H1N1pdm : pas de rêve californien pour les seniors

La dynamique pandémique semble avoir depuis peu atteint un nouveau rythme de croisière. Pas un jour sans nouvelles informations certes ; mais cela est vrai depuis la fin avril. En revanche des informations qui ne cessent jour après jour d’entrer en étranges résonances. Le mercredi 4 novembre est de ce point de vue éclairant. A la différence de celles, délicieuses, de Guitry qui tenaient en un seul acte l’affaire ici en comporte deux.

Acte I. On en trouve, via la Toile,  la substantifique moelle sur le site du JAMA, l’organe de l’association médicale américaine (résumé en ligne en anglais). Le texte est signé d’un groupe de praticiens qui se sont passionnés pour l’impact de la pandémie dans l’Etat de Californie où cette même pandémie a émergé dès le mois d’avril. Le travail est issu de la surveillance sanitaire organisée en Californie auprès des personnes hospitalisées et/ou est mortes avec preuve biologique d’une infection par le virus H1N1pdm.

Résumons. Entre le 23 avril et le 11 août 2009 les services sanitaires californiens ont recenses 1088 cas d’hospitalisation ou de décès dus à la pandémie d’ores et déjà millésimée 2009. L’âge médian était de 27 ans (extrêmes allant de 1 à 92 ans) et 68% (741 cas sur 1088) présentaient des facteurs de risque pour des complications de la grippe saisonnière. Au total 21% (183 cas sur 884) des personnes hospitalisées n’avaient reçu aucun traitement antiviral. Dans l’ensemble la mortalité a été de 11% (118 cas sur 1088) et a été  la plus élevée (18% -20%) chez les personnes âgées de 50 ans ou plus. Les causes les plus courantes de décès ont été la pneumonie virale et le syndrome de détresse respiratoire aiguë. La période médiane entre le début des symptômes et le décès a été de 12 jours

En d’autres termes aucun  groupe d’âge ne semble plus à l’abri face aux risques d’hospitalisation. Contrairement à ce qu’avaient  tendance à montrer les premières statistiques nationales américaines récentes la mortalité dans les hôpitaux californiens a été plus élevée chez les personnes de 50 ans que chez les plus jeunes.
Or, des chiffres récents des Centres fédéraux de contrôle et de prévention
des maladies (CDC) portant sur 28 Etats américains montraient que 23,6% des décès
survenaient chez des moins de 25 ans, 65% dans le groupe des 25 à 64 ans et
seulement 11,6% chez les 65 ans et plus.

« A la différence de la perception la plus répandue concernant la grippe H1N1, les hospitalisations et les décès se produisent à tout âge » a tenu à souligner le
Dr Janice Louie, du ministère californien de la Santé, l’une des auteures de l’étude publiée par le Jama. La plupart des personnes hospitalisées avaient des problèmes de santé préexistants accroissant le danger de complications, en particulier l’obésité,
identifiée comme un facteur spécifique de risque de mortalité par la grippe H1N1
et qui selon elle mérite davantage de recherche. « Les données sur lesquelles cette étude est fondée sont similaires à celles que nous avons dans l’ensemble des Etats-Unis et dans le monde, a pour sa part réaffirmé  dans la foulée médiatique le Dr Thomas Frieden, directeur des CDC. Cela ne change pas nos recommandations de vaccination [avec priorité aux personnes de 6 mois à 24 ans et aux femmes enceintes] car la très grande majorité des personnes infectées par le virus H1N1 ont moins de 55 ans. » De bien beaux débats éthiques en perspectives outre-Atlantique (pourquoi laisser les personnes âgées au bord du chemin vaccinal ?)  sans parler de la problématique d’une vaccination prioritaire sur la base de Guantanamo (geôliers et détenus) qui fait grand bruit dans le pays.
Acte II. Nous sommes en France, et nous sommes toujours le 4 novembre 2009. Et le ministère de la santé de prendre, une improbable pénultième prise de parole. Résumons librement le message officiel : près de 6 millions de personnes (dont l’entourage des nourrissons de moins de 6 mois)  seront (devraient) dans un premier temps concernées par la campagne de vaccination contre la grippe H1N1pdm qui débutera le 12 novembre (au lendemain donc de l’anniversaire de l’armistice)  dans la population générale. L’élargissement de la campagne inclura à cette date la quasi-totalité des  personnels de santé, l’entourage familial des nourrissons de moins de 6 mois (qui eux-mêmes ne peuvent pas être vaccinés), les professionnels de la petite enfance et les sujets à risque de moins de 65 ans, Cette première liste de personnes qui seront invitées à se faire vacciner  n’inclut pas les femmes enceintes, pour lesquelles les autorités sanitaires préfèrent –comprenne qui pourra- attendre l’arrivée d’un vaccin sans adjuvant.

