Grippe: Vaccination et panique à bord
Un groupe de spécialistes lance un appel planétaire pour que l’on fasse au mieux la lumière sur la réalité des effets secondaires des vaccins anti-pandémiques
Avec cette première pandémie grippale du XXIème siècle nous voguons décidément collectivement vers des horizons bien incertains. Avec, au centre d’une boussole perdant le nord, les questions en cascades soulevées par la vaccination. Cela vaut pour la France comme nous venons, une nouvelle fois, de l’observer ces derniers jours au travers des embarras croissants de Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé perdant progressivement pied pour justifier sa politique du « tout vaccinal » ; ou plus précisément –et c’est bien là que blesse le bât – du « tout vaccinal proposé ».
Mais changeons un instant de jumelles et l’on découvre bien vite que des problématiques voisines émergent ici ou là tant dans la communauté internationale des « experts » (en virologie, immunologie, épidémiologie, veille sanitaire, santé publique, économie, calculs bénéfices-risques, éthique etc.) que dans celle, souvent plus ou moins consanguine, des responsables sanitaires politiques. C’est, d’une certaine manière, l’objet d’un vibrant et assez étonnant appel que vient de diffuser sur son site la célèbre revue médicale britannique The Lancet (pdf gratuit en ligne, en anglais).
Résumons ici au plus serré le propos. Une pandémie émerge et, par définition, se propage (et s’installe dans le temps) à des rythmes variables dans les deux hémisphères. Des vaccins sont élaborés dans l’urgence ; ils sont acquis, dans des conditions plus ou moins transparentes, par les pays les plus riches de la planète. Ces derniers expliquent, air connu, qu’ils aideront les plus pauvres à ne pas être totalement démunis lorsque la bise pandémique sera venue. Dans tous les cas de figure on proposera cette vaccination à de très larges fractions de la population le plus souvent des hommes et des femmes jeunes, très jeunes ou, plus tard, plus âgés. Le scénario n’est pas sans reproduire celui que la France a connu avec la vaccination contre l’hépatite virale de type B sur laquelle il faudra bien, un jour, revenir pour, entre panique et déni, dire la réalité.
The Lancet, donc, sur le site duquel un groupe de chercheurs et d’institutions sanitaires tente de prévenir les possibles (et redoutables) erreurs d’interprétations qui pourraient, demain, résulter des campagnes vaccinales massives anti-pandémiques. Ils tentent en quelque sorte de déminer un terrain qu’ils savent –que nous savons – miné. Mais laissons-donc ici pleinement la parole à l’expert, au pédagogue, au citoyen.
Jean-Yves Nau
Sauvera-t-on le soldat Ryan ?
Comme Jean-Yves Nau le suggère cette vaccination de masse entreprise au niveau mondial pourrait-elle se solder par une suspicion généralisée vis-à-vis du vaccin ? Et ce en raison d’effets secondaires vaccinaux plus ou moins hypothétiques, en tout cas difficiles à interpréter, comme nous en avons eu l’expérience douloureuse en France avec la campagne d’incitation à la vaccination généralisée contre l’hépatite B ? Cet appel des chercheurs dans le Lancet est à la fois louable et bien sûr utopique.
On peut bien évidemment le qualifier de« scientiste », au sens propre du terme (et surtout pas sectaire). Il voudrait répondre par la science (la raison et les faits) à ce que nous voyons depuis quelques semaines déferler sur la blogosphère. Des vagues irrationnelles (je présente d’emblée mes excuses à ceux que je sais irriter en écrivant cela ; mais n’est-ce pas aux scientifiques de le dénoncer ?) concernant le risque vaccinal, les adjuvants, les squalènes et autres mythes présentés comme terrifiants. J’use du terme « irrationnel », sans mépris ni manque de respect, mais parce que les seuls faits scientifiques et les seules données épidémiologiques avancés ne parviennent pas à contrer un argumentaire construit pour l’essentiel sur des convictions inébranlables.
Après la description d’une épidémie de syndrome de Guillain et Barré (j’écris bien « consécutive » et non pas « due à ») consécutive à l’administration d’un vaccin contre la grippe en 1976 aux USA, il y a eu autant d’articles dans la presse scientifique, pour évoquer un lien probable avec la vaccination que d’articles de même qualité pour réfuter un tel lien. Après la suspicion de la survenue de cas de sclérose en plaque après la vaccination contre l’hépatite B en France, la situation est également demeurée inextricable, le lien causal indémêlable.
