Au grand bazar vaccinal et démocratique
Sept mois déjà que la pandémie a émergé ; sept mois pour se préparer, affiner les plans élaborés contre la menace du A(H5N1), peaufiner les messages préventifs destinés à la population, organiser la constitution de stocks vaccinaux et programmer leur utilisation. Sept mois pour, collectivement, apprendre en France à faire face au mieux à la déferlante virale annoncée. La déferlante n’est pas encore véritablement là mais le niveau des eaux comme leur turbulence ne cessent d’inquiéter. Tout comme ne peut qu’inquiéter le désordre grandissant observé dans l’Hexagone.
Aucun bouton de guêtre ne devait manquer et, de fait, aucun bouton de guêtre ne manque ou ne manquera. L’intendance militaire n’avait seulement pas prévu qu’une fraction massive des troupes allait se méfier des guêtres vaccinales et des boutons-adjuvants ; et ce alors que l’appel sous les drapeaux n’a plus rien d’obligatoire…. Tout ceci génère une pagaille que l’on ne qualifiera certes pas de joyeuse ; une pagaille qui met en lumière l’étrangeté des temps que nous vivons de même que le caractère décidemment bien versatile d’une population française que l’on pousse dare-dare –qui nous dira jamais pourquoi ?- à s’interroger sur son identité.
Quelques échos parmi les plus récents. Dans la France de cette fin novembre une nouvelle étape est franchie avec le lancement de la proposition/incitation de la vaccination de 5,3 millions élèves, collégiens et lycéens. . Les enfants du primaire et des maternelles seront concernés à partir du 1er décembre. Quant aux enseignants ils ne font curieusement pas partie du dispositif. Pourquoi ?
Comme toujours sur le pont, à la manœuvre médiatique et pédagogique, c’est Roselyne Bachelot qui a donné le baptême de cette campagne comme elle avait baptisé les précédentes. Il faudrait vivre dans un monastère sans WiFi pour ignorer qu’elle était, férule à la main, dès l’aube du 24 novembre, dans un collège du 7ème arrondissement de Paris (pourquoi le 7ème ?) ; une ministre de la Santé qui, interrogée sur les réticences des jeunes à bénéficier de l’immunisation a déclaré qu’elle aimerait pouvoir conduire les récalcitrants dans des services de réanimation intensive afin qu’ils puissent voir (nous citons en substance et de mémoire) des-jeunes-de leur-âge-avec-des-poumons-définitivement-détruits-ce-qui-ne-se-produit-jamais-avec-la-grippe-saisonnière.
« Transparence » oblige les citoyens français sauront peut-être un jour qui, depuis plus d’un semestre, conseille (ou ne conseille) pas la ministre de la santé dans ses pluriquotidiennes interventions médiatiques. Et dans l’ombre portée de cette dernière réflexion pourquoi ne pas diffuser au plus vite des messages sanitaires télévisés relatant les dernières souffrances, floutées bien sûr, de jeunes infectés par le H1N1pdm aux derniers stades d’un syndrome de détresse respiratoire aigu ? Qui s’en offusquerait ? Et à quel titre ?
Au lendemain de la prestation ministérielle et sanitaire les médias généralistes radiophoniques et télévisuels (pour ne pas parler des « sites d’information » de la Toile et de leurs blogs …) ont répercuté les discours et les angoisses collégiennes et lycéennes. Nous découvrons ainsi que les jeunes ont pleinement capté les ondes ambiantes, ne parlent que d’ « effets secondaires graves », d’ « adjuvants », de « mutations ». Ils rapportent tous plus ou moins les échos des discussions familiales. « On en a parlé. Maman n’est pas chaude pour que je me fasse piquer. Papa est plutôt pour. » Et en l’espèce l’opinion maternelle, comme souvent (comme toujours ?), de l’emporter.
