H1N1pdm : Veillées d’armes à Paris et Genève

Veillées d’armes à Paris et Genève

Cette pandémie grippale n’a pas échappé à une règle non écrite : celle qui veut que les grands phénomènes renvoient à l’usage itératif de métaphores guerrières. Filant ces dernières on pourrait aujourd’hui évoquer le concept de veillées d’armes.

Acte I. Paris tout d’abord. En deux points hautement stratégiques de la capitale on se prépare à enquêter ; ce qui, en démocratie, peut parfois se traduire par en découdre. Au Sénat tout d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite. Dans chacun de ces deux palais de la République française une commission d’enquête va bientôt être constituée qui vont passer à la question les responsables de la campagne nationale de vaccination contre le H1N1pdm.

Une fois n’est pas coutume, depuis les splendeurs aujourd’hui givrées du jardin du Luxembourg ce sont les sénateurs qui ont les premiers ouvert le feu. Ainsi, sur proposition du groupe communiste et parti de gauche, le Sénat a donc décidé, jeudi, la création d’une commission d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A(H1N1) ». Les adversaires (pour ne pas parler des deux coupables) sont d’ores et déjà bien ciblés. Avant même l’ouverture des hostilités le Dr François Autain, rapporteur de cette commission dénonce « une surévaluation des risques et une dramatisation ». Il entend dès lors  concentrer ses feux sur « le fait que ceux qui conseillent les laboratoires sont souvent ceux qui conseillent les gouvernements ». Airs de fifre connus. « Nos travaux, menace-t-il, devraient donc porter essentiellement sur ces liens incestueux qui expliquent la situation dans laquelle nous sommes : la France a le plus grand gap entre le taux de vaccinés (7 % de la population) et le nombre des doses commandées (94 millions) ». La désignation des membres de cette commission sénatoriale devrait être votée en séance le mercredi 17 février.

Quelques hectomètres en aval de la rive gauche de la Seine, à l’Assemblée nationale, c’est un autre médecin élu (le Dr Jean-Luc Préel ; Nouveau Centre) qui est « rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur « la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne contre la grippe A(H1N1) ». » Ici la focale est élargie. Le Dr Préel : « il convient de s’interroger sur les méthodes qui ont conduit à un échec, avec seulement 5 700 000 Français vaccinés ». Ce vice-président de la commission des Affaires sociales souhaite « mettre l’accent sur la mise à l’écart des généralistes, au profit de dispositifs collectifs, ainsi que sur les modalités des réquisitions dont ils ont fait l’objet ». Le vote en séance pour la mise en place de la commission est fixé au 24 février auditionnera pendant six mois les principaux responsables du plan de vaccination, ainsi que les experts et les dirigeants de l’OMS.

Ce Blog, autant que faire ce peut, se fera au plus vite et au plus juste le fidèle écho de ces enquêtes et des affrontements sans précédents auxquels elles devraient donner lieu.  

Acte II. Genève ensuite, où à l’inverse il semble que l’on prépare l’armistice. La direction générale de l’OMS vient de faire savoir urbi et orbi qu’elle allait sous peu réunir un conclave baptisé  « comité d’urgence ». Objectif : demander aux devins dénommés experts si la vague maligne est bien sur le recul. Ou, pour parler comme le Dr Keiji Fukuda, responsable des  pandémies de grippe sur les rives du Lac Léman, si « le pic de la pandémie grippale H1N1 est passé ».

« L’OMS va demander à son comité d’urgence de se réunir à la fin du mois pour fournir à l’OMS un avis sur le fait de savoir si nous entrons dans une période d’après pic, a tenu à déclarer le Dr Fukuda lors d’une téléconférence comme toujours planétaire. Nous espérons que nous entrons dans cette phase, qui signifie que le pire est passé et que l’on se dirige progressivement vers une situation plus comparable à celle de la grippe saisonnière.» Le faux calme habituel après une tempête mois grave qu’annoncée ?

La réunion du conclave annonçant la fin des hostilités (comme toujours composé d’experts-prélats chargés de fournir des recommandations à l’OMS)  pourrait se tenir « dans la dernière semaine du mois de février » ; à la veille des Ides de mars. Attention : le Dr Fukuda a prévenu le monde que cette phase de « transition » ne signifiait pas pour autant que la pandémie  était terminée. Car si l’activité du H1N1pdm  est depuis quelques semaines en déclin dans l’hémisphère Nord les sentinelles de l’OMS a constaté son apparition dans des régions où il n’était pas présent jusqu’alors, et notamment en Afrique de l’Ouest et tout particulièrement au Sénégal. Alors, armistice ou pas ?

