Pour savoir ce qui les attend, les Pussy Riots et Garry Kasparov peuvent lire des BD. Le camp de travail forcé fait partie du paysage classique de la Russie dans le neuvième art.
La sentence est tombée et elles ont décidé de ne pas demander la grâce présidentielle. Selon toute vraisemblance, les Pussy Riots, punkettes russes membres du collectif Voïna, devraient être envoyées pour deux ans dans des camps. Au même moment, devant le tribunal, c’est l’ancien champion d’échecs Garry Kasparov qui a été arrêté. Accusé d’avoir mordu un policier à l’oreille, l’opposant risque lui cinq ans de camp.
Un mot un peu mis de côté a du coup ressurgi dans les médias français: le Goulag. Car, comme le montre cet article récent de Libération, si le système de répression a un peu évolué entre l’URSS et la Russie d’aujourd’hui, les conditions très dures d’enfermement ne sont pas si différentes.
Pour quiconque a lu Soljenitsyne, il n’est pas très difficile d’imaginer ce que sera la vie des trois Pussy Riots ou de Garry Kasparov, ces nouveaux Ivan Denissovitch. Les camps soviétiques sont devenus, pendant la Guerre Froide, un des symboles du régime repressif de l’URSS, abondamment évoqué par les opposants russes en exil. Ainsi, au fil des livres et articles écrits pendant des décennies, on a été “familier” du goulag en Occident, ce “présent plein” comme le définit le philosophe Foucault. Rien d’étonnant alors à ce que les camps soviétiques inspirent aussi les auteurs de BD.
Le paradis du goulag
En 1975, Dimitri débute ainsi la série Le Goulag dans Charlie Mensuel. Son héros principal, Eugène Krampon, est un brave ouvrier de Nogent-sur-Marne, archétype de la ville moyenne de banlieue parisienne, qui part en Russie comme travailleur immigré. Par un concours de circonstances, il se retrouve alors enfermé dans un camp de travail (si on veut être précis, le Goulag est l’entité administrative créée pour gérer tous les camps de travaux forcés, mais dans le langage courant, chaque camp est devenu un goulag). Il va y vivre un série d’aventures rocambolesques, surréalistes et sexys.
Pour l’auteur Dimitri, le goulag est un matériel narratif bien utile. Il est un objet de fantasme, isolé de tout, et donc, potentiellement, tout peut y arriver. Aventures cochonnes, délires absurdes, tout y passe… Et pour Eugène Krampon, même s’il est amené à vivre des aventures à l’extérieur, son but est toujours d’y revenir, puisqu’il y a trouvé une sorte d’équilibre foutraque. Entre les gardes russes, la belle Loubianka et leur fils Evghenï, et la construction de son métro, tout le ramène au paradis du goulag.
Un cliché russe
Si le goulag devient un lieu de vie pour Eugène Krampon, pour tous les aventuriers en culottes courtes, ces camps soviétiques sont surtout une évocation obligée lors d’une aventure russe. Prenons par exemple le dixième et dernier tome des aventures d’Adler, cet ancien membre de la Luftwaffe reconverti aviateur défenseur des plus faibles. Opportunément intitulé Le Goulag, il se déroule dans les profondeurs de la Sibérie, après que le héros volant a été déporté dans un camp de travail pour conspiration au profit de l’Occident. En bonne BD issue du Journal de Tintin, on n’échappe pas à des descriptions quelque peu scolaires et longues du goulag pour “crédibiliser” le récit. En fin de compte, le goulag sera l’essentiel de ce qu’on verra de la Russie dans cet album. C’est aussi le cas dans le tome 6 de la série Insiders, titré sobrement Destination Goulag, où l’héroïne Najah découvre les camps de travaux forcés russes.
Le goulag est aussi le cadre d’une des aventures du Winter Soldier, l’identité que prend James “Bucky” Barnes après avoir arrêté d’être le side-kick de Captain America. Dans les livraisons #616 à #619 des aventures du super-héros patriote, on suit l’emprisonnement du Winter Soldier au goulag après avoir été extradé des Etats-Unis pour de prétendus crimes commis dont il n’a plus le souvenir.
Sur trois épisodes d’un arc intitulé lui aussi Goulag (Gulag en VO), il va devoir survivre dans un camp de travail ultra-violent où il retrouve un certain nombre de super-vilains. Le traitement du goulag par le comics est évidemment caricatural et il ne faut pas beaucoup de pages pour s’en rendre compte. Dès le début de l’histoire, le Winter Soldier est plongé dans une arène installée au beau milieu du camp où il doit affronter Ursa, un ours géant, dans un combat organisé par un des prisonniers qui a acheté tous les gardes du camp. Et son évasion (car bien-sûr, il s’évade) est tout à fait rocambolesque. Mais bon, on n’est pas là pour le réalisme…
Absent de Tintin au Pays des Soviets
Il n’y a pas que les “gentils” qui font un détour par les camps de travail: Olrik, l’ennemi juré de Blake et Mortimer y est lui aussi détenu prisonnier entre les deux albums La Machination Voronov et Les Sarcophages du 6ème continent, c’est-à-dire, théoriquement, entre 1957 et 1958. Il n’y a toutefois pas de description détaillée du camp de travail dans ces deux BD.
Pas plus, et c’est plus étonnant, qu’on a d’évocation du goulag dans le très cliché Tintin au pays des Soviets. C’est même le grand absent du pamphlet d’Hergé contre l’URSS, qui passe pourtant méthodiquement en revue tous les travers du régime soviétique. Les camps de travail forcé ont existé dès les premières années de l’URSS mais Hergé n’en parle pas dans sa BD publiée entre 1929 et 1930 dans Le Petit XXème. Historiquement, c’est intéressant car cela montre que le goulag n’avait pas du tout la même force évocatrice à l’époque qu’au cours de la Guerre Froide et singulièrement après la diffusion des oeuvres de Soljénitsyne à partir des années 1960. D’ailleurs, dans le livre de Joseph Douillet Moscou sans voiles, neuf ans de travail au pays des Soviets, paru en 1928 et dont Hergé a tiré la quasi-intégralité de sa documentation, le terme “camp” n’apparaît ainsi que dans 9 des 249 pages de l’ouvrage.
