Symboles de l’influence culturelle du neuvième art, les héros de BD sont souvent mis en chansons.
Quels sont les deux points communs entre Bob Morane, Bécassine, Superman, Spiderman ou les Dalton? Le premier est évident: ce sont tous des héros de bandes dessinées. L’autre est un poil plus inattendu: ils ont tous été un jour mis en scène dans des chansons. De la variété de Joe Dassin au rap d’Eminem, pas un style musical n’a rendu, à sa manière, hommage au neuvième art. En ce jour de fête de la musique, voici ma playlist bédéphile (que vous pouvez aussi écouter sur Spotify).
lire le billetEn bande-dessinée, on se fait prendre en otage encore plus souvent que dans le Sahel.
Depuis la semaine dernière, l’enlèvement de cinq Français au nord du Niger fait la une des journaux. Travaillant pour Satom ou Areva, deux compagnies françaises, ils sont gardés en otage par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). En bande-dessinée, les prises d’otage sont monnaies courante. Heureusement, en BD, les prises d’otages finissent souvent bien. Petit manuel de la prise d’otage à travers quelques albums de ma bibliothèque. Lire la suite…
lire le billetLe dernier tome d’IR$, une BD qui met en scène un enquêteur du fisc américain, est sorti en même temps que l’affaire Bettencourt. Des deux côtés l’on parle de fraudes, de grandes fortunes et d’évasion fiscale et, pourtant, ce sont deux univers très différents.
Avouez-le, vous êtes comme moi. Au début, vous trouviez ça super l’affaire Bettencourt, avec ses intrigues et tout, et, finalement, vous avez fini par être un peu perdu. Trop de rebondissements, trop vite. Au moins, dans les séries américaines, il faut attendre une semaine avant chaque épisode.
J’avais déjà fait la même remarque l’année dernière pour le procès Clearstream. En BD, il n’y aurait pas vraiment eu de jugement complexe. Villepin aurait été pendu, le juge à l’Ouest du Pécos aurait rendu rapidement la justice, et cela aurait été très bien comme ça.
Pour l’affaire Bettencourt, c’est un peu la même chose. Les scandales financiers, notamment la fraude fiscale, sont des classiques des ressorts dramaturgiques. Combien de fois avez-vous vu un film de mafieux où le chef est condamné car il a oublié de déclarer la TVA d’un paquet de clopes alors qu’il n’était pas inquiété après avoir zigouillé une bonne trentaine de personnes? Mais ils vont rarement à une telle complexité comme nous le propose Bettencourt.
Prenons IR$, l’une des BDs “fiscales” les plus connues. Elle met en scène Larry B. Max, un contrôleur du fisc américain, de l’IRS, l’Internal Revenue Service. Évidemment il n’est pas un petit fonctionnaire pusillanime derrière son comptoir. Il appartient à un service spécial, chargé des très gros dossiers. Il n’a pas le double 00 des britanniques mais ce n’est pas un problème pour lui, il tue sans trop de problèmes.
La douzaine d’épisodes déjà paru chez Le Lombard, le dernier est sorti en juin 2010, le met en scène dans des affaires financières plus ou moins complexes (il existe aussi des diptyques). Si vous passerez un moment agréable à les lire – je les ai tous relu dernièrement et je ne suis pas non plus une grande fan – cela ne vous aidera pas du tout à comprendre mieux le monde de la finance et de l’évasion fiscale. Les sociétés offshore et le blanchiment d’argent sont un prétexte pour enchaîner les scènes d’actions, les appels à la belle Gloria et les jolies filles, plantureuses et d’un soir, évidemment. Les fraudeurs fiscaux finissent rarement devant la justice, plus souvent troués de balles.
De plus, pour solder les intrigues, le scénariste Stepen Desberg a tendance à faire appel aux bonnes vieilles ficelles que sont la mafia et les anciens nazis. Ca mange pas de pain mais c’est un peu dommage. A croire qu’une intrigue feutrée de couloirs, sans morts et sexe à tous les étages, ce qui est la norme dans la plupart des affaires fiscales, n’est pas assez intéressante. On imagine mal un contrôleur débarquer à Neuilly et zigouiler la moitié de la famille Bettencourt, et, pourtant, l’affaire reste intéressante!
Largo Winch, le capitaliste au grand cœur
Dans le même genre, plus connu, il y a évidemment Largo Winch, qui cette fois-ci nous place du côté du patron d’entreprise, le potentiel fraudeur. Dans les premiers épisodes, scénarisé par Jean Van Hamme, l’homme au 37 millions d’albums vendus, il y avait une vraie dimension financière. La manière dont étaient constituées les différentes sociétés du groupe Winch, les interférences entre patrons et les divers évasions fiscales étaient au coeur de l’intrigue. Avec, toujours, cette question: “Peut-on être du côté des bons et pourtant être l’un des personnes les plus riches du monde?” Chez Largo Winch, le leitmotiv de la série est que la réponse est positive. Mais pour les Bettencourt?
Pourtant, au fur et à mesure des albums, les joints ventures deviennent un prétexte à l’action et à d’autres histoires. Pourquoi pas à la limite. Au bout de vingt ans sur la même BD (et plus puisqu’au départ c’est un roman), on peut comprendre l’envie de raconter autre chose avec les mêmes personnages. Mais, comme un groupe qui changerait radicalement de musique d’un album à l’autre, cela peut décevoir le fan. Du même scénariste, signalons aussi la très bonne série Les Maîtres de l’Orge, qui met en scène les aventures d’une puissants brasseurs belges, les Steenfort, sur plusieurs générations. Encore une histoire d’une famille qui s’entredéchirent pour de sombres histoires économiques et d’héritages, un peu comme les Bettencourt, le charme de la campagne flamande en plus.
Malgré le spectaculaire, les scénaristes essayent toujours d’être plus ou moins crédibles. Jean Van Hamme a été ainsi bien aidé par ses études, ingénieur commercial et agrégé d’économie politique. Il racontait récemment au site lesaffaires.com qu’il présente ses scénarios “à des avocats, des banquiers et des gens d’affaires. C’est fait très amicalement et ça permet d’avoir des histoires plausibles”.
Le scénariste Stefen Esberg expliquait lui dans une déjà ancienne interview de 2003 à ActuaBD:
“Il y a une réflexion quasi philosophique par rapport à l’argent, une tentative de détecter les choses invisibles du monde de la finance. (…) Dans IR$, nous essayons de comprendre quelle est la destination de l’argent, qu’est-ce qu’on a l’intention d’en faire, quelle vision du monde sous-tend son utilisation. On essaye de comprendre quelle est la place de l’homme face à des empires économiques sans pardon.”
Une volonté, crise économique et financière oblige, qui reste ô combien d’actualité.
