Questions sur une mutation française

Ce communiqué diffusé en urgence dans la fin de l’après-midi du 27 novembre par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) : « L’InVS) signale l’identification en France par les Centres nationaux de référence de mutations dans le génome du virus de la grippe H1N1pdm 2009 et retrouvés chez deux patients qui, par la suite, sont décédés. Pour ces deux patients (sans relation entre eux et hospitalisés dans des villes différentes)  il s’agit d’une mutation récemment signalée en Norvège. Cette mutation pourrait augmenter les capacités du virus à atteindre les voies respiratoires basses, et notamment, à atteindre le tissu pulmonaire. Pour l’un de ces patients, à cette mutation s’ajoute une autre mutation connue pour conférer une résistance à l’oseltamivir [Tamiflu]  Il s’agit de la première souche résistante en France parmi les 1200 souches analysées à ce jour. »

S’inquiéter, voire trembler ? L’InVS : « La survenue de mutations du H1N1pdm 2009 n’est pas inattendue du fait des caractéristiques des virus grippaux. L’impact de ces mutations sur le caractère pathogène et la capacité de diffusion de ces virus n’est pas documenté et va faire l’objet d’investigations complémentaires à l’échelon français et international. L’efficacité des vaccins actuellement disponibles n’est pas remise en cause. » En pratique tour se passe comme si la France était d’ores et déjà confrontée à deux évènements d’importance observés ces derniers jours en Grande Bretagne et en Norvège.

Depuis l’émergence de la pandémie, il existe deux principales sources d’inquiétudes. D’une part une mutation qui confèrerait au virus H1N1pdm une plus grande virulence; une virulence de nature à réduire de manière drastique l’efficacité des vaccins qui commencent à être proposés aux populations des pays industriels. D’autre part une mutation qui rendrait l’agent pathogène résistant aux deux antiviraux (le Tamiflu et le Relenza) qui ont démontré une relative efficacité contre lui. Or voici que sur ces deux fronts une série d’alertes distinctes, puis réunies, viennent d’être lancées. S’inquiéter?

La première alerte venait de Londres où les autorités sanitaires britanniques annonçaient, vendredi 20 novembre, mener une enquête sur des cas possibles d’une première transmission interhumaine  à cette forme de résistance. Plusieurs dizaines de cas de résistance au Tamiflu avaient déjà été déjà été constatés ces derniers mois dans différents pays du monde mais aucune observation de transmission interhumaine de la souche n’avait été documentée.

La seconde des deux récentes alertes émanait de Genève et du siège de l’OMS qui, le vendredi 20 novembre, faisait  savoir que les autorités sanitaires norvégiennes avaient détecté trois cas d’une mutation génétique du H1N1pdm. L’Institut norvégien de santé publique précisait que les virus mutés avaient  étaient isolés chez les deux personnes victimes des deux premiers cas mortels (le 3 septembre et de 23 octobre) de la grippe pandémique dans le pays ainsi que chez une troisième gravement atteinte par l’infection virale.

L’OMS lançait aussitôt une alerte et diligentait des enquêtes. Pour les virologistes la question est simple : les mutations observées sont-elles hautement dangereuses (« avantage sélectif ») ou de simples « cul-de-sac » ? « Seule la surveillance virologique et épidémiologique pourra répondre aux questions posées par la mutation du virus A(H1N1)v identifiée en Norvège », expliquait il y a quelques jours au « Quotidien du médecin » le Dr Jean-Claude Manuguerra, virologue, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence (CIBU) de l’Institut Pasteur.

Ce  point de vue était alors  partagé par le Pr Bruno Lina, directeur du Centre national de référence de la grippe à Lyon. « Toute la question est de savoir si ce virus mutant est plus pathogène et s’il va supplanter l’autre virus, ajoutait-il. Personne n’est capable aujourd’hui de répondre à cette question. Cette mutation a déjà été identifiée par le passé au Brésil et en Ukraine, dans des formes graves mais aussi non graves. S’il s’avérait que le virus présente effectivement une pathogénicité exacerbée, ça ne signifie pas forcément qu’il soit plus transmissible d’une personne à l’autre. Il faut continuer à observer ce qui se passe. Pour le moment, on n’a pas l’impression que ce virus prenne la main. »