Témoignages dessinés du goulag
Plus proche de nous, Chronique illustrée de ma vie au goulag, par Euphrosinia Kersnovskaïa, fait figure d’oeuvre dessinée de référence sur le goulag. Ce livre sorti il y a près de 20 ans, qu’on ne trouve plus qu’en occasion, a tous les aspects du livre jeunesse classique: écriture ronde faite de pleins et de déliés, dessins réalisés aux pastels gras… Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’un conte ou d’une fable enfantine, mais du témoignage à la première personne d’Euphrosinia Kersnovskaïa, envoyée dans les camps de travail forcé en 1940 parce qu’elle était une koulak, une paysanne propriétaire de ses terres.
Sortie de l’enfer concentrationnaire soviétique 12 ans après y être entrée, elle s’applique à coucher son expérience sur le papier entre 1964 et 1968, mais ce n’est qu’à la chute de l’URSS que son ouvrage sera publié pour la première fois. Elle y raconte tout du goulag: les privations, le froid, le travail arassant et, surtout, la déshumanisation progressive des détenus. Le témoignage a d’autant plus de force que les dessins sont doux, beaux, comme pour renforcer l’innocence de celle qu’on a envoyé au goulag alors qu’elle n’était coupable de rien.
Signalons aussi les Dessins du Goulag (Drawings from the Gulag, non traduit en français) de Danzig Baldaev. Célèbre pour être l’auteur d’une encyclopédie du tatouage criminel en trois tomes, Baldaev est un fin connaisseur de l’univers pénitentiaire russe puisque ce fils d’une famille d’opposants a été… gardien de prison. C’est là qu’il a commencé à compiler les tatouages de prisonniers dans des petits carnets. Lorsque le KGB a eu vent de ses activités, plutôt que de le punir on lui a au contraire ouvert les portes de nombreux camps de prisonniers du pays. Ce qui a permis à Baldaev de raconter, dans Dessins du Goulag, le quotidien des camps, du point de vue des prisonniers comme de celui des gardiens. Espérons une traduction prochaine en français…
Laureline Karaboudjan
Illustration extraite de la couverture du Goulag tome 14, Danse avec les fous, de Dimitri, DR.
lire le billetAprès les JO, qu’est-ce-que l’esprit britannique? Réponse avec 10 bandes-dessinées amoureuses du Royaume-Uni, de Blake et Mortimer à V pour Vendetta.
The End. Les vacanciers vont pouvoir retourner pleinement à leur torpeur estivale et les travailleurs n’ont plus de divertissement pour les aider à affronter l’ennui d’un mois d’août au boulot. Après deux intenses semaines de compétition, les Jeux Olympiques se sont achevés à Londres. C’en est terminé des épreuves sportives, mais aussi des célébrations festives du patrimoine et de la culture britannique. La cérémonie de clotûre fut globalement ennuyeuse, mais chacun conservera en mémoire celle qui a ouvert les olympiades. Le show à grand spectacle orchestré par Danny Boyle était un véritable hymne à la Grande-Bretagne, son histoire, ses traditions et sa culture populaire. Le coup de projecteur (et de feux d’artifices) parfait pour faire, pendant quelques jours, de Londres le centre du monde.
Comme ça va être dur de se déshabituer de voir tous les jours Tower Bridge à la télévision ou d’entendre Big Ben sonner l’heure sur les chaînes du service public, je vous ai préparé une petite sélection de bandes-dessinées pour rester dans l’ambiance britannique, à travers des événements historiques ou des traits culturels bien marqués. La plupart ne sont pas le fait d’auteurs insulaires (même si l’incontournable Alan Moore est là deux fois), car la Grande-Bretagne fascine bien au-delà de ses frontières, y compris dans le monde de la BD.
Dans l’esprit, c’est peut-être la plus britannique des bandes-dessinées. Et pourtant, en dépit du nom et de la dégaine très anglo-saxonne de son auteur, elle est l’oeuvre d’un Belge. Le mythique tandem formé par Blake et Mortimer est en effet la quintessence d’un certain british way-of-life. D’un côté un blond capitaine gallois du MI-5, de l’autre un roux professeur écossais flanqué de son fidèle serviteur Indien. Le tout ponctué des fameux “Damned” et autres “By Jove” qui font toute la saveur des dialogues. Leurs nombreuses aventures les amènent à sauver le monde au cours d’une épique troisième guerre mondiale, à découvrir des civilisations perdues et même à voyager dans le temps. Mais si vous ne devez lire qu’un album, probablement le plus british de tous, c’est bien évidemment sur La Marque Jaune qu’il faut vous jeter. Le duo enquête sur une mystérieuse série de vols, dont le plus audacieux n’est rien de moins que celui de la couronne royale au sommet de la Tour de Londres. Un modèle d’ambiance en bande-dessinée… Et si vous voulez reprendre une tasse de thé humoristique, la parodie des Aventures de Philip et Francis est particulièrement réussie.
Tintin, le plus célèbre globe-trotter de la bande-dessinée, ne pouvait pas faire l’économie d’un voyage en Grande-Bretagne. C’est chose faite dans l’Île Noire, où le reporter belge suit la piste d’un gang de faux-monnayeurs. Cette aventure dans la campagne britannique, bien menée, riche en action et en rebondissements, est aussi l’occasion de développer une belle galerie de personnages, de la première apparition du maléfique Docteur Müller jusqu’à Ranko, l’inoubliable gorille gardien d’une ruine écossaise et dont les cris terrorisent les marins des alentours. Mais l’Île Noire se singularise par son souci de l’exactitude du détail, présent dans toute l’oeuvre hergéenne mais ici poussé à son paroxysme. Et pour cause: si une première version est parue en 1938, puis une seconde en couleurs en 1943, Hergé a du s’atteler à une troisième version en 1965 car… les britanniques ne trouvaient pas les deux premières assez réalistes. L’ensemble de l’album a été repris avec minutie, et chaque véhicule, chaque vêtement qui apparaissent sont désormais issus d’une recherche documentaire rigoureuse. Les tintinophiles les plus fous peuvent s’offrir le beau livre grand format Dossier Tintin l’Île Noire, qui permet de contempler l’évolution entre ces trois versions.