Acte III. Depuis Washington l’agence de presse Reuters nous mande la dépêche suivante : « La grippe A (H1N1) a peut-être tué 17.000 personnes aux Etats-Unis, dont 1.800 enfants, viennent d’annoncer les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Les CDC et l’OMS ont cessé, il y a de cela plusieurs mois, d’essayer de compter tous les cas effectifs.  L’OMS et le CDC estiment qu’il n’y a pas assez de tests à administrer pour vérifier que toutes les personnes souffrant de symptômes liés à la grippe  A souffraient bien de la maladie. C’est pourquoi les CDC effectuent leurs propres estimations à
partir de modèles recoupant plusieurs sources d’information. La pandémie a conduit à l’hôpital autant de personnes que durant la période de grippe saisonnière, mais la plupart étaient plus jeunes. En outre, cela a eu lieu lors de mois où il n’y a en principe pas de grippe.
Les CDC estiment entre 41 et 84 millions le nombre de cas de grippe H1N1pdm survenus aux Etats-Unis entre avril 2009 et le 16 janvier 2010. Durant cette période, entre 8.330 et 17.160 personnes sont mortes des suites de cette infection virale ; la fourchette moyenne  étant à 12.000.  Entre 880 et 1.800 enfants sont décédés, jusqu’à 13.000 adultes de moins de 65 ans et entre 1.000 et 2.000 personnes
plus âgées. En temps normal, les CDC estiment que 36.000 Américains meurent chaque année des suites de la grippe dont 90% ont plus de 65 ans. »

Jean-Yves Nau

USA, crash de 30 jumbos remplis de grippés : aucun survivant.

Avec les enquêtes en gestation, les questions de conflits d’intérêts devraient bientôt être mises à plat. Et ce sera probablement utile. Un conflit d’intérêt pose un sérieux problème lorsqu’il n’est pas dévoilé par l’expert dès lors qu’une institution légitimée pour le faire le lui demande. Ensuite, d’autres types de questions se posent, qui  ne sont bien souvent plus véritablement  du ressort de l’expert. Quand doit-on demander à un expert ses conflits d’intérêt (en dehors des cénacles habituels) ? Lors d’une interview radiophonique ou télévisée ? Pour un « journal papier » ou   sur un blog? Qui est légitime pour demander les conflits d’intérêt de l’autre ? Nous sommes régulièrement harangués à ce sujet par des blogueurs souvent anonymes qui n’envisagent pas un instant – eux – de déclarer s’ils  ont – ou pas- de tels conflits !

Que fait-on des déclarations de conflits d’intérêts ? A partir de quel moment, juge-t-on qu’elles disqualifient les propos de l’expert ? Où va-t-on dans la déclaration de ses conflits d’intérêts : jusqu’aux liens familiaux ? Et qu’appelle-t-on « la famille », jusqu’où peut-on aller sans violer la vie privée des personnes ? Et puis, se posent des questions plus philosophiques (d’aucuns prétendront qu’elles sont posées pour détourner l’attention vis-à-vis de l’essentiel) : les conflits d’intérêts ne sont-ils que des conflits mettant en jeu des rapports d’argent qu’entretient l’expert ? Qu’en est-il des rapports concernant le sexe, le pouvoir, l’honneur ? Nous ne vivons pas dans un monde aussi simpliste qu’on voudrait parfois le croire.

Les décomptes des conséquences des infections par le H1N1pdm commencent à se consolider. On apprend que la « grippette » de certains a causé plus de morts que ceux initialement rapportés. Cela fera-t-il un deuxième scandale après celui de la « pandémie inventée » ? Irons-nous vers le procès de la veille sanitaire, après celui de l’expertise sanitaire ? Ce n’est pas sûr, car le taquet qui protège d’un tel scandale est fourni par les prévisions dites « alarmistes » des experts, c’est-à-dire le plus souvent par les chiffres de la mortalité saisonnière de grippe. Tant que la mortalité par grippe H1N1pdm ne dépassera pas quantitativement celle atteinte par la grippe saisonnière de moyenne virulence , le profane se dira qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Même 17 000 morts « pandémiques » en comparaison des 36 000 morts « saisonnières » (en moyenne)  aux USA ne feront pas pleurer dans les chaumières. Et ce, alors même que l’analyse est rapide, encore peu étayée.

