Questions sur une mutation française

Ce communiqué diffusé en urgence dans la fin de l’après-midi du 27 novembre par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) : « L’InVS) signale l’identification en France par les Centres nationaux de référence de mutations dans le génome du virus de la grippe H1N1pdm 2009 et retrouvés chez deux patients qui, par la suite, sont décédés. Pour ces deux patients (sans relation entre eux et hospitalisés dans des villes différentes)  il s’agit d’une mutation récemment signalée en Norvège. Cette mutation pourrait augmenter les capacités du virus à atteindre les voies respiratoires basses, et notamment, à atteindre le tissu pulmonaire. Pour l’un de ces patients, à cette mutation s’ajoute une autre mutation connue pour conférer une résistance à l’oseltamivir [Tamiflu]  Il s’agit de la première souche résistante en France parmi les 1200 souches analysées à ce jour. »

S’inquiéter, voire trembler ? L’InVS : « La survenue de mutations du H1N1pdm 2009 n’est pas inattendue du fait des caractéristiques des virus grippaux. L’impact de ces mutations sur le caractère pathogène et la capacité de diffusion de ces virus n’est pas documenté et va faire l’objet d’investigations complémentaires à l’échelon français et international. L’efficacité des vaccins actuellement disponibles n’est pas remise en cause. » En pratique tour se passe comme si la France était d’ores et déjà confrontée à deux évènements d’importance observés ces derniers jours en Grande Bretagne et en Norvège.

Depuis l’émergence de la pandémie, il existe deux principales sources d’inquiétudes. D’une part une mutation qui confèrerait au virus H1N1pdm une plus grande virulence; une virulence de nature à réduire de manière drastique l’efficacité des vaccins qui commencent à être proposés aux populations des pays industriels. D’autre part une mutation qui rendrait l’agent pathogène résistant aux deux antiviraux (le Tamiflu et le Relenza) qui ont démontré une relative efficacité contre lui. Or voici que sur ces deux fronts une série d’alertes distinctes, puis réunies, viennent d’être lancées. S’inquiéter?

La première alerte venait de Londres où les autorités sanitaires britanniques annonçaient, vendredi 20 novembre, mener une enquête sur des cas possibles d’une première transmission interhumaine  à cette forme de résistance. Plusieurs dizaines de cas de résistance au Tamiflu avaient déjà été déjà été constatés ces derniers mois dans différents pays du monde mais aucune observation de transmission interhumaine de la souche n’avait été documentée.

La seconde des deux récentes alertes émanait de Genève et du siège de l’OMS qui, le vendredi 20 novembre, faisait  savoir que les autorités sanitaires norvégiennes avaient détecté trois cas d’une mutation génétique du H1N1pdm. L’Institut norvégien de santé publique précisait que les virus mutés avaient  étaient isolés chez les deux personnes victimes des deux premiers cas mortels (le 3 septembre et de 23 octobre) de la grippe pandémique dans le pays ainsi que chez une troisième gravement atteinte par l’infection virale.

L’OMS lançait aussitôt une alerte et diligentait des enquêtes. Pour les virologistes la question est simple : les mutations observées sont-elles hautement dangereuses (« avantage sélectif ») ou de simples « cul-de-sac » ? « Seule la surveillance virologique et épidémiologique pourra répondre aux questions posées par la mutation du virus A(H1N1)v identifiée en Norvège », expliquait il y a quelques jours au « Quotidien du médecin » le Dr Jean-Claude Manuguerra, virologue, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence (CIBU) de l’Institut Pasteur.

Ce  point de vue était alors  partagé par le Pr Bruno Lina, directeur du Centre national de référence de la grippe à Lyon. « Toute la question est de savoir si ce virus mutant est plus pathogène et s’il va supplanter l’autre virus, ajoutait-il. Personne n’est capable aujourd’hui de répondre à cette question. Cette mutation a déjà été identifiée par le passé au Brésil et en Ukraine, dans des formes graves mais aussi non graves. S’il s’avérait que le virus présente effectivement une pathogénicité exacerbée, ça ne signifie pas forcément qu’il soit plus transmissible d’une personne à l’autre. Il faut continuer à observer ce qui se passe. Pour le moment, on n’a pas l’impression que ce virus prenne la main. »