Pour s’attaquer à un mythe aussi énorme que Jack l’Éventreur, il fallait un scénariste hors-normes. Ca tombe bien, Alan Moore est de ceux-là. L’auteur de Watchmen, probablement l’un des meilleurs comics de tous les temps, s’est associé au dessinateur Eddie Campbell pour livrer une véritable fresque sur le Londres de l’époque victorienne. Car au-delà du serial killer anglais, c’est bien la ville de Londres qui est l’héroïne de ce très sombre roman graphique. A travers les pérégrinations du tueur, Alan Moore dresse une géographie londonienne ésotérique, où chaque monument, chaque clocher recèle une signification cachée. Comme un contrepoint aux très sophistiquées intrigues maçonniques de la haute société, le duo Moore-Campbell dépeint aussi le peuple des bas-fonds et bien évidemment le milieu de la prostitution. C’est là le revers de la médaille victorienne, de cette Angleterre triomphante et sûre d’elle-même issue de la révolution industrielle.
La meilleure illustration que l’Histoire a pu donner au légendaire flegme britannique est sûrement l’attitude des Londoniens durant le Blitz. Le Blitz, c’est cette intense campagne de bombardement menée par la Luftwaffe durant la Seconde guerre mondiale, entre 1940 et 1941. Chaque nuit, un tombereau de bombes s’abattait sur les plus grandes villes de l’Angleterre, Londres au premier chef, et chaque matin, leurs habitants sortaient constater les dégâts et se mettaient aussitôt à réparer avec ce qui leur tombait sous la main. Dans la trilogie du Blitz, François Rivière et Floc’h, deux passionnés de la Grande-Bretagne, rendent hommage au caractère inouï des britanniques durant cette période. Illustrées par une ligne claire typique, leurs histoires mettent en scène ces Londoniens confrontés aux bombardements mais qui continuent à vaquer à leurs préoccupations “normales”, depuis des intrigues amoureuses jusqu’à la fameuse cup of tea de 5 o’clock.
Une guerre mondiale plus tôt, les Anglais venaient combattre sur les champs de bataille du continent, notamment dans la Somme où ils payèrent un très lourd tribut. La Grande Guerre de Charlie, oeuvre des deux auteurs britanniques Pat Mills et Joe Coldhoun, nous raconte la Première guerre mondiale d’un point de vue anglo-saxon, en l’occurrence celui de Charlie, engagé dans un des conflits les plus meurtriers de l’Histoire à l’âge de 16 ans. Les descriptions réalistes des conditions de vie sur le front et des horreurs de la guerre, alimentés par des faits-réels, évoquent évidemment le travail de Tardi sur le conflit. Mais en s’attachant à suivre l’armée britannique plutôt que nos fameux Poilus, la Grande Guerre de Charlie constitue une vraie originalité dans le paysage très encombré des BD sur la Première guerre mondiale.
Vous voulez découvrir l’Angleterre mais vous êtes agoraphobe? Attendez l’année 2019, vous ne devriez plus être trop embêté par les touristes… En effet, dans La Zone, Eric Stalner fait le postulat que cette année là, 95% de la population britannique aura disparu suite à une catastrophe. L’intrigue se déroule elle un demi-siècle plus tard, en 2067, dans une Angleterre redevenue sauvage et peuplée de toutes petites communautés humaines éparses. On suit Lawrence, explorateur-archéologue mal vu dans son village car il est un des rares à s’intéresser à un passé que tout le monde rejette. Une passion qu’il transmet à une jeune élève à qui il apprend à lire et à écrire l’anglais, cette langue déjà oubliée. Mais un jour, elle disparaît avec son bien le plus précieux: une carte du Royaume-Uni. Il part à sa recherche, dans un road-trip post-apocalyptique aussi classique qu’efficace. Si vous avez voir une Angleterre vidée de ses habitants, comme dans le film 28 Jours plus tard, La Zone vous attend.
Panique sur le Yorkshire. Une série de meutres sauvages a stoppé la construction du chemin de fer. Le Premier ministre britannique fait appel au naturaliste Charles Darwin pour faire la lumière sur l’affaire. Le futur théoricien de l’évolution débarque sur place et dissèque des cadavres copieusement amochés. Qui se cache derrière la boucherie ? Un griffu, créature mythique et surpuissante ? Un être mal intentionné qui veut ralentir les travaux de la ligne ferroviaire ? Darwin, entre deux bouteilles de scotch et une passe dans une rue mal famée, tente de mener l’enquête. Le dessin d’Ocana, sombre et dynamique à la fois, porte avantageusement ce thriller à la sauce victorienne, sorte d’écho à From Hell.
L’Angleterre, c’est aussi la patrie du punk, et il y a d’autres moyens que les ridicules mascottes de la cérémonie d’ouverture pour l’évoquer. Il y a Tank Girl par exemple. Dans ce comics volontiers bordélique et exubérant, on suit les aventures de Rebecca Buck, une adolescente qui parcourt une Australie post-apocalyptique à bord d’un char d’assaut en compagnie d’un kangourou mutant. Cette BD complètement barrée ne se passe certes pas au Royaume-Uni mais elle est un véritable condensé de l’esthétique punk qui s’y est développée dans les années 1980. Et puis, il s’agit là d’une des premières oeuvres de Jamie Hewlett, qui s’est ensuite illustré en “créant” de toutes pièces le groupe Gorillaz. Si Damon Albarn, le leader de Blur, s’occupe de la musique, Jamie Hewlett a donné leurs traits aux membres de ce groupe frictionnel au succès planétaire.
