Le top était le sport médiatique à la mode le mois dernier. J’y ai succombé. Mais en faire sans essayer d’en tirer des leçons, c’est un peu inutile. Si on considère que je suis une lectrice de BD lambda, on pourra généraliser ces enseignements à la situation de la BD européenne (il y a trop peu de mangas et de comics dans mon top pour que ce soit signifiant) dans la décennie. Si vous n’êtes pas d’accord prenez ça comme une auto-analyse de mes goûts en matière de bande dessinée.
L’affirmation du moi
Une des évolutions récentes qui me frappe le plus, et qui je crois est visible dans mon top, c’est le crédit qu’a pris l’autobiographie en BD. Relativement isolé dans la majeure partie du XXème siècle, le genre commence à s’affirmer dans les années 1980 avec par exemple aux USA des oeuvres comme American Splendor. Dans les années 1990, toujours de l’autre côté de l’Atlantique, on a l’incontournable Chris Ware avec son transparent Jimmy Corrigan. Mais en France, c’est bien au cours de la décennie passée que le genre autobiographique a pris son essor. Bien sûr il y a mon vainqueur, Le Combat Ordinaire, où Manu Larcenet se raconte à travers un héros qui a trop de points communs avec lui pour ne pas être suspect. Le Combart Ordinaire, c’est un peu l’apothéose du genre, mais il reflète une tendance qui est plus profonde, représentée également dans le top 10 par Pilules Bleues (7ème) ou Pourquoi j’ai tué Pierre (42ème).
Pour rendre compte de l’essor de l’autobiographie, deux auteurs qui sont parvenus à la consécration pendant la décennie sont symboliques: Riad Sattouf et Joann Sfar. Consécration que l’on jugera au fait qu’on les a autorisés à poser leurs plumes quelques temps pour prendre une caméra. Une bonne partie de l’oeuvre du premier est teinté d’autobiographie, qu’il s’agisse de Retour au Collège ou de La vie secrète des jeunes. A chaque fois, Sattouf se met en scène, il raconte ce qu’il voit, ce qu’il vit. Quant à Sfar, s’il se situe généralement plus dans la fiction, il cède aussi au genre autobiographique à travers ses carnets de dessins qu’il publie. Parfois c’est passionant (Greffier par exemple, qui raconte le procès des caricatures de Mahomet), parfois ça n’a aucun intérêt (comme quand Sfar raconte la matinée où il est allé chercher un chien à la SPA de Gennevilliers).
Pour comprendre un peu la tendance, il ne faut pas perdre de vue que la décennie a aussi vu l’essor des blogs sur Internet, et entre autres des blogs de bande dessinée. Via un blog BD, on peut raconter sa vie en dessins, et certains qui s’y sont essayé ont gagné une vraie notoriété en étant à présent des auteurs « papier » très connus. C’est par exemple le cas de Boulet qui publie ses Notes en papier après une première parution sur Internet, ou celui de Pénélope Bagieu qui, avec son alter égo de dessin Pénélope Jolicoeur, conquiert les rayonnages de la Fnac après avoir triomphé sur le Net.
L’essor de la « BD vérité »
Autre variante de l’autobiographe: les carnets de voyage, représentés dans mon top par Le Photographe (21ème place) ou Pyongyang (17ème place). Le genre a explosé pendant la décennie grâce notamment à Guy Delisle, l’auteur de Pyongyang, qui, outre son voyage en Corée du Nord, signe aussi un carnet de voyage en Chine et un en Birmanie. Il y a aussi Joann Sfar qui raconte un voyage en Inde dans son carnet Maharadja, Nicolas Wild qui raconte son expérience afghane dans les deux tomes de Kaboul Disco ou Ted Rail avec La route de la Soie en lambeaux qui relate un périple en Asie Centrale. Il faudrait un jour s’amuser à placer sur une carte tous les carnets de voyage publiés en BD: je crois que les régions qui ont été « épargnées » sont rares.
Le succès des carnet de voyage est intéressant à analyser, car ils relèvent des deux grandes tendances que je voulais montrer (et font donc une transition parfaite de l’une à l’autre!): l’autobiographie et ce que j’appellerai la « BD vérité ». Comprendre: tout ce qui est reportage en bande dessinée ou BD qui plonge ses racines dans l’actualité. Dans mon top, outre Delisle, c’est par exemple Davodeau avec Un homme est mort (25ème) ou Les Mauvaises Gens (8ème). Mais au-delà de mon classement, je pourrais évoquer d’autres albums qui relèvent de la tendance, ou encore les reportages en bande dessinée publiés dans la revue XXI. Lentement mais sûrement, la BD s’affirme de plus en plus comme un format journalistique à part entière.
L’affirmation du moi et la BD vérité montrent que globalement les auteurs et les éditeurs ont pris des libertés avec les conventions et n’ont pas hésité à renouveler le genre. Dans le choix des histoires on le voit, mais aussi dans la narration, le style de dessin et le format, favorisé en partie par l’influence grandissante des productions étrangères, américaines et surtout japonaise. Cependant, les grands succès comme Titeuf ou Astérix montrent que le lecteur lambda reste aussi attaché à des BD plus conventionnelles.
Quelques gros éditeurs et plein de petits
Après avoir bouclé mon classement, je me suis aussi amusée à relever les différents éditeurs récompensés. Je souligne une fois de plus tous les biais dont souffre l’analyse, à commencer par le fait qu’elle se base sur un échantillon purement subjectif des BD que j’ai le plus aimé de la décennie. Il n’empêche, il se dégage des écarts assez impressionants: 12 pour Dargaud, 5 pour Delcourt, 5 pour Casterman, 4 pour Glénat/Vent d’Ouest, 2 seulement pour l’Association et Dupuis… Mon classement est dominé par une poignée de gros éditeurs, d’où émergent deux poids lourds: Dargaud et Delcourt. Et encore, j’ai pris en compte les premières éditions et non les traductions pour les ouvrages américains. Sinon les bouquins de Moore se seraient retrouvés aussi classés chez Delcourt (et on aurait vu débarquer Quartier Lointain et Jimmy Corrigan dans le classement, édités à l’étranger avant 2000, après en France). Ces chiffres ne reflètent pas tout à fait la réalité du marché, plutôt les éditeurs qui répondent le plus à mes intérêts. Neuf grands éditeurs actuellement concentrent à eux seuls les deux tiers des activités du secteur, précise l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée. Medias Participations (qui regroupe Dargaud, Dupuis, Blake et Mortimer…) est le groupe qui produit et vend le plus, devant Glénat et Delcourt.
Et après?
Au-delà des nouvelles tendances qu’elle a vu naître ou évoluer, la décennie 2000 aura été celle de la confirmation de l’essor du marché de la bande dessinée. Il n’est jamais sorti autant d’albums que depuis dix ans. 4.863 BD ont été publiées ainsi en 2009, dont 3.599 nouveautés. C’est trop? Pour une amatrice de BD comme moi, c’est clairement parfois difficile de suivre vu tout ce qui sort et, devant la masse, on ne peut s’empêcher d’être influencée par la mise en avant des les rayons ou les campagnes marketings (ce qui automatiquement favorise les grosses maisons). Les éditeurs, eux, doivent s’y retrouver et la tendance ne devrait pas faiblir trop vite. Mais rien ne dit qu’un retournement de conjoncture ne peut pas s’opérer, à la faveur d’un changement de mode ou bien du développement de la BD numérique qui s’annonce déjà comme une des évolutions à suivre dans la décade qui s’ouvre. Enfin, pour ce qui est des contenus, difficile de le prévoir. On peut simplement espérer qu’il y aura d’aussi bonnes histoires à lire dans les 2010’s que lors de la décennie passée.