Avec la série des nouvelles données épidémiologiques françaises (et dans l’attente des informations que possèderont bientôt les autorités sanitaires)  la problématique prend une nouvelle –et potentiellement inquiétante- dimension. « La découverte de ces mutations entraîne chez nous une très grande  vigilance, mais on ne peut pas encore parler d’inquiétude particulière, estimait dans la soirée du 27 novembre  le Dr Françoise Weber, directrice générale de l’InVS. La mutation pourrait accroître les capacités du virus à atteindre le tissu pulmonaire. »En écho le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé : « Cette mutation est susceptible d’être à l’origine de formes pulmonaires  plus sévères, mais ce n’est pas une certitude ». « C’est un facteur de risque, oui il est plus dangereux, mais pour qu’il soit  vraiment dangereux, il faudrait qu’il soit capable de passer d’un sujet à un  autre, a pour sa part souligné Claude Hannoun, professeur honoraire à l’Institut Pasteur, sur RTL. Le virus a subi une mutation qui change la façon dont il entre dans les cellules, qui change la façon dont il réagit aux médicaments, donc il ne lui  manque qu’une propriété pour qu’il soit vraiment dangereux, c’est de devenir  transmissible de façon plus importante que ses cousins, qui n’ont pas muté. »

Pour l’heure tous les spécialistes assurent que ces mutations ne changent rien, pour l’heure, à l’efficacité des vaccins proposés à des fractions croissantes de la population française.

Jean-Yves Nau

Anecdote attendue ou tournant décisif ?

L’un des problèmes auxquels on est confrontés avec cette pandémie est la quantité de projecteurs braqués en permanence sur elle, en de nombreux points de la planète. On perd ainsi progressivement notre habituel système de références. Pour savoir si il y a lieu de s’inquiéter d’une mutation observée il y a quelques semaines en Ukraine, puis en Norvège, puis peut-être en Russie et en Chine, et ce soir en France, on voudrait savoir si le phénomène est inédit ou non. Or ce qui est inédit, c’est que l’on sache cela en temps quasi-réel. L’an dernier, avec les souches saisonnières prédominantes (H1N1 saisonnier ou H3N2) aurait-on été tenu informés de telles mutations ? La réponse est non, évidemment. Aurait-on seulement recherché de telles mutations ? Sans doute oui, mais avec une fréquence bien moindre. Certes, il n’était pas habituel de voir des jeunes adultes hospitalisés en réanimation pour les grippes saisonnières, et si cela avait été le cas, en France tout du moins, on aurait probablement procédé à une analyse approfondie de la souche virale en cause. Donc, la sévérité de certaines formes cliniques aussi est inédite. Par ailleurs, on ne sait pas grand-chose de ces mutations. On sait qu’expérimentalement, elles semblent associées à de plus grandes capacités d’infecter l’étage inférieur de l’arbre respiratoire et d’un risque accru de pneumonies virales graves. On espère que le vaccin restera efficace, mais on ne peut l’affirmer. On peut craindre que, lorsqu’une autre mutation est associée – ce qui est la situation retrouvée chez l’un des cas Français- le Tamiflu peut s’avérer inefficace. On ne sait pas si ces souches mutantes sont plus ou moins transmissibles que les non mutantes.

Ce ne sont pas des informations très réjouissantes en cette fin de semaine.

En fait, ce qui n’est pas réjouissant, c’est surtout de constater (une fois de plus) que l’on ne sait pas grand-chose sur cette maladie si banale qu’est la grippe. On n’a pas d’expériences passées nous permettant de recaler les informations qui nous parviennent dans un cadre logique et connu. On n’est incapable de savoir si l’on est dans l’anecdotique attendu car survenant à chaque épidémie de grippe, ou bien si l’on aborde un tournant décisif de cette pandémie. On est en train de découvrir à quel point la faiblesse des investissements en recherche sur les virus banaux finit par peser lourd dans la décision publique qui devient rapidement démunie car entourée de trop d’incertitudes. La méconnaissance du coronavirus, virus des rhinopharyngites les plus banales avait lourdement ébranlé en 2003 la communauté internationale et mis à pied plusieurs compagnies aériennes, notamment nord-américaines pendant la crise du SRAS, ces pneumonies atypiques dues à un coronavirus particulièrement virulent et inconnu de la famille. La méconnaissance du virus du chikungunya en 2005, avait conduit à longtemps négliger les alertes nous parvenant de l’île de La Réunion en 2005, à considérer à tort qu’il n’y avait rien à redouter de ce virus banal transmis par un moustique, alors qu’aucun vaccin n’existait, et qu’aucun traitement n’était disponible (et d’ailleurs, quatre ans plus tard, on n’a toujours pas beaucoup progressé sur ce front). Aujourd’hui, l’absence quasi-totale de résultats de recherches passées conduites de manière systématique et approfondie sur le virus de la grippe, sur ses conditions d’émergences et sur son impact, semble nous plonger dans cet abîme qu’est l’ignorance.