Faut-il encore vous présenter le célèbre comic d’Alan Moore et David Lloyd? Dans un futur proche, le Royaume-Uni vit sous le joug d’un régime fasciste. Mais se lève un mystérieux héros, appelé V, qui multiplie les attentats et les appels à la révolte pour renverser le pouvoir en place. Un héros vêtu tout de noir, et qui porte un masque de Guy Fawkes, le conjuré catholique qui failli faire sauter le parlement britannique qui voulut faire sauter le parlement de Londres le 5 novembre 1605. Je vous ai déjà longuement parlé de cette BD et notamment de son caractère éminemment Angleterre-des-années-Thatcher. Alan Moore n’a jamais caché son opposition à la dame de fer, et a expliqué à plusieurs reprises que V pour Vendetta était une réponse directe au tour de vis conservateur thatcherien. L’Angleterre des années 1980, c’est une transition libérale très brutale pour son économie, des mineurs sont en colère dans tout le pays le tout sur fond de guerre des Malouines. C’est toute cette époque que raconte en creux la contre-utopie (un genre littéraire bien britannique) V pour Vendetta.
Last but not least, je ne pouvais pas oublier Astérix chez les Bretons. Avec leur sens inné de l’humour et de la caricature, Goscinny et Uderzo ont passé à la moulinette nos travers franchouillards, mais aussi ceux de nos voisins suisses, belges, espagnols et… britanniques. L’accumulation de références et de blagues sur une culture étrangère atteint là son sommet, entre l’apparition inopinée des Beatles, le nuage de lait dans le thé ou le mémorable match de rugby que livrent Astérix et Obélix. Pour conclure cette sélection, c’est donc la culture anglaise vue à travers les clichés qu’en ont les Français. How ironic…
Laureline Karaboudjan
Illustration de une: montage à partir de la couverture de La Marque Jaune, DR.
lire le billetUne bonne BD sort pour démonter des théories du complot et rétablir des vérités scientifiques. Ce sont toutefois les premières qui font les meilleures histoires.
L’homme n’a jamais marché sur la Lune, c’est bien connu: tout a été tourné à Hollywood. La théorie du réchauffement climatique est une vaste blague, la preuve: Claude Allègre est contre. Et vous pensez vraiment que nous descendons du singe? Ce n’est pourtant pas ce que nous enseigne la Bible… Dans Fables Scientifiques, qui vient de sortir aux éditions Ca et Là, le britannique Darryl Cunningham passe en revue un certain nombre de ces théories fumeuses bien connues, notamment parce qu’elles hantent le Net, et il remet habilement les points sur les i en BD (au départ, c’était un blog).
L’ouvrage ne se présente pas comme un album traditionnel avec un ou plusieurs héros à qui il arrive des péripéties, mais plutôt comme un véritable documentaire scientifique porté en bande-dessinée, avec essentiellement des cases d’illustration sans bulles pour un texte en cartouches. Dans la forme, ça ressemble beaucoup à Saison Brune (dont je vous avais parlé ici) si ce n’est que, contrairement à la BD de Philippe Squarzoni, Fables Scientifique est beaucoup moins austère et, globalement, nettement plus digeste. Car il y a une économie de moyens bienvenue dans la déconstruction des mythes pseudo-scientifiques à laquelle se livre Darryl Cunningham. C’est à la fois précis mais concis, et les dessins sont simples et ludiques. Des qualités particulièrement appréciables quand on traite de théories scientifiques qui peuvent vite devenir rébarbatives.
L’auteur s’attaque à des théories du complot et des pseudo-vérités très “grand public”. De l’homéopathie au réchauffement climatique ou aux vaccins censés causer l’autisme: tous les sujets nous parlent. Au-delà de rétablir des vérités, l’auteur s’attache à démontrer que les canulars pseudo-scientifques servent souvent les intérêts de groupes de pression qui les entretiennent pour parvenir à leurs fins. Après tout, à en croire les lobbies des années 1950, la cigarette n’était pas nocive pour nos poumons.
Une des grandes qualités de l’auteur est de n’être pas dogmatique. Certes Darryl Cunningham s’attache à démontrer que les réponses valables à ces questions sont celles qu’apporte la science, mais il admet à de nombreuses reprises que celle-ci peut faire fausse route. Les affirmations scientifiques, comme toutes autres, ne sont pas à prendre pour parole d’Evangile. En revanche, ce qui importe (et c’est là la conclusion de son ouvrage) c’est la méthode scientifique, qui est celle du doute systématique et de l’expérience comme seule réponse viable.
Que serait Tintin sans mythes scientifiques?
La lecture de cet ouvrage m’a toutefois amené à une réflexion. Il est évidemment salutaire de démonter les fausses théories du complot de toutes sortes (à l’instar de la remarquable BD de Will Eisner sur le Protocole des Sages de Sion). Mais n’est-ce pas dans les complots que l’on puise les meilleures histoires et, donc, les meilleures BD? De longue date le neuvième art s’est fait fort d’exploiter des complots abracadabrants et des délires pseudo-scientifiques pour bâtir les plus belles aventures. Dans le registre historico-religieux, c’est par exemple la série du Décalogue, qui fait le postulat que Mahomet aurait dicté Dix nouveaux Commandements qui ont une résonance sur différents évènements historiques. Ou bien c’est le Triangle Secret, à l’intrigue qui rappelle celle du Da Vinci Code (postérieur à la série de BD) et mêle franc-maçons, sociétés secrètes de l’Eglise et mystérieux document.
Pour ce qui est des théories scientifiques boiteuses, le meilleur exemple reste probablement Tintin. Dans un hors-série que Science & Vie a consacré il y a une dizaine d’années au petit reporter, Serge Lehman (oui, le même qui signe La Brigade Chimérique et Masqué) note ainsi : «La réputation de sérieux dont jouit l’oeuvre d’Hergé est proverbiale. Des horreurs de la guerre sino-japonaise décrites dans le Lotus Bleu à la lutte des Picaros sud-américains en passant par la re-création d’une Autriche-Hongrie imaginaire pour Le Sceptre d’Ottokar, on a souvent dit qu’elles caractérisaient, dans le souci du détail, la minutie documentaire de l’auteur. Les choses se compliquent lorsqu’on se penche sur la crédibilité scientifique de la série.» Et Serge Lehman au contraire d’énumérer les mythes pseudo-scientifiques qui jalonnent la série: entre autres choses le Yéti, l’astéroïde en Calysthène qui fait tout grossir, la sorcellerie Inca et bien-sûr la soucoupe volante de Vol 714 pour Sydney.