Outre-Atlantique nous avons en effet d’une part cette moyenne saisonnière de 36 000 décès attribués à la grippe et survenus pour l’immense majorité d’entre eux chez des personnes très âgées, le plus souvent très malades de surcroît. Ces décès sont même rarement identifiés par les médecins comme étant dus à la grippe : ce sont des « morts en excès » statistiquement identifiés sur les courbes de mortalité, mais jamais identifiés individuellement. Ces personnes  sont décédées en pleine vague de grippe sans que l’on sache très bien d’ailleurs le lien de cause à effet entre la grippe et la mort ; sans que l’on sache même si ces personnes avaient seulement été infectées avant leur décès par le virus de la grippe saisonnière.

Et nous avons d’autre part  entre 8 000 et 17 000 morts prématurées attribuées au H1N1pdm, survenues dans l’immense majorité chez des moins de 60 ans, dans une proportion non négligeable chez des jeunes en bonne santé, parfois chez des personnes dont on sait qu’elles souffraient d’un diabète ou d’un asthme (des maladies rarement mortelle en cas de grippe). Il s’agissait aussi parfois de femmes enceintes. Nous savons en outre  qu’il y a eu par centaine de milliers (aux USA) des hospitalisations lors de cette épidémie, dans des tranches d’âge jamais observées auparavant avec une telle fréquence. Des hospitalisations souvent dans des services réanimation, parfois dans des conditions acrobatiques, avec un traitement complexe (autant que coûteux) par ECMO (machine permettant l’oxygénation de l’organisme par membrane extracorporelle).

Alors quelle est la vraie question aujourd’hui ?  Probablement pas celle de savoir si « le » pic est derrière nous : oui, clairement, « un » pic est derrière nous. Plutôt celle de savoir ce que nous réservera le H1N1pdm durant les prochains hivers. Seront-ils à l’image de celui que nous venons de connaître ?  Une fois les polémiques dépassées, ne finirons-nous pas par  trouver ces hivers  un peu longs… sans vaccin ? Une dernière question : combien d’équivalents de jumbo-jets ayant fait le plein de passagers faudra-t-il  voir s’écraser sous nos yeux (en fin d’hiver) pour enfin se décider à réagir, à faire en sorte que plus de 9% de la population demande à (et puisse) être vaccinée pour éviter des milliers de morts prématurées ?

Antoine Flahault

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Continuer, coûte que coûte, à vacciner ?

Entre 20 et 30% de Français seraient déjà, « naturellement » ou pas, protégés

Après la transe, la pause ? La grippe pandémique ne fait plus beaucoup parler ; du moins dans cet espace à géométrie variable généralement qualifié, faute de mieux, de « médiatique ». Pour autant la machinerie institutionnelle et sanitaire est lancée que rien ne saurait brutalement arrêter. Ainsi en est-il de la vaccination. On le sait : les désormais fameux « centres dédiés », ces gymnases transformés durant quelques mois en dispensaires, ont retrouvé leurs sportifs en herbe. Mais on sait aussi que leurs portes fermaient quand les médecins généralistes et les pédiatres exerçant dans le secteur libéral avaient retrouvé toute latitude pour immuniser. En ce début du mois de février doivent-ils le proposer ? A qui et sur quelles bases rationnelles ? Les médias devenus silencieux à quels saints les praticiens doivent-ils désormais se vouer ?

En France, depuis le début de l’épidémie, 1 266 cas graves et 275 décès liés à la grippe ont été signalés. Parmi eux, 257 cas graves (20 %) et

42 décès (15 %) sont survenus chez des personnes n’ayant pas de facteur de risque. Ajoutons à ce constat quelques éléments officiels de réponse avec la précieuse aide du « Haut Conseil de la santé publique » (HCSP) qui vient d’émettre un avis « relatif à la pertinence de la poursuite à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) 2009 (daté du 29 janvier 2010) ; avis qui, pour peu que l’on s’intéresse à lui, « doit être diffusé dans sa totalité, sans ajout ni modification » ; ce que les progrès de la toile numérisée autorisent désormais sans difficulté   http://www.hcsp.fr/docspdf/avisrapports/hcspa20100129_pertH1N1.pdf

Cette vénérable institution avait été saisie le 6 janvier par le Pr Didier Houssin, Directeur général de la santé afin qu’elle donne un avis « sur la continuation de la campagne de vaccination pandémique en cours, et ce dans l’état actuel de la situation épidémiologique liée au virus grippal pandémique et de l’avancement de la campagne ». On peut l’écrire autrement : poursuit-on l’ouvrage collectif ou arrêtons-nous les frais ? Et comment se préparer au mieux pour la prochaine campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2010/2011 avec le A(H1N1)pdm  dans notre nouveau paysage épidémiologique ?