Antoine Flahault

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H1N1pdm : Mutatis mutandis

Cette information que nous livre Jean-Yves Nau dans son billet du 21 novembre 2009 fait clairement partie des sujets difficiles à traiter lorsque l’on a le nez dans le guidon comme nous acceptons de le faire en tenant ce blog. Les virus de la grippe, dont le matériel génétique est constitué de segments d’ARN, sont enclins à muter fréquemment. C’est la raison pour laquelle le vaccin contre la grippe change chaque année ou presque : les virus saisonniers de la grippe mutent en permanence. Il y a deux rendez-vous annuels à l’OMS qui réunissent à Genève les quatre centres collaborateurs mondiaux pour la grippe, et qui fixent les recommandations pour la composition du vaccin saisonnier. Elles ont lieu pour l’une en février, et vise à la préparation vaccinale concernant l’hémisphère nord pour le mois de septembre suivant, et l’autre en septembre pour le vaccin de l’hémisphère nord destiné à l’hiver austral suivant. Ces réunions permettent de faire le point sur l’ensemble des mutations du virus de la grippe détectées durant la saison passée, et de faire le choix du prochain vaccin sur la base des souches qui semblent aux experts avoir la plus grande probabilité de circuler l’année suivante. Comme quoi les virologues et les épidémiologistes de la grippe sont habitués à faire des recommandations basées sur des prévisions. Comme quoi surtout, les mutations, sont-elles le lot quotidien des spécialistes des virus de la grippe. On n’en fait pas tout un fromage, lorsque trois mutations sont détectées pour un virus de grippe saisonnier. Mais, là la noblesse et peut-être l’inquiétude suscitées par ce virus pandémique encore mal connu donne un coup de projecteur inattendu sur ce phénomène somme toute qui n’est pas pour nous surprendre. Que ces mutations soient associées à des conséquences significatives est une question d’une autre difficulté. Il y a trois impacts potentiellement préoccupants de ces mutations qui sont aujourd’hui envisageables. Le premier, c’est la mutation qui permettrait au virus de devenir résistant aux antiviraux (Tamiflu ou Relenza, voire contre les deux, ce qui ne s’est pas encore produit avec le H1N1pdm). Le second impact serait une mutation qui s’associerait à un regain de virulence de la souche. On redoute souvent cela, mais ce n’est pas l’expérience que l’on a habituellement des mutations observées pour les souches saisonnières. Mais cela a déjà été observé dans le passé. Ainsi, une souche de sous-type H3N2, identifiée en juin 1997 à Sydney avait causé des épidémies particulièrement meurtrières à la fois dans l’hémisphère sud puis dans l’hémisphère nord. Ce ne fut pas l’hécatombe non plus. La troisième conséquence serait l’absence de protection vis-à-vis de la souche mutée apportée par le vaccin en cours de distribution. On parle alors de « mismatch » (discordance). La souche saisonnière de 1997 que je viens de citer cumulait les deux derniers impacts possibles qu’une mutation peut générer. Cette souche australienne était plus virulente, et de plus avait émergé – en juin 1997 – c’est-à-dire après la reccommandation émise par l’OMS en février pour la fabrication du vaccin saisonnier de l’année en cours dans l’hémisphère nord (et totalement hors de portée d’une adaptation du vaccin de l’hiver austral qui débutait alors). Le vaccin 1997 s’est révélé ne pas conférer une immunité protectrice satisfaisante cette année là, sans que ce fut à l’époque fortement médiatisé, Internet en était à ses début et ce n’était qu’une grippe saisonnière… Dans les cas récents de mutations décrits par Jean-Yves Nau à la suite des dépêches reçues ces derniers jours, il est encore trop tôt pour savoir si les mutations s’accompagneront ou non d’un regain de virulence. Il semble dores et déjà acquis que le vaccin actuellement fabriqué resterait protecteur contre ces souches mutantes, même si cela mérite probablement d’être confirmé avec le temps et l’expérience (il n’y a pas un corrélat très clairement établi entre les taux d’anticorps détectés et la protection clinique effective). Si ces souches mutées circulaient en grand nombre et que l’on se mettait à constater des formes sévères hospitalisées chez des patients vaccinés mais infectés par ces souches mutées, alors on aurait des doutes sur la protection conférée par le vaccin sur ces souches. Il semble par ailleurs acquis que les mutations (observées au Royaume Uni) concernent l’acquisition de résistance au Tamiflu. Ces résistances sont d’autant plus préoccupantes que nous ne disposons malheureusement pas d’études publiées sur l’efficacité et la sécurité de l’utilisation de combinaison entre le Tamiflu avec d’autres antiviraux, et de peu de recherche en cours sur ce sujet. Nous ne disposons pas d’un arsenal thérapeutique très étendu contre le virus de la grippe, nous n’avons pas d’expérience de bi ou tri-thérapie comme dans le cas du traitement du Sida. On pourrait rapidement se retrouver devant des impasses thérapeutiques si les antiviraux traditionnels de la grippe se révélaient inéfficaces en raison de l’émergence de souches résistantes.