Laureline Karaboudjan
Illustration: extrait de la couverture de Pilules Bleues, de Frederick Peeters
Et voici le tant attendu dernier volet du Top BD de la décennie, avec les albums classés de la 10ème à la 1ère place. Vous pouvez retrouver le reste du classement avec les BD de la 50e à 41e place, celles de 40 à 31, celles de 30 à 21 et celles de 20 à 11. Bon, là normalement c’est le moment où vous vous déchaînez en commentaire pour me demander pourquoi j’ai pas mis telle ou telle BD. Et c’est le moment où je vous explique pourquoi, ou alors où je vais courir me les procurer si je ne les ai pas lues! Très bonne année 2010 à tous!
10. Persépolis, tome 2 (Marjane Satrapi) – L’Association – 2001
Elle est devenue incontournable dès qu’on parle de l’Iran, au point que ça en devienne un peu agaçant. Il n’empêche, ce n’est pas pour rien. En signant Persépolis, la BD présente dans toute bibliothèque bobo qui se respecte, Marjane Satrapi n’a pas fait qu’un joli coup commercial. Perspéolis est un témoignage d’ampleur sur l’histoire iranienne depuis 1979, d’autant plus puissant qu’il assume sa subjectivité. La grande histoire est mêlée à la petite, celle du parcours de Marjane, qui grandit de tome en tome. Dans le deuxième opus, l’Iran et l’Irak rentrent en guerre, Marjane fume des cigarettes en cachette et préfère Michael Jackson à Dieu. C’est le début de l’adolescence, l’âge d’un certain éveil politique qui coïncide avec le durcissement du régime au début des années 1980. Avec ses désormais fameux traits tout en noir et blanc, doux même pour évoquer les pires horreurs, Marjane Satrapi a ouvert une grande fenêtre sur l’Iran contemporain, dont le passé proche ne cesse de résonner aujourd’hui. En étant détournée cette année par des opposants à Ahmadinejad, la BD prouve toute son actualité et a déjà atteint le statut d’oeuvre culte.
9. La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, volume 1 (Alan Moore, Kevin O’Neill) – America’s Best Comics – 2000
Parce qu’Alan Moore ne pouvait pas être absent du top 10. Avec la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, le scénariste s’attaque une fois de plus à quelques monstres sacrés de la littérature de genre, en réunissant dans une équipe de proto-superhéros Wilhelmina Murray, Allan Quatermain, le Dr Jekyll, le Capitaine Némo et l’Homme Invisible. Ils mènent des aventures rocambolesque dans le Londres victorien si souvent dépeint, et notamment par Moore dans From Hell. Ca part dans tous les sens, ça explose ici, ça se bastonne là, le tout dans des couleurs incroyables. La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, c’est la preuve, s’il en fallait, que la BD d’aventures à l’ancienne a encore de beaux jours devant elle.
8. Les mauvaises gens (Etienne Davodeau) – Delcourt – 2005
J’adore Etienne Davodeau. Voilà, c’est dit. Que ce soit pour son trait, élégant et subtil, ou la précision journalistique qu’il met dans l’élaboration de ses ouvrages, c’est à mon sens un des auteurs de la décennie. D’ailleurs, je mets les Mauvaises Gens dans ce top mais ça compte double avec Rural!. Mais le premier est le meilleur des deux à mon sens. La BD retrace, de l’après-guerre à l’accession au pouvoir de Miterrand, l’engagement militant dans les Mauges, une région rurale, ouvrière et catholique du Grand Ouest. Dans des terres volontiers conservatrices, la génération des parents de l’auteur se lance alors dans le syndicalisme, à la JOC –Jeunesse Ouvrière Chrétienne – puis à la CFDT. Sur la couverture de l’album, une cheminée d’usine se dresse face à un clocher d’église, résumant les contradictions, les déchirements, l’identité complexe des militants que Davodeau décrit. Il n’y a pas une page où l’on n’apprenne pas quelque chose. Et les pages sont nombreuses. Les Mauvaises Gens, ou le véritable journalisme de qualité en BD.
7. Pilules Bleues (Fréderik Peeters) – Atrabile – 2001
Des BD qui parlent du SIDA, on a l’impression d’en avoir lu des dizaines et de toujours savoir ce qu’on va nous raconter. Le syndrome Tendre Banlieue, sans doute. Pilules Bleues n’est pas de celles-là. Peut-être parce qu’elle est autobiographique, sûrement parce qu’elle est très bien écrite, cette bande dessinée fait partie de celles qui marquent durablement. L’auteur y narre sa propre rencontre avec Cati, jeune femme mère d’un enfant. Le courant passe bien entre eux et très vite Cati doit avouer à Frederik son lourd secret: elle est séropositive. Tout est raconté très simplement, sans pathos excessif ni atténuation volontaire. L’auteur ne se pose pas ni en martyr ni en héros: il témoigne d’une tranche de sa vie parce qu’elle a un réel intérêt. Une sacrée leçon à l’usage de tous les autobiographes de bande dessinée.
6. Le Cri du Peuple, Les heures sanglantes (Jean Vautrin, Jacques Tardi) – Casterman – 2003
En BD, Paris, c’est Tardi. Qu’il fasse déambuler Nestor Burma dans les différents arrondissements de la capitale ou qu’Adèle Blanc-Sec y combatte ptérodactyles et autres créatures étranges, la ville lumière s’illumine sous le crayon du dessinateur. Mais c’est peut-être avec le Cri du Peuple qu’il y rend le plus vibrant hommage, car il y associe un autre de ses traits constituants: l’engagement politique. En adaptant le roman de Jean Vautrin, Tardi raconte la Commune de Paris à travers une sombre histoire de vendetta, aux accents de polar, genre dont il se délecte. Le capitaine Tarpagnan, qui tourne casaque dès le début de la révolte, part à la recherche de Caf’Conc’, passionaria au visage d’ange et au sein lourd dont il est amoureux. Il va ainsi dans le Paris de 1871, des espoirs de mars aux massacres de mai. Tardi prend son temps pour raconter cette histoire: 4 volumes pour une grande fresque en format à l’italienne. L’idéal pour dessiner de superbes vues panoramiques de la capitale, radieuse ou en flammes.
5. De Cape et de Crocs, le Maître d’Armes (Alain Ayrolles, Jean-Luc Masbou) – Delcourt – 2007
Parfois les BD les plus classiques dans la forme restent les meilleures. Une ligne claire: classique. De belles couleurs: classiques. Un monde de cape et d’épées, époque vénitienne: classique. Mais avec des humains qui vivent aux côtés d’animaux humanisés qui parlent et se battent: déjà moins classique. Et s’ils parlent en alexandrins, en imitant le Don Juan de Molière, alors là c’est presque original. Le talent du scénariste fait le reste pour la plus formidable histoire d’aventure de la décennie. Surtout quand les héros quittent la Terre pour rejoindre la Lune. Là tout n’est plus que rimes, poésie et combats aux fleurets. Déjà 9 tomes sont parus, mais le huitième, Le Maître d’Armes, est mon favori. Dans des espaces magnifiques, le scénario permet à la fois d’aller vers des contrées inconnues, l’au-delà de la Lune, et d’amener ce qui sera la bataille finale dans le tome 9. Parfois, on a l’impression d’être dans une pièce de théâtre et, à chaque fois, après avoir relu les 9 tomes, je n’ai qu’une envie: non pas aller relire mes classiques, mais que quelqu’un enfin, dans les marges, pour les longs jours d’école, y ajoute des dessins à la manière De Cape et de Crocs.
