au Monde.fr – qui après avoir arpenté les cabinets ministériels est aujourd’hui inventeur de jeux de société! – «Face à une situation, on sait ce qu’ils auraient pu dire. On peut les faire parler, bouger à perte de vue.»

Dark Vador, X-Or, Minotaure

Hormis ces quelques arrangements, tout ce que raconte le diptyque des Quai d’Orsay est véridique et c’est pour cela que c’est aussi drôle. La scène d’anthologie où Taillard de Vorms (l’avatar de De Villepin dans la BD) ne peut s’empêcher de donner un cours de géopolitique quand il est en vacances au Club Med, pour le plus grand bonheur des touristes, est forcément vraie. Tout comme le désopilant passage où tout le cabinet ministériel s’entasse dans un avion Falcon étriqué et très bruyant. «J’ai l’habitude de dessiner des trucs épiques, en décalage par rapport à la réalité, analyse Blain. Là je voulais rentrer dans la réalité, je me suis pris à contre-pied. Mais parler de politique, j’en ai rien à faire. Si je m’y suis intéressé, c’est grâce à Abel et aux histoires qu’il m’a racontées. C’était déjà de la BD».

Dans ma précédente chronique, j’avais eu l’occasion de développer tout ce qui faisait que Villepin était un parfait héros de BD. Une des grandes qualités de Quai d’Orsay, c’est que ses auteurs ne collent pas absolument à la personne de Dominique de Villepin («De toutes façons, les biopic, c’est toujours très chiant», tranche Blain) mais se l’approprient, et la réinterprètent. Dans le premier opus, le ministre était parfois représenté en Dark Vador ou en X-Or. Dans ce second album, il se métamorphose en Minotaure errant dans le dédale de la diplomatie. A l’instar de films comme la Conquête ou l’Exercice de l’Etat, Quai d’Orsay fait de l’homme politique une figure mythologique des temps modernes.

Laureline Karaboudjan

Illustrations: extrait de la couverture de Quai d’Orsay 2, DR.

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Villepin héros de bande dessinée

Villepin

Dominique de Villepin est transformé en héros de Bande-dessinée, un peu X-Or, un peu Dark Vador. Une réussite.

Je me souviens. J’étais ado encore et je me suis retrouvée un après-midi de 2003, à regarder Dominique de Villepin sur LCI. Aux Nations-Unies, il prononça un discours contre la guerre en Irak qui resta dans les annales. A l’époque, je ne pouvais pas voter, et je n’aurais sans doute pas voté pour son parti, mais tout de même, à cet instant, je fus fière. Il avait su se faire applaudir, il avait su par quelques mots, faire vibrer ses interlocuteurs et les téléspectateurs. L’espace d’un instant, la politique était grandeur, ferveur, émotion, presque belle.

Paroles, paroles, me direz-vous et vous avez sans doute raison. Il n’empêche, le discours est resté et quand l’autre jour je suis tombée sur Quai d’Orsay de Blain et Lanzac, sorti début mai, et que j’ai vu que le héros principal ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’ancien ministre des Affaires Etrangères, je n’ai pas été surprise. Car, dans ce personnage, et la BD en fait la preuve, il existe une vraie dimension romanesque.

Quai d’Orsay raconte l’histoire d’un jeune conseiller, encore en thèse, qui se fait embaucher par le ministre des Affaires Étrangères pour rédiger ses discours, “les languages”. Immédiatement, on comprend que le ministre, grand, les cheveux argentés, et avec un nom à trois particules, est une copie de Dominique de Villepin. Et l’histoire se déroule sous fond de crise dans un pays africain inconnu, a.k.a la Côte d’Ivoire, et de tensions avec un autre Etat du Moyen-Orient, a.k.a l’Irak.

Le héros principal, Arthur, découvre alors la dure vie d’un ministère, les adversaires intérieurs, les “coups de putes” de tous les jours et les discours qu’il faut réécrire trente fois. Les scènes sont criantes de vérité, dû au fait que le co-scénariste, Blanzac, est, selon l’éditeur, un homme qui est passé par plusieurs ministères. En quelque sorte, c’est “Choses vues et entendues au Quai d’Orsay”.

Au dessin, et également au scénario, Christophe Blain. L’homme s’affirme de nouveau comme l’un des plus talentueux en ce moment. Je l’aime beaucoup pour Isaac le Pirate, dont je vous ai déjà parlé. On retrouve dans Quai d’Orsay cette même vivacité de trait, cette même capacité, par un habile travail sur la taille des personnages ou leurs mouvements, à décrire les caractères, les forces en présence, etc.

