C’est une information d’importance doublée d’un aveu. L’information a été donnée jeudi 5 novembre par Roselyne Bachelot qui s’exprimait sur RTL. La ministre de la Santé a annoncé que la France pourrait bientôt revendre une partie de son stock de 94 millions de doses de vaccin contre la grippe pandémique. Comment mieux avouer que la décision gouvernementale prise cet été d’acquérir, pour près d’un milliard d’euros, un tel stock national était, au choix, un pari risqué ou une erreur stratégique ?
Ainsi donc nous sommes aujourd’hui dans une situation bien étrange. Alors même que la campagne de vaccination a à peine commencé, que la quasi-totalité des vaccins n’ont pas encore été livré et que la vague épidémique commence à enfler le gouvernement étudie la possibilité de revendre les vaccins qui, faute de volontaires, n’auraient pas été utilisés…. Interrogée sur le fait de savoir si elle comprenait que les professionnels de santé « rechignent » à se faire vacciner Mme Bachelot a précisé que le verbe « rechigner » (« témoigner de la mauvaise volonté pour ») ne convenait pas. Sans doute la ministre n’aurait-elle pas non plus accepté « renâcler », « grogner », « râler » ou « rouspéter » qui sont ses synonymes. Elle a préféré user d’une autre qualificatif. « C’est timide » a-t-elle dit, ajoutant : « D’ores et déjà nous avons 50 000 personnes à l’hôpital qui se sont faites vacciner A l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris plus 10% des personnels de santé sont vaccinés. Et il y a une très bonne accélération. »
Comprend-elle les reproches qui lui sont fait quant à l’acquisition d’un stock vaccinal à ce point surdimensionné ? « Non. Ce que je veux c’est que mon pays soit préparé à cette vaccination, répond-elle. D’ores et déjà nous savons que nous aurons peut-être la chance qu’une seule dose soit nécessaire. Mais cette information a besoin d’être confirmée et une partie de la population aura toujours besoin de deux doses, les enfants en particulier. Et puis, vous savez, depuis quelques jours la France est très demandée. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup de pays qui nous consultent et qui nous demandent si on n’accepterait pas de leur revendre des vaccins. Ces pays n’ont pas pris leurs précautions. Mais moi je ne veux pas leur revendre ces vaccins tant que je ne suis pas sûre, par une constatation clinique, que l’immunité donnée par la première dose – et qui est déjà importante – est bien durable. » Mais combien de temps faudra-t-il pour le savoir ?
La situation est étrange autant qu’elle est inédite. Si l’on comprend bien ce que nous dit Mme Bachelot la France a, au nom du principe de précaution, acquis pour une somme qui n’a rien d’anodin (un peu plus que celle annoncée par Nicolas Sarkozy dans le cadre du nouveau Plan Cancer) notablement plus de vaccins anti grippaux qu’elle n’en utilisera. Et si l’on saisit toujours bien il n’y a là rien de grave puisque d’autres pays n’ont pas, dans ce domaine, pris leurs précautions. Acheteur aux trop grands yeux le gouvernement va se faire revendeur.
On imagine sans mal la somme des questions qui vont se poser. Le gouvernement va-t-il, comme l’étaient hier les fabricants, être ici en position de force et va-t-il faire monter les enchères ? Qui mènera les négociations et sur quelles bases marchandes ou éthiques ? Pourquoi, par exemple, ne pas offrir notre surplus vaccinal aux pays qui n’ont pas pu « prendre leurs précautions » faute d’en avoir les moyens ? Préfèrera-t-on au contraire vendre à ceux qui offriront le plus ce qui permettrait sinon, peut-être, de réaliser des bénéfices, du moins d’effacer l’impression désastreuse qui prévaut aujourd’hui : celle que le gouvernement a fort mal mené les négociations avec les firmes productrices ? Les détails des futures tractations seront-ils ou non rendus publics, ce qui offrirait le grand avantage de prévenir les critiques aujourd’hui formulées quant au caractère secret des premières négociations ?