4. Spirou, le journal d’un ingénu (Emile Bravo) – Dupuis – 2008
J’ai toujours aimé Spirou. C’est un classique avec Tintin, Astérix, Lucky Luke et d’autres. Mais depuis quelques années, la série est un peu en déshérence. J’aimais bien Tome et Janry même s’ils n’atteignaient pas le niveau du regretté Franquin. Par contre, les derniers de Morvan et Munurea ne m’ont vraiment pas plu. Mais depuis quelques années, Dupuis a lancé “Une aventure de Spirou et Fantasio par…” une collection de one shots dans lesquels carte blanche est laissée à un auteur. Et miracle, c’est souvent très bon. Spirou, le groom vert de gris s’est glissé à la treizième place de mon top, et l’album d’Emile Bravo se retrouve à une méritée 4ème place. Le trait, tout en douceur, colle avec ce qu’à voulu dire l’auteur. Un Spirou encore immature, déjà généreux, mais loin d’imaginer qu’un jour il vivra toutes ses aventures. Alors qu’il n’est qu’un groom dans un hôtel où se trame le début de la Seconde Guerre Mondiale, il est dépassé par les évènements. A sa manière, Spirou l’ingénu peut être vu comme une réinterprétation de Candide. Mais là où le héros du conte de Voltaire, après avoir vu tant d’horreurs, deviendra sage en choisissant de se couper des affaires du monde, de “cultiver son jardin“, chez le jeune Spirou germe à la fin de l’album les prémices du futur aventurier, toujours prêt à secourir la veuve et l’orphelin. En souvenir d’une jolie femme?
3. Donjon, Retour en fanfare (Joann Sfar, Lewis Trondheim, Boulet) – Delcourt – 2007
Si vous n’avez jamais lu Donjon mais simplement aperçu en librairie, vous vous demandez sans doute pourquoi cette série (car ici il faut parler d’une série dans son ensemble plus que d’un tome particulier) se retrouve à la troisième place. Bah oui: à première vue, l’album n’est pas très cher (et avec l’explosion des BDs à 22 ou 25 euros, il semble que pour les éditeurs le prix devienne un gage de qualité), les dessins sont colorés, les personnages sont animalisés. Pas de doute, c’est une série classique de heroic-fantasy pour enfants! Mais à y regarder de plus près, on change vite d’avis. Trondheim et Sfar au scénario. Larcenet, Blain, Boulet et d’autres aux dessins. Et l’on comprend que cette série de heroic-fantasy est un peu l’aboutissement de la nouvelle vague des dessinateurs et scénaristes français, qui ont tous plus ou moins gravité autour de l’Association (avant d’être récupérés par les “grands”, comme pour Donjon, publiée chez Delcourt). La série ne manque pas d’ambition puisque qu’elle veut raconter toute l’histoire d’un monde en différents cycles (Potron-Minet, Zénith, Crépuscule, auxquels s’ajoutent les cross-overs Donjon Parade et Monsters). De sa création à son crépuscule. Peut-être n’y aura-t-il jamais de fin, un peu à la manière d’un Balzac et sa Comédie Humaine, surtout que Sfar, notamment, a toujours d’autres projets en cours. Les deux scénaristes affirment que rien n’a été prévu à l’avance et qu’ils fonctionnent au coup par coup. Un peu comme Terry Pratchett, autre démiurge, qui dans les Annales du Disque-Monde, prétendait qu’il n’avait pas prévu grand chose et qu’il n’y avait pas de cartes précises. Au final, l’on se rend compte que tout prend forme au fur et à mesure et que dans la supposée incohérence un monde unique se crée. S’il ne fallait retenir qu’une BD, ce serait Retour en Fanfare, sixième tome de la partie Zénith, le cycle “principal” de la série. Parce que Boulet est au dessin et avec Kerascoet, Larcenet et Trondheim, c’est ceux qui incarnent le mieux le trait standard de la série. Parce que le canard Herbert revient chez lui et que cet album, chose assez rare, éclaire à la fois sur la partie Zénith, sur la partie Potron-Minet et sur des ébauches du Crépuscule. Mais je pourrais en sélectionner plein d’autres. J’ai un faible pour les Donjon Parade ou certains Monsters, comme Des soldats d’honneur, le plus tragique et poétique de tous.
2. Blacksad, Âme Rouge (Diaz Canales, Guarnido) – Dargaud – 2005
Rappelez-vous, c’était en 2000. Le premier tome de Blacksad, Quelque part entre les ombres, vraie bombe venue d’Espagne, sortait en France. Pourtant l’histoire, celle d’un chat détective privé, John Blacksad, dans le New York des 1950’s, a tout du polar habituel. Sauf que tout, mais absolument tout y est. Les dialogues savoureux, la voix off du privé, les réflexions cyniques et le scénario alambiqué côté plume. Le mouvement, le cadrage, les expressions du visage, la couleur côté crayon. Il faut dire que le dessinateur Juanjo Guarnido a fait ses classes dans les studios d’animation Disney, excusez du peu. Donc les personnages anthropomorphes à tête d’animaux, il maîtrise. Les aquarelles aussi. Le plus impressionnant, c’est peut-être de constater qu’après le premier tome, la série n’a fait que s’améliorer puisque des trois qui sont parus, je préfère le deuxième au premier et plus encore le troisième au second. Âme Rouge, ainsi que s’intitule le troisième opus, nous plonge en pleine chasse aux sorcières, à l’époque où la menace atomique hante les Etats-Unis. On y croise un décalque d’Einstein sous les traits d’une chouette, on reconnaît Allen Ginsberg en train de déclamer Howl en bison, et le sénateur McCarthy est un coq. Il n’y a pas une page qui ne soit pas un émerveillement graphique et le scénario rebondit comme il se doit. Depuis 5 ans, rien. Mais il paraît que le Tome 4 est prévu pour l’an prochain. Ah, vivement le changement de décennie…
1. Le Combat Ordinaire, les Quantités Négligeables (Manu Larcenet) – Dargaud – 2004
Je me suis parfois longtemps triturée le cerveau pour savoir si je classais une BD 26ème ou 27ème dans mon top. Cela n’avait pas vraiment d’importance. Pour le premier, le seul ou presque que l’on retiendra, donc le plus important, je n’ai pas hésité longtemps. Le Combat Ordinaire. Comme une évidence. La BD, très personnelle, scénarisée et dessinée par Manu Larcenet, réussit la prouesse d’allier deux récits très forts, notamment dans le tome 2, Les Quantités négligeables. D’un côté le récit de Marco, trentenaire, photographe névrosé qui ne peut pas se passer de son psy. Il tente de s’installer à la campagne. Il est le symbole de cette génération un peu perdue, qui ne sait pas trop pourquoi elle est là et ce qu’elle doit faire. Celle qui a regardé passer le temps. De l’autre un monde ouvrier en déshérence, dans un chantier naval. Marco fait régulièrement l’aller-retour entre sa maison de campagne et le port. Là, les ouvriers ont des gueules cassés, votent Front National ou coco et son père perd la mémoire. Entre les aléas de la vie quotidienne et la disparition d’un monde industriel, Larcenet livre une œuvre qui a su toucher la critique, les amateurs de BD et le grand public. On dépasse la bande-dessinée, on est dans une méditation sur la condition humaine, qui a la grand mérite de ne pas imposer sa vision, de seulement poser des pistes de réflexions. Entre désabusement, colère et, surtout, espoir.
