Dans un interview à la revue scientifique britannique Nature, le 10 juin dernier, Marc Lipsitch, épidémiologiste de l’école de santé publique de Harvard, à Boston, déclarait que “les avis sur la pandémie de grippe promulgués par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avaient été totalement justifiés sur le plan scientifique, en cohérence avec l’état des connaissances du moment“. Il a comparé la gestion de la pandémie avec la gestion actuelle de la catastrophe écologique de la plateforme pétrolière de Deepwater Horizon. Lipsitch a même dénoncé “l’ironie cruelle du constat pour la seconde fois en moins de cinq ans, des résultats dramatiques du choix du meilleur scénario dans le Golfe du Mexique, alors que l’on reproche à l’OMS d’avoir annoncé le risque d’une pandémie sévère et d’avoir planifié à l’avance les mesures pour en contrer les effets. C’était bien ce que l’on attendait d’une agence de santé publique, et même c’était la seule attitude qu’on leur demandait de prendre en la circonstance.”
Les Français ont voulu inscrire le principe de précaution dans leur constitution. Lorsque leur gouvernement s’est chargé de le mettre en oeuvre, au moment où l’on annonçait une tempête épidémique à l’échelle mondiale, on le lui reproche tout autant que dans les pays où ce principe n’est ni constitutionnel, ni seulement un guide pour l’action. L’application de ce principe semble aujourd’hui contestée, alors que les progrès industriels s’accélèrent à un rythme inégalé dans l’histoire de l’humanité et que l’ échelle de production de bon nombre de produits et services devient planétaire (énergie, aliments, médicaments, automobiles, aéronautique…). Nos sociétés fortement interconnectées, sont devenues plus vulnérables que jamais, mais peuvent aussi se mobiliser pour détecter précocement, prévenir et contrôler de nouveaux risques à l’ampleur et aux conséquences souvent inconnues. Les dernières crises sont autant d’alertes qui justifient le bien fondé de l’intuition précautionneuse du droit constitutionnel français et l’inspiration européenne en la matière. Cela ne fait certes pas plaisir à de nombreux secteurs de l’industrie, car les contraintes ne font jamais plaisir à ceux qui doivent les subir. Il faut sans doute parfois savoir raison garder. Et ce d’autant que la compétition mondiale fait rage et ne fait pas de cadeaux. Mais la nature non plus, lorsqu’elle reprend ses droits. Fallait-il attendre que des avions chutent pour fermer le trafic européen au moment du volcan islandais ? Fallait-il accepter la production de brut toujours plus loin dans les océans, sans les garanties préalables de savoir quoi faire en cas de fuite (prévisibles mais si peu probables…) ? Fallait-il renoncer à la production planétaire de vaccins contre la grippe H1N1pdm dès le mois de juin 2009, parce que les premières informations en provenance du Mexique étaient contradictoires ? Faut-il brocarder aujourd’hui, avec une unanimité navrante, les positions de l’Organisation Mondiale de la Santé parce que les industriels producteurs auront pu s’enrichir – et ainsi rendre suspectes toutes les décisions – en apportant sur le marché en un temps record jamais égalé dans l’histoire de l’humanité les vaccins commandés, avec toute la sécurité requise ?
Non, il est temps de défendre les principes que l’Organisation Mondiale de la Santé a mis en oeuvre, fort à propos, en temps et en heure, pour se préparer, comme elle devait le faire, au scénario du pire. En agissant de la sorte, cette Agence a montré sa maturité et sa compétence. En ne cédant pas aux sirènes de la complaisance et de la facilité, on devrait retenir que cette Agence a su indiquer la voie à suivre pour celles qui gèrent d’autres risques naturels ou d’origine humaine : inondations, cyclones, séismes, ruptures de plateformes offshore, autres risques industriels et nucléaires. Ce n’est pas le scénario le plus probable que le principe de précaution cherche à éviter, mais ce sont les scénarios du domaine du plausible, et ils sont souvent bien moins probables.
Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas faire de retour d’expérience, d’arrêt sur image, car il est utile de remettre en cause nos erreurs, de comprendre nos doutes, d’étudier les réactions de nos contemporains, de constater les rigidités des plans mis en place, tout cela pour mieux préparer encore l’avenir qui ne sera pas fait que de bouquets de violettes. C’est ce que font actuellement bon nombre de gouvernements des pays développés, l’Europe et l’OMS elle-même. On trouvera probablement ça et là des débordements, des dérapages, ou des abus, et il faudra y remédier. Mais, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, on pourrait y déceler bientôt des traces de pétrole !
Antoine Flahault
lire le billetVeillées d’armes à Paris et Genève
Cette pandémie grippale n’a pas échappé à une règle non écrite : celle qui veut que les grands phénomènes renvoient à l’usage itératif de métaphores guerrières. Filant ces dernières on pourrait aujourd’hui évoquer le concept de veillées d’armes.
Acte I. Paris tout d’abord. En deux points hautement stratégiques de la capitale on se prépare à enquêter ; ce qui, en démocratie, peut parfois se traduire par en découdre. Au Sénat tout d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite. Dans chacun de ces deux palais de la République française une commission d’enquête va bientôt être constituée qui vont passer à la question les responsables de la campagne nationale de vaccination contre le H1N1pdm.
Une fois n’est pas coutume, depuis les splendeurs aujourd’hui givrées du jardin du Luxembourg ce sont les sénateurs qui ont les premiers ouvert le feu. Ainsi, sur proposition du groupe communiste et parti de gauche, le Sénat a donc décidé, jeudi, la création d’une commission d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A(H1N1) ». Les adversaires (pour ne pas parler des deux coupables) sont d’ores et déjà bien ciblés. Avant même l’ouverture des hostilités le Dr François Autain, rapporteur de cette commission dénonce « une surévaluation des risques et une dramatisation ». Il entend dès lors concentrer ses feux sur « le fait que ceux qui conseillent les laboratoires sont souvent ceux qui conseillent les gouvernements ». Airs de fifre connus. « Nos travaux, menace-t-il, devraient donc porter essentiellement sur ces liens incestueux qui expliquent la situation dans laquelle nous sommes : la France a le plus grand gap entre le taux de vaccinés (7 % de la population) et le nombre des doses commandées (94 millions) ». La désignation des membres de cette commission sénatoriale devrait être votée en séance le mercredi 17 février.
Quelques hectomètres en aval de la rive gauche de la Seine, à l’Assemblée nationale, c’est un autre médecin élu (le Dr Jean-Luc Préel ; Nouveau Centre) qui est « rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur « la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne contre la grippe A(H1N1) ». » Ici la focale est élargie. Le Dr Préel : « il convient de s’interroger sur les méthodes qui ont conduit à un échec, avec seulement 5 700 000 Français vaccinés ». Ce vice-président de la commission des Affaires sociales souhaite « mettre l’accent sur la mise à l’écart des généralistes, au profit de dispositifs collectifs, ainsi que sur les modalités des réquisitions dont ils ont fait l’objet ». Le vote en séance pour la mise en place de la commission est fixé au 24 février auditionnera pendant six mois les principaux responsables du plan de vaccination, ainsi que les experts et les dirigeants de l’OMS.