Antoine Flahault

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H1N1pdm : Que va-t-il se passer en Europe ?

Observer autant que faire se peut, depuis la fin du mois d’avril, les différentes facettes de cette pandémie  conduit régulièrement à un étrange constat : le décalage constant entre d’une part la « macrolecture » prévisionnelle qui en est faite par la communauté des experts et des institutions sanitaires internationales et, de l’autre, la perception de l’opinion. Tout se passe, en France, du moins comme si persistait un durable déni. Pourquoi « y croire » puisque l’on n’a rien vu ; ou presque. Pire les mesures préventives prises semblent exorbitantes par rapport au regard que l’on porte sur la réalité du risque. On se refuse à vouloir comprendre que la quasi-bénignité de la très grande majorité des cas individuels peut, en situation pandémique conduire à une véritable (transitoire mais véritable) désorganisation sociale. Après l’émotion nationale causée par l’annulation en catastrophe du match de football qui devait opposer l’Olympique de Marseille au Paris- Saint Germain la seule question qui compte est celle de savoir quand ce match pourra être joué. Les centaines de milliers d’amateurs de football français imaginent-ils ce que serait l’annulation durant plusieurs semaines de la quasi-totalité des rencontres du championnat professionnel, sans même parler de celle des compétions européennes ?

L’Europe justement ; ou plus précisément l’Union européenne. On ne l’a guère entendue ces derniers mois sur le front de la lutte contre la pandémie. Principe de subsidiarité oblige le charbonnier étatique est maître chez lui tandis que Bruxelles regarde ailleurs se passionnant, par exemple cet été, pour la modification des règles permettant d’élaborer des vins rosés (mais j’y songe, pourquoi ne pas mélanger vins blancs et vin rouges ?) ou montant aujourd’hui en première ligne pour tenter de rééquilibrer le marché du lait en plein marasme.

Qui, en France et dans les vingt-six autres Etats de l’UE, connaît le nom de la Commissaire européenne à la Santé ? La Commission devrait d’urgence faire un sondage sur ce thème ne serait-ce que pour faire saisir à quel point, pandémie ou pas, l’Europe sanitaire est un mirage.  Pourquoi, par exemple, ne pas avoir centralisé (et ainsi fait baisser) l’acquisition des vaccins ?  Androulla Vassiliou (c’est d’elle dont il s’agit) vient de tenter de se faire entendre. Elle l’a fait dans la presse allemande (pourquoi allemande ?) datée du 27 octobre. « D’après tout ce que nous savons, jusqu’à 30% de la population peut attraper la grippe porcine (sic). Dans ce cas, nous devons nous attendre malheureusement à un nombre de morts important, a déclaré cette ressortissante chypriote au quotidien die Welt. Il est à craindre que le virus évolue et devienne nettement plus agressif dans les prochains mois. »

Mme Vassiliou appelle donc les Européens à « rester vigilants » et à « ne pas négliger » les conséquences socio-économiques de la pandémie.

« La reprise économique dans l’UE pourrait être affaiblie. Certains secteurs économiques comme le tourisme ou l’industrie des loisirs pourraient subir des préjudices, ajoute-t-elle. On peut imaginer qu’une augmentation des arrêts maladies et  qu’une baisse de la consommation en raison du sentiment d’insécurité provoquent une baisse de productivité et des perturbations dans le système de production. »
Et Mme Vassiliou de prôné la fermeture « immédiate » des établissements scolaires où des cas de grippe A(H1N1)pdm seraient confirmés et l’ « annulation » des compétitions  sportives et des manifestations artistiques également affectées. Elle exhorte encore les Européens à se faire vacciner en grand nombre au motif que « plus il y a de personnes vaccinées, moins la pandémie peut se développer ».