Laureline Karaboudjan
lire le billetQuatrième et avant-dernier volet du Top BD de la décennie, avec les albums classés de la 20ème à la 11ème place. Vous pouvez retrouver le reste du classement avec les BD de la 50e à 41e place, celles de 40 à 31 et celles de 30 à 21. Conclusion la semaine prochaine!
20.Blast, Grasse Carcasse (Manu Larcenet) – Dargaud – 2009
Blast vient de sortir, c’est la dernière oeuvre de Larcenet. Dans Le Combat ordinaire, le héros a un ami d’enfance, Bastounet. Gros, persuadé d’avoir raté sa vie, il part un jour sans retour. Sans que le lien soit formellement établi, Blast raconte un peu cette histoire sauf que le personnage, Polza Mancini, au lieu d’être un ouvrier est un écrivain gastronomique. Si, dans Le Combat ordinaire, il y a encore l’espoir, Blast, tout en encre de Chine, est une oeuvre très sombre. L’aboutissement d’un processus où l’homme devient clochard, où le présent, sous quelque angle qu’on le prenne, est sans issue. Polza est en garde à vue, il a fait “quelque chose à Carole“. Avant de tout avouer, il veut expliquer aux deux flics son parcours. Les raisons et ses blasts, ces moments où son esprit s’envole et qu’il atteint un stade d’extralucidité, que Larcenet traduit par des dessins de ses filles, les seuls instants en couleur dans un album en nuances de gris. Blast n’est que 20ème de ce top car il vient de sortir, car il y aura une suite et qu’il serait peut-être trop rapide de le classer plus en avant. Mais quelque chose me dit que dans le top 2010-2019 il sera plus haut. Beaucoup plus haut.
19. L’enquête corse (Pétillon) – Albin Michel – 2000
Pétillon a soupoudré la décennie des aventures de Jack Palmer. L’enquête corse reste ma préférée. C’est la plus drôle et la plus juste. Chaque dialogue est digne d’un Michel Audiard. La BD a connu un succès fou, au point d’être adaptée au cinéma dans un nanar bien de chez nous avec Jean Réno et Christian Clavier. Pétillon est un vieux de la vieille aujourd’hui. Mais sa capacité de toujours créer chaque semaine pour le Canard et une ou deux fois par an en format cartonné me surprendra toujours. Evidemment, les ficelles sont connues et on est rarement bouleversé. Mais, comme avec un bon Audiard, on sourit toujours, et, dans le cas présent, on ne peut s’empêcher d’aimer ces Corses qui savent reconnaître à l’explosion la distance et la longueur de la mèche.
18. Isaac le Pirate, Les Glaces (Christophe Blain) – Dargaud – 2002
Je suis une descendante de pirate, une vraie. C’est une histoire que je vous raconterai peut-être un jour. Donc, fatalement, j’ai une faiblesse pour les marins de tous bords, les tempêtes et les batailles. Quand on me demande mon prénom, je réponds toujours, Call me Laureline, référence à Moby Dick d’Herman Melville. Dans Isaac le Pirate, il y a tout ce que j’aime. Des pulsions sexuelles, des grands voyages, la mort. Rien que par sa couverture, Les Glaces est mon album préféré des cinq. Le navire dérive lentement, plus personne n’a vraiment de prise sur sa propre réalité. Les fantômes et la maladie les guettent, c’est certain. De là à dire qu’Isaac en oublierait sa bien-aimée, non bien évidemment. Mais il comprend, et nous avec lui, qu’il y a autre chose déjà.
17. Pyongyang (Guy Delisle) – L’Association – 2003
La République Populaire de Corée du Nord, ses paysages charmants, sa dictature, ses ateliers de dessin, sa dictature, ses monuments géants, sa dictature. Guy Delisle, après avoir raconté la Chine de Shenzen et avant de sortir ses Chroniques Birmanes, raconte son expérience nord-coréenne dans le meilleur de ses trois carnets de voyage. Pendant trois mois, l’auteur a encadré un atelier de dessin animé dans la dernière dictature stalinienne du monde. Ca n’a pas l’air funky comme ça – d’ailleurs, ça ne l’a pas vraiment été – mais ça a permis à Delisle de livrer un témoignage exceptionnel (très rares sont les Occidentaux à être admis en RPDC) sur la vie quotidienne de l’autre côté du 38ème parallèle. Le trait est simple, presque naïf, et sert du coup parfaitement un propos proprement hallucinant. Heureusement, dans l’enfer gris, l’auteur conserve humour et détachement. L’antidote au totalitarisme?
16. Lost Girls (Alan Moore, Melinda Gebbie) – Post Shelf Productions – 2006
Je le savais. Je l’ai toujours su. Alice cède volontiers à la concupiscence, Wendy se complait dans le stupre et Dorothy n’est qu’une petite cochonne délurée. Quand les héroïnes du Pays des Merveilles, de Peter Pan et du Magicien d’Oz se retrouvent dans un sanatorium autrichien à la veille de la première guerre mondiale, elles se racontent leurs histoires de cul. Trois âges (pour respecter la date de publication des trois ouvrages, ayant 20 ans d’écart chacun), trois expériences, une seule et même célébration de la vie quand l’Europe s’apprête à entrer dans une danse macabre. Une œuvre conçue en couple, puisque Melinda Gebbie, excellente aux pastels, est la compagne d’Alan Moore qu’on ne présente pas. Deux vieux amants qui, comme dans la chanson, savent “être vieux sans être adultes“.
15. Le Roi des Mouches, Hallorave (Mezzo, Michel Pirus) – Glénat – 2005
Le Roi des Mouches, à ne pas confondre avec Sa Majesté de la même espèce, c’est une sorte de gros trip à l’acide aux fondements particulièrement sombres. Le décor: un suburb américain lambda. Le héros: un adolescent paumé, complètement accro à ses pilules, au point de virer psychotique et d’adorer s’affubler d’un énorme masque de mouche. Et nous voici embringués pour une histoire où le sexe, la drogue et le rock’n roll ont rarement été aussi intimement liés en un cocktail démoniaque. Le dessin est très sobre et ne cache pas ses influences américaines (Burns ou Clowes). Il est sublimé par une mise en couleur toute particulière, aux tons psychédéliques. Les personnages se quittent, se retrouvent, se croisent, dans un scénario complexe, entêtant et addictif, vraie drogue dure. A lire en écoutant Joy Division ou les Black Angels.