Ce Blog, autant que faire ce peut, se fera au plus vite et au plus juste le fidèle écho de ces enquêtes et des affrontements sans précédents auxquels elles devraient donner lieu.
Acte II. Genève ensuite, où à l’inverse il semble que l’on prépare l’armistice. La direction générale de l’OMS vient de faire savoir urbi et orbi qu’elle allait sous peu réunir un conclave baptisé « comité d’urgence ». Objectif : demander aux devins dénommés experts si la vague maligne est bien sur le recul. Ou, pour parler comme le Dr Keiji Fukuda, responsable des pandémies de grippe sur les rives du Lac Léman, si « le pic de la pandémie grippale H1N1 est passé ».
« L’OMS va demander à son comité d’urgence de se réunir à la fin du mois pour fournir à l’OMS un avis sur le fait de savoir si nous entrons dans une période d’après pic, a tenu à déclarer le Dr Fukuda lors d’une téléconférence comme toujours planétaire. Nous espérons que nous entrons dans cette phase, qui signifie que le pire est passé et que l’on se dirige progressivement vers une situation plus comparable à celle de la grippe saisonnière.» Le faux calme habituel après une tempête mois grave qu’annoncée ?
La réunion du conclave annonçant la fin des hostilités (comme toujours composé d’experts-prélats chargés de fournir des recommandations à l’OMS) pourrait se tenir « dans la dernière semaine du mois de février » ; à la veille des Ides de mars. Attention : le Dr Fukuda a prévenu le monde que cette phase de « transition » ne signifiait pas pour autant que la pandémie était terminée. Car si l’activité du H1N1pdm est depuis quelques semaines en déclin dans l’hémisphère Nord les sentinelles de l’OMS a constaté son apparition dans des régions où il n’était pas présent jusqu’alors, et notamment en Afrique de l’Ouest et tout particulièrement au Sénégal. Alors, armistice ou pas ?
Acte III. Depuis Washington l’agence de presse Reuters nous mande la dépêche suivante : « La grippe A (H1N1) a peut-être tué 17.000 personnes aux Etats-Unis, dont 1.800 enfants, viennent d’annoncer les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Les CDC et l’OMS ont cessé, il y a de cela plusieurs mois, d’essayer de compter tous les cas effectifs. L’OMS et le CDC estiment qu’il n’y a pas assez de tests à administrer pour vérifier que toutes les personnes souffrant de symptômes liés à la grippe A souffraient bien de la maladie. C’est pourquoi les CDC effectuent leurs propres estimations à
partir de modèles recoupant plusieurs sources d’information. La pandémie a conduit à l’hôpital autant de personnes que durant la période de grippe saisonnière, mais la plupart étaient plus jeunes. En outre, cela a eu lieu lors de mois où il n’y a en principe pas de grippe.
Les CDC estiment entre 41 et 84 millions le nombre de cas de grippe H1N1pdm survenus aux Etats-Unis entre avril 2009 et le 16 janvier 2010. Durant cette période, entre 8.330 et 17.160 personnes sont mortes des suites de cette infection virale ; la fourchette moyenne étant à 12.000. Entre 880 et 1.800 enfants sont décédés, jusqu’à 13.000 adultes de moins de 65 ans et entre 1.000 et 2.000 personnes
plus âgées. En temps normal, les CDC estiment que 36.000 Américains meurent chaque année des suites de la grippe dont 90% ont plus de 65 ans. »
Jean-Yves Nau
USA, crash de 30 jumbos remplis de grippés : aucun survivant.
Avec les enquêtes en gestation, les questions de conflits d’intérêts devraient bientôt être mises à plat. Et ce sera probablement utile. Un conflit d’intérêt pose un sérieux problème lorsqu’il n’est pas dévoilé par l’expert dès lors qu’une institution légitimée pour le faire le lui demande. Ensuite, d’autres types de questions se posent, qui ne sont bien souvent plus véritablement du ressort de l’expert. Quand doit-on demander à un expert ses conflits d’intérêt (en dehors des cénacles habituels) ? Lors d’une interview radiophonique ou télévisée ? Pour un « journal papier » ou sur un blog? Qui est légitime pour demander les conflits d’intérêt de l’autre ? Nous sommes régulièrement harangués à ce sujet par des blogueurs souvent anonymes qui n’envisagent pas un instant – eux – de déclarer s’ils ont – ou pas- de tels conflits !
Que fait-on des déclarations de conflits d’intérêts ? A partir de quel moment, juge-t-on qu’elles disqualifient les propos de l’expert ? Où va-t-on dans la déclaration de ses conflits d’intérêts : jusqu’aux liens familiaux ? Et qu’appelle-t-on « la famille », jusqu’où peut-on aller sans violer la vie privée des personnes ? Et puis, se posent des questions plus philosophiques (d’aucuns prétendront qu’elles sont posées pour détourner l’attention vis-à-vis de l’essentiel) : les conflits d’intérêts ne sont-ils que des conflits mettant en jeu des rapports d’argent qu’entretient l’expert ? Qu’en est-il des rapports concernant le sexe, le pouvoir, l’honneur ? Nous ne vivons pas dans un monde aussi simpliste qu’on voudrait parfois le croire.
Les décomptes des conséquences des infections par le H1N1pdm commencent à se consolider. On apprend que la « grippette » de certains a causé plus de morts que ceux initialement rapportés. Cela fera-t-il un deuxième scandale après celui de la « pandémie inventée » ? Irons-nous vers le procès de la veille sanitaire, après celui de l’expertise sanitaire ? Ce n’est pas sûr, car le taquet qui protège d’un tel scandale est fourni par les prévisions dites « alarmistes » des experts, c’est-à-dire le plus souvent par les chiffres de la mortalité saisonnière de grippe. Tant que la mortalité par grippe H1N1pdm ne dépassera pas quantitativement celle atteinte par la grippe saisonnière de moyenne virulence , le profane se dira qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Même 17 000 morts « pandémiques » en comparaison des 36 000 morts « saisonnières » (en moyenne) aux USA ne feront pas pleurer dans les chaumières. Et ce, alors même que l’analyse est rapide, encore peu étayée.
Outre-Atlantique nous avons en effet d’une part cette moyenne saisonnière de 36 000 décès attribués à la grippe et survenus pour l’immense majorité d’entre eux chez des personnes très âgées, le plus souvent très malades de surcroît. Ces décès sont même rarement identifiés par les médecins comme étant dus à la grippe : ce sont des « morts en excès » statistiquement identifiés sur les courbes de mortalité, mais jamais identifiés individuellement. Ces personnes sont décédées en pleine vague de grippe sans que l’on sache très bien d’ailleurs le lien de cause à effet entre la grippe et la mort ; sans que l’on sache même si ces personnes avaient seulement été infectées avant leur décès par le virus de la grippe saisonnière.