Laureline Karaboudjan
Illustration: Le Lombard
lire le billetEnfin le mois de juillet et les chaleurs qui font fondre toute la journée. J’espère que vous allez tous partir bientôt en vacances, moi je reste sur le pont encore quelques temps. Pour vos loisirs, voilà une liste d’une dizaine de BD (sans ordre de préférence) parues en 2010 et que vous pouvez emmener dans votre valise en toute confiance!
La parenthèse, Durand, Delcourt.
Depuis quelques années, la BD francophone aime l’autobiographie, le moi s’affirme. Parfois, trop de moi tue la vérité. Ce n’est pas le cas de “La Parenthèse“, BD autobiographique particulièrement réussie. L’histoire d’Elodie Durand, à peine 20 ans, qui raconte comment, du jour au lendemain, elle a appris qu’elle avait une tumeur au cerveau. Elle perd la mémoire. De plus en plus souvent. Jusqu’à ne plus se souvenir de rien. Elle raconte les opérations qui s’enchaînent, les longues journées au lit chez soi, le soutien de sa famille, les crises d’épilepsies. Et l’oubli, toujours, contre lequel, il faut lutter. Toujours. Un récit aux dessins simples, épurés, très émouvant, parfois un peu poétique, sans tomber dans le pathos. Dans les dernières plages, j’avais les larmes aux yeux.
A lire dans le train avant de rejoindre quelqu’un que l’on peut serrer fort dans ses bras.
Quai d’Orsay, Blain, Lanzac, Dargaud.
D’ordinaire, je chronique plutôt des thématiques, rarement sur une seule BD. Et pourtant Quai d’Orsay a eu le droit à ce privilège suprême (sic!) en mai dernier. Donc pour une critique approfondie, cliquez sur ce lien. Le plus simple est de courir l’acheter, c’est sans aucun doute l’une des BDs de l’année par la dextérité avec lesquelles Lanzac et Blain ont réussi à faire de De Villepin un héros de fiction. L’histoire est simple: celle d’un jeune thésard qui se retrouve à écrire des discours au Quai d’Orsay pour un homme qui ressemble à deux gouttes d’eau à l’ancien ministre des Affaires Etrangères. Et en album, les deux auteurs donnent des leçons de biopic à l’ensemble de la production artistique française, souvent moins bonne que l’américaine pour ce genre-là.
A lire à la terrasse d’un café, c’est aussi chic que Le Monde.
La Comtesse, Picault, Les Requins Marteaux.
L’érotisme est à la mode et c’est très bien. Chez les Requins Marteaux, dans la collection baptisée sobrement BD Cul, La Comtesse est un bijou Ancien Régime. Petit format, sans dialogue, la vie de tous les jours d’une noble nous est racontée à hauteur d’un dessin par page. Le vieux mari qui dégoute au départ, les valets, les amants, les bains, la fellation, la sodomie. Simple et sans fausse pudeur, c’est une réussite. Et puisqu’on est dans l’érotisme, à relire également Le Parfum de l’invisible de Manara, album culte, qui vient d’être réédité en couleur.
A lire sur la plage ou autour de la piscine, entouré de personnes qui ne se doutent pas que vous feuilletez une BD pleine de cochonneries.
Les Russes sur la Lune !, Duval, Pécaud, Buchet, Delcourt.
Je vous en parlais très récemment, moi qui suis assez férue d’uchronie. Pour l’instant, la série “Jour J” qui se propose, dans des albums indépendants, de revisiter l’Histoire du XXème siècle, est réussie. Le premier opus est mon préféré. Les Américains y sont battus dans la conquête spatiale par les Soviétiques qui posent les premiers le pied sur la Lune. L’Oncle Sam suit tout de même de peu. En pleine guerre froide, chaque camp se construit une base sur le satellite de la Terre, des bases qui vont devenir de plus en plus indépendantes des affaires terrestres, au point de fraterniser entre spationautes et cosmonautes. Jusqu’à ce qu’un commissaire politique russe un peu borné débarque… Le dessin est classique mais maîtrisé et le scénario très efficace.
Parfait pour lire dans un hamac, la tête dans les étoiles.
Incognito, Brubaker, Philips, Delcourt.
L’histoire d’un ex super-héros criminel qui s’est rangé dans un programme de protection gouvernementale pour changer de vie. Mais il s’emmerde, ses anciens amis et nouveaux ennemis ne l’ont pas oublié, le monde va mal, le gouvernement a besoin de lui et sa collègue de bureau est une perverse méprisante. Ed Brubaker, c’est du lourd, un scénariste qui a participé à de nombreux Batman, Daredevil, Vertigo, X-men. Disons qu’il maitrise le sujet des super-héros. Incognito, plutôt sombre, ne révolutionne pas le genre mais procure un redoutable plaisir de lecture. Et il faut bien sauver les Etats-Unis de temps en temps. Même s’ils ne le méritent pas toujours.
A lire aux States.
Smoke City tome 2, Mariolle, Carré, Delcourt.
J’avais acheté le premier tome de Smoke City, pour les qualités stylistiques de Benjamin Carré, et j’avais été un peu déçue. Pas par les dessins, réussis et traduisant parfaitement l’imaginaire de leur auteur, mais pas un scénario un peu attendu, tissant sur le thème bien connu du gang de malfrats qui se reforme pour un dernier casse. Mais bon, le tome 1 se terminait sur un rebondissement de fin d’épisode façon Lost et la curiosité l’a emporté sur la déception pour me faire acquérir le tome 2. Grand bien m’en a pris: outre l’illustration, le scénario est devenu plus vivant et plus (sur)prenant.
A lire la nuit ou un jour de pluie pour apprécier les sombres paysages urbains de la BD.
Hélas !, Bourthis, Spiessert, Aire Libre.
En 1910, Paris se retrouvait sous les eaux pour la crue la plus importante de son histoire récente. Profitant de ce centenaire, Bourthis et Spiessert imaginent un Paris début 20ème où ce sont les animaux qui ont le pouvoir et qui sont civilisés et où les humains ont quasiment disparu. Étant des bêtes traquées, vivant comme des hommes de Cro-magnon, beaucoup d’animaux ne croient plus à leur existence. Jusqu’au jour où la capture de deux enfants par des braconniers suscite la convoitise de tous. Et dans un Paris littéralement sous Seine vont s’enchainer meurtres et courses poursuites, jusqu’à ce rendre compte que n’est pas forcément barbare celui qu’on croit.
A lire sur une péniche.
Panique en Atlantique, Parme, Trondheim, Dupuis.
Je sais que je suis incorrigible, mais je ne me lasse pas des one shot de Spirou. Après les deux albums qui exploraient la Seconde guerre mondiale, on revient à une aventure plus classique de Spirou, quoiqu’assez particulière. D’ailleurs, Panique en Atlantique n’a pas plu à tout le monde. Pour ma part, je trouve la patine sixties des dessins de Fabrice Parme très réussie et le scénario de Lewis Trondheim assez rocambolesque pour en faire un bon Spirou. Au final, on ne s’ennuie pas une seconde en lisant cet album qui, s’il ne restera pas forcément une référence, est un excellent divertissement.