C’est peut dire que le HCSP joue, ici,  la prudence. Extraits :

« L’évolution de l’épidémie présente un caractère incertain. Les données épidémiologiques actuelles sont en faveur de la fin de la vague épidémique de grippe à virus A(H1N1)v. Toutefois, le virus continue à circuler et il est très probable que cette circulation perdure dans les

semaines à venir. L’hypothèse de la survenue prochaine d’une ou de plusieurs autres vagues pandémiques semble peu probable. En revanche, la possibilité d’une saison grippale 2010-2011 durant laquelle cette souche prédominerait est plus que vraisemblable. »

« L’épidémiologie de la grippe A(H1N1)2009 varie selon les pays avec, dans certains pays, une seule vague l’hiver et dans d’autres, comme le Mexique ou certaines parties des Etats-Unis, deux ou trois vagues successives d’intensité différente. Il n’existe pas de variations génétiques ou antigéniques significatives identifiées à ce jour chez les souches de virus A(H1N1)v analysées. »

Et le HCSP de rappeler quelques faits qui peuvent faire politiquement mal :

« L’objectif principal de la vaccination pandémique débutée à l’automne 2009 était la réduction du risque de formes graves et de décès. La maîtrise de la dynamique épidémique était également souhaitée mais s’est avérée hypothétique du fait de la mise à disposition tardive des vaccins pandémiques. Le bilan de la campagne de vaccination pandémique montre l’insuffisance de la couverture vaccinale obtenue : 5,74 millions de sujets, soit 9 % de la population française, ont été vaccinés à la date du 18 janvier 20102 [données du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises]. »

Il ajoute :

« Il est difficile de déterminer le nombre de personnes ayant une immunité protectrice  car il s’agit aussi bien des personnes protégées par le vaccin ou par l’infection, y compris celles ayant présenté une forme clinique asymptomatique, que les sujets ayant bénéficié d’une pré-immunité. Les estimations produites par l’InVS sont en faveur d’une proportion de la population immunisée contre le virus A(H1N1) par une infection ou une vaccination récente qui se situerait, début janvier 2010, entre 19 % et 30 %, soit 12 à 18 millions de sujets. Ces valeurs sont proches de la proportion de la population qui devrait être immune pour interrompre la circulation virale (…) Ces résultats ne sont pas en faveur, sous l’hypothèse de la stabilité génétique du virus, de la survenue d’une vague épidémique de grande ampleur. »

On peut le dire autrement : la campagne de vaccination associée à la somme des contaminations virales visibles ou invisibles fait que la population française de l’Hexagone ne doit pas redouter de nouvelles attaques massives pandémiques.

Et au final, cette recommandation du HCSP au gouvernement français :

« (…) poursuivre la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1)2009 pour : les personnes estimées à risque de complications lors d’infection par le virus A(H1N1)v, quel que soit leur âge ; les personnels de santé et médico-sociaux les plus exposés au risque d’infection grippale et amenés à avoir des contacts fréquents et étroits avec des personnes grippées ou estimées à risque de complications. »

En ce qui concerne les personnes sans facteur de risque, le HCSP rappelle enfin (mais comment pourrait-il faire autrement ?) « que toute personne qui le souhaite doit pouvoir être vaccinée ».

Au total, donc, un avis architecturé, prudent autant que mesuré, a priori débarrassé de toute forme de conflit d’intérêts : en substance on peut raisonnablement réduire la voilure vaccinale. Or voici que nanti de cette réponse le Pr Didier Houssin vient de déclarer « Quotidien du médecin » que le gouvernement français ne modifierait nullement sa communication et continuera à exhorter les médecins à poursuivre la vaccination de la population générale. Comment comprendre ? « C’est parce que nous enregistrons un taux élevé de cas graves et de décès chez des personnes dépourvues de facteurs de risque que la question de réviser notre stratégie vaccinale ne nous semble pas aujourd’hui posée, alors que les données de pharmacovigilance confirment la très bonne tolérance des vaccins et que nous disposons des vaccins en nombre suffisant » explique le Pr Didier Houssin.  Pour lui « la modification de la communication officielle sur la vaccination est d’autant moins opportune que nous sommes en présence d’un virus qui, sans avoir subi de mutations génétiques ou antigéniques à ce jour, suscite des évolutions épidémiques un peu erratiques. Le Haut Conseil n’en disconvient pas, qui constate que le virus continue à circuler et qu’il est très probable que cette circulation perdure dans les semaines à venir. »