Et nous avons d’autre part entre 8 000 et 17 000 morts prématurées attribuées au H1N1pdm, survenues dans l’immense majorité chez des moins de 60 ans, dans une proportion non négligeable chez des jeunes en bonne santé, parfois chez des personnes dont on sait qu’elles souffraient d’un diabète ou d’un asthme (des maladies rarement mortelle en cas de grippe). Il s’agissait aussi parfois de femmes enceintes. Nous savons en outre qu’il y a eu par centaine de milliers (aux USA) des hospitalisations lors de cette épidémie, dans des tranches d’âge jamais observées auparavant avec une telle fréquence. Des hospitalisations souvent dans des services réanimation, parfois dans des conditions acrobatiques, avec un traitement complexe (autant que coûteux) par ECMO (machine permettant l’oxygénation de l’organisme par membrane extracorporelle).
Alors quelle est la vraie question aujourd’hui ? Probablement pas celle de savoir si « le » pic est derrière nous : oui, clairement, « un » pic est derrière nous. Plutôt celle de savoir ce que nous réservera le H1N1pdm durant les prochains hivers. Seront-ils à l’image de celui que nous venons de connaître ? Une fois les polémiques dépassées, ne finirons-nous pas par trouver ces hivers un peu longs… sans vaccin ? Une dernière question : combien d’équivalents de jumbo-jets ayant fait le plein de passagers faudra-t-il voir s’écraser sous nos yeux (en fin d’hiver) pour enfin se décider à réagir, à faire en sorte que plus de 9% de la population demande à (et puisse) être vaccinée pour éviter des milliers de morts prématurées ?
Antoine Flahault
lire le billetNeuf mois, déjà, que la pandémie a émergé. Neuf mois et tout indique que les temps changent. « L’activité grippale pandémique a atteint son apogée dans l’hémisphère Nord entre la fin octobre et la fin novembre et a continué de décliner depuis, vient de faire savoir l’OMS dans son dernier bilan hebdomadaire. Depuis l’apparition du nouveau virus, les deux continents les plus touchés ont été les Amériques (nord et sud) devant l’Europe, l’Asie extrême-orientale et le Pacifique ouest. C’est en Afrique du Nord, en Asie du sud et dans des zones limitées d’Europe de l’est que la transmission du virus continue d’être la plus intense. »
Le moment nous semble venu de dresser non pas un bilan final (qui oserait ?) mais bien de tirer les premières leçons (souvent interrogatives) du chemin pandémique que nous venons de parcourir. Ainsi donc sauf réémergence de sujets d’une brûlante actualité nous allons poursuivre ce blog en modifiant quelque peu le rythme, en proposant des relectures des sujets les plus saillants ; en proposant aussi quelques questions intéressant les mois ou, peut-être, les années à venir.
Pour l’heure janvier s’avance et, les autorités sanitaires françaises réduisent la voilure. Fermeture précipitée (le 30 janvier) des centres-dispensaires vaccinaux (opération militaire dont il faudra sans aucun doute reprendre un jour la genèse, faire les comptes et situer les enseignements) ; doses vaccinales annoncées à compter du 1er février dans les pharmacies d’officine et médecins libéraux enfin autorisés à vacciner dans leurs cabinets (du moins s’ils acceptent d’aller chercher les doses dans ces mêmes pharmacies…). Listes des personnes à risque qui n’ont pas encore été vaccinées (elles seraient environ cinq millions), vaccins présentés en volume de doses, doses unitaires, bons de vaccination, suivi de vaccinovigilance… l’intendance ne semble toujours pas en état de suivre comme il conviendrait dans un monde débarrassé de défauts.
Janvier s’avance et cette publication, étonnante, du Lancet qui, sur son site (www.thelancet.com) nous dit en substance que le nouveau virus aurait, en Angleterre, infecté dix fois plus d’enfants que ce que laissait supposer la surveillance des symptômes grippaux chez ces mêmes enfants (1). Ce constat est dressé par une équipe dirigée par le Pr Elizabeth Miller (Health Protection Agency, Londonà à partir d’échantillons sanguins dans lesquels on a recherché les stigmates biologiques (anticorps) de l’exposition de l’organisme au nouveau virus grippal. Ce même travail confirme le rôle majeur joué par les communautés d’enfants dans la circulation du virus au sein de la collectivité. Les taux d’anticorps les plus élevés ont été retrouvés à Londres et dans les West Midlands. Ils sont passés chez les enfants de moins de quatre ans de 1,8% à 21,3% en septembre 2009 ; de 3,7% à 42% chez les 5-14 ans et de 17,5% à 20,6% chez les 15-24 ans. Pour l’heure ce phénomène ne semble pas concerner les personnes plus âgées.
Il n’en reste pas moins vrai qu’au vu de ces chiffres une question, à l’évidence, s’impose. Combien d’humains ont-ils, ces neuf derniers mois été réellement infectés ? Au-delà des chiffres officiels colligés dans les différents pays touchés par la vague pandémique quelle est la proportion exacte de la population qui, sans manifester les symptômes grippaux, a été infectée par le virus ? Corollaire de taille : ces personnes (qui par définition ignorent leur statut sérologique) sont-elles protégées contre le retour prévisible du H1N1 dans quelques semaines ou dans plusieurs mois ? Dès lors faut-il ou non prévoir leur exclusion des prochaines campagnes de vaccination et programmer de vastes enquêtes de dépistage sérologique pour savoir qui est « naturellement » protégé et qui ne l’est pas ?
Jean-Yves Nau
(1) ‘’Incidence of 2009 pandemic influenza A H1N1 infection in England: a cross-sectional serological study’’. The Lancet, Early Online Publication, 21 January 2010 doi:10.1016/S0140-6736(09)62126-7 Cite or Link Using DOI Original Text Prof Elizabeth Miller, Katja Hoschler, Pia Hardelid, Elaine Stanford, Nick Andrews, Prof Maria Zambon.
Des premiers résultats d’une portée majeure
Les premières données issues des programmes de recherche sur H1N1pdm mis en place ça et là dans le monde commencent à affluer. Et ce n’est pas terminé car le rythme de la recherche n’est pas celui de l’actualité, ni même celui de la dynamique épidémique. Il fallait être très rapidement sur les lieux de transmission, puis recueillir les données, les analyser bien souvent en mettant au point des méthodes appropriées qui n’existaient évidemment pas sur le marché pour ce virus inconnu, et enfin publier les résultats dans des revues scientifiques qui ont aussi leur tempo
Ces résultats vont s’avérer cruciaux pour tirer les leçons de cette émergence épidémique et pour mieux comprendre les caractéristiques de ce cru pandémique 2009. Probablement, en raison des moyens déployés, mais aussi de l’avancée des techniques et de la science, les résultats de ces programmes de recherche nous conduiront-ils à revisiter un certain nombre de connaissances que nous supposions acquises dans le domaine de la grippe et qui se verront bousculées par les nouveaux résultats scientifiques.