J’ai personnellement revu en détail l’ensemble de cette littérature. Ce sont deux études de cas que j’ai enseignées largement à la Faculté ces dernières années. On est à chaque fois successivement troublés, convaincus, par les arguments des uns, puis… par les arguments des autres. Ainsi, la survenue d’un syndrome de Guillain et Barré 13 jours après une injection vaccinale, en étant en pleine santé préalablement pose question à toute personne concernée, à tout médecin aussi. Le fait qu’il n’y ait aucune augmentation de ces cas de Guillain et Barré durant la période où l’on vaccine massivement contre la grippe saisonnière (entre septembre et novembre) trouble profondément l’épidémiologiste (voir un billet récent à ce sujet). Le débat est ensuite éventuellement pollué par les conflits d’intérêts de ceux qui mènent ces recherches ou s’expriment à leur sujet.
De tels conflits surviennent dans tous les domaines scientifiques. Ils ne sont nullement réservés aux liens avec le secteur industriel pharmaceutique. Pour autant restons un instant sur ces liens. Les experts ne relèvent pas « du domaine public » exclusif. Ils peuvent aussi être appelés à donner leurs conseils aux industriels, dans le cadre de conventions réglementées. Il faut bien des experts pour mener les essais cliniques et pour développer de nouveaux médicaments. Dès lors qu’il a collaboré avec le privé, l’expert serait-il ipso facto « démonétisé » ? Ce qu’il dit devient-il nul et non avenu ? Nécessairement tendancieux ? En toute bonne foi, le raisonnement y compris scientifique est toujours influencé par l’expérience. Et même si cette expérience peut être utile à l’expertise, il est important de savoir quels sont ces conflits d’intérêts potentiels et quelle est leur nature.
On a étendu la notion de conflits d’intérêt à la vie privée des experts, à leurs liens familiaux et matrimoniaux officiels. Rien à redire. On ne demande pas (encore) ce qu’il en est des liens informels, mais qui sait un jour et pourquoi pas ? Jusqu’où pousser la suspicion de conflits d’intérêts ? Ce sont des questions débattues dans le monde de la recherche et il est normal de les poser sans tabou. Les agences publiques, en France, l’Afssaps, l’Afssa, l’Afsset, l’InVS et la Haute Autorité de Santé (il en va de même dans toute l’Europe ou aux USA) demandent ces déclarations de conflits d’intérêts potentiels avant de solliciter on non l’expertise des enseignants-chercheurs qui publient dans le domaine. Les revues médicales et scientifiques font de même avant d’autoriser toute publication, et les liens déclarés figurent alors sur les publications. Ces déclarations ne gomment pas l’influence qu’ont ces liens sur l’expertise, mais permettent – on l’espère – de mieux la tempérer, l’interpréter, la moduler éventuellement.
Revenons à notre sujet. Malgré tous ces efforts vers la clarté, il semble illusoire de penser que seuls les arguments scientifiques viendront contrecarrer les attaques qui surgiront contre le vaccin du fait de la suspicion d’effets indésirables. Les épidémiologistes feront ce qu’ils pourront. Des débats contradictoires au sein même de leur communauté les agiteront, et ajouteront peut-être à la confusion, voire à la suspicion comme l’ont montré les récents débats évoqués ci-dessus. Et une fois de plus il pourrait en résulter que … l’on ne pourra pas conclure définitivement sur le lien de causalité entre tel effet rare et la vaccination.
Il s’agira bien entendu d’effets dont on ne saura ni la cause, ni le mécanisme de survenue, ni la physiopathologie ni l’évolution, comme le syndrome de Guillain et Barré, la sclérose en plaques, ou l’autisme. De ce débat inextricable, qu’en sortira-t-il ? Une suspicion accrue vis-à-vis des vaccins pour ceux – nombreux aujourd’hui – qui n’avaient pas confiance au départ ? Un doute émergeant chez ceux qui n’avaient pas d’idées préconçues sur le sujet. Et peut-être même une « contamination » de l’ensemble de la société sur les autres stratégies vaccinales ? De cela, une large majorité de la communauté médicale est consciente. Il en va de même des producteurs de vaccins aussi.
Avait-t-on raisonnablement d’autre choix ? Ce n’est pas la fleur au fusil que l’on aborde ces questions, qui sont et seront difficiles à traiter. Derrière l’appel de nos collègues dans le Lancet, il faut me semble-t-il percevoir l’expression de la conscience aiguisée qu’il faut « sauver le soldat Ryan », sauver le soldat vaccinal qui à l’aube de ce vingt-et-unième siècle pourrait rapidement rendre l’âme face aux résurgences récurrentes des craintes ancestrales nées des avancées du progrès de la science et de la raison. Cela posé, nous avons la chance, infinie, d’en découdre sur les prés démocratiques et citoyens.
Antoine Flahault
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