Se déguste en croisière sur un paquebot, évidemment.
Pour l’Empire, tome 1 L’honneur, Merwan, Vivès, Poisson Pilote.
A priori, en BD, sur la Rome Antique, on a à peu près tout lu. Du péplum, de l’érotique, de l’enquête… Et bien oubliez Alix et consorts, avec Pour l’Empire. Merwan et Vivès repoussent les limites du genre pour entamer une œuvre singulière, à la fois épique et poétique, entre le comic et la BD d’introspection. Dans les légions romaines, des individus se distinguent par leurs qualités physiques. On les réunit pour former une équipe de super-légionnaires. Pillages, viols, meurtres… la routine quoi. Jusqu’à ce qu’on les envoie aux confins de l’Empire… C’est très beau (mention spéciale pour les couleurs) et ça se dévore tout seul.
A lire dans les ruines romaines que vous trouverez à proximité de votre lieu de vacances.
La Zone, Eric Stalner, Glénat.
Nous sommes en Angleterre, en 2067. Le pays est en friche. 48 ans auparavant, une conjonction de catastrophes écologiques a décimé 95% de sa population et depuis, plus rien n’est comme avant. La plupart des gens vivent en petites communautés et se sont réfugiés dans la religion en dénigrant tout le “faux savoir” d’avant-déluge. Lawrence est un cas à part: il a conservé des tonnes de bouquins et une carte de l’Angleterre. Un précieux trésor avec lequel s’enfuit sa jeune disciple Keira après qui il se met en chasse. Le bon moyen d’explorer le pays pour Lawrence… et le lecteur. Le premier album de cette série post-apo promet beaucoup, tant par son esthétique que sa bonne construction.
A lire sous un arbre.
Et vous, qu’allez-vous emporter en vacances?
Laureline Karaboudjan (qui ne part pas en vacances encore)
Illustration principale tirée de Panique en Atlantique.
Paris, 1951. La capitale est coupée en deux. Rive gauche, la France “libre”, où l’on paye en billets verts imprimés aux Etats-Unis. Rive droite, le secteur soviétique, où les portraits de Staline et de Maurice Thorez flottent sur un Arc de Triomphe à moitié démoli.
Voici le cadre de “Paris secteur soviétique”, la deuxième bande dessinée de la série “Jour J”, lancée il y a deux mois par Delcourt, et qui se propose d’offrir des one shots dans des univers uchroniques. Uchro-quoi? Du grec “chronos” auquel on ajoute le privatif “u”, l’uchronie définit ce genre particulier qui consiste à imaginer ce qu’aurait pu être l’Histoire si… En l’occurrence, si le débarquement de 1944 en Normandie avait été un échec, si les Alliés n’avaient progressé que depuis le sud de la France, si ils n’avaient pas rejoint les Russes au milieu de l’Allemagne mais aux portes de Paris.
Avec des “si”, on coupe du bois ou on crée des univers particuliers, propices à de nouvelles aventures. Ici, donc, le Berlin de 1961 devient Paris en 1951, et sert de cadre à une histoire policière et d’espionnage. A la faveur d’un sommet pour la paix à venir, le capitaine Saint-Elme, ancien agent de la brigade des moeurs dans le secteur allié, est autorisé à traverser la Seine pour une enquête sur un tueur en série qui assassine prostituée sur prostituée, du côté rouge. L’affaire commence à faire grand bruit dans la République populaire de France, et il ne s’agirait pas qu’elle parasite les pourparlers entre les deux blocs. Évidemment, le capitaine Saint-Elme est en fait un agent secret français piloté par les services anglais et américains dans un Paris devenu nid d’espions.
En 56 pages, on peut trouver que c’est un peu court pour appréhender complètement un nouvel univers ou alors considérer que ce qu’on entrevoit suffit à nourrir l’imagination. En tous cas, c’est bien la dimension démiurge de cette série de bande dessinées qui est la plus importante, même si les histoires en elles-mêmes sont bien ficelées. Dans la première, que je trouve meilleure de ce point de vue, les soviétiques sont arrivés (encore une fois, à croire qu’il y a des nostalgiques de l’URSS chez Delcourt) les premiers, mais cette fois-ci sur la Lune. Les Américains suivent de peu, et chacun se construit sa base, qui vit de plus en plus en autarcie vis à vis des affaires terrestres. Et alors que la tension monte sur la planète bleue, on apprend à se connaître (au sens biblique) et on fraternise sur son satellite.
L’uchronie, ce n’est pas nouveau
Delcourt n’innove pas vraiment en lançant cette série, toute réussie qu’elle soit pour le moment. Car l’uchronie n’est pas un genre nouveau à tel point que des chercheurs très sérieux planchent parfois depuis plusieurs années sur des scénarios alternatifs, comme cette équipe française qui vient de publier “1940 – Et si la France avait continué la guerre…“, chez Tallandier.
Les lettres de noblesses de l’uchronie ont été écrites en BD mais aussi en littérature. L’un de ses représentants les plus célèbres est l’écrivain Ray Bradbury. Dans sa nouvelle “Un coup de tonnerre”, l’auteur de science-fiction s’interroge sur l’Histoire et sur la façon dont une petite altération dans le passé peut considérablement changer le cours d’événements futurs. En 2055, on a appris à voyager dans le temps. Du coup, un groupe de chasseurs décident d’aller se faire un Tyrannosaurus Rex plusieurs millions d’années en arrière. Bien-sûr, ils font très attention à ne tuer qu’une bête qui aurait de toutes façons dû mourir quelques minutes après, afin de ne pas modifier quoique ce soit dans le futur, et ils restent tout le long de leur partie de chasse sur une plate-forme antigravité pour ne pas même poser pied à terre. Mais ça ne se passe pas comme prévu et un des personnage est contraint de poser un pied au sol. Quand il repart dans le futur, tout semble avoir légèrement changé. Il se rend alors compte qu’il a un papillon écrasé sous ses semelles (le fameux effet papillon). Le candidat démocrate qui l’avait emporté aux élections avant son départ est à présent battu par son rival fascisant…
Autre immense écrivain de science-fiction, Philip K. Dick s’est aussi essayé au genre avec une de ses oeuvres maîtresses, “Le maître du Haut Château”. L’auteur imagine que l’Axe a gagné la Seconde Guerre Mondiale et que les Etats-Unis sont occupés à moitié par les Allemands et à moitié par les Japonais. Dans une belle mise en abyme, Dick met en scène un écrivain qui essaye d’imaginer le futur si les Alliés l’avaient emporté. Évoquons aussi le cycle de Johan Heliot “La Lune seule le sait”, “La Lune n’est pas pour nous” et “La Lune vous salue bien”, qui détaille presqu’un siècle d’histoire remixée, depuis Napoléon III jusqu’à l’après-Seconde guerre mondiale, avec pour héros Jules Verne, Léo Malet et Boris Vian. J’aime beaucoup cette série, bien écrite et particulièrement futée dans sa manière de revoir le passé.