Quelle meilleure conduite à tenir pour les médecins libéraux  en charge de la vaccination ?  Le Pr Houssin distingue deux cas : « Les patients qui demandent à être vaccinés et qui, naturellement, doivent l’être, et ceux qui demandent conseil à leur praticien, qui doivent recevoir une réponse favorable à la vaccination. » Perfide ou pas Le Quotidien du médecin précise qu’au cabinet de Roselyne Bachelot, ministre de la santé, la question d’une suite officielle à donner à l’avis du HCSP, dix jours après sa publication est toujours à l’étude. Un premier symptôme d’un début de vacance ministérielle ?

Jean-Yves Nau

Un vaccin anti grippal aussi légitime que celui contre la méningite

Il est sans doute quelque peu difficile de faire des recommandations vaccinales pour une maladie dont on cerne mal encore le potentiel épidémique à venir. Certains éléments apparaissent néanmoins clairement aujourd’hui : le H1N1pdm s’est conduit comme les virus H1N1 saisonniers concernant la distribution d’âge des taux d’attaque. En clair, le profil d’âge des personnes qui ont été infectées par le virus H1N1pdm a été le même que celui de la grippe saisonnière H1N1.

Ce virus s’est montré en revanche, très différent de celui du H3N2 saisonnier qui attaquait surtout les personnes âgées (et les faisait mourir, mais très indirectement, essentiellement par décompensation de maladies graves pré existantes). Le H1N1pdm s’est attaqué aux jeunes, notamment aux très jeunes (de moins de deux ans), et très peu aux plus de 60 ans. Son agressivité directe (mesurée par la mortalité au décours d’une hospitalisation, Louie JK et coll, Jama, nov. 2009, résumé en anglais en ligne) s’est avérée supérieure chez les adultes jeunes et les personnes âgées par rapport aux enfants (et de même ordre de grandeur chez les personnes âgées et chez les adultes plus jeunes, contrairement à une idée reçue).

L’agressivité directe du H1N1pdm a été d’une extraordinaire intensité cet hiver, on l’a rappelé à plusieurs reprises, de l’ordre de cent fois celle attendue avec les souches saisonnières. Le rapprochement de l’épidémiologie de H1N1pdm avec les souches de méningocoques est de ce fait pleinement licite, notamment pour éclairer les décisions en matière de politique vaccinale. Le portage du méningocoque est sinon ubiquitaire, du moins largement répandu dans la population, le plus souvent selon l’expression clinique d’un portage asymptomatique ou pauci-symptomatique. Dans de rares cas cependant, sans d’ailleurs que l’on sache très bien pourquoi, la bactérie devient hautement invasive, entraîne une pneumonie grave ou un purpura fulminans, forme fortement létale de méningite.

On a dénombré 36 décès dus au méningocoque en 2002 en France. Le virus de la grippe H1N1pdm a tué 275 personnes de façon directe, en dehors des décompensations de maladies pré-existantes dont on ne connaît pas encore le chiffre aujourd’hui, mais qui pourrait être très inférieur à celui provoqué lors d’épidémies saisonnières H3N2, ce que l’on ne savait pas anticiper en juin, ni même en septembre 2009 ; et ce quoi qu’en pensent certains blogueurs qui continuent à croire sur notre site qu’on a sciemment voulu occulter une réalité que l’on aurait pu appréhender. Faut-il ici redire que nul ne savait ce que la mortalité indirecte allait provoquer jusqu’à ce que les premières estimations de cette mortalité indirecte soit transmises par les USA ou l’hémisphère sud, c’est-à-dire très tardivement ? Si cette incompréhension ou suspicion demeure, il nous faudra refaire un point à ce propos.

Le portage H1N1pdm était massivement asymptomatique dans la population. Même si la proportion exacte de ce portage n’est pas encore connue, les recherches actuellement en cours que nous conduisons sur des échantillons représentatifs de la population permettront de mieux l’évaluer. Le HCSP évalue avec l’InVS entre 19 et 30% (entre 12 et 18 millions) le nombre des infections H1N1pdm qui seraient survenues depuis le démarrage de la pandémie en France.