Serge Lehman explicite: «Comme les autres grands auteurs classiques, Jacobs avec la série des Blake et Mortimer, et Franquin dans Les Aventures de Spirou, Hergé s’inscrit dans une tradition particulière, celle du “merveilleux-scientifique”, c’est-à-dire la SF française qui va de Verne aux années cinquante». Profondément liée au roman d’aventure, génératrice par excellence de péripéties, cette tradition n’est pas scientifically correct et a longtemps été décriée par les élites culturelles française, ne re-gagnant du crédit que lorsque ses divagations se révèlent prémonitoires (chacun sait que le vrai premier homme sur la Lune, c’est Tintin et non Neil Armstrong). Il n’empêche que c’est elle qui fait rêver les enfants (et moi).
Laureline Karaboudjan
Illustration extraite de Fables Scientifiques, de Darryl Cunningham, DR.
lire le billetLe journal du canard avare , qui fête ses 40 ans, reste une porte d’entrée incontournable dans l’univers de la BD.
Quand j’ai appris la nouvelle, je vous avoue que j’ai été un peu étonnée. Avec son numéro d’avril, le 480, Picsou Magazine souffle… sa quarantième bougie. Le premier numéro français du canard des canards de Canardville est en effet sorti en mars 1972, tout en noir et blanc. Moi qui n’ai pas cet âge canonique, je n’imaginais pas que la publication soit aussi vieille. Même si j’avais le souvenir d’avoir, gamine, racketté mes parents pour acheter des Picsous moitié en couleur, moitié en noir et blanc dans les brocantes de ma belle province.
Je suis convaincue que tout ancien lecteur ou toute lectrice repentie de Picsou Magazine aurait cette difficulté à dater le magazine. Parce que c’est l’un des premiers titres de presse (c’est prestigieux dit comme ça) que l’on a entre les mains, le lien affectif qui se créée est très fort. Et l’on peine à imaginer que d’autres aient pu lire, avant ou après, “son” magazine.
Ils sont pourtant nombreux, les lecteurs de Picsou Mag. L’an dernier, la diffusion payée du magazine en France était de 98 198 exemplaires, tandis que le titre revendique la bagatelle d’1 705 000 lecteurs, selon l’AFP. D’après l’étude Junior Connect menée par Ipsos, Picsou Magazine serait le deuxième titre le plus lu par les garçons de 8 à 14 ans, juste derrière… Super Picsou Géant. Personnellement, je ne suis jamais partie en colonie de vacances sans les deux publications dans mon sac à dos !
Certes, au bout d’un moment, on passe à autre chose. Mais, à l’occasion, je n’hésite pas à me replonger dans une histoire de Picsou ou de Donald (comme beaucoup j’ai toujours moins aimé Mickey) quand je tombe dessus. Car beaucoup ne sont pas juste de simples histoires pour enfants mais ont une vraie qualité et ont inspiré de nombreux auteurs. Les premiers Picsou par Carl Barks sont une référence mais les meilleurs sont sans doute ceux de Don Rosa.
La Jeunesse de Picsou, modèle du genre
Au début des années 90, il dessina et scénarisa La Jeunesse de Picsou, déclinée dans Picsou Magazine et que l’on peut aujourd’hui lire en albums reliés. Parmi les nombreuses histoires qu’a réalisées l’auteur américain, elle fait figure d’exemple. Outre le fait d’être extrêmement divertissante car tout en rebondissements, cette biographie du canard avare est nourrie de références qui dépassent l’univers de Picsou à proprement parler.
Sur la pauvreté dans l’Ecosse industrielle, sur la conquête de l’Ouest, les chercheurs d’or ou même la colonisation de l’Afrique du Sud, l’histoire traverse les époques et offre un regard sur les Etats-Unis de la fin du XIXème et du début XXème, comme peuvent le faire Lucky Luke ou Blueberry, avec souvent des accents qui mélangent Dickens et Jack London. On comprend d’où vient l’envie d’argent de Picsou, sa foi inébranlable, son amour perdu (mais pourquoi n’a-t-il pas ouvert la lettre de Goldie?), sa misanthropie, ses grandes erreurs, etc.
Parce qu’on y trouve des histoires comme celles de Barks ou de Don Rosa, d’un calibre autrement supérieur que les autres gags qui peuplent le magazine (il y a des histoires aussi franchement pourries), Picsou Magazine reste, à mon sens, une porte d’entrée idéale dans l’univers de la bande-dessinée. C’est probablement ce qui explique la survie du titre dans un paysage qui a vu les magazines “d’illustrés pour la jeunesse”, selon l’appellation traditionnelle, s’éclipser tous peu à peu. Bien sûr il ne faut pas oublier la force de frappe générale de Disney qui entre la télévision, les parcs d’attraction et le merchandising divers occupe beaucoup plus facilement l’espace. Avant d’être de la BD, Picsou Magazine est un outil de promotion de la marque.
Le seul équivalent de cette qualité reste le Journal de Spirou, mais son âge d’or n’est plus. Le Journal de Tintin, lui, a disparu depuis bien longtemps et Pilote n’existe plus que par des hors-séries aléatoires, par ailleurs plutôt réussis (pour commémorer mai 68 ou pour célébrer l’érotisme). Quant à Pif, pendant anticapitaliste historique de Picsou dont il partage la même culture du gadget, il a bien tenté un come-back en 2004 mais l’aventure aura été de courte durée. Le dernier numéro du nouveau Pif, avec sa fameuse machine à faire des œufs carrés, est sorti en 2008, avant la liquidation judiciaire l’année suivante.