Jusqu’à présent les infections asymptomatiques dues au virus de la grippe saisonnière ne représentaient pas plus de 40 à 50% des infections totales. Dans l’étude britannique, durant la première vague, c’est-à-dire durant le printemps-été 2009 (jusqu’en septembre), ce sont 90% des infections qui semblent être asymptomatiques (ou pauci-symptomatiques) chez les enfants et les jeunes de moins de 15 ans, puisqu’il y a eu 10 fois plus d’infections identifées par l’étude de séroprévalence que de cas répertoriés dans le système de veille sanitaire, basé sur les formes cliniques diagnostiquées par les médecins.
Une étude similaire conduite par notre groupe avec les chercheurs de l’île de la Réunion durant leur hiver austral (juillet-septembre 2009) devrait bientôt apporter des résultats assez concordants avec ceux des Anglais. Ces résultats vont aussi dans le même sens que ceux, préliminaires, que nous avons rapportés récemment dans la revue PLoS Currents Influenza (article gratuit en ligne en langue anglaise) auprès de femmes enceintes de France métropolitaine.
Ces premiers résultats sont d’une portée majeure, car ils permettent d’expliquer la taille relativement faible de la seconde vague (celle de l’automne 2009) dans l’hémisphère nord. Avec un tiers des moins de 15 ans immunisés contre H1N1pdm dès septembre 2009 au Royaume Uni, il y avait certes un réservoir encore conséquent pour permettre la circulation du virus, mais trop faible pour déclencher une épidémie de taille majeure. Nous verrons in fine la proportion de la population qui sera infectée par H1N1pdm avant qu’il ne mute et qu’il passe à un régime de grippe saisonnière. Il est probable que ce que l’on savait du taux d’attaque (40-50%) du virus de la grippe sera toujours exact, mais qu’en revanche, au moins pour cette souche pandémique, la plupart des infections seront restées peu ou pas symptomatiques. Et celles qui étaient symptomatiques ont parfois été d’une inhabituelle sévérité, conduisant un nombre anormalement élevé de patients en réanimation, voire en oxygénation par circulation extracorporelle dans un état critique de détresse respiratoire, parfois de complications bactériennes gravissimes, ou mortelles.
Et pour répondre à la dernière question de Jean-Yves Nau, je ne crois pas pour ma part que ces résultats modifient la stratégie vaccinale dans le sens de la mise en place d’un dépistage systématique pré-vaccinal. On ne le faisait pas pour la grippe saisonnière alors que bon nombre de personnes âgées étaient probablement déjà immunisées contre la souche circulante, pourquoi le ferait-on pour cette souche pandémique ? Vacciner quelqu’un qui a déjà été infecté par le virus ne représente pas de danger particulier. C’est tout au plus inutile. C’est davantage la cible de la vaccination, particulièrement dans les pays où les ressources en vaccins seraient limitées (il ne semble pas que ce soit le cas de la France…), qui pourrait être revue : vacciner les moins de 15 ans pourrait ne plus s’avérer très utile (sauf pour les moins de 1 an) l’an prochain, car une bonne proportion pourrait s’avérer déjà immunisées naturellement et sans le savoir. Pour les plus de 15 ans, il reste encore des trous dans notre connaissance à combler. Dans l’attente des prochaines études sur le sujet…
Antoine Flahault
« Il est inconvenant de continuer à proposer la vaccination »
Un entretien avec le Dr Alain Fisch
Elargissons aujourd’hui, avec le Dr Alain Fisch, le cercle des spécialistes et des points de vue sur la gestion passée, présente et à venir de la pandémie grippale. Chef de service au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve Saint-Georges ([email protected]), président de l’Institut des Etudes Epidémiologiques et Prophylactiques (IDEEP) le Dr Fisch est d’autre part le créateur du site sante-voyages.com.
« Gripette » ou « catastrophe programmée » ? Dans quel groupe d’experts vous situez-vous vis-à-vis de l’actuelle pandémie ?
Il n’est certainement pas à l’ordre du jour de parler de « grippette » avec ce Myxovirus étrange qui a émergé en mars dans l’hémisphère Nord, qui est très contagieux et antigéniquement proche du A(H1N1) de la grippe « espagnole ». D’une manière générale il faut toujours se méfier des Myxovirus, ces virus aux capacités d’adaptation, de mutation et de sélection extrêmes ; des virus qui plus est impossibles à éradiquer sauf à envisager l’élimination de tous les oiseaux, de tous les porcins… jusqu’aux furets.
Estimez-vous de ce fait que le plan français de lutte contre la pandémie était parfaitement justifié ?
Attention, la méfiance des infectiologues pour ce virus ne veut pas dire adhésion aveugle à toutes les mesures gouvernementales. Précisons.
Acheter, pour un milliard d’euros, 94 millions de doses de vaccins, n’était pas selon moi une faute mais une erreur excusable. L’ensemble du monde scientifique estimait, à l’époque des commandes, qu’il faudrait deux doses par personne vaccinée pour obtenir une immunité solide.
Acheter en masse de l’oseltamivir (Tamiflu®) était plus discutable compte tenu de l’absence de preuves formelles de l’aptitude –toujours débattue- de ce médicament antiviral à améliorer le pronostic des formes graves. Quant à sa capacité à prévenir, par une prescription précoce présomptive (s’adressant à tous syndromes « grippaux »), elle n’est toujours pas évaluée en termes d’efficacité opérationnelle (la plupart des syndromes « grippaux » n’étant pas liés au A(H1N1)v, ni en termes de bénéfices/risques –l’oseltamivir n’étant pas aussi anodin que l’on veut bien le croire, individuellement et peut-être en termes de santé publique. Mais le gouvernement avait été traumatisé par la calamiteuse gestion de la canicule : après ne pas en avoir fait assez, il fallait désormais en faire trop.
Acheter des masques chirurgicaux et FFP2 à hauteur (semble-t-il) d’un milliard d’unités, paraissait logique mais apparut bien vite antagoniste avec l’option « tout vaccin » ; de fait la population française fut désemparée et ne porta jamais le moindre masque : quelqu’un a-t-il jamais vu un usager de la RATP, un passant dans la rue, un médecin généraliste, en porter un ?
Tout cela pour un milliard et demi d’euros auxquels il faudra ajouter les coûts logistiques, les réquisitions, les coûts indirects, les arrêts de travail « présomptifs »… Peut-être atteindrons-nous ou dépasserons-nous les deux milliards d’euros.
Vous estimez que l’on aurait pu agir de manière plus efficace et à moindre coût ?