Que se passera-t-il l’hiver prochain ? Nul ne le sait. Une nouvelle épidémie H1N1pdm ? Possible. L’émergence d’une souche saisonnière H1N1 issue de H1N1pdm de 2009 ? Possible aussi, et très probable à terme, c’est-à-dire dès 2010-2011 ou sinon après. Le retour aux vieilles souches saisonnières H3N2 et/ou H1N1 ? Possible, mais peu probable, en raison de l’expérience apprise des pandémies passées.

Quelle différence entre les trois scénarios ? Le premier (H1N1pdm sans mutation) devrait se traduire par une épidémiologie amortie par l’immunité grégaire, acquise par la population tant par la vaccination (9%) que par l’infection naturelle (19 à 30% ?). Amortie mais probablement pas totalement gommée. Le deuxième scénario pourrait se traduire par une vague saisonnière d’amplitude habituelle, mais aux caractéristiques H1N1, c’est-à-dire attaquant davantage les jeunes que les personnes âgées, avec donc une mortalité indirecte restant faible. Le troisième scénario serait celui d’un retour à l’épidémiologie de la grippe saisonnière telle qu’on la connaissait avant la pandémie d’origine nord-américaine de 2009.

Si l’on table sur les deux premiers scénarios, le bien fondé de la vaccination pandémique est donc plus que légitime. Au moins avec la même légitimité que la vaccination contre la méningite à méningocoque. Eviter autant que possible la mortalité directe sera alors l’objectif affiché de lutte contre cette souche H1N1 pandémique ou dérivée (par légère mutation). Le vaccin « adjuvanté » devrait être efficace dans les deux cas, et l’on sait aujourd’hui sa bonne tolérance dans les populations qui l’ont reçu. Les personnes déjà vaccinées (ou naturellement contaminées durant l’hiver, mais comment le sauront-elles, en l’absence de tests sérologiques disponibles en routine ?) n’auront pas besoin de l’être à nouveau :  selon toute vraisemblance l’immunité conférée par la primo-vaccination/ primo-infection sera durable pendant plusieurs années contre la même souche, voire contre une souche légèrement mutée.

Le coût économique sera des plus modestes puisque le vaccin existe déjà et que les stocks permettent la vaccination en France. La restriction aux groupes à risques ? Mais quels groupes à risques : les diabétiques, les asthmatiques et les femmes enceintes ? Oui, certainement. Et ensuite : que fait-on des 42 décès sans facteurs de risque connus ? On les néglige, les accidents de la circulation automobile, les suicides et les cancers du poumon étant prioritaires ? Mais pourquoi accepterait-on ces 42 décès évitables chez des jeunes adultes en bonne santé alors que l’on cherche à contrer les 36 de la méningite cérébrospinale ? Parce que la grippe s’appelle grippe ? Parce qu’elle n’est pas grave dans l’inconscient collectif alors que la méningite a un nom qui à lui seul fait trembler ?

Non, Didier Houssin a raison de mon point de vue : le vaccin doit rester proposé à tous ceux, jeunes ou moins jeunes qui le souhaitent aujourd’hui. Il n’y a aucun intérêt en jeu dans l’affaire, puisqu’ils existent et sont déjà stockés. 1266 cas graves hospitalisés en réanimation pour une infection grippale en 2009, c’était du jamais vu en France lors d’un hiver normal. Certains veulent polémiquer aujourd’hui, c’est leur problème, qu’ils le fassent. D’autres ont aussi le droit de vouloir tout faire avec les moyens dont le pays dispose (et qui sont à disposition aujourd’hui), et sans en nécessiter de moyens supplémentaires, pour tenter d’augmenter la couverture vaccinale contre le H1N1pdm. Tenter ce n’est pas obliger. Tenter c’est vouloir convaincre.

Antoine Flahault

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H1N1pdm : le « sang-froid » de Nicolas Sarkozy

C’est curieusement la première fois que le président de la République française, friand de tous les sujets de société, aborde ouvertement et clairement la question pandémique. Et il l’a curieusement fait le 27 novembre depuis Port-of-Spain (Trinidad-et-Tobago) en marge du sommet du Commonwealth auquel il participait. Nicolas Sarkozy a ainsi expliqué que face à la demande vaccinale croissante dans l’Hexagone les autorités allaient  ouvrir un plus grand nombre de centres et élargir les plages d’ouverture de ces derniers, notamment le mercredi et le samedi.