On pourrait multiplier les exemples d’uchronies littéraires, pour beaucoup l’oeuvre d’écrivains qui sévissent habituellement dans les genre de la science fiction ou de l’heroïc fantasy. Du coup, l’uchronie est forcément un peu catégorisée “genre de geeks” puisque ce sont eux qui sont réputés pour aimer le plus refaire l’histoire et se réfugier dans un mode modifié à souhait. D’ailleurs, elle est évidemment représentée dans deux loisirs apparentés “geeks”, le jeu de rôle et le jeu vidéo. Pour le premier, citons par exemple “RétroFutur”, un jeu édité par la défunte maison d’édition Multisim, et qui plongeait les joueurs dans des années 1950 revisitées après que des extra-terrestres soient rentrés en contact avec l’humanité à la fin du XIXème siècle. Dans le monde du jeu vidéo, il y a le célèbre “Command and Conquer : Alerte Rouge”, où tout le scénario part du postulat qu’Albert Einstein a conçu une machine à remonter le temps et s’en va gaiement assassiner Adolf Hitler:
On aime refaire l’histoire en BD
Et l’uchronie a bien entendu essaimé en bande-dessinée, il suffit de voir la liste dressée par Uchronie.com pour s’en convaincre. Puisqu’on parlait URSS en début de chronique, comment ne pas mentionner “Superman Red Son”, un comic scénarisé par Mark Millar et sorti chez DC en 2003. S’il ne s’agit pas de détourner l’histoire réelle, le comic imagine ce qu’aurait pu devenir Superman s’il était tombé de la planète Krypton en Union soviétique plutôt qu’aux Etats-Unis. Où comment le superhéros aurait pris la succession de Staline, répandu l’URSS de façon pacifique dans la quasi totalité du monde. Des opposants s’organisent toutefois, menés par un anarchiste déguisé en chauve-souris…
La deuxième guerre mondiale et la Guerre Froide ont les faveurs des auteurs. Ce n’est pas vraiment une surprise: il est plus facile de refaire le monde en partant d’une date plus ou moins récente, et cela fait plus travailler l’imagination des gens qu’en partant de l’hypothèse que le Bal des Ardents n’aurait pas eu lieu.
On retrouve ainsi Bob Morane, dans les albums “La Guerre du Pacifique n’aura pas lieu” T1 et T2 notamment, qui est expédié par la Patrouille du Temps à Nankin en 1937, pour empecher l’affrontement. Bon, ce n’est pas le meilleur album d’une série, qui, depuis plusieurs années déjà, a quitté les rivages traditionnels de l’aventure pour se plonger dans la science fiction, parfois de manière un peu maladroite.
La série qui met sans doute le plus à mal notre relation au temps et à l’histoire est sans aucun doute “Vortex“, de Stan et Vince. Lors d’une expérience dans un laboratoire américain en 1937, des plans permettant de voyager dans le temps sont dérobés et les agents américains Tess Wood et Campbell sont chargés de les récupérer, jusqu’en 3020. Et sur dix tomes, tout ce beau monde se baladera dans le futur, dans l’Allemagne nazie, dans la Préhistoire, l’Egypte, au XIXème siècle… Je dois avouer que parfois j’étais un peu perdue.
C’est aussi les charmes de l’uchronie. Ajouter un “si” à un autre “si” puis encore un “si” et un zeste de “et puis” pour se retrouver avec un fort mal de tête mais la sensation jouissive d’avoir créé un nouveau monde.
(Vortex)
Laureline Karaboudjan
lire le billetAvec Ghetto Poursuite, le rappeur Rim’K se lance dans le neuvième art et perpétue la tradition de la bande dessinée en banlieue. Des petites cases qui donnent une image des barres d’immeubles plus contrastée qu’on ne le croît.
Il y avait les auteurs de BD qui s’essayaient au cinéma. Il y a désormais les rappeurs qui s’essaient à la BD. Rim’K, un des trois rappeurs du 113 (mais si, celui qui fait “lelela” et “oua oua oua” dans la chanson) vient de sortir une BD chez Dargaud. Ghetto Poursuite raconte l’histoire d’une bande de jeunes “normaux” de Vitry qui se retrouvent au beau milieu d’une histoire où se croisent politiciens véreux, flics pourris et manouches traficoteurs. Et bien sûr, une poursuite en voiture. Aux dessins, c’est l’argentin Walter Taborda qui officie, donnant du souffle au scénario imaginé par Rim’K (et assisté par le scénariste plus confirmé Régis Hautière). On y croise des tours, des barres d’immeuble, des paires de Nike Air, des scooters, etc. Bref, le paysage complet de la banlieue tendance grec-frites. Il y a même un clip pour les fainéants qui ne veulent pas lire la BD :
L’histoire se lit bien, elle est pleine de rebondissements mais elle est aussi un peu caricaturale. (Attention, spoiler) Le scénario du maire qui organise lui-même un fait-divers dramatique pour déclencher des émeutes de banlieue, pour permettre une répression et faire monter son ami le ministre qui surfe sur les discours sécuritaires, me paraît très peu crédible. Surtout à Vitry, dont la mairie est dirigée par les communistes. Dans Ghetto Poursuite, Rim’K continue en fait de délayer sa défiance pour le politique, que le 113 chantait déjà dans Princes de la Ville : “Vitry 9-4 de ma ville j’veux être le prince / J’vais pas t’cacher que monsieur le maire est une pince / Des promesses y’a pas à dire, y en a toujours / Rénover les bâtiments, on attend toujours / Et vos monuments à cent barres nous on s’en fout / Soit-disant députés en costard, ils sont fous“.
Si Ghetto Poursuite est le reflet, en bande dessinée, de l’oeuvre musicale du 113, et se nourrit donc de l’imaginaire banlieue propre au rap français, les représentations de la banlieue en bande dessinée sont plus variées qu’on ne le croit. Qu’ils se nourrissent volontiers de caricature ou, au contraire, qu’ils essaient de dresser un paysage très nuancé de la banlieue, les auteurs de BD offrent des visions relativement différentes de l’univers banlieusard. Pour s’en convaincre je vous propose un petit tour dans des cases qui voient plus loin que le bout du périph’.