Les vaccins précisément. Le même jour où Mme Vassiliou s’exprimait en Allemagne l’OMS lançait un cri d’alarme depuis La Havane où sa directrice générale –le Dr Margaret Chan- effectuait un voyage. Selon elle le constat est simple : il va manquer « des milliards de doses » pour protéger la population des pays pauvres contre la pandémie. « La capacité globale d’acquisition des vaccins est limitée et inadéquate et il manquera toujours des milliards de doses pour protéger toute la population » a déclaré le Dr Chan tout en rappelant que l’OMS allait commencer à distribuer en novembre des vaccins à plus de 100 pays en développement, dont Cuba. Il s’agira de vaccins fournis par les groupes pharmaceutiques producteurs et par certains pays industriels qui se sont engagés à  promis de distribuer jusqu’à 10% de leurs stocks aux pays pauvres. Tout ceci devrait pouvoir protéger près de 2% de la population de ces pays pauvres d’ici quatre ou cinq mois.

Jean-Yves Nau

Expliquons-nous sur les morts dues au H1N1pdm

Tout ce que l’on peut entendre, voir ou lire ici et là nous conforte dans l’idée qu’il nous fallait impérativement tenir ce journal de bord de la pandémie. A la différence des romans d’aventure les livres de bord des navires ne narrent pas des péripéties quotidiennes. La monotonie de la mer d’huile peut se reproduire plusieurs fois au cours d’une traversée hauturière. La constance de l’alizée peut sembler bien longue au portant en longeant les tropiques….

Pour notre part nous retrouvons ici un temps qu’il nous semble avoir déjà vécu  il y a plusieurs mois déjà, puis une nouvelle fois  il y a quelques semaines. Les modèles prédictifs avaient prévu dès le mois de juin que le tiers de la population mondiale pourrait être contaminée par le A(H1N1)pdm. L’OMS l’a répété également, de même que les autorités sanitaires nord-américaines et britanniques. On a aussi entendu, et ce à de nombreuses reprises qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à un accroissement de la sévérité du phénomène avec l’approche de l’hiver.

Etait-ce là un discours mobilisateur ? Peut-être. Etait-ce  au contraire un discours quelque peu lénifiant ? Pas si sûr. Les enseignants disent souvent (eux aussi) que la répétition est la base de l’apprentissage. Ce qui nous importe avant tout ici, c’est « l’état de la mer ».  J’entends souvent « ça me fait penser au bug de l’an 2000 cette histoire de pandémie ! ». Il est vrai que l’expérience de l’hémisphère Sud semble  contredire des prévisions considérées aujourd’hui comme par trop « alarmistes ». Le fameux « taux d’attaque » de 30% n’y était pas au rendez-vous. La Nouvelle Calédonie dont 15% de la population a été atteinte aurait été l’un des territoires du Pacifique Sud les plus frappés. Mais on ne connaît  pas vraiment la proportion des cas asymptomatiques et des cas paucisymptomatiques, ceux que l’on ne repère pas dans la veille sanitaire classique. Ces cas correspondaient-ils en valeur absolue à ceux des infections cliniques comme on l’a vu dans les précédentes pandémies grippales ?  Si oui alors, en Nouvelle Calédonie, on retomberait sur la proportion prédite de 30% de taux d’attaque.

Mais tout ceci n’ébranle pas -à raison peut-être –  les tenants de la théorie du bug de l’an 2000: ce qui nous attend n’est pas terrifiant. Sauf si la Commissaire européenne à la Santé parlait de 30% de taux d’attaque « clinique » sous-entendant que 60% de la population européenne risquait d’être infectée…  Comment savoir ? Cette confusion des termes ne renforce pas la crédibilité du discours général. Disons que nous n’avons pas beaucoup d’éléments nouveaux, et que l’on pourrait bien connaître des taux d’attaque supérieur à ceux observés dans l’hémisphère Sud.

D’ailleurs, l’observation attentive des courbes épidémiques de grippe dans les zones tempérées de l’hémisphère Sud montre que la pandémie a causé des épidémies beaucoup plus fortes que durant les années précédentes (entre deux et cinq fois plus fortes). Si 10 à 15% de taux d’attaque clinique durant l’hiver austral avec la nouvelle souche pandémique ne semble pas un niveau très important, il faut rappeler que dans ces territoires (les moins peuplés du globe) les épidémies de grippe ne se comportent pas tout à fait pareil que dans l’hémisphère Nord. On peut aisément le comprendre : pour aller d’île en île, de ville australe à ville australe, la dynamique épidémique peut perdre un peu en intensité ; c’est le phénomène de l’amortissage  bien connu dans la théorie du signal. On a déjà observé cela. De là à avoir expliqué et compris ces phénomènes, il y a un pas que je franchis peut-être ici, j’en conviens.