Bien évidemment le message présidentiel ne se bornait pas au nombre des centres vaccinaux et à leurs jours d’ouverture. Face à la rapide évolution épidémiologique, à l’augmentation du nombre des morts, à l’émergence de mutations virales Nicolas Sarkozy a jugé que le moment était venu de souligner l’importance du phénomène et la justesse de l’action des pouvoirs publics. Mais il a aussi sifflé un rappel à l’ordre à l’adresse des responsables gouvernementaux et des acteurs des médias pour, autant que faire se peut, ajuster les discours à la réalité ; obtenir dans ce domaine un peu plus  de cohérence ou un peu moins d’incohérence.

Il faut « prendre au sérieux cette épidémie de grippe » a déclaré M. Sarkozy  ajoutant : « Si nous avons acheté des millions de vaccins, c’est parce que nous avons anticipé ce problème qui concerne d’ailleurs le monde entier (…) Dans les journaux, il y avait des sondages disant ‘’les Français ne croient pas à la grippe et ne veulent pas se faire vacciner’’. Trois jours après, il y a la queue dans les centres de vaccination ». Pour le président de la République « gouvernement comme médias, on doit garder notre sang-froid, faire en sorte de ne pas sur-réagir en permanence en disant un jour blanc, l’autre noir ».

Comment interpréter un tel message ? Faut-il voir là une critique à peine voilée de l’action gouvernementale en général et de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé (omniprésente dans tous les médias ou presque) qui n’aurait pas toujours su  garder son « sang-froid » ? Et que signifie précisément « sur-réagir » en permanence quand on mesure mal, faute de références stables, la portée de chaque nouvelle information en provenance du front pandémique ? La France, ou plus précisément le gouvernement et les médias, ont-ils été péché par sur-réaction en commentant, comme ils l’ont fait, l’émergence des souches virales mutantes et mortelles et ce au moment même où le président de la République s’exprimait depuis Port-of-Spain ?

Nous avons vu, depuis la fin avril, à quel point les autorités sanitaires (et tout particulièrement la direction générale de l’OMS) ont pu apparaître hésitantes, souffler le chaud, souffler le froid, prendre peur avant de vouloir rassurer. Nous avons vu aussi (et comme l’a plusieurs fois souligné Antoine Flahault c’est un heureux symptôme démocratique) des experts plus ou moins autoproclamés formuler des analyses radicalement différentes. Comment dans un tel contexte les « médias » auraient-ils pu tenir un discours qui ne soit pas mouvant ? Et comment, dans un tel contexte, la blogosphère aurait-elle pu ne pas amplifier à l’infini une formidable somme de rumeurs ?

Le sujet qui cristallise tous ces phénomènes est bien évidemment le vaccin avec ce renversement de tendance assez surprenant dans l’Hexagone concernant la vaccination (750 000 personnes immunisées, dit-on, à ce jour). Certains y verront une nouvelle preuve du caractère décidemment bien versatile des Français. D’autres rappelleront qu’ils avaient annoncé que la bouderie initiale pourrait vite disparaître dès lors que la circulation du H1N1pdm irait s’intensifiant.
A Port-of-Spain les journalistes ne pouvaient manquer de lui poser la question traditionnelle, celle de savoir si lui-même s’était fait vacciner. Et  M. Sarkozy de laisser entendre qu’il allait le faire. « C’est difficile de dire aux gens ‘’Vous avez raison de vous faire vacciner’’ et ne pas se faire vacciner soi-même ». Ce serait, en effet difficile. Question connexe : le président de la République se fera-t-il, comme la ministre de la Santé, vacciner devant les caméras de télévision ? Et question finale : pour quelles raisons l’expression « se faire  piquer » a-t-elle progressivement depuis quelques semaines pris la place du verbe du classique « se faire vacciner » ? Réponses attendues.

Jean-Yves Nau

Trois scénarios pour cet hiver

Nous arrivons probablement dans la zone des turbulences attendues lorsque l’on dépasse un certain seuil d’une épidémie de grippe. Pendant les grippes saisonnières nous avions remarqué pratiquement chaque année (au sein du réseau Sentinelles de l’Inserm – en dehors donc de tout contexte médiatique et pandémique) un engorgement des hôpitaux, et une certaine tension sur le système de santé dès que l’on s’approchait du pic de l’épidémie ; soit  au moment où le nombre de nouveaux cas atteint des niveaux élevés dans l’ensemble du pays.