Etonnant retournement de situation. A qui la France pourra-t-elle vendre ses surplus ? Aux Etats-Unis peut-être où des voix s’élèvent pour dénoncer la stratégie gouvernementale en la matière. Comme, rapporte l’AFP, celle de Nicole Kunka, une responsable travaillant pour la sous-commission du Travail et de la Santé de la Chambre des représentants. Elle estime que le gouvernement a « lamentablement échoué » dans son objectif de production de vaccins contre le H1N1pdm. «Les premières estimations du gouvernement étaient que 160 millions de doses seraient disponibles pour octobre or le 29 octobre, 24,8 millions de doses
étaient disponibles » souligne-t-elle. Elle cite aussi des statistiques du département américain de la Santé indiquant que « des doses pour couvrir l’ensemble des groupes prioritaires dans la population ne devraient pas être disponibles en nombre suffisant avant janvier 2010 ». Aux antipodes de la situation française la pénurie de vaccins fait qu’aux Etats-Unis de longues files d’attente se forment à l’extérieur des cliniques et des centres où le vaccin est administré. De nombreuses personnes considérées comme les plus exposées au risque infectieux (les enfants et les femmes enceintes notamment) ne peuvent bénéficier de l’immunisation protectrice alors que, sur les conseils des autorités sanitaires, elles la réclament.
La France sera peut-être aussi amenée à vendre ses surplus au Nigeria qui vient d’annoncer son premier cas officiel de grippe pandémique : une fillette américaine de 9 ans résidant à Lagos. Rappelons qu’avec 140 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent africain. Sera-t-elle un jour contactée par le Belarus (qui vient d’enregistrer ses sept premiers cas mortels) dont le président Alexander Loukachenko vient de dire que la pandémie était une « provocation des sociétés pharmaceutiques » ? « C’est une provocation ordinaire des sociétés pharmaceutiques et le souhait de gagner de l’argent sur le malheur humain » a-t-il déclaré le 4 novembre en arrivant en Ukraine, pays confrontée depuis peu à une forte vague épidémique. Selon l’agence Interfax, interrogé sur le fait de savoir s’il n’avait pas peur de se rendre pour deux jours dans ce pays il a répondu : « De quoi dois-je avoir peur? Il faut se calmer et vivre ».
Jean-Yves Nau
« Vous chantiez ? J’en suis fort aise …. »
Le gouvernement semble avoir pris la (sage) décision de ne retenir qu’une seule dose dans le schéma vaccinal des adultes. Même si le discours officiel reste mesuré. En effet, certains experts européens semblent encore s’arc-bouter sur le schéma à deux doses initialement envisagé pour le vaccin contre le virus H5N1, celui de la grippe aviaire. Après la publication des résultats concordants provenant de nombreux essais vaccinaux, après les positions claires de l’OMS sur ce sujet et l’attitude de la FDA nord-américaine, le consensus se dessine avec peine : avec la souche N1N1pdm il faut adopter un schéma à une dose.
La raison finira par l’emporter, comme on l’on apprend ce jour, en filigrane de ces déclarations de la ministre de la Santé. Diriger c’est prévoir aurait-on rappelé à la ministre si elle n’avait commandé des vaccins que pour la moitié de la population française en pariant dès le mois de juin 2009 (à l’heure des prises de commandes) pour un schéma à une dose. S’est-elle trompée ? Les experts qui la conseillent ont-ils mal prévu ? Les affreux lobbys industriels étaient-ils derrière l’épaule ministérielle ? Ou si l’on est plus paisible, dame Nature (pour paraphraser l’un de nos fidèles lecteur-blogueur), a-t-elle su se montrer coopérante en offrant une forte réaction immunitaire des vaccinés dès la première injection ?
En toute hypothèse nous savons que nous devrons faire avec des surplus massifs. Et ce même si l’opinion se retournait en faveur de la vaccination, même si la vague épidémique prenait de l’ampleur et qu’apparaissait une demande massive de protection. A l’évidence la question du re-routage des doses se pose. Faut-il les donner aux pays pauvres qui en ont tant besoin et n’ont pas les moyens de les acquérir ? On a annoncé il y a plusieurs semaines qu’on le ferait un peu. L’OMS a annoncé que l’on offrirait, comme d’autres pays développés, 10% de nos stocks aux pays en développement.
Faut-il aller plus loin ? Le feraient-ils pour l’ensemble du surplus que l’on accuserait vite nos dirigeants (après leur avoir reproché leur imprévoyance) de dilapider les deniers publics. Faut-il donner ces vaccins en trop à nos amis européens ou américains qui n’en ont pas assez ? Il n’y aurait même plus la logique humanitaire pour sous-tendre une telle décision. Faut-il les vendre à ces riches cigales, pour une fois que la fourmi est bien française ? Roselyne Bachelot ne peut quand même pas répondre à ses collègues du G20 : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise : Eh bien ! Dansez maintenant ». La décision à prendre est clairement politique, elle ne relève pas de l’expertise. La ministre est pleinement dans son rôle en soulevant publiquement la question qu’elle devra trancher. La démocratie sanitaire, en l’absence d’urgence, exige un débat. En Suisse, on organiserait une votation. En France, n’est-ce pas le rôle du Parlement ?
Antoine Flahault
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