Je pense surtout que l’heure est venue de regarder les choses différemment. La vaccination est un échec épidémiologique : trois ou au mieux quatre millions de personnes vaccinées sur 65 millions d’habitants n’auront eu aucun impact sur l’évolution nationale de la pandémie. Cette pandémie est en déclin depuis un mois aux Etats-Unis, depuis 15 jours dans la plupart des pays de l’ouest européen et commence sa défervescence en France. L’immunité vaccinale étant établie trois semaines après l’injection vaccinale, il est inconvenant de continuer à proposer la vaccination, à force de réquisitions, pendant cette période de fêtes ; ceci dit, les centres de vaccinations sont déjà désertés –sauf par les médecins, internes, infirmières, élèves infirmières et agents administratifs réquisitionnés…..
Vous estimez donc que le gros de la vague est définitivement passé ?
Non, car il faut tenir compte des capacités de ce virus à « rebondir » à tout moment. De nombreux éléments laissent d’autre part penser qu’il reviendra certainement l’hiver prochain après son deuxième passage au sud dès l’hiver austral. Quelle sera alors son agressivité ? A cette interrogation, il n’y a qu’une seule réponse : prévoir l’hypothèse la pire, sans affolement. Dans l’hypothèse où c’est un virus de haute létalité qui reviendra (ou qui menacera de revenir) il faudra craindre les sarcasmes des Français : « On nous a déjà fait le coup l’année dernière !… » En toute hypothèse le virus qui reviendra sera différent, comme tous les autres Myxovirus ; les vaccins actuels seront alors inefficaces et il faudra en produire de nouveaux ; les stocks (91 millions de doses… ) passeront à la poubelle.
Il est donc bien probable que le virus A(N1N1)v devienne à son tour un virus saisonnier. A ce propos, il est intéressant de noter que les virus saisonniers prévus cette année (A/Brisbane/59/2007 (H1N1), A/Brisbane/10/2007 (H3N2), B/Brisbane/60/2008) n’ont pas montré leur nez. Le A(H1N1)v a imposé sa domination, sans doute par sa contagiosité supérieure. De ce fait, à ce jour, le virus variant a sauvé énormément de vies.
Que voulez-vous dire ?
Une grippe saisonnière normale, bon an mal an, tue 5000 personnes en France, dont 1 à 2% ne présentant pas de facteurs de risque. A ce jour le virus variant en a tué a 168 reprises (bilan au 21 décembre) et on admet que dans 20% des cas les victimes n’avaient aucun facteur de risque.
Conclusion logique : dans l’état actuel du virus variant, il n’est pas pertinent de vacciner : une vaccination massive aurait peut-être levé la pression dominante que ce nouveau virus exerce sur les virus saisonniers ; nous aurions alors peut-être eu une double épidémie avec les deux mortalités cumulées. Le comportement instinctif des Français, (souvent non dénué de finesse) a su leur faire prendre collectivement une distance certaine par rapport à la vaccination proposée contre le A(H1N1)v.
Le gouvernement aurait certes pu faire de même. Mais il aurait fallu pour cela que la gestion de la crise soit, ces derniers mois, assurée par des techniciens pleinement libres de leurs actes et non pas soumis à la férule des politiques.
Propos recueillis par Jean-Yves Nau
Un échec cuisant sur lequel il va falloir se pencher
Souvenons-nous : août-septembre 2009, nous franchissions une première étape, un premier gué de la pandémie. Les digues australes avaient tenu. Le virus s’était montré certes contagieux mais d’une virulence à deux vitesses : peu agressif chez la plupart des personnes qu’il infectait, il pouvait aussi devenir redoutable chez une petite minorité (parfois sans facteurs de risque apparents et donc sans que l’on comprenne précisément pourquoi).
Août- septembre 2009 était un peu la « drôle de guerre » de cette pandémie dans l’hémisphère Nord. Nous étions campés dans nos tranchées, les stocks de minutions s’accumulaient (dans certains pays) et bientôt les premières controverses éclataient. L’Etat en faisait trop. L’indécence était dénoncée. Les experts agissaient au nom d’intérêts inavoués. Rien ne venait. Rien ne viendrait peut-être.
Puis l’automne de l’année 2009 a dévoilé (en dépit de la douceur quasi-inégalée des températures) le visage encore certes inconnu de cette grippe, mais fidèle aux photographies transmises par l’hémisphère Sud pendant notre été.
Dresser en ce premier jour de l’hiver le bilan de cette pandémie ? N’est-il pas un peu tôt pour penser que la saison est terminée « jusqu’à l’arrivée de l’hiver austral suivant » ? Peut-on affirmer que la souche qui reviendra sera beaucoup plus virulente et qu’elle nécessitera de jeter les stocks de vaccins actuels ? Il ne me semble pas aujourd’hui possible de l’affirmer.
Je ne crois pas pour ma part qu’il soit inopportun de continuer les vaccinations. Je suis d’accord cependant de reconnaître que la campagne des vaccinations a été un échec cuisant sur lequel il va falloir se pencher. Pour une fois que nous avions prévu qu’une pandémie de grippe allait arriver… Pour une fois que nous avions dimensionné les usines de production du vaccin de manière à ce qu’il soit disponible pour tous…. Pour une fois que nous disposions d’un vaccin efficace et sûr seulement quelques mois après l’émergence d’un virus…
Force est bien de constater que la population française s’est montrée réticente à suivre les recommandations préconisées. Ce qui se vérifie aussi dans la plupart des pays occidentaux. Il est trop tôt pour dresser le bilan de tout cela. Mais ce bilan sera bien évidemment fait un jour. Avec aujourd’hui ce constat : il n’est pas possible de vacciner en masse une population qui ne le souhaite pas. Pourquoi ? Il conviendra d’investir davantage dans les recherches multidisciplinaires qui nous permettront de comprendre un jour prochain pourquoi nos contemporains n’ont pas souhaités se protéger quand on leur a proposé.
Nous nous posons les mêmes questions concernant les masques.
Mais serait-il dangereux de se faire vacciner aujourd’hui ? Pourquoi donc ? Se faire vacciner, par un vaccin dont on a une expérience planétaire plutôt réussie, ne me semble pas faire courir un risque particulier, et peut encore protéger contre le retour certes hypothétique du virus durant l’hiver. Je ne crois donc pas que ce soit un mauvais calcul, même si je reconnais qu’il est un peu tardif.
Quant à l’utilisation du Tamiflu, le Dr Fisch a raison de souligner qu’il manque encore des preuves de son efficacité, notamment dans la prévention des complications de la grippe. Il n’y a pas non plus d’évaluation bien conduite de son utilisation de masse. Cependant, c’est un médicament qui a montré son efficacité et sa relative innocuité en traitement et en prophylaxie individuels, à partir de plusieurs essais cliniques convaincants. Efficacité, mais pas miracle thérapeutique ! Inocuité, mais pas absence d’effets indésirables…
Nous sommes bel et bien aujourd’hui sur le deuxième gué. Combien sont à venir ? Quelle sera l’ampleur des prochaines crues ? La suite, comme toujours est à écrire. Ensemble.