Et puis, il y a la mortalité de la grippe. On lit, notamment sur notre blog, des commentaires à la fois riches, documentés, et nombreux, y compris rédigés par des enseignants-chercheurs, des mathématiciens sceptiques qui nous aident à réfléchir. A mon sens cependant (et ce n’est pas faute de l’avoir martelé partout) les vraies mécanismes de la mortalité restent peu connus du public, y compris du public averti. Mais pas des chercheurs et des spécialistes du domaine. Alors expliquons-nous.

Nous nous en sommes entretenus récemment, notamment avec des experts de l’OMS, des CDC et de l’ECDC à Berlin au World Health Summit où plusieurs sessions ont été consacrées à la pandémie. Contrairement à ce qui est souvent dit la mortalité par grippe saisonnière dans les pays développés, n’est pas de un cas pour 10 000, ni de un cas pour 100 000 : elle est de un cas pour 1 000 infections par le virus de la grippe. Oui, c’est considérable. La mortalité par grippe pandémique serait-elle, du coup, inférieure ? On ne peut pas le dire. Pas aujourd’hui. Pas encore. Elle est même probablement un peu supérieure, mais ce n’est pas  non plus certain.

Attention : il ne faut pas changer la méthode de mesure de la profondeur du phénomène au milieu du gué. Ou bien l’on noie ses auditeurs. C’est cependant ce que font beaucoup de personnes, y compris de nombreux experts. La mortalité par grippe ne se mesure pas (ou pas seulement) par le décompte des victimes de la grippe rapportées par les médecins. C’est une notion fondamentale à garder à l’esprit. Revenons sur les bases de calcul de cet excès de mortalité et sur le hiatus avec l’identification clinique (des médecins).

Le dénominateur d’abord : sachant qu’une infection sur deux est asymptomatique, on estime à 6 millions le nombre moyen d’infections par grippe saisonnière. Donc avec un numérateur à 6000 décès, la surmortalité par grippe chaque année est (en moyenne) de 1 pour 1000. Or en France seuls 600 décès en moyenne sont rapportés par les médecins comme des morts  attribuées à la grippe (cause principale ou secondaire) dans les registres de mortalité de l’Inserm. Ainsi, seuls 10% des décès dus à la grippe sont identifiés par les médecins. Les 90% restants viennent des statistiques de mortalité générale, une fois qu’on a pu les récupérer.

On s’aperçoit en effet, de manière reproductible et quasi constante, qu’à chaque fois qu’une épidémie de grippe saisonnière passe dans le pays, un excès de mortalité est observé par rapport aux mois des années précédentes où elle n’était pas passée. Nous le savons parce que la grippe saisonnière dure environ un ou deux mois, se produit chaque année, mais ne débute pas à une date régulière. Elles peuvent survenir selon les années entre novembre et mars. On retrouve le même phénomène, avec la même ampleur, aux USA, au Royaume-Uni, en Australie, et dans tous les pays où l’on a étudié ces phénomènes.

Autre précision, cet excès de mortalité concerne les personnes de grand âge (pour plus de 80% des plus de 75 ans). De quoi sont-elles décédées si les médecins n’ont pas identifié la grippe comme une cause possible de leur décès ? On ne sait pas aujourd’hui répondre à cette énigme. Il faut reconnaître que la mortalité des personnes de grand-âge l’hiver ne passionnait pas les chercheurs jusqu’ici. Une infection asymptomatique qui viendrait déstabiliser un équilibre de santé précaire chez une personne très fragile ? On en saura peut-être davantage si des études sont conduites à l’occasion de cette pandémie. Toujours est-il que pour 90% des décès par grippe, la grippe est passée par pertes et profits dans l’éventail des causes de décès que l’on demande au médecin d’identifier lorsqu’il est appelé à compléter le certificat médical de décès.

Et alors, pour cette pandémie, qu’en est-il ? C’est simple : il est beaucoup trop tôt pour le dire car on ne dispose pas des données de mortalité de toutes causes en temps réel. Sauf aux USA qui ont construit un échantillon de 122 villes où ces données sont rapportées en temps réel. Ils n’ont rien observé durant l’été, mais l’épidémie estivale y a pris la forme de petits foyers, certes multiples et médiatisés, mais sans véritable ampleur ; rien à voir avec les épidémies hivernales saisonnières. D’ailleurs, depuis quelques semaines, les spécialistes américains observent un excès de mortalité qui n’est pas encore analysé en détail, mais qui est significatif (notamment sur les classes d’âge concernées). Il s’agit sans doute du premier signal tangible d’un excès de mortalité observé avec cette grippe H1N1pdm (voir bulletin des CDC sur la grippe H1N1pdm de la semaine en cours, en anglais).