Il y a quelques années le ministre de la santé d’alors (Philippe Douste-Blazy) avait décidé de mettre en œuvre le « plan blanc » au niveau national. Il s’agit ici d’un dispositif permettant de libérer des lits dans les hôpitaux, de soulager les réanimations et les urgences de tout ce que l’on appelle « les hospitalisations programmées », celles que l’on peut remettre à plus tard le temps que la vague passe. En Italie ou au Royaume-Uni cette même tension était également perceptible et largement relayée dans les médias. Précisons que ces mini-crises sanitaires peuvent être  quelque peu instrumentalisées par les syndicats professionnels et/ou par les courants politiques d’opposition au pouvoir en place, tous  arguant que les coupures budgétaires dans les services publics ne permettent plus au système de santé de leurs pays de faire face aux épidémies saisonnières naguère encaissées sans souci.

Généralement tout rentrait dans l’ordre en une à deux semaines au grand maximum car, précisément, le pic arrivait et la décrue s’amorçait opportunément. La question qui se pose aujourd’hui, face à la pandémie (question pour laquelle on n’a pas encore de réponse) est de savoir si nous arrivons  au pic épidémique (ou au moins à « un  premier » pic épidémique), ou bien si l’incidence (le nombre de nouveaux cas de grippe) va continuer son ascension. Plusieurs scénarios se profilent, sans que l’on puisse formellement en privilégier un.

Il se pourrait (1er scénario) que tout rentre dans l’ordre rapidement, comme pour une épidémie saisonnière classique : bientôt le pic suivi de  la décrue. L’incidence (voir figure ci-dessous) n’est d’ailleurs pas exceptionnellement élevée à ce jour, mais le taux des hospitalisations est supérieur (1% des cas vus par les généralistes contre 0,3 à 0,4% durant les grippes saisonnières) ; cette situation majore certainement l’impact de la vague sur le système de soins. Mais les digues tiennent.

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Un 2ème scénario est aussi  possible : la courbe continue son ascension et la propagation géographique continue sa progression pendant plusieurs semaines encore (voir ci-dessous  les cartes du réseau Sentinelles pour les trois dernières semaines) ; la gravité de la maladie chez certains patients ne mollissant pas, voire même pouvant  être accrue par la circulation de souches mutantes qui seraient plus virulentes ou plus résistantes. Le système sanitaire serait alors sérieusement ébranlé, et c’est à ce scénario que les autorités de santé tentent de se préparer au mieux. Ce scénario n’est certes  pas, encore une fois, le plus probable, mais en l’absence de références, en l’absence d’un catalogue des pandémies passées bien fourni (comme on dispose d’un catalogue des cyclones aux Antilles par exemple), il est difficile de lui affecter une probabilité précise.

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Le 3ème scénario renvoie à une dynamique multimodale : la reprise après le déroulement du premier scénario d’une ou plusieurs nouvelles vagues épidémiques. L’hiver est encore devant nous, et la saison se prête fort  bien à une recrudescence de l’activité grippale dans les mois à venir. La figure montre l’état actuel de la courbe épidémique en référence aux saisons précédentes. Elle indique aussi que depuis que l’on surveille les épidémies de grippe via le réseau Sentinelles en France (novembre 1984), nous n’avons jamais vu deux vagues épidémiques au cours d’une même saison grippale (soit de novembre à mars). Cela ne signifie nullement que cette pandémie ne va pas faire de nouvelles vagues puisque nous ne savons rien encore du potentiel épidémique de cette souche de virus grippal. De plus nous ne comprenons pas clairement,  jusqu’à présent,  les conditions d’émergence d’une vague épidémique saisonnière ou pandémique. De ce fait quand bien même ce 3ème scénario ne s’est pas réalisé  depuis un quart de siècle  rien ne permet aujourd’hui de l’écarter. Cette hypothèse ne nous laissera pas tranquille encore pendant les longs  mois d’hiver où la vigilance sera de mise ; pour autant une dynamique étalée dans le temps sur plusieurs vagues aurait un avantage substantiel :permettre de mieux absorber le choc sur le système de santé et sur l’organisation sociale toute entière. La campagne de vaccination pourrait se poursuivre. Pour le dire autrement, les digues résisteraient mieux du fait  d’une montée des eaux modérée et répétée, toujours préférable à une vague unique et  scélérate.

C’est ainsi : entre ces trois scénarios, politiques, experts, et médias sont un peu contraints à des analyses « en yoyo », entre réassurance et appels à l’extrême vigilance.

Antoine Flahault

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