Antoine Flahault
lire le billetAu grand bazar vaccinal et démocratique
Sept mois déjà que la pandémie a émergé ; sept mois pour se préparer, affiner les plans élaborés contre la menace du A(H5N1), peaufiner les messages préventifs destinés à la population, organiser la constitution de stocks vaccinaux et programmer leur utilisation. Sept mois pour, collectivement, apprendre en France à faire face au mieux à la déferlante virale annoncée. La déferlante n’est pas encore véritablement là mais le niveau des eaux comme leur turbulence ne cessent d’inquiéter. Tout comme ne peut qu’inquiéter le désordre grandissant observé dans l’Hexagone.
Aucun bouton de guêtre ne devait manquer et, de fait, aucun bouton de guêtre ne manque ou ne manquera. L’intendance militaire n’avait seulement pas prévu qu’une fraction massive des troupes allait se méfier des guêtres vaccinales et des boutons-adjuvants ; et ce alors que l’appel sous les drapeaux n’a plus rien d’obligatoire…. Tout ceci génère une pagaille que l’on ne qualifiera certes pas de joyeuse ; une pagaille qui met en lumière l’étrangeté des temps que nous vivons de même que le caractère décidemment bien versatile d’une population française que l’on pousse dare-dare –qui nous dira jamais pourquoi ?- à s’interroger sur son identité.
Quelques échos parmi les plus récents. Dans la France de cette fin novembre une nouvelle étape est franchie avec le lancement de la proposition/incitation de la vaccination de 5,3 millions élèves, collégiens et lycéens. . Les enfants du primaire et des maternelles seront concernés à partir du 1er décembre. Quant aux enseignants ils ne font curieusement pas partie du dispositif. Pourquoi ?
Comme toujours sur le pont, à la manœuvre médiatique et pédagogique, c’est Roselyne Bachelot qui a donné le baptême de cette campagne comme elle avait baptisé les précédentes. Il faudrait vivre dans un monastère sans WiFi pour ignorer qu’elle était, férule à la main, dès l’aube du 24 novembre, dans un collège du 7ème arrondissement de Paris (pourquoi le 7ème ?) ; une ministre de la Santé qui, interrogée sur les réticences des jeunes à bénéficier de l’immunisation a déclaré qu’elle aimerait pouvoir conduire les récalcitrants dans des services de réanimation intensive afin qu’ils puissent voir (nous citons en substance et de mémoire) des-jeunes-de leur-âge-avec-des-poumons-définitivement-détruits-ce-qui-ne-se-produit-jamais-avec-la-grippe-saisonnière.
« Transparence » oblige les citoyens français sauront peut-être un jour qui, depuis plus d’un semestre, conseille (ou ne conseille) pas la ministre de la santé dans ses pluriquotidiennes interventions médiatiques. Et dans l’ombre portée de cette dernière réflexion pourquoi ne pas diffuser au plus vite des messages sanitaires télévisés relatant les dernières souffrances, floutées bien sûr, de jeunes infectés par le H1N1pdm aux derniers stades d’un syndrome de détresse respiratoire aigu ? Qui s’en offusquerait ? Et à quel titre ?
Au lendemain de la prestation ministérielle et sanitaire les médias généralistes radiophoniques et télévisuels (pour ne pas parler des « sites d’information » de la Toile et de leurs blogs …) ont répercuté les discours et les angoisses collégiennes et lycéennes. Nous découvrons ainsi que les jeunes ont pleinement capté les ondes ambiantes, ne parlent que d’ « effets secondaires graves », d’ « adjuvants », de « mutations ». Ils rapportent tous plus ou moins les échos des discussions familiales. « On en a parlé. Maman n’est pas chaude pour que je me fasse piquer. Papa est plutôt pour. » Et en l’espèce l’opinion maternelle, comme souvent (comme toujours ?), de l’emporter.
Pour l’heure les mêmes médias généralistes ne cesse de tambouriner : la proposition de vaccination rencontre un succès croissant, et donc sans doute bientôt considérable. Ici ou là des préfets s’inquiètent, des médecins libéraux refusent d’être « réquisitionnés ». On commence à filmer les files d’attentes, les impatiences des volontaires. Des témoignages qui ne correspondent guère aux derniers décomptes nationaux. Mais comment savoir ? Comment retrouver ici un fil d’Ariane, un cadre rationnel, dans les brouillards de cette fin novembre ?
L’inquiétude vient aussi d’ailleurs. Elle résulte du fossé croissant autant que paradoxal qui –semble-t-il – se creuse ces derniers jours entre « experts » et « citoyens ». Les premiers martèlent – « pilonnent » serait mieux adapté – leurs messages issus des forges et des cornées scientifiques. Les seconds écoutent et soupèsent sur d’autres trébuchets, personnels ceux-là. Ils bavardent, s’interrogent, et ne cachent pas au total leur plaisir de pouvoir, enfin, prendre la parole pour dire leurs doutes corporels dans un espace démocratique. On pourrait sans grand mal y voir une résurgence assez moderne des échanges tricolores entre les deux vieilles plaques tectoniques : la jacobine et la girondine.
Jean-Yves Nau
Complexité
Force est de reconnaître que l’on est assez désarmé devant ce genre de crise sanitaire. Les « relativistes » refusent aujourd’hui de voir le moindre problème dès lors qu’ils ne sont pas en face d’une hécatombe ; les « catastrophistes » évoquent le phénomène comme si l’hécatombe allait se produire, et donc cherchent à la prévenir, à tout prix. Entre ces deux lignes, il y a tous les « indécis », tantôt emportés par les arguments des uns, tantôt ralliés à ceux des autres. Les connaissances avancent et diffusent au rythme des informations. Elles rejoignent tantôt le panier des relativistes (l’épidémie semble régresser aux USA et au Canada), tantôt dans celui des catastrophistes (une mutation du virus a été identifiée en Norvège chez deux patients décédés).
Entre ces deux paniers, il y a tous ceux qui ont recours au fléau (en construction permanente) d’une balance personnelle qui leur permet de soupeser chaque nouvelle. Parmi eux il y a, bien sûr, les experts eux-mêmes. Mais il faut aussi compter avec ceux que la complexité agace, rebute peut-être. Pour ces derniers la question est réglée depuis le début : on cherche à les tromper, à les manipuler, il est clair que c’est un cache-misère pour éviter de parler de la crise économique mondiale, et que tout cela arrange les grands de ce monde. Ou, pour d’autres sans complexes, cette question est réglée aussi, mais dans l’autre sens : un vaccin est disponible, on va avoir soi-même recours au principe de précaution, au diable les effets secondaires, écoutons la Faculté ou la ministre.
Je présente ici d’emblée mes excuses à ceux qui trouveront mes catégories d’autant plus désagréables que l’on peut vraisemblablement passer d’une catégorie à l’autre au cours d’une même journée. Disons néanmoins que chez les « sans complexes» prévaut parfois un mécontentement, vis-à-vis des autorités, parfois de la ministre de la Santé, des experts ou des journalistes. Parfois même vis-à-vis de la Nature elle-même qui pourrait enfin sortir du bois : elle arrive ou non cette pandémie ? Elle déferle un bon coup et on n’en parle plus, ou bien elle continue à jouer au chat et à la souris avec nous tous ?