14. Lincoln, Crâne de Bois (Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray) – Paquet – 2002
Chier. Putain. No Future. Lincoln est un cow-boy, fils d’une pute et d’un alcoolique. Élevé à coups de torgnoles, gueule cassée mais sacrément intelligent. Sacrément égoïste aussi. Et râleur. Bah ouais, Putain, Chier, pourquoi aimer la vie? Il rencontre Dieu qui croit en lui. Drôle d’idée. Il le rend immortel. Le Tout-puissant veut qu’il sauve le monde. Lui en a rien à faire. Chier, putain. Lincoln est la création d’une même famille, les Jouvray, aux dessins, au scénar et à la couleur. Le dessin est assez simple, les couleurs aussi, et le scénario est plaisant, mais chier, putain, ça marche. Peut-être parce qu’au delà d’un simple cow-boy râleur, cette BD dresse un tableau assez juste d’une certaine jeunesse. Un peu désabusée, un peu emmerdée, à la recherche du plaisir, pas vraiment de morale, ni de gauche ni de droite, mais qui, au final, ne peut pas s’empêcher d’avoir un grand coeur.
13. Spirou, le groom vert-de-gris (Yann et Schwartz) – Dupuis – 2009
Je crois que j’ai déjà un peu tout dit sur ce Spirou dans cette chronique. L’un des albums pour moi les plus réussis. Parce que Yann a réfléchi très longuement au scénario et que chaque case est un hymne à la bande dessinée, comme les films de Tarantino en sont au cinéma. Au point parfois d’en oublier le réel ? C’est ce que pensent certains esprits chagrins, comme Joann Sfar qui a accusé Yann d’antisémitisme latent et de prendre trop à la légère la Seconde Guerre Mondiale. Querelle de générations ? Peut-être. Moi, je continue de ne pas bouder mon plaisir, de lire et relire cette BD, car et c’est une évidence de l’écrire, c’est aussi par le rire que l’on prend conscience de l’horreur de la guerre.
12. Peter Pan, Crochet (Loisel)- Vents d’Ouest – 2001
Le deuxième Loisel de ma liste. La série que tous les amateurs de BD ont lu. Il fallait oser s’attaquer à cette oeuvre qui dans l’esprit de beaucoup tient un peu du monde des Bisounours, Disney oblige. Tragique par moments, certes mais Bisounours quand même. Avec Loisel, on est plus dans le Dickens, avec Peter Pan qui a une mère alcoolique et Jack l’Eventreur qui n’est jamais loin. Comme toujours il aura fallu une quinzaine d’années pour arriver au bout de ce cycle, sans doute plus symbolique des années 1990. Dans Crochet, on est dans une sorte d’apogée du principe de cette série. Des allers et retours permanents entre les mondes réels et féériques, de la couleur et du noir sans savoir où est le bien et le mal, des aventures physiques et un affrontement psychologique éprouvant. Et le crocodile, évidemment.
11. Le chat du rabbin, la Bar Mitsva (Joann Sfar) – Dargaud – 2002
Oui, d’accord, chaque nouvel album s’est retrouvé en tête de rayon dans les supermarchés culturels et le Chat du Rabbin, avec Titeuf et quelques autres, est sûrement un des plus gros succès commerciaux de la décennie. Mais est-ce immérité? Il suffit de se replonger dans le premier opus de la série pour se convaincre du contraire. Sfar met tous ses talents de conteur au service d’une histoire où les chats devisent de religion, les rabbins et les imams s’entendent et où l’on peut rire des Juifs sans risquer de procès mal-intentionnés. Une jolie fable sur la tolérance, bien écrite et érudite, illustrée par le trait inimitable de Sfar, le meilleur des dessinateurs qui ne savent pas dessiner. Ah, en ces mois hivernaux, je prendrais bien un thé à la menthe en caressant doucement le félin savant…
Laureline Karaboudjan
lire le billetRVoici le troisième volet de mon top 50 des meilleures BD de la décennie. Ca chauffe, avec les BD de la 30ème à la 21ème place, après celles de 50 à 41 et celles de 40 à 31.
30. Retour au Collège (Riad Sattouf) – Hachette – 2005
Ah, les années collège… Celles où tout le monde est moche, où tout le monde le fait remarquer à tout le monde, où le chariage est élevé au rang d’art et où les histoires d’amour prennent une proportion démentielle alors qu’en fait, personne ne sort vraiment avec personne. Riad Sattouf, encore grand ado de 27 ans, a passé un mois dans un collège du XVIème arrondissement. Avec son dessin simple, il raconte ce qu’il voit, il note les expressions, tel un anthropologue qui étudierait cette période si cruelle qu’est l’adolescence. Depuis, il a fait un film, Les Beaux Gosses, qui est au moins aussi drôle que la BD qui l’a inspiré.
29. DMZ Public Works (Brian Wood, Ricardo Burchielli) – DC Comics – 2007
Improbable, une nouvelle guerre de Sécession au XXIème siècle? C’est en tous cas ce qu’imagine Brian Wood pour plonger New York dans une ambiance qui ferait passer Sarajevo en 1992 pour un camp de vacances. Dans la Big (rotten) Apple, on suit un jeune photographe de presse qui décide de capturer toutes les petites et grandes histoires d’une métropole en état de siège. Comme le scandale d’un chantier de reconstruction qui fait la saveur de ce 3ème tome, le meilleur de la série pour le moment. En filigrane, c’est le 11 septembre et l’Irak qui apparaissent dans les rues new yorkaises, sublimées par les impacts de balle et les graffitis omniprésents et auxquelles DMZ est une véritable déclaration d’amour.
28. Où le regard ne porte pas – 2 (Olivier Pont, Georges Abolin, Jean-Jacques Chagnaud) – Dargaud – 2004
Avez-vous parfois l’impression d’avoir vécu d’autres vies ? Et d’y avoir croisé les gens que vous côtoyaient tous les jours ? Si oui, alors Où le regard ne porte pas est fait pour vous. Une femme, quatre hommes, un symbole étrange qui se transmet à travers les siècles. Ce n’est pas ésotérique, cela ne va pas changer le monde, l’histoire est juste entre eux. Ils l’aiment, elle en aime un. D’un petit village italien à la forêt amazonienne, de la jeunesse à l’âge adulte. Tragique parfois. S’il y a quelque défauts dans le dessin, comme parfois les visages qui ont des sourires trop colgate et des traits trop carrés, l’ambiance intimiste et rêveuse est particulièrement agréable. Les deux albums forment un tout, ils n’ont d’ailleurs pas de titres propres, mais, si je devais marquer ma préférence, je la porterais vers le deuxième tome. Pour les trois dernières pages, la petite maison, le vieil homme, la mer, si bleue. Le plongeon.
27. De Gaulle à la plage (Jean-Yves Ferri) – Dargaud – 2007
Là où chez les Américains cela tient parfois du génie, en France, on est souvent très mal à l’aise pour jouer avec des personnages politiques contemporains, même s’ils sont morts depuis un certain temps. Seule la caricature donne l’impression d’avoir le droit de cité. En cela, De Gaulle sous le trait de Ferri est un bol d’air rafraîchissant. Justement, cela se passe sur la plage. Eté 56, le Général a pris du retrait et prend des vacances avec Tante Yvonne et son aide de camp. Toujours tête haute, on retrouve le grand Charles tantôt rêveur, tantôt passionné, toujours conscient de son destin. Même torse nu et en tongs. Et Ferri -oh tabou !- ose poser la question du désir libidineux. “Et cette petite secrétaire bilingue que vous aviez à Londres ?”, demande une fois sa femme. “C’est pour la France que j’étais à Londres, Yvonne. Pour la France“, répond le général. “Admettez que tout ça est très confus“. Tout en finesse, on ne peut que s’y attacher, comme on tombe amoureux des héros du Retour à la Terre du même scénariste avec le même principe d’une succession de scènes courtes.