En littérature, la banlieue est souvent un théâtre parfait pour les polars en tout genre. Il en va de même en bande dessinée. A ce titre, je ne peux pas ne pas évoquer l’oeuvre de Tardi. Si chaque aventure de Nestor Burma qu’il dessine est toujours ancrée dans un arrondissement précis de Paris, le détective imaginé par Léo Malet se promène aussi souvent en banlieue. C’est par exemple le cas dans le monument 120 rue de la Gare, où les recherches de Nestor l’amènent dans un petit pavillon en meulière, typique de la banlieue parisienne, du côté de Pantin. En comparaison du Paris animé, la banlieue chez Tardi est triste, morne et… propice au crime. Dans Le Cri du peuple, Tardi et Vautrin, dont le roman est adapté, nous emmènent dans ce qui deviendra la banlieue : la Zone. En 1871, au pied des fortifs, la banlieue c’est un espace rural, fait de baraques en bois peuplée par des chiffonniers interlopes. C’est un endroit qu’a aussi dessiné Etienne Davodeau dans Jeanne de la Zone, sous un jour beaucoup plus sympathique.
Revenons donc au polar. Parmi les bonnes surprises de ces dernières années, il y a RG, une série de deux BD (peut-être y en aura-t-il d’autres) qui, comme son nom l’indique, tournent autour d’un flic des renseignements généraux. Scénarisée par un ancien RG, Pierre Dragon, et dessinée par Fréderik Peeters, dont je pense beaucoup de bien, la bande dessinée est très réaliste et donne à sentir une banlieue où se trament toutes sortes d’intrigues crapuleuses, depuis les vêtements “tombés du camion” jusqu’au trafics de drogue. Les immeubles sont sales, les personnages forts en gueule. RG c’est un vrai bon polar de banlieue.
Et puis il y a la banlieue où parfois tout va vraiment mal, comme dans le comic Shaango de Kade, Tir et Jac, où un mec comme les autres devient du jour au lendemain un super-héros. Au départ pacifiste, devant les abus de ceux qui détiennent le monopole de la violence légitime, du flic au contrôleur de la RATP, il s’enfonce petit à petit dans la violence. La BD, à la manière américaine, est très manichéenne. D’un côté il y a l’Etat et les riches, de l’autre les pauvres et la banlieue martyrisée. Tout les oppose, l’affrontement est inévitable, les dieux africains et les éclairs ne seront pas de trop pour combattre les flics.
Souvenez-vous, vous étiez dans le CDI de votre collège entre midi et deux et vous aviez déjà lu dix fois le seul Gaston Lagaffe disponible, sans parler du livre des Records. Alors, de guerre lasse, vous finissiez par ouvrir un Tendre Banlieue de Tito, bizarrement en bon état alors que cela faisait dix ans qu’il devait trainer là. Sous vos yeux qui se fermaient à cause de la brandade de morue de la cantine, s’ébattaient des jeunes gens étranges, avec des coupes de cheveux et des tenues dépassées, sorties tout droit des années 80. Vous pensiez que cette BD avait été sponsorisée officiellement par la documentaliste pour diffuser des valeurs d’amitié, d’entraide, d’amour etc. Tous ces genres de trucs lénifiants qui ennuient profondément à 12 ans. Tendre Banlieue, c’est un peu l’Instit qui débarquerait en banlieue et en BD. Mais sous les cases classiques se glissaient parfois quelques bons conseils, qui restent ensuite en mémoire sur le sida, le chômage, l’homosexualité etc. Et puis, si c’est souvent un peu niais, Tito a (un dernier tome est sorti en 2006, sisi) cette volonté de ne pas dépeindre toujours la banlieue de manière sombre et d’atteindre un réalisme assez abouti dans les décors ou les vêtements de ses personnages.
Loin du misérabilisme inhérent, parfois, aux deux premières catégories, certains auteurs de BD prennent la banlieue comme un théâtre de gags comme un autre. Frank Margerin est à ce titre un très bon exemple, lui qui ne cesse depuis 30 ans de débusquer le rire en périphérie de Paris. Il y a bien sûr Lucien avec sa bande de potes très 80’s qui réparent des mobs, font de la musique et à qui il arrive toujours plein d’embrouilles. L’ambiance est aux rades un peu miteux, aux caves de pavillons de banlieue propices aux répètes et aux conventions de motards à la Bastoche. Du blouson noir à l’éboueur de quartier, la série des Lucien est un hommage à Malakoff, et plus généralement à toute la petite couronne de Paris. Plus récemment, Margerin a essayé de rajeunir sa banlieue avec Momo le Coursier qui, comme son nom l’indique, met en scène un personnage typique de la banlieue parisienne : le coursier rebeu. Ca fait sourire, mais c’est un peu moins bien que les Lucien.
Même époque que Lucien, fin des années 70, début des années 80, avec le Joe Bar Team, une des mes BD humoristiques préférées, où des gus au fin fond d’une banlieue indéterminée perpétuent la tradition du vrai motard. Presque aussi souvent le long du zinc que sur la route, c’est l’image d’un quartier joyeux, où les gens sont débonnaires et sincères, à la fois obsédés par la mécanique et les filles, étant globalement aussi maladroits avec l’un ou l’autre.
Dans la veine du rire en banlieue, je me dois d’évoquer Manu Larcenet avec son Nic Oumouk qui détourne parfaitement les clichés de la wesh-attitude pour en dresser une chronique amusée et rigolarde. On retrouve aussi les barres d’immeubles dans Le Combat Ordinaire, une série que je ne présente plus. Et puis il y a Relom, qui signe Cité d’la balle, qui explore un peu le même univers que Nic Oumouk, et à qui France 3 a consacré un petit reportage :
Et on ne peut pas parler de banlieue amusante sans évoquer un poids lourd de l’édition: Titeuf de Zep. Se déroulant dans une banlieue indéterminée, la série fait se côtoyer des écoliers lambda dans leur cour de recré. Elle a dominé la décennie 2000 et chacun de ses albums a été un carton. Inutile de s’attarder, tout a déjà été dit et écrit. J’étais malheureusement trop vieille déjà pour tomber amoureuse du petit gars à la houpette et devenir fan, mais, quand par hasard je tombe sur un album, je le lis toujours avec plaisir ses blagues potaches, très portées sur la scatologie et le sexe. Tout ce qu’on aime.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de Ghetto Poursuite de Rim’K
Planche BD extraite du Combat ordinaire
Vous n’avez pas pu y couper. Depuis vendredi, et jusqu’à mercredi prochain, se tient à Paris le 30ème Salon du livre (et de la bande-dessinée). Tous les médias en parlent. Mais bien souvent, plutôt que d’évoquer les éditeurs, les auteurs et surtout les histoires qu’ils racontent, les journalistes se focalisent sur leur marotte depuis quelques années : le livre numérique (et, donc, la bande-dessinée numérique). Et nous annoncent chaque année que “Ca y est, c’est pour cette fois, le numérique va remplacer le papier”. Rien n’est moins sûr.
