Cette information que nous livre Jean-Yves Nau dans son billet du 21 novembre 2009 fait clairement partie des sujets difficiles à traiter lorsque l’on a le nez dans le guidon comme nous acceptons de le faire en tenant ce blog. Les virus de la grippe, dont le matériel génétique est constitué de segments d’ARN, sont enclins à muter fréquemment. C’est la raison pour laquelle le vaccin contre la grippe change chaque année ou presque : les virus saisonniers de la grippe mutent en permanence. Il y a deux rendez-vous annuels à l’OMS qui réunissent à Genève les quatre centres collaborateurs mondiaux pour la grippe, et qui fixent les recommandations pour la composition du vaccin saisonnier. Elles ont lieu pour l’une en février, et vise à la préparation vaccinale concernant l’hémisphère nord pour le mois de septembre suivant, et l’autre en septembre pour le vaccin de l’hémisphère nord destiné à l’hiver austral suivant. Ces réunions permettent de faire le point sur l’ensemble des mutations du virus de la grippe détectées durant la saison passée, et de faire le choix du prochain vaccin sur la base des souches qui semblent aux experts avoir la plus grande probabilité de circuler l’année suivante. Comme quoi les virologues et les épidémiologistes de la grippe sont habitués à faire des recommandations basées sur des prévisions. Comme quoi surtout, les mutations, sont-elles le lot quotidien des spécialistes des virus de la grippe. On n’en fait pas tout un fromage, lorsque trois mutations sont détectées pour un virus de grippe saisonnier. Mais, là la noblesse et peut-être l’inquiétude suscitées par ce virus pandémique encore mal connu donne un coup de projecteur inattendu sur ce phénomène somme toute qui n’est pas pour nous surprendre. Que ces mutations soient associées à des conséquences significatives est une question d’une autre difficulté. Il y a trois impacts potentiellement préoccupants de ces mutations qui sont aujourd’hui envisageables. Le premier, c’est la mutation qui permettrait au virus de devenir résistant aux antiviraux (Tamiflu ou Relenza, voire contre les deux, ce qui ne s’est pas encore produit avec le H1N1pdm). Le second impact serait une mutation qui s’associerait à un regain de virulence de la souche. On redoute souvent cela, mais ce n’est pas l’expérience que l’on a habituellement des mutations observées pour les souches saisonnières. Mais cela a déjà été observé dans le passé. Ainsi, une souche de sous-type H3N2, identifiée en juin 1997 à Sydney avait causé des épidémies particulièrement meurtrières à la fois dans l’hémisphère sud puis dans l’hémisphère nord. Ce ne fut pas l’hécatombe non plus. La troisième conséquence serait l’absence de protection vis-à-vis de la souche mutée apportée par le vaccin en cours de distribution. On parle alors de « mismatch » (discordance). La souche saisonnière de 1997 que je viens de citer cumulait les deux derniers impacts possibles qu’une mutation peut générer. Cette souche australienne était plus virulente, et de plus avait émergé – en juin 1997 – c’est-à-dire après la reccommandation émise par l’OMS en février pour la fabrication du vaccin saisonnier de l’année en cours dans l’hémisphère nord (et totalement hors de portée d’une adaptation du vaccin de l’hiver austral qui débutait alors). Le vaccin 1997 s’est révélé ne pas conférer une immunité protectrice satisfaisante cette année là, sans que ce fut à l’époque fortement médiatisé, Internet en était à ses début et ce n’était qu’une grippe saisonnière… Dans les cas récents de mutations décrits par Jean-Yves Nau à la suite des dépêches reçues ces derniers jours, il est encore trop tôt pour savoir si les mutations s’accompagneront ou non d’un regain de virulence. Il semble dores et déjà acquis que le vaccin actuellement fabriqué resterait protecteur contre ces souches mutantes, même si cela mérite probablement d’être confirmé avec le temps et l’expérience (il n’y a pas un corrélat très clairement établi entre les taux d’anticorps détectés et la protection clinique effective). Si ces souches mutées circulaient en grand nombre et que l’on se mettait à constater des formes sévères hospitalisées chez des patients vaccinés mais infectés par ces souches mutées, alors on aurait des doutes sur la protection conférée par le vaccin sur ces souches. Il semble par ailleurs acquis que les mutations (observées au Royaume Uni) concernent l’acquisition de résistance au Tamiflu. Ces résistances sont d’autant plus préoccupantes que nous ne disposons malheureusement pas d’études publiées sur l’efficacité et la sécurité de l’utilisation de combinaison entre le Tamiflu avec d’autres antiviraux, et de peu de recherche en cours sur ce sujet. Nous ne disposons pas d’un arsenal thérapeutique très étendu contre le virus de la grippe, nous n’avons pas d’expérience de bi ou tri-thérapie comme dans le cas du traitement du Sida. On pourrait rapidement se retrouver devant des impasses thérapeutiques si les antiviraux traditionnels de la grippe se révélaient inéfficaces en raison de l’émergence de souches résistantes.
Antoine Flahault
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