Avec la série des nouvelles données épidémiologiques françaises (et dans l’attente des informations que possèderont bientôt les autorités sanitaires)  la problématique prend une nouvelle –et potentiellement inquiétante- dimension. « La découverte de ces mutations entraîne chez nous une très grande  vigilance, mais on ne peut pas encore parler d’inquiétude particulière, estimait dans la soirée du 27 novembre  le Dr Françoise Weber, directrice générale de l’InVS. La mutation pourrait accroître les capacités du virus à atteindre le tissu pulmonaire. »En écho le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé : « Cette mutation est susceptible d’être à l’origine de formes pulmonaires  plus sévères, mais ce n’est pas une certitude ». « C’est un facteur de risque, oui il est plus dangereux, mais pour qu’il soit  vraiment dangereux, il faudrait qu’il soit capable de passer d’un sujet à un  autre, a pour sa part souligné Claude Hannoun, professeur honoraire à l’Institut Pasteur, sur RTL. Le virus a subi une mutation qui change la façon dont il entre dans les cellules, qui change la façon dont il réagit aux médicaments, donc il ne lui  manque qu’une propriété pour qu’il soit vraiment dangereux, c’est de devenir  transmissible de façon plus importante que ses cousins, qui n’ont pas muté. »

Pour l’heure tous les spécialistes assurent que ces mutations ne changent rien, pour l’heure, à l’efficacité des vaccins proposés à des fractions croissantes de la population française.

Jean-Yves Nau

Anecdote attendue ou tournant décisif ?

L’un des problèmes auxquels on est confrontés avec cette pandémie est la quantité de projecteurs braqués en permanence sur elle, en de nombreux points de la planète. On perd ainsi progressivement notre habituel système de références. Pour savoir si il y a lieu de s’inquiéter d’une mutation observée il y a quelques semaines en Ukraine, puis en Norvège, puis peut-être en Russie et en Chine, et ce soir en France, on voudrait savoir si le phénomène est inédit ou non. Or ce qui est inédit, c’est que l’on sache cela en temps quasi-réel. L’an dernier, avec les souches saisonnières prédominantes (H1N1 saisonnier ou H3N2) aurait-on été tenu informés de telles mutations ? La réponse est non, évidemment. Aurait-on seulement recherché de telles mutations ? Sans doute oui, mais avec une fréquence bien moindre. Certes, il n’était pas habituel de voir des jeunes adultes hospitalisés en réanimation pour les grippes saisonnières, et si cela avait été le cas, en France tout du moins, on aurait probablement procédé à une analyse approfondie de la souche virale en cause. Donc, la sévérité de certaines formes cliniques aussi est inédite. Par ailleurs, on ne sait pas grand-chose de ces mutations. On sait qu’expérimentalement, elles semblent associées à de plus grandes capacités d’infecter l’étage inférieur de l’arbre respiratoire et d’un risque accru de pneumonies virales graves. On espère que le vaccin restera efficace, mais on ne peut l’affirmer. On peut craindre que, lorsqu’une autre mutation est associée – ce qui est la situation retrouvée chez l’un des cas Français- le Tamiflu peut s’avérer inefficace. On ne sait pas si ces souches mutantes sont plus ou moins transmissibles que les non mutantes.

Ce ne sont pas des informations très réjouissantes en cette fin de semaine.

En fait, ce qui n’est pas réjouissant, c’est surtout de constater (une fois de plus) que l’on ne sait pas grand-chose sur cette maladie si banale qu’est la grippe. On n’a pas d’expériences passées nous permettant de recaler les informations qui nous parviennent dans un cadre logique et connu. On n’est incapable de savoir si l’on est dans l’anecdotique attendu car survenant à chaque épidémie de grippe, ou bien si l’on aborde un tournant décisif de cette pandémie. On est en train de découvrir à quel point la faiblesse des investissements en recherche sur les virus banaux finit par peser lourd dans la décision publique qui devient rapidement démunie car entourée de trop d’incertitudes. La méconnaissance du coronavirus, virus des rhinopharyngites les plus banales avait lourdement ébranlé en 2003 la communauté internationale et mis à pied plusieurs compagnies aériennes, notamment nord-américaines pendant la crise du SRAS, ces pneumonies atypiques dues à un coronavirus particulièrement virulent et inconnu de la famille. La méconnaissance du virus du chikungunya en 2005, avait conduit à longtemps négliger les alertes nous parvenant de l’île de La Réunion en 2005, à considérer à tort qu’il n’y avait rien à redouter de ce virus banal transmis par un moustique, alors qu’aucun vaccin n’existait, et qu’aucun traitement n’était disponible (et d’ailleurs, quatre ans plus tard, on n’a toujours pas beaucoup progressé sur ce front). Aujourd’hui, l’absence quasi-totale de résultats de recherches passées conduites de manière systématique et approfondie sur le virus de la grippe, sur ses conditions d’émergences et sur son impact, semble nous plonger dans cet abîme qu’est l’ignorance.

Antoine Flahault

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