Pour l’heure les mêmes médias généralistes ne cesse de tambouriner : la proposition de vaccination rencontre un succès croissant, et donc sans doute bientôt considérable. Ici ou là des préfets s’inquiètent, des médecins libéraux refusent d’être « réquisitionnés ». On commence à filmer les files d’attentes, les impatiences des volontaires. Des témoignages qui ne correspondent guère aux derniers décomptes nationaux. Mais comment savoir ? Comment retrouver ici un fil d’Ariane, un cadre rationnel, dans les brouillards de cette fin novembre ?
L’inquiétude vient aussi d’ailleurs. Elle résulte du fossé croissant autant que paradoxal qui –semble-t-il – se creuse ces derniers jours entre « experts » et « citoyens ». Les premiers martèlent – « pilonnent » serait mieux adapté – leurs messages issus des forges et des cornées scientifiques. Les seconds écoutent et soupèsent sur d’autres trébuchets, personnels ceux-là. Ils bavardent, s’interrogent, et ne cachent pas au total leur plaisir de pouvoir, enfin, prendre la parole pour dire leurs doutes corporels dans un espace démocratique. On pourrait sans grand mal y voir une résurgence assez moderne des échanges tricolores entre les deux vieilles plaques tectoniques : la jacobine et la girondine.
Jean-Yves Nau
Complexité
Force est de reconnaître que l’on est assez désarmé devant ce genre de crise sanitaire. Les « relativistes » refusent aujourd’hui de voir le moindre problème dès lors qu’ils ne sont pas en face d’une hécatombe ; les « catastrophistes » évoquent le phénomène comme si l’hécatombe allait se produire, et donc cherchent à la prévenir, à tout prix. Entre ces deux lignes, il y a tous les « indécis », tantôt emportés par les arguments des uns, tantôt ralliés à ceux des autres. Les connaissances avancent et diffusent au rythme des informations. Elles rejoignent tantôt le panier des relativistes (l’épidémie semble régresser aux USA et au Canada), tantôt dans celui des catastrophistes (une mutation du virus a été identifiée en Norvège chez deux patients décédés).
Entre ces deux paniers, il y a tous ceux qui ont recours au fléau (en construction permanente) d’une balance personnelle qui leur permet de soupeser chaque nouvelle. Parmi eux il y a, bien sûr, les experts eux-mêmes. Mais il faut aussi compter avec ceux que la complexité agace, rebute peut-être. Pour ces derniers la question est réglée depuis le début : on cherche à les tromper, à les manipuler, il est clair que c’est un cache-misère pour éviter de parler de la crise économique mondiale, et que tout cela arrange les grands de ce monde. Ou, pour d’autres sans complexes, cette question est réglée aussi, mais dans l’autre sens : un vaccin est disponible, on va avoir soi-même recours au principe de précaution, au diable les effets secondaires, écoutons la Faculté ou la ministre.
Je présente ici d’emblée mes excuses à ceux qui trouveront mes catégories d’autant plus désagréables que l’on peut vraisemblablement passer d’une catégorie à l’autre au cours d’une même journée. Disons néanmoins que chez les « sans complexes» prévaut parfois un mécontentement, vis-à-vis des autorités, parfois de la ministre de la Santé, des experts ou des journalistes. Parfois même vis-à-vis de la Nature elle-même qui pourrait enfin sortir du bois : elle arrive ou non cette pandémie ? Elle déferle un bon coup et on n’en parle plus, ou bien elle continue à jouer au chat et à la souris avec nous tous ?
Puis il y a tous ceux qui entendent la complexité, ceux qui cherchent coûte que coûte à mieux comprendre dans ce fatras d’informations parfois contradictoires. Il ya tous ceux qui écoutent les arguments des uns et ceux des autres. Ils sont un peu comme les scientifiques dans le fond, mais à leur manière. Ils n’ont pas encore d’opinion très tranchée mais la succession des faits façonne leur opinion de manière progressive. La vague pandémique va-t-elle déferler ? A quelle vitesse, à quelle force ? Quelles conséquences pour mes proches et pour moi ? Puis-je l’éviter ? Limiter les dégâts ? Ne pas créer des problèmes en en faisant trop puisque le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Au fond, pourquoi déteste-t-on donc tant la complexité ?
Antoine Flahault
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