Ces œufs carrés symbolisent tout simplement le décalage entre les deux titres. On trouvait en effet des œufs de ce type dans une histoire de Carl Barks, Perdus dans les Andes, datant de… 1949.
Laureline Karaboudjan
llustration : dessin de Picsou par Carl Barks, DR.
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La nouvelle constitution hongroise fait prendre un virage autoritaire au pays qui ressemble de plus en plus à la Bordurie de Tintin.
A chaque nouvelle année son lot de hausses des prix, de révisions de taux d’intérêts et d’applications de textes législatifs au-premier-janvier. Parmi la fournée de 2012, il y en a une qui est très commentée: la nouvelle constitution hongroise ainsi que le chapelet de lois qui l’accompagne. Des dispositions, dont certaines ne pourront plus être modifiées qu’avec l’approbation des deux-tiers du Parlement, qui font prendre un virage autoritaire au pays. Au point que certains s’émeuvent de voir la démocratie mise à mal en Hongrie.
Un régime despotique au centre de l’Europe, ça ne vous fait penser à rien? Moi si: à la Bordurie, le pays imaginaire créé par Hergé dans les aventures de Tintin. Évocation d’état fasciste puis stalinien au fil des albums, la Bordurie reste, à mes yeux de lectrice de bandes-dessinées, l’archétype du pays autoritaire d’Europe centrale. Au point que je ne peux m’empêcher d’y penser quand j’entends aujourd’hui parler de la Hongrie. Après tout, The Economist avait bien fait le postulat de l’existence de la Bordurie il y a peu. Et l’avait d’ailleurs positionné… à la frontière avec la Hongrie.
Petite revue comparée des nouveaux textes de lois hongrois et de ce qu’on peut déduire de l’oeuvre d’Hergé concernant les Bordures…
Des régimes autoritaires et nationalistes
L’affrontement entre la Syldavie et la Bordurie dans Tintin marque assez bien les divisions au temps du mur entre deux pays anciennement unis, d’un côté l’Autriche, de l’autre la Hongrie. La Syldavie serait restée du côté des pays dits “libres” tandis que la Bordurie ferait partie du bloc de l’Est, sous une dictature qui règne en maître depuis la capitale Szohôd (pour l’anecdote le fait de mettre des accents circonflexes partout fait dire à certains que Hergé a voulu que la langue bordure ressemble au magyar). Avec tout le folklore qui sied aux dictatures d’Europe de l’Est…
Les agents des services secrets sont en permanence dans la rue, à vouloir contrôler tout le monde, notamment à la sortie de l’opéra. Heureusement nous nous sommes pas là encore du côté de Budapest, mais les possibilités de répression de la population civile augmente: une loi rend les sans-abri éventuellement passibles de peines de prison. Depuis septembre, certains bénéficiaires des allocations chômages, en majorité des Roms, sont obligés de travailler sur des chantiers publics, ce qui rappellent des camps de travail de triste mémoire. Selon Sandor Szöke, qui dirige le “Mouvement des droits civiques hongrois”, les personnes visées “nettoient un terrain boisé en vue de la construction de résidences pour la classe aisée. Les outils semblent tout droit sortis du XIXème siècle: on travaille à la faucille ! Il n’y a rien à disposition : pas d’eau, pas de toilettes, pas d’abri contre le soleil, pas de protection contre les guêpes… C’est humiliant.” En Bordurie, on ne sait pas comment a été construit le complexe militaro-scientifique où doit être enfermé Tournesol, mais on imagine bien le même genre de procédé.
On pourra s’émouvoir aussi de la suppression de l’appellation “République de Hongrie” au profit de la seule “Hongrie” dans la nouvelle constitution, ce qui n’est pas franchement un bon signe pour démocratie. Ou encore du regroupement des radios, télévisions et agence de presse nationale en une seule entité supervisée par un Conseil des médias dirigé par une proche du Premier ministre Viktor Orban. Ou du retrait de la fréquence de Klubradio, l’unique radio d’opposition du pays. Ce n’est pas encore le régime de parti unique, sans contestation, à la Bordure, mais on s’en approche peu à peu…
La Bordurie à la marge de la Hongrie
Car il y a tout de même quelques différences entre la Bordurie et la Hongrie. La nouvelle Hongrie est anticommuniste et religieuse, alors que la Bordurie est stalinienne. Mais la Bordurie a aussi été fasciste fin années 1930. Comme la Hongrie de l’époque! Comme Hergé est mort, il n’y aura malheureusement plus de mise à jour du système politique à Szohôd, mais on peut très bien imaginer qu’il l’aurait fait évoluer pour ressembler à celui de Budapest aujourd’hui..
Autre différence, la Bordurie est un Etat impérialiste, qui intervient par exemple directement au San Théodoros, ce qui n’est pas le cas de la Hongrie, qui aurait plutôt tendance à vouloir se replier sur elle-même. Un repli qui pourrait toutefois déstabiliser ses voisins… La volonté de donner ainsi le droit de vote aux étrangers d’origine hongroise vivant hors du pays n’est pas anodine dans un contexte de tensions récurrente entre Belgrade, Budapest, et la communauté magyare de Voïvodine. On voudrait alimenter des tensions séparatistes, on ne s’y prendrait pas mieux.
Rien à voir, toutefois, avec la haine que voue la Bordurie à son rival historique la Syldavie. La Hongrie n’est pas un Etat militaire et il n’y a pas de bruits de bottes à la frontière autrichienne ou serbe. Ce qui importe la Hongrie d’Orban, ce n’est pas de récupérer un sceptre doré chez ses voisins mais de couper peu à peu les ponts avec l’Union européenne C’est pourquoi le forint est devenu constitutionnellement la devise nationale pour rendre une adoption de l’euro plus difficile : elle nécessitera une révision de la constitution aux deux tiers des voix du parlement. Mais il ne s’agit pas d’envahir ses voisins.
