Hergé et Tchang étaient-ils homosexuels?

C’est l’hypothèse que formule une -bonne- bande-dessinée qui vient de paraître : “Georges et Tchang, une histoire d’amour au vingtième siècle”.

En plein débat sur le “mariage pour tous”, la BD ne pouvait pas mieux sortir. Et elle fait déjà grand bruit. Dans Georges et Tchang, une histoire d’amour au vingtième siècle, parue depuis quelques jours aux éditions 12bis, Laurent Colonnier explore une hypothèse: et si Hergé et Tchang avaient été amoureux? Les personnages de cet album élégant, tout en nuances de gris, sont ainsi le célèbre créateur de Tintin et son ami, ou amant, Tchang Tchong-Jen.

Ce jeune étudiant en sculpture chinois, qui a pour la première fois croisé la route d’Hergé en 1934 à Bruxelles, a été à l’origine du plus important tournant qu’aient connu les aventures de Tintin. En effet, sous son influence, Hergé a fait du Lotus Bleu son premier album documenté, loin des clichés coloniaux et ouvertement dénonciateur de la politique japonaise de l’époque. Pour pousser le réalisme à son comble, Tchang avait même réalisé les idéogrammes présents dans les décors tout au long de l’album. Pour Laurent Colonnier, les liens entre Hergé et Tchang ont dépassé le domaine de l’artistique et une véritable histoire d’amour s’est nouée entre eux.

A l’origine de cette hypothèse, il y a une émission de télé, Apostrophes, à laquelle Hergé est invité. Le créateur de Tintin y commet un lapsus qui ouvre la porte aux interprétations psychanalytiques. La séquence est reproduite au milieu de l’album de Laurent Colonnier. Lorsqu’on lui demande quel est son album préféré, Hergé répond: “celui au Tibet, parce que c’est une histoire toute simple, où il n’y a pas de méchants, pas de mauvais… où il n’y a pas de gangster, où il n’y a rien. Simplement, c’est une histoire d’amou…d’amitié, comme on dit une histoire d’amour. Il part à la recherche de son ami et contre vents et marées il finit par le retrouver“.

Tintin et Tchang, doubles “je”.

Les deux amis dont Hergé parle, ce sont Tintin et… Tchang. Ce personnage de jeune Chinois, éternel adolescent comme Tintin, est apparu dans le Lotus Bleu. Il est une évocation transparente du “vrai” Tchang, une transposition dans la BD de l’étudiant chinois qui a éduqué Hergé à la Chine. D’ailleurs, la rencontre des deux personnages permet à Hergé de tisser une digression sur la méconnaissance réciproque des peuples. Alors que Tintin vient de le sauver de la noyade, le  jeune Tchang se demande pourquoi Tintin, un blanc, lui est venu en aide, alors qu’il croyait que “tous les diables étrangers étaient méchants” comme ceux qui ont massacré sa famille pendant la guerre des Boxers. Et Tintin de lui répondre que “tous les blancs ne sont pas mauvais mais les peuples se connaissent mal” avant de citer quelques clichés en vogue sur les Chinois : ils sont fourbes, cruels, mangent des oeufs pourris, des nids d’hirondelles et passent leur temps à inventer des supplices.

Des clichés dont Hergé truffait son oeuvre quelques mois avant de rencontrer Tchang Tchong-Jen. Il avait d’ailleurs donné des traits asiatiques à un bourreau chargé de supplicier Tintin dans Tintin au pays des Soviets… Bref, à bien des égards, Tchang et Tintin apparaissent comme des doubles de papier du “vrai” Tchang et de Hergé. Mais après le Lotus Bleu, le personnage de Tchang disparaît pour ne revenir que dans Tintin au Tibet. Un album très particulier, un de mes préférés de la série, qu’Hergé a réalisé alors qu’il traversait une grave dépression. Comme si dans un moment compliqué de son existence, l’esprit et le coeur tourmentés, il avait eu besoin de retrouver Tchang. C’est en tous cas ce que fait Tintin, partant en quête de l’ami disparu après un accident d’avion dans l’Himalaya.