Le spécialiste de la BD numérique, AveComics, vient d’annoncer au Salon du livre qu’il allait décliner son offre sur iPad. Au premier jour du Salon, c’est le groupe Media-Participations, leader européen de la bande-dessinée et qui possède entre autres Dargaud, Dupuis et Le Lombard, qui a lancé en grande pompe une plate-forme de bandes dessinées en ligne, Izneo. Il y a six mois, les Humanoïdes Associés annonçaient le développement de BDs pour iPhone, un média déjà investi par les éditions Soleil avec la série “Les Blondes“. Les éditeurs se mettent donc en ordre de marche pour conquérir ce nouveau marché, et chacun développe ses plate-formes de diffusion.
Les auteurs méfiants
Mais pour que la BD numérique prenne son essor et soit un succès, l’activisme des éditeurs ne suffit pas. Il faut que les lecteurs et les auteurs suivent. Pour ces derniers, la partie est loin d’être gagnée. Le Groupement BD du Syndicat National des Auteurs Compositeurs (SNAC) vient de lancer un appel dénonçant l’absence de concertation entre éditeurs et auteurs sur le développement de la bande-dessinée numérique. Co-signé par 35 poids lourds de la BD (Sfar, Larcenet, Arleston, Sattouf, Loisel, Lax, etc.), le document commence en s’indignant que “la révolution numérique du livre de bande-dessinée commence ici et maintenant… dans la confusion, à marche forcée et sans les auteurs“.
S’ils ne sont pas opposés, par principe, au développement d’une bande-dessinée numérique, les auteurs souhaitent s’unir pour peser dans le débat. Couplée à l’appel, une pétition a déjà recueilli plus de 800 signatures de professionnels de la bande-dessinée. En premier lieu, les auteurs posent la question du droit de regard sur l’utilisation de leurs créations. Quand une bande-dessinée, dessinée pour le papier, est adaptée sur un support numérique, notamment un iPhone, elle peut être complètement chamboulée. Des cases qui étaient plus grandes que d’autres, procédé de base de la narration de bande-dessinée, peuvent se retrouver uniformisées pour correspondre au nouveau format. Et faire perdre ainsi la puissance évocatrice de l’oeuvre originale.
Ce qui est en jeu, surtout, c’est la rémunération des auteurs. Selon qu’on considère que le développement numérique d’une bande-dessinée découle d’une cession de droit dérivés ou qu’il suit les règles classiques de publication d’un ouvrage, la donne financière est très différente. Dans le premier cas, 50% des bénéfices doivent revenir aux auteurs, qui soulignent toutefois que cela doit se faire “pas forcément après paiement d’intermédiaires, qui font parfois partie des même sociétés que les maisons d’édition“. Dans le cas ou la BD numérique suivrait les règles habituelles de l’édition, seul un pourcentage avoisinant les 10% du prix de vente hors-taxe de oeuvre. Mais dans le cas d’un livre numérique, en partie à cause des taxes plus élevées que sur un livre papier, en partie pour des raisons intrinsèques au support, le prix de vente est considérablement réduit. Et la rémunération des auteurs de même.
Les lecteurs encore à conquérir
Rien ne dit, surtout, que la bande-dessinée numérique parviendra à trouver son lectorat. Certes, il y a le succès des blogs BD, de Boulet à Péneloppe Jolicoeur, mais il ne faut pas oublier qu’au-delà du talent qu’on voudra bien attribuer à leurs auteurs, ils ont une caractéristique essentielle : leur gratuité. La culture du gratuit qui est associée au numérique a sûrement bien plus de poids qu’on ne l’imagine souvent. Pour la BD se pose donc la même question que pour la presse, la musique ou pour le cinéma. Comment habituer les lecteurs à payer? Même pour moi, grande consommatrice de BD papier, je n’achète pas les oeuvres de Pénélope Jolicoeur quand elles paraissent en librairie et je n’achète pas non plus les carnets de Boulet (même si je me précipite chez mon libraire dès qu’il participe à un Donjon, alors le payer sur Internet, vous pensez bien…).
Or, pour l’instant, les offres légales de bande-dessinée numérique sont toutes payantes (ce qui n’a rien d’incohérent par ailleurs). Il est cependant très aisé de télécharger gratuitement (et illégalement) des scans des bandes-dessinées européennes les plus célèbres, ainsi que de la plupart des comics américains, ce qui je dois l’avouer, m’est déjà arrivé de temps à autre car je n’ai pas forcément sur place l’œuvre dont j’ai besoin. Pour moi, cela a une fonction utilitariste, cela m’aide pour rédiger mes articles, je n’ai pas de plaisir de lecture sur les écrans actuels. J’ai encore besoin d’avoir la BD entre mes mains (même un changement de format classique me fait parfois tiquer, alors l’écran…).
Je n’ai jamais autant téléchargé mais aussi acheté depuis que je rédige ce blog selon le bon vieil adage pour la musique qui démontre que ce sont les pirates qui achètent le plus. Quadrature du cercle… Bande Dessinée, bienvenue dans un schéma insoluble!
Laureline Karaboudjan
Illustration : DR
lire le billetSouvent ignorée, la bande dessinée africaine existe pourtant. Envers et contre tout.
Ce week-end, je suis allée faire un tour au Quai Branly, à Paris. Dans le musée-Chirac se tenaient trois jours de rencontres et de conférences sur la bande dessinée africaine. Ca tombe bien, parce que je vous avais parlé récemment de BD africaine (là) et je voulais approfondir le sujet. Ainsi , après avoir écouté en attentivement Christophe Cassiau-Haurie, spécialiste de la question, je suis en mesure de vous dresser un panorama de la bande dessinée en Afrique. Car qu’on se le dise, on dessine sur le continent noir.
C’est loin d’être une évidence. Comme l’explique Christophe Cassiau-Haurie, “beaucoup de gens ont du mal à percevoir la bande dessinée africaine. Pour la plupart des gens, le 9ème art s’arrête souvent aux limites de la Méditerranée alors qu’il traverse sans problèmes l’Atlantique. D’ailleurs, même des spécialistes sont bien en peine de donner un nom d’auteur africain“. Pourtant, la BD naît très tôt en Afrique : pendant la Première Guerre mondiale (1918), au Malawi. Le premier album, lui, sort en 1960 au Togo. Il s’agit du curé de Pyssaro de Pyabélo Chaold, une bande dessinée sans phylactères, à la manière des Pieds Nickelés chez nous. Signalons aussi la première revue laïque pour la jeunesse, en Egypte, avec Al Sinbad, sorti en 1950.