On sait que la  vaccination ne sera en aucun cas obligatoire et que le schéma vaccinal prévoit toujours à ce stade deux injections (à 3 semaines d’intervalle). Pour l’heure seul le vaccin Pandemrix de GlaxoSmithKline est aujourd’hui disponible avec quatre  millions de doses ont déjà été reçues et 2 millions de doses hebdomadaires  sont attendues à partir de la mi-novembre. Le vaccin de Novartis devrait arriver à partir du 15 novembre, en quantités plus limitées. Reste, en pratique, le faible écho jusqu’ici rencontré quant à la vaccination des personnels de santé des hôpitaux. On reconnaît ainsi  dans l’entourage de Roselyne Bachelot et dans un de ces jolis euphémismes sculpté dans la langue de bois que « le taux d’adhésion reste limité ». Entre 40.000 et 50.000 hospitaliers – sur un effectif de 800.000 personnes – se seraient fait vacciner en deux semaines, selon des estimations ministérielles. Au choix : un bide, un gros souci, un drame.

Et s’il fallait conclure en une forme d’amorce de troisième acte on ajouterait que la circulation A(H1N1)pdm continue à s’intensifier dans toutes les régions. Selon l’Institut de veille sanitaire (InVS)  39 personnes ont été hospitalisées en réanimation ou en soins intensifs la semaine dernière, dont quatre sont décédées.

(A suivre)

Jean-Yves Nau

Protégeons nos personnes âgées à risque en priorité

Le bilan californien publié dans le JAMA ne nous apporte pas de résultats très nouveaux, il précise cependant la distribution d’âge des formes sévères, hospitalisées de cette grippe H1N1pdm. Habituellement, durant les épidémies de grippe saisonnière, seules les personnes âgées étaient sujettes aux complications et susceptibles d’être hospitalisées. Ou quasiment seulement elles. Les plus jeunes étaient certes déjà les plus souvent atteints par les virus saisonniers, mais ils n’étaient gravement atteints que de manière exceptionnelle et n’en mourraient pour ainsi dire jamais. Le virus de la grippe H1N1pdm ne semble pas infecter davantage les jeunes que les virus de grippe H1N1 saisonniers. En revanche, les complications graves et les décès concernent désormais les jeunes ; les jeunes aussi.

L’interprétation trop rapide de la plupart des lecteurs (et de bon nombre d’experts, y compris ceux qui se sont penchés sur les recommandations vaccinales officielles, y compris ceux de l’OMS) était de croire que la grippe H1N1pdm ne serait sévère que chez les jeunes, ou même surtout chez les jeunes. Il fallait lire semble-t-il : « chez les jeunes aussi ». Y avait-il tant de raisons qu’une telle grippe épargne les personnes âgées, fragiles et malades par ailleurs ? Pourquoi un virus qui sait être particulièrement virulent chez les jeunes, passerait-il sans faire de victimes chez des personnes fragiles ou très âgées ?

On a rapporté que les personnes âgées étaient en partie immunisées, probablement par la circulation de virus semblables il y a 50 ou 60 ans. C’est possible en effet. Mais  les personnes âgées n’auraient-elles pas aussi été immunisées par des virus saisonniers un peu semblables qui ont circulé durant les années précédentes ? N’aurait-on pas pu servir ce discours de la protection naturelle des personnes âgées contre le H1N1pdm avec les virus de la grippe saisonnière ? Et pourtant, la plupart des décès durant la grippe saisonnière concerne les plus de 75 ans. Ce segment de la population qui doit présenter la plus grande proportion de personnes « immunisées » contre les souches circulantes reste, immuablement, celui qui paie le plus lourd tribut à la grippe saisonnière.

Soit on ne sait pas grand-chose du parallélisme entre l’immunité et la protection clinique effective. Soit la petite proportion (15-20 % malgré tout) de ceux qui ne sont pas immunisés avant l’épidémie est celle qui est le plus à risque.  Il n’en demeure pas moins que les personnes à haut risque restent bien les personnes âgées ; et ce même si on est loin de tout  comptabiliser aujourd’hui et alors qu’on ne voit que la partie émergée de l’iceberg de la mortalité (voir un billet précédent à ce propos). Le risque de décès, durant la grippe saisonnière est de l’ordre de 1 pour 1000, en grande partie chez les personnes très âgées. Pour cette grippe H1N1pdm, il faudra compter possiblement sur un risque analogue (ce n’est pas catastrophiste d’écrire cela quand même !), et en plus, sur une mortalité directe, inattendue de l’ordre de 1 pour 10 000 chez des jeunes que l’on ne s’attendait pas à voir dans les hôpitaux, dans les services de réanimation. On apprendra parfois qu’ils étaient en bonne santé auparavant et, plus souvent, qu’ils étaient atteints de maladies sous-jacentes ; mais des maladies qui, durant les grippes saisonnières, ne les prédisposaient pas à une complication fatale. Il faut donc – par précaution – protéger nos personnes âgées et ceux qui sont fragilisés par des maladies pré-existantes connues pour les mettre à risque de complications classiques de la grippe.

Antoine Flahault

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