Puis il y a tous ceux qui entendent la complexité, ceux qui cherchent coûte que coûte à mieux comprendre dans ce fatras d’informations parfois contradictoires. Il ya tous ceux qui écoutent les arguments des uns et ceux des autres. Ils sont un peu comme les scientifiques dans le fond, mais à leur manière. Ils n’ont pas encore d’opinion très tranchée mais la succession des faits façonne leur opinion de manière progressive. La vague pandémique va-t-elle déferler ? A quelle vitesse, à quelle force ? Quelles conséquences pour mes proches et pour moi ? Puis-je l’éviter ? Limiter les dégâts ? Ne pas créer des problèmes en en faisant trop puisque le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Au fond, pourquoi déteste-t-on donc tant la complexité ?
Antoine Flahault
lire le billetC’est une information d’importance doublée d’un aveu. L’information a été donnée jeudi 5 novembre par Roselyne Bachelot qui s’exprimait sur RTL. La ministre de la Santé a annoncé que la France pourrait bientôt revendre une partie de son stock de 94 millions de doses de vaccin contre la grippe pandémique. Comment mieux avouer que la décision gouvernementale prise cet été d’acquérir, pour près d’un milliard d’euros, un tel stock national était, au choix, un pari risqué ou une erreur stratégique ?
Ainsi donc nous sommes aujourd’hui dans une situation bien étrange. Alors même que la campagne de vaccination a à peine commencé, que la quasi-totalité des vaccins n’ont pas encore été livré et que la vague épidémique commence à enfler le gouvernement étudie la possibilité de revendre les vaccins qui, faute de volontaires, n’auraient pas été utilisés…. Interrogée sur le fait de savoir si elle comprenait que les professionnels de santé « rechignent » à se faire vacciner Mme Bachelot a précisé que le verbe « rechigner » (« témoigner de la mauvaise volonté pour ») ne convenait pas. Sans doute la ministre n’aurait-elle pas non plus accepté « renâcler », « grogner », « râler » ou « rouspéter » qui sont ses synonymes. Elle a préféré user d’une autre qualificatif. « C’est timide » a-t-elle dit, ajoutant : « D’ores et déjà nous avons 50 000 personnes à l’hôpital qui se sont faites vacciner A l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris plus 10% des personnels de santé sont vaccinés. Et il y a une très bonne accélération. »
Comprend-elle les reproches qui lui sont fait quant à l’acquisition d’un stock vaccinal à ce point surdimensionné ? « Non. Ce que je veux c’est que mon pays soit préparé à cette vaccination, répond-elle. D’ores et déjà nous savons que nous aurons peut-être la chance qu’une seule dose soit nécessaire. Mais cette information a besoin d’être confirmée et une partie de la population aura toujours besoin de deux doses, les enfants en particulier. Et puis, vous savez, depuis quelques jours la France est très demandée. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup de pays qui nous consultent et qui nous demandent si on n’accepterait pas de leur revendre des vaccins. Ces pays n’ont pas pris leurs précautions. Mais moi je ne veux pas leur revendre ces vaccins tant que je ne suis pas sûre, par une constatation clinique, que l’immunité donnée par la première dose – et qui est déjà importante – est bien durable. » Mais combien de temps faudra-t-il pour le savoir ?
La situation est étrange autant qu’elle est inédite. Si l’on comprend bien ce que nous dit Mme Bachelot la France a, au nom du principe de précaution, acquis pour une somme qui n’a rien d’anodin (un peu plus que celle annoncée par Nicolas Sarkozy dans le cadre du nouveau Plan Cancer) notablement plus de vaccins anti grippaux qu’elle n’en utilisera. Et si l’on saisit toujours bien il n’y a là rien de grave puisque d’autres pays n’ont pas, dans ce domaine, pris leurs précautions. Acheteur aux trop grands yeux le gouvernement va se faire revendeur.
On imagine sans mal la somme des questions qui vont se poser. Le gouvernement va-t-il, comme l’étaient hier les fabricants, être ici en position de force et va-t-il faire monter les enchères ? Qui mènera les négociations et sur quelles bases marchandes ou éthiques ? Pourquoi, par exemple, ne pas offrir notre surplus vaccinal aux pays qui n’ont pas pu « prendre leurs précautions » faute d’en avoir les moyens ? Préfèrera-t-on au contraire vendre à ceux qui offriront le plus ce qui permettrait sinon, peut-être, de réaliser des bénéfices, du moins d’effacer l’impression désastreuse qui prévaut aujourd’hui : celle que le gouvernement a fort mal mené les négociations avec les firmes productrices ? Les détails des futures tractations seront-ils ou non rendus publics, ce qui offrirait le grand avantage de prévenir les critiques aujourd’hui formulées quant au caractère secret des premières négociations ?
Etonnant retournement de situation. A qui la France pourra-t-elle vendre ses surplus ? Aux Etats-Unis peut-être où des voix s’élèvent pour dénoncer la stratégie gouvernementale en la matière. Comme, rapporte l’AFP, celle de Nicole Kunka, une responsable travaillant pour la sous-commission du Travail et de la Santé de la Chambre des représentants. Elle estime que le gouvernement a « lamentablement échoué » dans son objectif de production de vaccins contre le H1N1pdm. «Les premières estimations du gouvernement étaient que 160 millions de doses seraient disponibles pour octobre or le 29 octobre, 24,8 millions de doses
étaient disponibles » souligne-t-elle. Elle cite aussi des statistiques du département américain de la Santé indiquant que « des doses pour couvrir l’ensemble des groupes prioritaires dans la population ne devraient pas être disponibles en nombre suffisant avant janvier 2010 ». Aux antipodes de la situation française la pénurie de vaccins fait qu’aux Etats-Unis de longues files d’attente se forment à l’extérieur des cliniques et des centres où le vaccin est administré. De nombreuses personnes considérées comme les plus exposées au risque infectieux (les enfants et les femmes enceintes notamment) ne peuvent bénéficier de l’immunisation protectrice alors que, sur les conseils des autorités sanitaires, elles la réclament.
La France sera peut-être aussi amenée à vendre ses surplus au Nigeria qui vient d’annoncer son premier cas officiel de grippe pandémique : une fillette américaine de 9 ans résidant à Lagos. Rappelons qu’avec 140 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent africain. Sera-t-elle un jour contactée par le Belarus (qui vient d’enregistrer ses sept premiers cas mortels) dont le président Alexander Loukachenko vient de dire que la pandémie était une « provocation des sociétés pharmaceutiques » ? « C’est une provocation ordinaire des sociétés pharmaceutiques et le souhait de gagner de l’argent sur le malheur humain » a-t-il déclaré le 4 novembre en arrivant en Ukraine, pays confrontée depuis peu à une forte vague épidémique. Selon l’agence Interfax, interrogé sur le fait de savoir s’il n’avait pas peur de se rendre pour deux jours dans ce pays il a répondu : « De quoi dois-je avoir peur? Il faut se calmer et vivre ».