Trois poids lourds africains
Aujourd’hui, le paysage de la BD en Afrique francophone est dominé par trois grands pays : Madagascar, la Côte d’Ivoire et la République Démocratique du Congo. On apprend que la bande dessinée malgache est très inspirée par les fumetti italiens, ces petits formats à couverture souple, dont Diabolik est l’exemple le plus célèbre. L’originalité de la bande dessinée de Madagascar, c’est d’être publiée quasi intégralement en langue malgache et non en français, comme souvent dans les ex-colonies. Si la BD malgache a vu
de nombreuses publications en album dans son histoire, elle s’exprime aujourd’hui à travers des magazines humoristiques.
Je ne m’étendrai pas sur la Côte d’Ivoire, que j’avais déjà évoquée dans mon précédent article, notamment à travers le succès du magazine Gbich. L’hebdomadaire tire à 40 000 exemplaires. C’est le troisième journal de Côte d’Ivoire, toutes catégories confondues. Son personnage emblématique, Cauphy Gombo, est un business man véreux dont le slogan “No pity in business” est un classique dans les rues d’Abidjan. Il a même été porté à l’écran.
Il ne faut pas s’étonner de voir la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre, dans les pays moteurs de la BD africaine. Ancienne colonie belge oblige. La première BD y a été publiée en 1932, mais c’est 10 ans plus tard, en 1942, que se situe le vrai événement fondateur de la bande dessinée zaïroise. C’est cette année là qu’a été ouverte à Gombe Matadi la première école des Beaux Arts d’Afrique. L’institution était pensée comme une annexe de la prestigieuse école Saint-Luc de Bruxelles par laquelle sont passés de fameux auteurs de BD, dont Hergé. D’ailleurs, pour Christophe Cassiau-Haurie, il y a aussi un “effet Tintin au Congo pour expliquer l’essor de la BD en RDC. Ce n’est pas politiquement correct de le dire, mais c’est une BD appréciée sur place. Dans les rues de Kinshasa, on la trouve partout“. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, “90% des auteurs africains sont congolais“. Ils publient par exemple dans Kin Label, une revue de BD éditée, comme son nom l’indique, dans la capitale de la RDC (Kin étant le surnom de Kinshasa).
Le Congolais qui dessine des comics
Parmi les dessinateurs originaires des rives du fleuve Zaïre, Pat Masioni a fait le déplacement au Quai Branly. Il est le dessinateur du remarqué Rwanda 1994, dont il avait ramené des (superbes) planches avec lui. C’est aussi le premier dessinateur africain à être édité aux Etats-Unis, puisqu’il signe pour Vertigo les dessins de la série Unknown Soldier, centrée autour d’un mystérieux soldat ougandais. Une série qui le mobilise complètement : “Le travail que je ferais en 6 mois pour un éditeur français, je dois le faire en 45 jours pour mon éditeur américain. Et avec une pression de tous les instants. J’ai eu une fois un jour de retard : je me suis fait engueuler. Un éditeur américain, c’est comme un réalisateur de cinéma, il intervient dès le story-board“.
Pat Masioni a grandi à Kinshasa et a commencé à dessiner à 14 ans. Aurait-il pu avoir sa carrière actuelle s’il n’était pas venu en France ? Probablement pas. Bien sûr, il y a les difficultés économiques qui freinent le développement de la bande dessinée en Afrique. Mais ce n’est pas le principal problème, d’après Christophe Cassiau-Haurie : “Quand une série africaine s’arrête, dans 90% des cas c’est à cause de considérations politiques. Par exemple le magazine Jeune pour jeunes au Zaïre, qui a connu un succès ininterrompu pendant douze ans, a été victime de Mobutu“. Pour Pat Masioni, il y a aussi le fait” qu’en Afrique, il n’y a pas assez de scénaristes. L’écriture d’un scénario de BD est différente d’une écriture habituelle“.
Qu’importe. A Madagascar, en RDC, en Côte d’Ivoire, mais aussi en Algérie, en Tunisie, au Gabon, au Sénégal, au Tchad (oui, oui), des projets de bande dessinée se montent. Un foisonnement que Christophe Cassiau-Haurie décrit avec enthousiasme et qu’il souhaiterait compiler dans un Dictionnaire de la bande dessinée africaine. Avis aux généreux financiers.
Laureline Karaboudjan
Illustration extraite de Unknown Soldier #13, par Pat Masioni.
lire le billetEn BD aussi, l’Afrique c’est souvent les clichés
Une ambiance de fête, des résultats inattendus, du football, et puis une guérilla sécessionniste, des armes, du sang, des larmes, de la sueur. Un peu comme si tous les clichés du continent africain s’étaient donné rendez-vous à Cabinda la semaine dernière et en Angola en général. Des clichés sur l’Afrique également véhiculés par la bande dessinée.
Evidemment, il y a Tintin au Congo. Impossible de ne pas en parler, c’est un peu la matrice des clichés sur l’Afrique en BD. Tout y passe : les Noirs sont fainéants (“Moi y’en a fatigué”), lâches, bêtes (“Li missié blanc très malin”). L’Afrique de Tintin, c’est une Afrique où l’on vit dans des cases perdues au milieu d’animaux sauvages, avec le bon missionnaire blanc comme point de repère. Nulle peine d’en rajouter, la BD est connue de tous, les raisons de ses torts aussi: elle a été écrite en 1930-1931, à l’apogée de l’empire colonial belge et publiée dans un journal de la droite chrétienne, Le Petit XXème. A l’époque où en France, on organise une exposition coloniale tout aussi nauséabonde. Soulignons plutôt que Tintin au Congo n’est malheureusement pas un cas isolé, et qu’à l’époque, l’Afrique en bande dessinée c’est nécessairement des clichés. Cette histoire continue encore aujourd’hui de faire régulièrement polémique, notamment à l’étranger. Elle a ainsi été retirée des rayons de la bibliothèque de Brooklyn.
Il en va ainsi de ce qu’on considère généralement comme le premier personnage noir à apparaître dans la bande dessinée américaine. Dès son premier comicstrip publié en 1934, Madrake Le Magicien est accompagné de Lothar, son meilleur ami qu’il a rencontré en Afrique, sûrement dans une ancienne colonie allemande vu le prénom… Lothar était “Prince des Sept Nations”, une fédération de tribus de la jungle, mais a préféré renoncer à sa chance d’accéder au trône pour suivre Mandrake dans ses aventures. Et évidemment, le brave Lothar est un concentré de clichés: il parle un très mauvais anglais, s’habille de peaux de bêtes et se coiffe d’un fez. Il est surtout plus réputé pour sa montagne de muscles que pour ses aptitudes mentales. Le parfait compagnon de ce grand esprit (blanc) de Mandrake. Citons également Ebony White, le side-kick du Spirit, le détective imaginé par Will Eisner, qui est un bon exemple de la description caricaturale des noirs (lèvres hypertrophiées, mauvaise diction…) que l’on retrouve dans bien d’autres BD.