26. Là où vont nos pères (Shaun Tan) – Dargaud – 2007
Enjoy the silence, nous chantait Depeche Mode il y a vingt ans. En dépouillant cette BD de mots, Shaun Tan raconte au mieux une histoire universelle, celle de l’immigration dans un pays étranger. Tout est contenu dans le dessin, le cadrage et le séquençage des planches. Toute en tons sépias, les cases sont brumeuses, envoûtantes et installent une ambiance inimitable. Ainsi, à l’instar d’un Fabrica (qui aurait pu figurer dans ce top, refrain connu…), Là où vont nos pères est une de ces bandes dessinées sans paroles qui marquent bien plus que certaines planches très bavardes.
25. Un homme est mort (Etienne Davodeau, Kris) – Futuropolis – 2006
Ce n’est pas le tonnerre qui s’est abattu sur Brest, le 17 janvier 1950, mais la déflagration était sûrement aussi violente. Lors d’une manifestation syndicale, un militant de la CGT, Edouard Mazé, est abattu par la police. Le réalisateur René Vautier est immédiatement dépêché sur place par le syndicat pour faire un film de la mort du martyr. Un demi-siècle après les événements, Kris a enquêté minitieusement pour reconstituer cette histoire rocambolesque, et qui donc fait une bonne BD, surtout quand c’est Davodeau au crayon.
24. La Frontière Invisible (François Schuiten et Benoît Peeters) – Casterman – 2002
Le talentueux duo belge n’a pas arrêté son exploration des Cités Obscures au tournant des années 2000, et c’est tant mieux! Dans la décennie, outre La Théorie du Grain de Sable (qui aurait pu, etc.), Schuiten et Peeters ont découvert pour nous, en deux albums, la Frontière Invisible. Roland, jeune géographe, intègre le Centre de Cartographie de Sodrovno-Voldachie. On le charge de réaliser une maquette extrêmement précise du territoire national, mais bien vite les pressions politiques s’en mêlent, pour pousser les projets expansionnistes que nourrit le pouvoir. Comme d’habitude, le tout est profondément poétique, servi par un dessin plus aérien que jamais. Comme aimait à le rappeler ce grand parano de Philip K. Dick, “la carte n’est pas le territoire“. Il aurait adoré ce diptyque.
23. Universal War One, Le Patriarche (Denis Bajram) – Quadrant Solaire – 2006
Dans toute bon film américain, il y a toujours le gros un peu làche mais finalement au grand coeur, et l’homme courageux, sourire enjôleur, tête brûlée. Ajoutez y un chercheur de génie, une équipe de gueules cassées, des vaisseaux, une guerre civile, une bonne dose de voyage dans le temps, des armes impressionnantes, le destruction de la terre, un zeste de folie humaine, de la bible new age, touillez fort et vous aurez Universal War One. Sans doute l’épopée de science fiction apocalyptique de la décennie. Mettons en avant le sixième tome, celui qui explique tout, notamment le rapport au voyage dans le temps. « Le continuum espace-temps est un tout cohérent : le temps y est la conséquence de tous les voyages qui y ont lieu et qui y auront lieu un jour. […] les héros d’UW1 n’ont pas modifié l’Histoire : ils ont leur propre histoire de tout temps. Si leurs actes avaient été différents, l’Histoire aurait toujours été différente de tout temps», a expliqué l’auteur, Denis Bajram dans l’annexe de son dernier tome.
22. Le Photographe, tome 1 (Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert, Fréderic Lemercier)- Dargaud – 2003
Bon, soyons clairs, tous les ingrédients étaient réunis pour faire du Photographe une BD poignante. Elle se base sur un témoignage réel, celui de Didier Lefèvre, photographe envoyé en mission par Médecins du Monde pour rendre compte de l’installation d’un dispensaire de fortune au fin fond de l’Afghanistan, en 1986. Le pays étant tristement revenu dans l’actualité, les souvenirs du photographe, évoqués par un mélange de dessin très sobre et de clichés en noir et blanc, n’en résonnent que plus fort. Ajoutez à celà la mort de Didier Lefèvre peu de temps après la parution du dernier album de la trilogie et vous avez la série probablement la plus chargée émotionnellement de la décennie.
21. L’Âge de Raison (Matthieu Bonhomme) – Carabas – 2002
Dans la savane bleue, l’homme rouge marche. Guidé par ses instincts (et par la faim), il chasse. Seul. Heureusement, il se trouve un perroquet pour compagnon. Du coup il est moins seul. Et puis, quand l’hiver arrive, la chair du perroquet fait un bon amuse-gueule. Comme Jean-Jacques Annaud au cinéma avec La Guerre du Feu, Matthieu Bonhomme décrit la vie d’un homme préhistorique. Point de scénario, guère plus de dialogues, plutôt une longue promenade dans un univers aux couleurs hallucinées, où la simplicité des enjeux est compensée par une grande force narrative. Groumph.
Laureline Karaboudjan
lire le billetVoici venu le deuxième volet de mon top 50 des meilleures BD de la décennie. On se rapproche doucement de la tête du peloton, avec les BD classées de la 40ème à la 31ème place, après celles de 50 à 41.
40. Les années Spoutnik, Bip bip (Baru) – 2002
Troisième opus de la tétralogie des années Spoutnik, Bip bip est sans conteste le plus drôle. Dans un bourg industriel, agité depuis déjà deux albums par des affrontements de gamins dignes de la Guerre des Boutons, le Spoutnik débarque. Du moins, la fête que le Parti (le seul, l’unique) organise pour célébrer le lancement du sattelite. Alors les enfants rangent leurs panoplies d’indiens et s’affairent pour construire une fusée tintinesque et faire plaisir au délégué venu spécialement de Moscou. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes. Baru, si.
39. La grippe coloniale, Le retour d’Ulysse (Appollo, Serge Huo-Chao-Si) – Vents d’Ouest – 2004
Vous vous rappelez du Chikungunia qui a sévi dans l’île de la Réunion il y a quelques années? Et bien c’était une blague à côté de la grippe espagnole. Il n’y avait aucune raison que la maladie parvienne jusqu’aux pentes du Piton de la Fournaise, si ce n’est le retour au pays des soldats engagés dans la Première Guerre Mondiale en Europe. En l’occurrence celui de Grondin, Évariste, Camille et Voltaire, quatre amis vétérans et autant de classes sociales, de portraits et d’histoires. Une seule question: pourquoi il n’y a toujours pas de deuxième album?
38. Walking Dead, Days Gone Bye (Robert Kirkman, Tony Moore) – Image comics – 2003
Les vampires ont beau crâner au cinéma, en comics ce sont plutôt les zombies qui sont à la mode: la série Walking Dead est sans conteste un des cartons de la décennie. Pourtant, à première vue, rien de neuf sous le soleil. Un monde post-apocalyptique où errent une poignée de survivants, on l’a déjà lu dans Y The Last Man (autre excellente série qui aurait pu figurer dans ce top). Des hordes de zombies affamés de chair humaine, on connaît bien depuis les films de Romero. Un survivant qui se réveille d’un coma dans un hôpital vide, c’est 28 jours plus tard. Oui mais ça fonctionne quand même, justement parce que les meilleures recettes ont été réunies pour un cocktail sans failles. Et comme c’est mené tambour battant, on lit ça en haletant.