Un héros romanesque

Si Arthur est le personnage que l’on suit, le héros principal est le ministre. Il est plus grand que les autres, il va plus vite, il parle plus fort, il est plus intelligent. Le Quai d’Orsay est un vieux bateau et si les personnages secondaires ont des faciès plutôt modernes, le ministre ressemble parfois traits pour traits à des acteurs d’Isaac le Pirate. Même nez, même corps en avant, ce qui le rend dès le départ sympathique pour les familiers de l’oeuvre de Blain, il semble surgir d’un autre temps. Très XVIIIème.

En France, il est assez rare de voir ainsi représenté un homme politique, surtout contemporain. En général, soit la BD s’attache à des personnages historiques, Louis XIV ou De Gaulle, souvent pour une commande et souvent ennuyeux, soit elle est dans la satire. On se souvient ainsi de La face karchée de Sarkozy, succès d’édition mais assez médiocre d’un point de vue bédéphile.

La tentative autour de De Villepin est plutôt nouvelle et bienvenue: prendre un personnage politique, s’inspirer de ces principaux traits de caractères et d’évènements célèbres et, de là, construire une véritable oeuvre de fiction. Cette BD n’est en rien une oeuvre biographique, et pourtant, on a l’impression à la fin de n’avoir jamais aussi bien connu Dominique de Villepin avec ses nombreux défauts et parfois ses fulgurances.

Le piège où l’on risque de tomber, c’est la complaisance béate pour l’homme politique que l’on traite. A l’occasion du procès de… Dominique de Villepin, j’avais fait une chronique sur le monde de la justice en bande dessinée. J’y évoquais notamment Greffier, un carnet que Joann Sfar a réalisé sur le procès des caricatures de Mahomet. Si c’est une bonne oeuvre, pour tout un tas de raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, Greffier est aussi un parfait exemple de la tendance à la complaisance. Que ce soit François Hollande, ou surtout François Bayrou (dont Sfar se demande, séduit, s’il ne ferait pas un bon président de la République), les politiques évoqués dans l’ouvrage le sont à chaque dois en termes positifs, mielleux… et parfois un peu mièvres.

Cela-dit, rien de tout cela chez Blain et Lanzac, qui s’efforcent de donner une image nuancée de Villepin, quand bien même on se prend forcément d’affection pour lui à la lecture du tome 1 de Quai d’Orsay. Mais il n’en sera peut-être pas de même dans le(s) suivant(s). Et le principal intéressé alors? Il apprécie beaucoup l’ouvrage qui le rend tout de même assez sympathique. Et puis, si De Villepin est féru d’Héraclite d’après la BD de Blain et Lanzac, il est aussi un grand amateur… de bande dessinée. Ainsi cette planche de Quai d’Orsay où Alexandre Taillard de Vorms, alias Dominique de Villepin, chante son amour pour Tintin.

Dark Villepin

Le personnage de Dominique de Villepin est du pain béni pour des auteurs de BD. Prenez Sarkozy : il n’y que des oeuvres satiriques ou peut-être des biographies BD de mauvaise qualité, mais c’est en partie dû à l’image qu’il renvoie: petit, sec, nerveux, ambitieux, souvent en colère, l’homme a tout d’Iznogoud (ou l’inverse). Difficile, à partir de sa personne, d’imaginer une épopée. De Villepin, au contraire, est grand, élancé, passionné: les bases du héros romantique. Ajoutez celà le fait qu’il est noble, donc dans l’imaginaire populaire qu’il a une longue histoire derrière lui, qu’il aime le Roi, Napoléon, donc les grands hommes, la grandeur, le soleil, et que cela crée chez lui un rapport particulier avec la République. Il cherche dans celle-ci ce qui peut lui apporter l’émotion d’un roi: les dates clés, les discours importants, les coups d’éclats. Au diable les affaires courantes!

De Villepin est plus facile à mettre en scène qu’un gestionnaire comme François Fillon. Forcément. De cette dimension héroïque, qui parcourt le récit, Blain ne s’y trompe pas : De Villepin est un super-héros. Arthur, notre conseiller, le compare parfois à X-Or, le justicier de l’Espace. Mais, il est bien conscient, que avec la volonté de faire le bien, et parfois d’utiliser tous les moyens pour y parvenir, on peut parfois tomber du côté obscur. Dans la dernière scène, Arthur, fasciné par le ministre, et qui commence à se couper de ses amis et de sa copine, déambule dans les rues de Paris en fumant. Il pense à son mentor, incarné en Dark Vador.

“Hmm. Mon fils… A nous deux nous pourrions fléchir l’Empereur et gouverner la galaxie.
On prend le contrôle de la force. TCHAC!
On fonde un nouvel ordre de chevalerie. TCHAC!
On rétablit la paix jusqu’aux confins des systèmes. TCHAC!”

Qui, comme Luke Skywalker, n’a pas cru, au moins un instant, aux paroles de son père?

Laureline Karaboudjan

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