Surtout, quand bien même Viktor Orban menace la démocratie dans son pays, la Hongrie n’est pas devenue une dictature, encore moins un état totalitaire façon bordure. Il n’y a pas de statue du Maréchal Orban sur la place Orban à Budapest, et on ne doit pas saluer d’un vigoureux “Amaïh Orban” ses interlocuteurs. Et la coupe de cheveux du premier ministre Hongrois n’a pas encore inspiré les capotes de voitures comme la moustache de Plekszy-Gladz les pare-chocs. Mais c’est bien pour éviter que cela se produise, pour servir de repoussoir, qu’existent les dictatures de fiction telles que la Bordurie d’Hergé..
Laureline Karaboudjan
Illustrations: extraits du Sceptre d’Ottokar et de l’Affaire Tournesol, DR.
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Et si au lieu de Spielberg, Tintin était réalisé par Lars von Trier, Ken Loach, François Ozon ou Tarantino ?
Hier je suis allée voir Tintin, en amatrice absolue de la bande-dessinée d’Hergé. Je ne vais pas vous faire une longue critique, il y en a déjà eu des dizaines. De «j’aime pas» à «à la folie», elles égrènent tous les pétales d’une marguerite.
En toute honnêteté je suis restée un peu sur ma faim, malgré le fait que le Karaboudjan soit mis à l’honneur. C’est un aimable divertissement, les acteurs, notamment Haddock, sont attachants et le début, qui nous plonge vraiment dans l’univers du héros d’Hergé, est envoûtant. Mais, d’un autre côté, l’accumulation d’explosions et de cascades invraisemblables donnent souvent l’impression d’être plus dans un dessin animé adapté d’Indiana Jones que de Tintin.
Et justement, le public ciblé n’est sans doute pas le bon: dans ma salle il n’y avait que des vingtenaires, alors que c’est définitivement un film à aller voir avec ses gamins. Je me suis d’ailleurs plusieurs fois demandée: l’aurais-je plus apprécié si je ne connaissais pas du tout la BD? Sans doute, et c’est pourquoi je ne suis pas trop inquiète pour son succès aux Etats-Unis.
Une chose est sûre c’est bien un film de Spielberg que j’ai vu hier soir plus qu’une adaptation fidèle de Tintin (pour cela, il y a l’excellente série de dessins animées sortie en 1992). Le réalisateur américain a véritablement imprimé sa patte au film, tout comme il le fera pour les 7 boules de Cristal et le Temple du Soleil qu’il a d’ores-et-déjà prévu d’adapter. Mais pour les autres albums, on ne pourrait pas trouver d’autres metteurs en scène, qui imprimeraient eux-aussi leur marque de fabrique ? Voici une petite liste fantasmée des réalisateurs que je voudrais pour adapter certains albums de Tintin.
«Le monde se divise en deux catégories, ceux qui tiennent un pistolet chargé, et ceux qui creusent.» Il y a ceux aussi qui se retrouvent enfermés dans un trou, ceux attachés sur une voie de chemin de fer, poursuivis par les Indiens ou jetés dans le lac du Michigan avec une haltère aux pieds. La visite de Tintin aux Etats-Unis est un mélange de films de gangster et de western à grands-espaces. Pour le porter à l’écran, je ne peux m’empêcher de penser à Clint Eastwood (peut-être assisté de Scorsese). A moins que les frères Coen ne soient finalement les plus aptes à retranscrire l’ambiance complètement foutraque de cet album.
Les Tintinophiles le savent bien: si le Lotus Bleu est un des meilleurs Tintin, c’est en partie grâce à l’apport décisif de Zhang Chongren dans son élaboration. L’artiste chinois a aidé Hergé à faire son premier album vraiment documenté, qui retranscrive fidèlement la Chine des années 1930. Pas question de changer de recette pour l’adapter au cinéma : il faut un réalisateur chinois. Wong Kar-wai fait même mieux puisqu’il est natif de Shanghaï, où se déroule l’action du Lotus. Imaginez les scènes dans la fumerie d’opium, toutes en flou artistique et en lumières troubles, ou encore le traitement de la folie de Didi, le coupeur-de-têtes compulsif de la BD… Ca fait rêver non?
Qui mieux que Ken Loach pour porter à l’écran ce gorille dans la brume écossaise? Le réalisateur britannique ferait de l’Île Noire un vrai film social à l’anglaise, avec des briques, de la bière et des cheminées d’usine. Séquence phare : l’arrivée du héros dans le village de Kiltoch. Tous les pêcheurs sont au pub et noient leur désespoir dans du mauvais whisky, parce qu’une directive européenne qui protège le saumon les a mis au chômage technique. Quant aux faux-monnayeurs de la BD, ils seront l’incarnation de la prédation financière la plus éhontée, que le prolétaire-reporter va mettre à bas.
Quelques mois après Melancholia, il est étrange que Lars von Trier n’ait pas encore annoncé ses envies d’adapter cet album d’Hergé: une météorite qui vient sur terre, le grand froid, la fin du monde… Normalement il y a tout pour plaire au réalisateur danois. «C’est le châtiment! Faites pénitence! La fin des temps est venue!» pourra-t-il gueuler sur la Croisette, en se moquant du méchant dans l’Etoile mystérieuse, Monsieur Bohlwinkel, alias Blumenstein dans la première version. Un vilain tellement 1942…
Deux pays qui s’affrontent et rejouent en miniature la Guerre Froide, voilà une mission toute trouvée pour Georges Clooney qui s’est fait une spécialité, depuis quelques années, de faire des films sérieux et politiques. Et comme il possède une vision “européenne” du bien et du mal, sans doute montrera-t-il la Bordurie moins méchante que la manière dont Hergé la caricature. Après tout, le spectateur connaît souvent ses James Bond sur le bout du pistolet et sait que l’exfiltration plus ou moins forcée de scientifiques du camp adverse fait complètement partie du jeu. Face à cette realpolitik, Tintin paraîtra naïf et un peu dépassé mais, en s’enfonçant dans la nuit noire bordure, on ne pourra s’empêcher de lui souhaiter, «Good Night, and Good Luck».