L’InVS en France a mis en place récemment (après la canicule de 2003) un système un peu analogue d’analyse en temps réel de la mortalité de toutes causes ; on pourra donc suivre cet aspect aussi tout au long de l’hiver (voir bulletin InVS de la grippe H1N1pdm du 27 octobre par exemple, fichier pdf). Dans les autres pays européens, je n’en ai pas connaissance. Dans l’hémisphère Sud, aucune donnée de ce type n’a été rapportée durant l’hiver austral. Il faut souvent de longs mois avant que ces données soient disponibles. Elles le seront un jour bien sûr. Mais, tenons l’hypothèse aujourd’hui, somme toute raisonnable, que l’excès de mortalité chez les personnes âgées par cette grippe pandémique ne sera pas inférieur à celui observé habituellement durant les grippes saisonnières. Un pour mille.

Ce qui change, en revanche, et notablement, durant cette pandémie, c’est le profil de la partie émergée de l’iceberg : cette mortalité identifiée par les médecins et qui nous est aujourd’hui rapportée. Cette mortalité directement attribuable à la grippe. La mortalité directe par grippe saisonnière – tout comme l’ensemble de l’excès de mortalité – concerne habituellement les personnes très âgées (les plus de 65 ans pour la plupart). En effet, les adultes jeunes et les enfants ne meurent pas de grippe saisonnière. Or ce sont principalement eux qui meurent de la grippe pandémique. Les adultes jeunes ne sont qu’exceptionnellement hospitalisés en soins intensifs pour la grippe saisonnière. Or ce sont essentiellement eux qui sont aujourd’hui (qui étaient cet été dans le Sud) pour certains entre la vie et la mort en soins de réanimation, sous ventilation, ou pire encore sous oxygénation par circulation extra-corporelle (ECMO). Ils ne représentent sans doute « que » 10% de la mortalité attendue (ce qui fait dire à certains, hâtivement peut-être, que la grippe pandémique semble tuer moins que la grippe saisonnière), mais ces 10% n’ont en rien le visage attendu. De plus, dans près de deux-tiers des cas, ces malades qui font des formes malignes de grippe pandémique sont des personnes qui souffraient de maladies pré-existantes : diabète, asthme, bronchite chronique, obésité majeure. Trop fréquemment aussi, ce sont des femmes enceintes. Mais habituellement un diabétique, un asthmatique, un obèse, ou une femme enceinte peut redouter qu’une grippe saisonnière le fatigue davantage qu’un autre, mais pas d’en mourir.

En conclusion (et l’on me pardonnera – peut-être –  d’avoir été un peu long aujourd’hui alors même que j’annonçais qu’il n’y avait rien de très nouveau sous le soleil) on peut s’attendre à deux choses. D’une part à un effet amplificateur de l’excès de mortalité en raison du taux d’attaque qui pourrait être entre deux et cinq fois supérieur à celui d’une grippe saisonnière. Et d’autre part on peut craindre une mortalité directe très rare (1 pour 10 000 ? On ne sait pas encore très bien, mais c’est la seule estimation que j’ai pu faire vers la fin du mois d’août et qui résiste aux chiffres apportés depuis, gratuit en ligne, en anglais). Une mortalité directe très rare, mais au visage très inhabituel aussi touchant des jeunes (des enfants et notamment des nourrissons) et des adultes, avec ou sans maladies sous-jacentes.

Antoine Flahault


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Mourir jeune et aux Etats-Unis de la grippe : Et alors ?

L’information nous parvient de Washington. Et comme nombre des informations essentielles concernant les dernières évolutions de la pandémie aux Etats-Unis elle nous est fournie par la voix du Dr Anne Schuchat, directrice de l’immunisation et des maladies infectieuses des plus que prestigieux « Centre fédéraux de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ». En résumé, c’est une confirmation : les personnes jeunes, âgées de moins de 25 ans,  sont bel et bien la catégorie de la population américaine la plus durement touchée par la nouvelle infection grippale. Telle est la principale conclusion qui peut être tirée  des dernières statistiques partielles  d’hospitalisations et de mortalité publiées le 20 octobre par les autorités sanitaires fédérales.
Du 1er septembre au 10 octobre, 27 Etats américains ont recensé  4.958
hospitalisations dues à l’aggravation d’une infection par le A(H1N1)pdm et 53% d’entre elles concernaient des personnes de moins de 25 ans. D’autre part 39% des hospitalisations ont concerné des personnes de 25 à
64 ans et seulement 7% des personnes de 65 ans Selon le Dr Schuchat quand bien même elles sont incomplètes ces statistiques permettent d’établir  les caractéristiques l’actuelle pandémie sont radicalement différentes des grippes saisonnières.

