En temps de pandémie l’homme a une tendance naturelle à ne s’intéresser qu’à son espèce. Il a parfois tort. Un seul exemple : depuis les découvertes d’Alexandre Yersin et de ses successeurs nous savons à quel point, avec la peste, l’humanité aurait dû, durant des siècles et des siècles, s’intéresser un peu plus à nos amis et voisins les rats.
Pandémie ou pas, user d’une loupe c’est immanquablement en apprendre beaucoup sur l’univers pestilentiel qui nous entoure. Et ne parlons pas ici du microscope et des diagnostics virologiques… Plus on cherche et mieux on trouve. Deux toutes récentes informations scientifiques viennent ainsi élargir le champ des inquiétudes potentielles quant au spectre de la possible action du nouveau virus pandémique dans notre entourage animal plus ou moins proche. La première est américaine ; la seconde est française.
Promed, remarquable site communautaire spécialisé dans la surveillance planétaire des maladies infectieuses nous apprend qu’au Nebraska un certain “Stormy” vient de succomber à l’infection par le virus H1N1pdm. Il s’agissait de l’un des quatre furets « de compagnie » appartenant à une famille dont l’un des membres était lui-même infecté par le même virus. L’affaire a été confirmée par les spécialistes de virologie vétérinaire de l’université du Nebraska. Les responsables de la santé publique de l’Etat ont aussitôt tenu a préciser qu’un tel événement était prévisible quand bien même il était jusqu’à présent, tenu pour excessivement rare. Avant ‘’Stormy’’ un seul cas mortel concernant un furet avait été jusqu’à présent été décrit aux Etats-Unis. L’affaire est toutefois suffisamment prise au sérieux pour qu’une confirmation du diagnostic de virologie moléculaire ait été demandée au centre national des services vétérinaires situé dans l’Iowa.
Pourquoi s’intéresser ici au furet ? Pour l’essentiel parce que cette sous-espèce du putois (domestiquée par l’homme depuis des siècles) a, fort curieusement un système respiratoire suffisamment semblable à celui des humains pour être, plus que d’autres animaux, sensibles aux virus des grippes humaines. C’est ainsi que ce gentil mammifère (qui dans l’espace francophone a une tendance séculaire à passer ici pour, souvent, repasser par là) est, depuis des années, martyrisé par les spécialistes de virologie et de l’industrie vaccinale : c’est un parfait modèle non-humain permettant de mieux lutter contre les virus épidémiques et pandémiques de la grippe.
Ces mêmes spécialistes rappellent que les furets grippés présentent les mêmes symptômes que les humains : fièvre, léthargie, asthénie, toux et éternuements. A leurs propriétaires (leurs maîtres ?), donc, d’être vigilants et de tenter de saisir dans quel sens la contamination virale s’est produite.
Pour l’heure les experts vétérinaires ne pensent pas que les chiens et les chats sont à ranger dans la même catégorie que les furets. Chiens et chats semblent en effet n’être sensibles qu’ à des virus grippaux qui leur sont spécifiques. Il n’en reste pas moins que les spécialistes américains soulignent toute l’importance qu’il faut accorder à l’hygiène des maîtres (lavage des mains, des bols ; mise en quarantaine) dans tous leurs rapports avec les animaux vivants avec eux sous le même toit. C’est tout particulièrement vrai avec les « cochons de compagnie » puisqu’il est acquis que de tels porcs existent et que le nouveau virus grippal a (du fait de l’homme semble-t-il) déjà infecté des élevages porcins, au Canada notamment.
Hasard ou pas, les propriétaires désormais inquiets de « porcs de compagnie » seront sans doute ravis d’apprendre que l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa, format pdf en ligne) a, mardi 3 novembre, annoncé avoir mis au point un test de diagnostic de la grippe H1N1pdm pour les cochons et autres suidés. « A l’heure actuelle, il n’y a pas d’élevage de porcs contaminé en France » a rappelé à cette occasion Marc Mortureux, directeur général de l’Afssa qui estime qu’une telle éventualité est « probable ». Le scénario retenu est qu’un éleveur contagieux contamine ses animaux. C’est pourquoi l’Afssa, depuis toujours en première ligne pour ce qui est du principe de précaution, recommande « la vaccination préventive des professionnels. » Elle recommande aussi que les éleveurs ayant les symptômes de la grippe évitent le contact avec les animaux ou qu’ils le fassent en portant des masques et une tenue de protection. Ambiance assurée à la ferme.
Toujours selon l’Afssa, une fois le diagnostic établi (grâce à son test) les porcs infectés devront être mis en quarantaine durant une période qui devra courir jusqu’à sept jours après la fin des symptômes grippaux. En général les cochons touchés « développent une maladie bénigne, évoluant spontanément vers la guérison ». L’Afssa rappelle qu’il n’y a, pour l’homme et pour l’heure, aucun risque de contracter la nouvelle infection grippale en consommant des viandes et des charcuteries élaborées à partir de porcs infectés par le nouveau virus grippal.
