C’est extraordinaire ce que la santé publique est empreinte de moralisme quasi catéchétique. Lisez à ce propos, dans son billet d’aujourd’hui, le sévère jugement que porte Jean-Yves Nau sur nos contemporains qui refusent aujourd’hui la vaccination et tiennent à le faire savoir. Le rapport à la santé est certes culturellement connoté par l’influence des grandes religions. Les hôpitaux étaient – et sont encore parfois – des Hôtel-Dieu dans nos villes. A Berlin aussi, capitale européenne que nous fêtons particulièrement ces jours-ci, l’Assistance publique s’appelle « Charité », en Français dans le texte. Les legs laissés par le dévouement infirmier des sœurs soignantes des siècles passés sont bien sûr considérables et ont façonné nos métiers, nos esprits et nos cœurs, à n’en point douter. Les métiers de la médecine, très certainement. Ceux de la santé publique, ce pouvait être moins attendu. Ce sont plutôt les Lumières qui ont apporté le discours sur la médecine préventive et collective, avec Condorcet par exemple, puis plus récemment, au début du XXème siècle, avec de grandes figures (un peu oubliées malheureusement) comme celles de Jacques Parisot, véritable père de l’école de Nancy (lire le livre d’Etienne Thévenin, paru en 2002 aux Presses Universitaires de Nancy, résumé en ligne gratuit) . Malgré cet apport profondément laïc, il subsiste dans l’approche de la santé publique de profonds reliquats moralisants. On voudrait que les experts soient des saints comme le rappelle Jean-Yves Nau. Mais il y a les conflits d’intérêts. Ils existent. Il faut déclarer publiquement ses conflits d’intérêt dit-on aujourd’hui, comme on demandait autrefois de reconnaître ses fautes (mais cela restait dans le confessionnal, c’était avant l’ère Internet). Derrière les intérêts, il y a le fantasme sous-tendu d’un grand marionnettiste qui tirerait, derrière le rideau, les ficelles : encore une scorie des interférences religieuses du passé ? On voudrait que les ministres soient des Mère Thérésa. On reproche aux responsables de ne pas « donner l’exemple ». Mais de quoi parle-t-on ? Que souhaitons-nous comme société ? Souhaitons-nous vraiment remplacer la morale religieuse par une morale sanitaire, certes laïque, mais qui vous ferait expier vos kilos en trop par une activité physique pénible et imposée ? Le fumeur a-t-il besoin que son médecin ne fume pas pour savoir que la fumée de cigarette est dangereuse pour sa santé ? La vaccination de Nicolas Sarkozy doit-elle être scénarisée pour que les foules se dirigent vers les centres municipaux ?
Permettez-moi de reprendre ici la réflexion d’une de nos blogueuses-lectrices de ce week-end, qui sous le pseudonyme de Cathy a écrit le commentaire suivant qui éclaire à mon sens le débat d’aujourd’hui : « C’est curieux, en vous lisant j’ai l’impression de comprendre (je suis prudente…) que pour bcp le problème du vaccin c’est la peur des effets secondaires éventuellement dangereux. Je ne suis pas sociologue, hein, mais autour de moi j’observe tout autre chose. Il s’agit surtout d’opposition, d’opposition ferme avec plus ou moins de colère. La phrase que j’entends le plus c’est “on nous prend pour des c…”. Je ne connais personne qui ait peur du vaccin en tout cas qui l’exprime… Il s’agirait plutôt d’un moyen de s’opposer à un système qui semble avoir perdu toute crédibilité. Le danger n’étant pas -encore- visible, (voire totalement nié par bcp) le petit peuple fait de la résistance autrement que dans la rue. En tout cas, dans nos campagnes, c’est le discours ambiant, “notables” compris ». Je ne sais pas si Cathy a raison, il est un peu tôt pour le dire. Mais, elle a sa raison, et elle l’exprime. On sent bien en effet, que l’expertise est un peu prise au dépourvu dans cette aventure. D’abord parce que cette expertise peine à cerner avec acuité le phénomène, dont on n’arrive toujours pas à savoir le degré de gravité – comme le rappelle avec des mots très justes Jean Rabat, un autre fidèle commentateur de notre blog, co-auteurs avec Cathy et les autres devrait-on bientôt dire, tant leur production est intense.
On ne sait pas en particulier si la pandémie sera beaucoup plus grave qu’on ne la ressent aujourd’hui, ou au contraire particulièrement anodine, au regard des véritables fléaux auxquels sont confrontés toute l’humanité, tous les jours que Dieu fait. Ensuite, nos contemporains éprouvent sans doute des difficultés – des limites ? – à croire ce qu’ils ne voient pas (c’est évangélique pourtant : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », Jean 20, 19-31), et donc sans doute à donner crédit à l’anticipation des experts. Dans cette pandémie du XXIème siècle, on est pourtant en plein dans l’anticipation. On l’attend même depuis 2003 ! Elle a changé de nom entre temps, ce n’est plus H5N1, mais c’est bien une pandémie, et c’est bien la grippe. Mais on ne voit pas grand-chose. Pas encore ? Peut-être. Et l’on ne verra probablement jamais quoi que ce soit de bien grave, pour plus de 99% d’entre-nous. Alors, face à ces incertitudes, face à ce « rien à voir », il n’est pas étonnant que certains d’entre nous aient envie de dire « circulez », et ceux, les moins moralistes : « laissez-moi circuler, et me retirer de tout se brouhaha ».
Antoine Flahault
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