37. Palaces (Simon Hureau) – Ego comme X – 2003
Les carnets de voyage, c’est toujours un peu facile. On dessine des curiosités lointaines, sans forcément de talent, on se laisse aller à quelques réflexions à l’emporte-pièce sur l’exotisme et la richesse des différences, et hop, on remplit le contrat. Sauf que quand Simon Hureau va au Cambodge, il dessine principalement des hôtels abandonnés transformés par les Khmers rouges en lieux de détention, torture et exécution. Alors on lui pardonne quand il dessine un peu Angkor, et encore, sous un jour inquiétant, très différent des clichés habituels. Un album tout en nuances, qui met profondément mal à l’aise.
36. Klezmer, Conquête de l’Est (Johan Sfar) – Gallimard – 2005
Grands espaces, brigands qui assassinent et mettent le feu à des diligences, loi du plus fort, musique et tord-boyaux: ce n’est pas le Far West mais l’Est Lointain, celui des steppes ukrainiennes. Dans le froid, un groupe de musique klezmer se forme, comme se rassembleraient les sept mercenaires pour une ultime razzia. Il y a le jeune maestro juif peureux et le gros gitan qui raconte si bien les histoires, le fier pianiste et la sublime chanteuse. Et on les suit dans leur conquête de l’Est, à grands coups d’archet et de vocalises. Comme la vodka, les chansons en yiddish réchauffent le coeur. Les aquarelles de Sfar aussi.
35. Blueberry, Dust (Jean Giraud) – Dargaud – 2005
Il faut parfois rendre à César ce qui est à César, et à Blueberry son trésor mexicain. Là où Lucky Luke plonge à chaque épisode dans des abysses de médiocrité, Blueberry continue de me surprendre. Et son aspect, dans le cycle Mister Blueberry, de vieux crooner tendance western spaghetti, a tout pour séduire. Comme dans tous les films de Sergio Leone, la distribution autour de Blueberry est peuplée de personnages charismatiques, entre la belle Doree Malone, le psychopathe, les frères Earp ou Doc Hollyday. N’oublions pas de nous moquer des familles Clanton et McLaury. Et puis, si le courage vous en dit, allez marcher dans la forêt à la recherche de Géronimo. Là, face au vieux et sage guerrier, mettez-vous à genoux et inclinez-vous.
34. Lanfeust, La bête fabuleuse (Arleston-Tarquin) – Soleil – 2000
Oui Lanfeust et Soleil c’est commercial (bouh, caca). Oui, Lanfeust des Etoiles, c’est énervant. Mais la première saga sur le Monde de Troy reste dans les mémoires de très nombreux lecteurs. Le tome 8, magré sa couverture horrible, sonne la fin de l’aventure et celle d’une époque. Celle de l’âge d’or de Harry Potter, de Warhammer, du Seigneur des Anneaux en films, des geeks et geekettes qui n’étaient pas encore chics, vivaient cachés mais déjà heureux. Celle où l’on mélangeait tous les contes et les légendes possibles et où cela fonctionnait. Après, plus rien ne sera comme avant. Lanfeust ne sera plus puceau, Cixi continuera de nous énerver, Hébus sera à jamais le gros nounours rigolo de service. Mais, alors que les pétaures se sont cachés pour mourir, un monde a été créé avec ses Dieux, ses légendes, ses blagues vaseuses, ses pouvoirs magiques, ses trolls. Le combat est terminé. Enfin un peu de repos? Non car il faudra repartir ailleurs dans des aventures sans grand intérêt, sauf celui de remplir le compte en banque du club de rugby de Toulon, ce qui n’est déjà pas si mal.
33. Les petits ruisseaux (Pascal Rabaté) – Futuropolis – 2006
Quand je serai vieille, j’aimerais bien ressembler aux personnages de Rabaté dans Les Petits ruisseaux. J’irais à la pêche parce que je sais que c’est là que se niche la vraie vie. Je continuerais à chercher l’amour, en dépit de tout ce que la vie m’aura appris sur son compte. J’aurais encore des désirs charnels, que j’assouvirais très simplement. J’attendrais la mort le sourire aux lèvres, dans un petit village de province, sereinement. Je serais une jeune ridée, une vieille débridée, croquant dans la vie jusqu’au trognon.
32. La Brigade Chimérique, vol 1 (Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess, Céline Bessonneau) – L’Atalante – 2009
Ne serait-ce que parce qu’elle est rare, l’initiative de faire du comic français est à saluer. Mais la Brigade Chimérique ne se réduit pas à une simple tentative croquer des super-héros à la sauce européenne. C’est une uchronie au scénario précis dans le Paris troublé de la fin des années 1930. Dans les rues de la capitale, le Nyctalope essaye de faire régner l’ordre mais se chiffonne tout le temps avec l’Institut du Radium, géré par la fille de Marie Curie, véritable fabrique à héros modifiés par la super-science. A Berlin, le Dr Mabuse règne en maître, comptant sur Gog et la Phalange, ses alliés italien et espagnol, pour mener à bien son étrange projet de ville au coeur des Alpes autrichiennes: Metropolis. Les références culturelles abondent, sont entremêlées et pourtant tout est très cohérent. Je savais bien que la Deuxième Guerre Mondiale n’était qu’une affaire de super-héros!
31. Le Grimoire des Dieux (Serge Le Tendre, Régis Loisel, Mohamed Aouamri) – Dargaud – 2007
La quête de l’Oiseau du Temps est la plus grande série de fantasy des années 80. Je crois que si je ne m’étais pas appelée Laureline, cela aurait été Pelisse ou Mara, des noms des deux femmes fatales de cet univers. Puis, après le tome 4, plus rien jusqu’à début 98 et l’Ami Javin, début d’un nouveau cycle, qui raconte la jeunesse des héros. Il aura fallu 9 ans de plus pour avoir la suite, le Grimoire des Dieux. Malgré le temps très long entre les épisodes, le plaisir est là à chaque fois. L’histoire tient toujours, le dessin ne vieillit pas. Les personnages, incertains, en plein construction, hésitant parfois entre leur destin et une vie facile, sont attachants. J’attends avec impatience la suite, la piste du Rige, qui devrait faire écho à mon album préféré de la série, le tome 3 intitulé le Rige. En espérant qu’il arrive dans moins de dix ans.
Laureline Karaboudjan
lire le billetOui, je sais, c’est mal de copier sur ses petits camarades. Mais il n’empêche, c’était trop tentant de vous livrer mon top 50 des meilleures BD de la décennie. Évidemment, tout ceci est très subjectif et pas le moins du monde exhaustif, puisque je n’ai (hélas) pas pu lire tout ce qui est sorti ces dix dernières années. Du coup, n’hésitez pas à me livrer en commentaire vos chouchous à vous…
On commence du 50 au 41.
50. Captain America, vol 5, 25 (Ed Brubaker, Steve Epting) – Marvel – 2007
Quand le plus patriote des héros américains meurt assassiné par un sniper, c’est tout l’american dream qui s’effondre. L’album qui contient la mort de Captain America, modèle de la dramaturgie propre aux comics, vient conclure la grande fresque Civil War. Sur une centaine d’albums de différentes séries, les super-héros Marvel s’affrontent en une guerre fratricide. En cause, le Super-Human Registration Act, évocation directe du Patriot Act qui oblige tous les mutants à se faire connaître auprès des autorités américaines. Ceux qui sont favorables à la loi rejoignent Iron Man, ceux qui la refusent parce qu’elle menace les libertés individuelles sont emmenés par un Captain frondeur. Avec Civil War, le monde du comics fait sa remise en cause de l’après 11 septembre. Rassurez-vous: depuis Obama a été élu, Bush est parti et on parle déjà de la résurrection de Captain America. On the road again...