Mais revenons à l’Afrique. Avouons-le, certains clichés ont du bon, comme celui qui veut qu’elle soit une terre d’aventures. Ce ressort nourrit une série comme Jimmy Tousseul, qui nous emmène avec un jeune garçon dans des péripéties africaines rocambolesques et… pleines de clichés. Braconniers d’ivoire, trafiquants d’armes ou de drogue, fils de dignitaire qui s’appelle Napoléon, c’est encore une “certaine Afrique” que nous dépeignent les auteurs de Jimmy Tousseul, qui cède volontiers à l’exagération. Mais leur en veut-on vraiment, tant cette Afrique là permet des aventures pleines de rebondissements? Surtout que l’aventure est le seul moteur de ces clichés (alors que chez Tintin, on peut y ajouter le racisme).
Un portrait juste de l’Afrique
Heureusement, toutes les BD se déroulant en Afrique n’enfilent pas les clichés comme des perles. Certaines BD “sérieuses” tentent au contraire de dépeindre un portrait juste de l’Afrique. A commencer par ses drames. Comme la série Rwanda 1994 de Masioni, Grenier et Austini. Elle raconte le Rwanda touché par la guerre civile, dans toute son horreur. Très engagés, les auteurs n’hésitent pas à suivre la thèse contestée qui affirme que l’armée française a non seulement apporté une aide logisitque aux génocidaires mais a aussi participé aux massacres.
Parfois, la précision n’empêche pas la poésie. Replongez-vous dans les Ethiopiques de Corto Maltese pour vous en convaincre. Hugo Pratt nous emmène, pour quatre aventures du marin libertaire, dans l’Ethiopie de la fin de la première guerre mondiale. Un pays qu’il connaît bien puisqu’il y a vécu l’autre guerre mondiale auprès de son père, dans l’armée italienne. Signalons aussi Abdallahi, superbe bande dessinée basée sur le récit de voyage de René Caillé, explorateur du XIXème siècle. Il est le premier blanc à réussir à pénétrer dans Tombouctou, ville qui leur était alors interdite. Pour se faire il se grime en arabe et se fait appeler Abdallahi. Les paysages sont saisissants, l’atmosphère extrêmement bien rendue et tout sonne très juste.
Se débarrasser des clichés de l’Afrique en guerre, de la famine et du SIDA et peindre une vie quotidienne heureuse, c’est l’objectif avoué de Marguerite Abouet dans Aya de Yopougon. Elle y dépeint sa jeunesse à Abidjan, entre 1970’s et 1980’s, faite de cancans et d’amourettes, dans un langage fleuri hilarant. A l’instar du Persépolis de Marjane Satrapi, Aya est une vision partielle de la société ivoirienne, celle d’une fille de classe moyenne supérieure, avec une vie forcément plus tranquille et rigolote que celle des plus démunis. Mais comme les auteurs européens vont plus difficilement s’attacher à décrire cette vie moyenne qu’à dépeindre des grandes tragédies larmoyantes, il faut bien que les locaux fassent le boulot autobiographique.
Et la BD africaine alors?
Enfin “locaux”… Pas tant que ça. Si Aya a le succès qu’on lui connaît, c’est parce que Marguerite Abouet a émigré de Côte d’Ivoire en France, où elle aura pu trouver beaucoup plus facilement un éditeur pour son histoire. Exactement la même trajectoire que Marjane Satrapi d’ailleurs, dont on imagine bien qu’elle n’aurait jamais pu publier Persépolis en Iran. Pour autant, il existe aussi des auteurs africains sur place. On ne va pas se mentir : l’Afrique n’est pas une terre de BD comparable aux trois poids-lourds Europe, Etats-Unis et Japon. L’environnement économique africain rend difficile l’implantation de maisons d’éditions locales et donc l’émergence d’une bande dessinée d’albums, qui du coup se publie plutôt dans les journaux. Le site Africultures dresse un état des lieux de cette bande dessinée africaine, en recensant auteurs, éditeurs, associations, etc. Dans cet autre article, très intéressant, on découvre l’existence d’une “exception” dans le marasme de la BD africaine: Gbich!. “Plus de 300 numéros parus, 20 000 exemplaires diffusés chaque semaine, quinze auteurs de bande dessinée à plein-temps : Gbich ! a un poids économique et culturel indéniable à Abidjan. Savant équilibre de bandes dessinées en une page, de dessin de presse et d’articles sur la société, le magazine séduit la population ivoirienne qui se rue dessus chaque vendredi”. Fait par et pour des Africains, gageons que Gbich! est encore ce qui doit livrer le mieux une vision à peu près juste de l’Afrique contemporaine.
Laureline Karaboudjan
lire le billet“Le groom vert-de-gris” fait partie de mes albums préférés parus cette année. Yann au scénario et Olivier Schwartz continuent, comme dans “Le journal d’un ingénu” d’Emile Bravo, de plonger Spirou au cœur de la Seconde Guerre Mondiale. Mais là où “Le journal d’un ingénu”, que j’aime également beaucoup, est tout en ambiance feutrée, “Le groom vert-de-gris” prend le parti de l’aventure rocambolesque, un peu à la manière d’un “Inglorious Basterds” au cinéma. Et comme le film de Tarantino, la bande-dessinée est truffée de références. L’intertextualité, comme dans une grande œuvre littéraire, y est si forte qu’elle donnerait sans doute des palpitations de plaisir à Gérard Genette. Aussi, pour rendre hommage à cet album indispensable, je me suis amusée à dénicher toutes les clins d’œil qui peuplent ses cases (d’autres sites s’y sont amusés aussi). Et vous, vous en avez d’autres?
Couverture : Ca ne vous rappelle pas La Marque Jaune? Moi, si.
Page 1 : La publicité pour le Cirage Blondin est un hommage a la série de Jijé “Blondin et Cirage“. On voit une rue “Robert Velter“, le nom du créateur du personnage de Spirou.
Page 5 : Le gag avec la peinture qui éclabousse les soldats allemands n’est pas sans rappeler une fameuse scène du Dictateur de Chaplin.
Page 8 : Le “Moustic Hotel” fait référence au journal “Le Moustique“, lancé par Jean Dupuis, des éditions du même nom. Dans la deuxième case, le colonel allemand s’en prend violemment à ses subalternes: “Non mais regardez-vous? Que sont devenus les jeuves fauves du Führer, l’orgeuil du IIIe Reich? Un ramassi d’incapables abrutis et obèses à force de s’empiffrer de bière et de moules-frites!” avec un plan serré sur les officiers gros. C’est une référence à Obélix et Compagnie où César s’en prend à ses généraux pages 12 et 13. L’un, énorme lui dit: “Souviens-toi de nos campagnes, César! Nous avons fait plier le monde devant nos legionnaires!” et César de répondre: “vois ce que tu es devenu! Oui! Voyez ce que votre or, vos villas, vos orgies ont fait de vous! Des décadents!”
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