Jean-Yves Nau
Grippe de compagnie
Les rapports hommes-animaux concernant les maladies infectieuses sont vieux comme le monde. La plupart des espèces microbiennes pathogènes pour l’homme viennent de l’animal et de leur promiscuité. Jean-Yves Nau évoquait le bacille de Yersin (responsable de la peste), mais il y a aussi celui de la tuberculose, le virus de la rougeole, et ceux de la grippe. On dit même que 60% des émergences de maladies infectieuses humaine ont une origine animale. Les échanges se font bien sûr dans les deux sens. L’animal peut aussi être contaminé par l’homme.
Il existe toutefois des barrières d’espèces qui demeurent puissantes. En effet, si une contamination avec le nouveau virus d’un homme à son chat ou à son chien n’est pas à exclure (qui puisse rendre malade l’animal de compagnie) il est peu probable qu’elle donne lieu à une chaîne de contamination entre chiens et chiens, entre chiens et chats. Ces animaux de compagnie peuvent certes être eux aussi porteurs de virus grippaux, mais pas des mêmes ; ils ne peuvent se transmettre que d’autres sous-types.
De même, les virus responsables des grippes aviaires ne se transmettent qu’exceptionnellement à l’homme ; on l’a fort heureusement bien observé avec le virus de la peste aviaire A(H5N1). Ils n’engendrent pas de transmissions secondaires interhumaines. On peut toujours certes redouter qu’un jour une chaîne de transmissions secondaires puisse se produire soit dans l’espèce humaine (provoquant alors une épidémie), soit dans l’espèce animale (avec démarrage alors dit « épizootique »). Ces transmissions sont donc très rares entre la plupart des animaux et l’homme. Sauf… avec le furet et le porc. Le furet est en effet le modèle de laboratoire utilisé pour tous les essais précliniques des vaccins ou des médicaments antiviraux contre les virus de la grippe humaine. Parce que le virus humain de la grippe se transmet bien chez le furet, espèce qui ne connaît pas de barrière avec l’homme (sur ce plan).
Il en va de même avec le cochon, qui a un système immunitaire très proche de celui de l’homme, que cela lui plaise ou non (à l’homme, de ressembler ainsi au cochon). On a vu au Canada à la fin du printemps dernier, un homme rentrer du Mexique où il venait de passer des vacances au soleil (loin de tout élevage porcin donc), mais où il avait été infecté par le nouveau virus d’une grippe humaine que l’on dénommait alors « mexicaine ». Revenu, porteur du virus désormais dénommé H1N1pdm, cet homme l’a transmis à plus de 200 porcs d’un élevage dans lequel il était venu travailler. Plus précisément il l’a probablement transmis à un porc (ou à quelques uns) et le virus a ensuite diffusé dans l’ensemble du troupeau, par contagion inter-porcine. Ceci justifie le port de masques de protection chez les personnels s’occupant d’élevages de cochons, car comme le dit le directeur de l’Afssa, la probabilité est forte que des élevages de porcs, nombreux dans toute l’Europe, soient contaminés par de fébriles et contagieux porchers dès lors que la pandémie progressera et atteindra, hors des villes, ceux qui travaillent dans des élevages porcins.
Dans cette histoire ce n’est pas tant le risque de contamination par l’ingestion de viande de porc qui paraît inquiétant. D’abord, parce que nous sommes peu nombreux à consommer de la viande de porc « bleue » ou « saignante » ; la viande de porc n’est le plus souvent consommée que très cuite (sauf, peut-être, dans quelques préparations charcutières corses ou toulousaines). Ce qui peut ici préoccuper les virologues c’est le rôle de « creuset » que le porc pourrait jouer. Cet animal deviendrait alors une forme de boîte d’incubation du H1N1pdm qui pourrait se réassortir avec d’autres virus (porcins, humains, voire aviaires). Le risque serait alors de voir émerger un nouveau virus (dit « réassortant ») dont on ignorerait le degré de virulence pour notre espèce.
En théorie, tout est toujours possible. Il faut quand même se rappeler que des virus de la grippe saisonnière circulent tous les hivers depuis la nuit des temps. Tous les hivers des porchers sont au contact de leurs porcs avec parfois la goutte au nez, fourmillant de virus grippaux. Cette promiscuité avec les animaux d’élevage (ou sauvage via les sangliers), n’a jamais au cours du vingtième siècle été à l’origine d’émergence de souches chimériques fortement virulentes. Certes oui, le ciel peut toujours nous tomber sur la tête ; mais est-ce nécessairement l’éventualité la plus probable ?
Antoine Flahault
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