49. Le Goût du Chlore (Bastien Vivès) – Casterman – 2009
La piscine municipale comme théâtre des émois adolescents, ça tient presque du classique. En cinéma, ça peut donner Naissance des pieuvres, en BD c’est le Goût du Chlore. Un jeune homme se voit prescrire de la piscine pour soigner sa scoliose. Il y rencontre une super-nageuse de compétition une fois, deux fois, puis chaque semaine. Peu à peu il tombe amoureux, d’un amour premier où chaque détail compte. Celui qui n’arrive qu’une fois dans la vie. Celui qu’on n’oublie jamais. Couleur turquoise glacé, température moite, comme à la piscine.
48. Le Grand Mort, Larmes d’abeille (Loisel, Jean-Blaise Djian, Vincent Maillé, François Lapierre) – Vent d’Ouest – 2007
Normalement, quand une jeune fille se perd au milieu de la campagne française, loin de tout, elle tombe soit sur Jean-Pierre Treiber, soit sur une maison d’hote qui organise des soirées SM, soit sur des anarchistes tendance TiQQUN qui passent leurs soirées à refaire le monde à défaut de poser des bombes. Sauf que quand Loisel est au pinceau, l’herbe verte bruisse des bruits de la fantasy et les grimoires renferment quelques vérités…. Un jeune homme bourru, le lac, l’espace-temps et voilà le petit peuple. Un autre monde où là, vraiment, vient l’insurrection.
47. Supermurgeman, La menace communiste (Mathieu Sapin) – Dargaud – 2005
Un super-héros en bottes et en slip dont le pouvoir ultime est de vomir de la bière sur ses adversaires. Un île paradisiaque où vit un shérif, des villageois, un sorcier ou encore Etronman, le bien nommé super-vilain nauséabond. Et enfin, une bande de zombies communistes qui s’apprêtent à débarquer dans cet Eden perdu. Supermurgeman, c’est le n’importe quoi érigé en principe, le délire de fanzine étudiant élevé en tant qu’art. Ce sont des dialogues sans queue ni tête, des scénarios qui ne tiennent pas debout et pourtant des histoires qu’on se plait à lire et à relire. Supermurgeman, c’est à la BD ce que Stupeflip est à la musique: un truc stupéfiant, un truc stupide qui tape dans le bide, trop de vin trop de joints et voila le résultat.
46. Canardo, Marée Noire (Sokal) – Casterman- 2004
30 ans maintenant que Canardo traîne ses guêtres de détective désabusé et alcoolique, à un rythme presque annuel depuis 2000. Marée noire, un de plus? Sauf que là, dans une ambiance de révolution et de vacances estivales, la justesse des dialogues touche souvent à la perfection. Le pétrole se déversera-t-il sur les plages françaises ? La saison de la crevette reviendra-t-elle? Le dictateur finira-t-il par mourir? Le petit pays de l’Amerzone retrouvera-t-il la liberté? Le ministre de l’Intérieur qui ressemble à Charles Pasqua cessera-t-il de s’excuser ? Avant de répondre à ces questions, n’oublions pas que le Mojito est excellent.
45. Okko, Le Cycle de l’eau 1 (Hub) – Delcourt – 2005
A première vue, un album comme il en sort des dizaines chaque année. De l’heroic-fantasy saupoudrée d’Asie et roulez jeunesse. Quinze jours dans les rayons et on en parle plus. Pourtant, au bout de seulement quelques pages, on comprend que l’on achètera le tome suivant. Parce que l’association entre le rônin, le jeune pécheur, le moine et le géant fonctionne. Parce que le graphisme est léché. Parce que les femmes sont belles et cruelles et que les têtes sautent. Parce que l’on sait qu’un jour on finira par trouver nous aussi ces îles où de vieux temples hindous renferment des fantômes et autres démons. Le bien? Le mal? L’aventure!
44. Blake et Mortimer, L’étrange Rendez-vous (Jean Van Hamme, Ted Benoît) – Ed. Blake et Mortimer – 2001
Que serait un top sans un album de ces deux vieux patriarches? Si Mortimer n’aura sûrement pas d’enfants, en raison de ses relations ambiguës avec Blake, cela ne l’empêche pas d’avoir une lignée riche en ancêtres plus ou moins glorieux. Sauf que normalement ils sont morts et ne ressurgissent pas un jour sans prévenir. Remarquez, le Major Lachlan Macquarrie, officier britannique disparu le 17 octobre 1777, ne manque pas de charme, malgré son côté Willie le Jardinier. L’album marque le retour de l’empereur jaune, il y a les grands espaces américains, la course à l’armement et des martiens. Le scénario est totalement abracadabrant, comme le sont si souvent les aventures de Blake et Mortimer mais, au moins, il y a une tentative d’originalité. Pas comme le dernier album, vague mélange entre Indiana Jones et le Da Vinci Code. Heavens!
43. Aberzen, Commencer par mourir (Marc N’Guessan, Christophe Gibelin) – Soleil – 2001
Tout commence avec un ours qui se nomme Hotis. Il s’occupe des montes-charges dans une mine. C’est bon, vous avez souri en lisant cette blague? Parce que la page d’après, il meurt. Ainsi, il peut tenter de sauver son monde. Le scénario est un peu compliqué, voire confus. Pendant les trois premiers tomes, on ne comprend à peu près rien. On se laisse guider et l’on découvre avec le héros pas à pas toutes les ramifications. Cela pourrait en rebuter certains, je trouve que c’est très agréable. Le titre de la série, Aberzen, et les noms de chaque album sont une douce poésie. Tout le monde trahit tout le monde, tout le monde meurt et revit, mais les paysages sont si beaux. Un beautiful day morbide interminable. Un temps par dessus l’autre, au delà des mers sèches, il faut commencer par mourir en égrenant plusieurs noms pour le bleu.
42. Pourquoi j’ai tué Pierre (Olivier Ka, Alfred) – Delcourt – 2006
Enfant, l’auteur allait souvent en colonies de vacances avec Pierre, un gros bonhomme jovial et barbu. Oui, mais le prêtre s’est rapproché de plus en plus du petit garçon. Il lui a d’abord demandé de le masser puis un soir l’a poussé à dormir avec lui… La pédophilie en BD, qui plus est sur le mode autobiographique, c’est forcément chargé en émotions. Voire pesant. Pas ici. Sans pathos on compatit, sans lourdeurs on comprend. Et avec l’auteur on règle une bonne fois pour toutes son compte à Pierre.
41. Aya de Yopougon volume 1 (Marguerite Abouet, Clément Oubrerie) – Gallimard – 2005
Le quartier de Yopougon, à Abidjan, c’est l’Afrique en Technicolor. C’est là, au milieu des souriantes 70’s ivoiriennes, que vivent Aya et ses amis, à qui il arrive mille et unes histoires. Et parce qu’on est en Afrique, la moindre amourette devient un conte de griot, récité avec le langage fleuri qui sied. Aya, c’est le goût du manioc dans la bouche, le coupé-décalé dans les oreilles et des couleurs plein les yeux. Quitte à être un peu cliché, comme toute bonne carte postale.
Laureline Karaboudjan
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