Revenons sur le plateau de Bernard Pivot. “En fait il n’y a jamais d’histoire d’amour dans vos albums… on ne voit jamais de femme” relance le journaliste. “Non, un peu, très peu, dans la caricature, concède Hergé. Les femmes n’ont pas leur place dans mes histoires”. Encore de l’eau pour alimenter le moulin de l’homosexualité supposée de l’auteur. La question de la sexualité de Tintin est une tarte à la crème bien connue, sur laquelle tout a déjà été écrit cent fois, dans une oeuvre qui est justement dé-sexualisée au possible. La contribution de Laurent Colonnier vient s’ajouter au débat.

Pourquoi le créateur de Tintin fascine-t-il autant?

Qu’il ait raison ou non, cela n’importe pas du tout. D’ailleurs, l’auteur prévient en introduction de sa bande-dessinée: “Tout est vrai, tout est faux, tout est vraisemblable, tout est faux-semblant“. En revanche, son travail est remarquable de précision: la BD est très bien documentée et, au-delà des amours potentielles d’Hergé et de Tchang, elle restitue parfaitement le contexte de leur rencontre. La Belgique des années 1930, les interdits bourgeois, la montée du nazisme, le communisme naissant en Chine, etc.  Et elle est par ailleurs truffée de clins d’oeils pour les tintinophiles avertis.

Certaines scènes de Georges et Tchang, on les retrouve dans les Aventures d’Hergé, un ouvrage de Bocquet et Fromental illustré par Stanislas. Paru pour la première fois en 1997, il a bénéficié d’une réédition l’année passée. Là aussi, le héros c’est Hergé. A travers un ensemble de tableau, les auteurs s’attachent à restituer la biographie de l’auteur avec ses doutes, ses zones d’ombres, ses femmes et… Tchang, bien sûr. Comme un complément de Georges et Tchang, l’album retranscrit non seulement leur rencontre en 1934 mais aussi leurs retrouvailles très médiatisées en 1981, deux ans avant la mort d’Hergé, à l’issue d’un feuilleton diplomatique.

Après le succès planétaire de son personnage à houppette, est-ce au tour d’Hergé de devenir un personnage récurrent de bande-dessinée? Je suis prête à parier qu’il y aura en tous cas d’autres albums qui lui seront consacrés. Les esprits chagrins diront que c’est parce que ça fait vendre. Les autres souligneront que raconter Hergé, ses renoncements et ses évolutions, c’est raconter le XXème siècle qu’il a traversé et dont il est un témoin privilégié. Mais surtout, la complexité et le mystère de sa personnalité, offrent une matière romanesque idéale. Y compris parce que sa vie sentimentale s’écrit avec des points d’interrogation.

Laureline Karaboudjan

6 commentaires pour “Hergé et Tchang étaient-ils homosexuels?”

  1. peut être, la vie d hergé a beaucup de zones d’ombre, serait il refoulé dans sa vie privée, on pourrait le croire en finalité

  2. Si Tchang Tchong-Jen a réalisé quelque chose pour l’album “Le Lotus bleu, ce sont des idéogramme et non des calligrammes, ce mot n’ayant pas du tout le même sens.

  3. @Sinndho Vous avez raison, je corrige. Merci de votre vigilance.

  4. Je suis d’accord avec toi Laureline, cet album est fantastique. acheté hier, lu dans la foulée (ça demande du temps, c’est fourni et fouillé), et ça laisse une sensation… tendre, comme du hentaï. Je suis sûre qu’on en reparlera à Angoulême, il a tout pour collectionner les prix.

  5. “Karaboudjan” c’est votre vrai nom ou bien un pseudonyme faisant référence à un navire dans “le crabe aux pinces d’or” ?!!

  6. Herge est mort depuis longtemps.
    Si son passe collaborationiste avec les nazis, demeure une question valable, je trouve les speculations sur sa vie privee, sa sexualite, peu honorables.
    Arreter donc de farfouiller dans la vie privee des gens!
    Andre

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