Poursuivons la lecture de ces statistiques américaines. Sur les 292 décès confirmés comme étant associé au A(H1N1)pdm recensés dans 28 Etats entre le 1er septembre et le 10 octobre, près d’un sur quatre (23,6%) ont concerné des personnes de moins de 25 ans ; 65% des personnes âgées de 25 à 64 ans et 11,6% chez les 65 ans et plus. Chaque année aux Etats-Unis les grippes saisonnières sont à l’origine de  36.000 morts qui, dans 90% des cas  concernent les plus de 65 ans.

Une majorité des jeunes morts après la nouvelle infection virale souffraient certes de problèmes chroniques de santé, aux premiers rangs desquels  une maladie asthmatique ou une insuffisance cardiaque. La minorité  qui était préalablement a priori en bonne santé a le plus souvent succombé  à une infection pulmonaire aiguë dont les conséquences ont dépassé les possibilités des services spécialisés de réanimation.  Il y a quelques jours le Dr Schuchat avait fait part de 43 décès « pédiatriques » associés au A(H1N1)pdm  survenus entre le 1er septembre et le 10 octobre aux Etats-Unis, les  adolescents de 12 à 17 ans ayant été les plus touchés avec près de la moitié des décès. Le nombre des morts pédiatriques liées au virus H1N1 atteint au total 86  depuis le début de l’infection en avril aux Etats-Unis. Comment comprendre et quand comprendrons-nous?

Dans le pays la maladie sévit désormais dans 41 Etats. Le 20 octobre près de 13 millions de doses vaccinales avaient été livrées (contre 9,8 millions la semaine précédentes). Initialement 50 millions de doses étaient attendues pour la fin du mois mais il faudra très vraisemblablement compter avec des retards de livraisons du fait de l’intensification des procédures de sécurité sanitaire. La priorité demeure les personnels de santé, les enfants, les femmes enceintes et les personnes souffrant de pathologies chroniques. Les adultes et les personnes âgées attendront que les 114 millions de doses commandées soient livrées.

Jean-Yves Nau

Dans le vif de notre sujet

Avec ce premier retour d’une expérience vécue de manière à la fois post-estivale et précoce dans « notre » hémisphère Nord  (les données ne remontent qu’au premier septembre dernier, elles sont donc très récentes), nous entrons bel et bien là dans le vif de notre sujet. Il s’agit bien de la vague pandémique qui commence à affecter  notre hémisphère et ce durement, c’est-à-dire selon la même dynamique que celle observée  dans l’hémisphère Sud ; et ce me semble-t-il avec  la même intensité et les mêmes caractéristiques.

Durant ce premier mois de démarrage épidémique précoce, plus précoce (d’un mois peut-être  que celui que nous connaissons en Europe)  les Etats-Unis ( pays cinq fois plus peuplé que la France) notent-ils donc près de cinq mille hospitalisations pour grippe, la moitié chez des jeunes de moins de 25 ans, et 292 décès, le quart chez des moins de 25 ans.

Comme Jean-Yves Nau prend soin de le souligner  ce n’est pas du tout le profil  des grippes saisonnières qui pour l’essentiel donnent lieu à des complications chez des personnes âgées ou très malades par ailleurs. La vérité aujourd’hui observable est que cette  grippe « H1N1pdm » semble susceptible, haut delà de la normale connue,  d’entraîner des complications (y compris mortelles) chez des jeunes adultes (même en bonne santé). De ce fait le débat commence à évoluer aux Etats-Unis. On y évoque moins les risques hypothétiques du vaccin ; le discours cède la place aux controverses sur la disponibilité du vaccin : en aura-t-on en quantité suffisante et en temps et en heure pour se protéger ?

Pour l’heure nous restons en Europe centrés sur d’autres questions : mais où est-donc passé le virus ?  l’épidémie a-t-elle véritablement démarré ? Pourquoi  nos concitoyens (nos confrères) resteraient-ils à ce point  réticents et méfiants  vis-à-vis des protections vaccinales  bientôt disponibles ?

L’épidémie a certainement commencé en France aussi, mais probablement pas avec la même intensité qu’aux Etats-Unis. Mais comment savoir ?  Faute d’une veille sanitaire précise, faute d’une analyse virologique systématique d’un échantillon de la population suspectée d’être malade, on ne sait pas exactement où l’on en est encore. Le propos vaut pour toute l’Europe. Le nombre des cas mortels égrainés sur nos chaînes d’information sont un bien triste indicateur. Comment pourrions-nous   échapper encore très longtemps à cette vague épidémique et à ses conséquences désormais de moins en moins imprévisibles ?

Antoine Flahault

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