Jean-Yves Nau
« Vous chantiez ? J’en suis fort aise …. »
Le gouvernement semble avoir pris la (sage) décision de ne retenir qu’une seule dose dans le schéma vaccinal des adultes. Même si le discours officiel reste mesuré. En effet, certains experts européens semblent encore s’arc-bouter sur le schéma à deux doses initialement envisagé pour le vaccin contre le virus H5N1, celui de la grippe aviaire. Après la publication des résultats concordants provenant de nombreux essais vaccinaux, après les positions claires de l’OMS sur ce sujet et l’attitude de la FDA nord-américaine, le consensus se dessine avec peine : avec la souche N1N1pdm il faut adopter un schéma à une dose.
La raison finira par l’emporter, comme on l’on apprend ce jour, en filigrane de ces déclarations de la ministre de la Santé. Diriger c’est prévoir aurait-on rappelé à la ministre si elle n’avait commandé des vaccins que pour la moitié de la population française en pariant dès le mois de juin 2009 (à l’heure des prises de commandes) pour un schéma à une dose. S’est-elle trompée ? Les experts qui la conseillent ont-ils mal prévu ? Les affreux lobbys industriels étaient-ils derrière l’épaule ministérielle ? Ou si l’on est plus paisible, dame Nature (pour paraphraser l’un de nos fidèles lecteur-blogueur), a-t-elle su se montrer coopérante en offrant une forte réaction immunitaire des vaccinés dès la première injection ?
En toute hypothèse nous savons que nous devrons faire avec des surplus massifs. Et ce même si l’opinion se retournait en faveur de la vaccination, même si la vague épidémique prenait de l’ampleur et qu’apparaissait une demande massive de protection. A l’évidence la question du re-routage des doses se pose. Faut-il les donner aux pays pauvres qui en ont tant besoin et n’ont pas les moyens de les acquérir ? On a annoncé il y a plusieurs semaines qu’on le ferait un peu. L’OMS a annoncé que l’on offrirait, comme d’autres pays développés, 10% de nos stocks aux pays en développement.
Faut-il aller plus loin ? Le feraient-ils pour l’ensemble du surplus que l’on accuserait vite nos dirigeants (après leur avoir reproché leur imprévoyance) de dilapider les deniers publics. Faut-il donner ces vaccins en trop à nos amis européens ou américains qui n’en ont pas assez ? Il n’y aurait même plus la logique humanitaire pour sous-tendre une telle décision. Faut-il les vendre à ces riches cigales, pour une fois que la fourmi est bien française ? Roselyne Bachelot ne peut quand même pas répondre à ses collègues du G20 : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise : Eh bien ! Dansez maintenant ». La décision à prendre est clairement politique, elle ne relève pas de l’expertise. La ministre est pleinement dans son rôle en soulevant publiquement la question qu’elle devra trancher. La démocratie sanitaire, en l’absence d’urgence, exige un débat. En Suisse, on organiserait une votation. En France, n’est-ce pas le rôle du Parlement ?
Antoine Flahault
lire le billetAcceptez-vous un instant de participer avec moi à une sorte de Grand Jeu de l’automne : « Quelle est votre attitude vis-à-vis de vos autorités de santé concernant la grippe H1N1pdm » ? Vous avez bien lu l’épilogue du billet de Jean-Yves Nau de ce samedi 31 octobre 2009 (accès en ligne) ? La chute montre que ce billet d’aujourd’hui est un non-événement (même si Slate.fr l’a placé à la Une du jour…). Vous accepterez donc qu’on puisse en jouer je l’espère. C’est Halloween après tout ! On aurait pu tout aussi bien en rire, évoquer les fameux contrats de Gaston Lagaffe, mais c’eut été quelque peu inapproprié : Franquin ne faisait jamais signer les contrats de Gaston par De Mesmaeker, or on n’a pas soupçonné (ou pas encore) que ceux des vaccins n’étaient pas signés !
Alors je vous propose de répondre à cette auto-évaluation avec la plus grande franchise possible :
1. Quelle a été votre impression initiale à la lecture du billet de Jean-Yves Nau, avant même de connaître l’épilogue, concernant l’accès à l’information réservé au député ?
a. Vous pensiez que le député ne retrouverait pas ces contrats ?
b. Vous étiez persuadé dès le début que le député aurait un accès libre et entier à l’ensemble des contrats signés ?
c. Vous restez suspicieux sur la nature des informations qui ont été transmises au député, et vous restez convaincu qu’elle n’ont pas été complètes ?
2. Quelle est votre opinion depuis que vous avez pris connaissance de l’épilogue ?
a. Vous demeurez très sceptique sur cet épilogue, pour vous c’est encore un arrangement entre personnalités politiques dans le dos des citoyens de base et vous êtes sûr que l’on vous cache quelque chose ?
b. Vous vous dites que c’est du bruit créé par des journalistes et qu’on vous fait perdre votre temps ?
c. Vous êtes rassurés sur la santé de notre démocratie et fiers de nos institutions ?
L’épidémiologiste clinicien mesure votre attitude vis-à-vis de vos autorités de santé :
Si vous avez répondu :
1.c et 2.a ou 1.a et 2.a : vous avez clairement une personnalité soupçonneuse vis-à-vis de la classe politique que certains de mes confrères psy qualifieraient probablement de paranoïde, mais on a besoin de votre vigilance, car vous exercez -parfois avec excès- la garde rapprochée de nos institutions
1.a et 2.b ou 1.c et 2.b : vous n’avez pas grande confiance dans vos institutions, mais vous ne semblez pas très affecté par le buzz fait autour des informations de ce type
1.b et 2.b : vous êtes d’un naturel confiant dans vos institutions, et la lecture des faits qui vous sont rapportés sait vous conforter dans vos convictions solides.
1.a et 2.c : c’est une variante du précédent, vous n’êtes pas d’emblée confiant, mais vous savez vous laisser convaincre par les faits
1.b et 2.c : vous êtes possiblement un électeur de la majorité présidentielle et cela ne vous complexe pas, ou bien (mais ce n’est pas exclusif) une personnalité peu ébranlée par les agitations du jour et spontanément confiante dans le fonctionnement de nos institutions .
Toutes les autres réponses me plongent dans une certaine perplexité quant aux mécanismes de votre raisonnement dans ce domaine spécifique, je vous invite à relire une fois encore le billet de Jean-Yves Nau puis de refaire le test, et si cela recommence, à nous laisser un commentaire, voire, ce que nous comprendrions aussi bien, à passer à un autre billet de Slate.fr !
Antoine Flahault
lire le billet
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