Pour retranscrire un des albums les plus politiques de la série, ne cherchez plus, il faut Costa-Gavras. Coke en Stock ressemble à une compilation des thèmes de prédilection du réalisateur. Il ferait de la traite négrière en Mer Rouge une évocation de l’immigration clandestine comme dans Eden à l’Ouest. Les conflits entre Ben Kalish Ezab et Bab El Ehr lui permettraient de faire une charge contre le régimes autoritaires, comme il l’avait fait sur le régime des colonels en Grèce dans Z ou à propos de l’Amérique du Sud dans Etat de Siège. Sans oublier, bien-sûr, de souligner le rôle de l’Occident dans le soutien à ces dictatures.
Et l’unique cordeau des trompettes marines qui résonnent à travers l’étendue glacée de l’Himalaya, remontant les sommets enneigées – plan séquence – pour s’attarder sur un petit homme dans le froid – plan serré sur le visage de Tchang. Il a peur, le saviez-vous ? Plan resseré sur ses yeux. Soudain ! Le Yéti. Plan en contre plongée, musique classique. Tintin, où es-tu? La nature, l’homme, le bruit du vent dans la neige, le rapport au monde, l’infiniment petit face au grand sublime. Tintin au Tibet transformé en grand film métaphysique auquel on ne comprendrait pas tout. Car tout est Terrence qui lui même est dans Malick. Ou l’inverse.
Si Claude Chabrol n’avait pas cassé sa pipe l’an dernier, le film lui serait revenu de droit. Mais François Ozon fait un très bon substitut pour filmer, à la 8 Femmes, ce huis-clos bourgeois que sont les Bijoux. Dans un Moulinsart claustro, les personnages navigueraient entre mensonges et faux-semblants, et la recherche de l’insaisissable voleur serait l’occasion de passer au révélateur les faiblesses non-avouables de chacun. Un profond malaise ressortirait de ce long-métrage feutré.
Une ville pourrie, une jungle qui gratte, des révolutionnaires en cotillons et des carnavaliers alcooliques, des tirs stupides et des procès arbitraires, Tintin et les Picaros et l’album idéal pour Tarantino et Rodriguez. Avec un Séraphin Lampion en serial killer à chemise à fleurs et sarbacane en carton, et une Castafiore qui violerait les gardiens de prison, le général Tapioca n’a qu’à bien se tenir. Tout cela avec une BO complètement folle, mélange d’opéra rock et de samba chocolat.
Laureline Karaboudjan
Illustration de une: extrait de Tintin et le trésor de Rackham le Rouge, DR.
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Désencyclopédie livre une définition absurde de la BD. Pas forcémment la plus mauvaise.
“La bande dessinée est un style de films étrange où jouent des gens muets et où les caméras sont si lentes que les images sont saccadées et dénuées de sens profond. De même, la succession de l’histoire n’est pas rectiligne : on va à droite, en bas, même à gauche dans certains cas“. Ainsi commence la description de la bande dessinée sur la page qui lui est consacrée sur le site satirique Désencyclopédie. Cette alternative peu sérieuse à Wikipédia touche en général assez juste et la BD n’est pas épargnée. Et même si ce n’est pas l’article le plus drôle, loin de là, l’entrée consacrée au neuvième art n’est pas dénuée d’intérêt.
On y apprend par exemple que “par son côté rudimentaire et souvent peu réaliste, on croit que la bande dessinée est apparue en même temps que les débuts de la cinématographie. (…) En raison de cette origine sans budget, la bande dessinée est souvent gravée sur papier et non sur une pellicule ou un support numérique”. Au-delà de la blague, la comparaison avec le cinéma est assez bien vue. Les deux disciplines sont souvent comparées, a fortiori lorsqu’une BD est adaptée à l’écran. J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer ici tout ce qui rapproche (le storyboard par exemple) et éloigne (l’interprétation des acteurs, entre autres) les deux arts.
En faisant de la BD une sorte de sous-cinéma, Désencyclopédie pointe ce qui pourrait être un des risques pour elle : perdre son statut d’art si durement acquis pour retomber en mode mineur et n’être qu’une anti-chambre pour blockbusters. La frénésie d’adaptations cinématographiques (Tintin, Lucky Luke, Iznogoud, Michel Vaillant, etc. -la liste est longue, sans compter les comics américains), plus ou moins réussies, de ces dernières années pourrait augurer d’un tel avenir. Surtout lorsque la logique d’adaptation pré-existe à la sortie d’albums, comme celà peut-être le cas quand studios BD et ciné cohabitent au sein d’une même entreprise. L’éditeur de comics Marvel fait figure de tête de proue de ce mouvement, et il pourrait très bien faire des petits.
Revenons à la Désencyclopédie. Avec humour, elle détaille quelques grands héros, tels Spirou, le “fanatique d’hôtellerie qui part à l’aventure pour civiliser des gens d’un marais maudit, des cyborgs ou bien des animaux à la queue cent fois plus longue que leur tête“, Lucky Luke “un homme [qui] arrête de fumer. Pour compenser, il se met à mâchonner une brindille, mais celle-ci provient d’une plante toxique et hallucinogène: du coup, il se met à voir des choses étranges, comme des quadruplés à moustaches et rayures, un cheval qui parle, et il croit même voir son ombre se déplacer plus lentement que lui” ou (ma préférée) Bécassine qui est “Tintin quand il est travesti en godiche à sabots“.
Le manga, une histoire de tentacules
Le manga, dans le même genre, est aussi bien servi. Grâce à Désencylopédie, on découvre -ou plutôt redécouvre- ses principaux thèmes (vous n’êtes pas obligé de lire le long paragraphe qui suit):
“Les violences sexuelles dans le cadre scolaire ; Les tentacules phalliques ; Les violences sexuelles dans le cadre de la pratique du sport ; Les tentacules phalliques ; Les enquêtes policières qui donnent lieux à des effusions de violence (physique ou sexuelle) gratuite ; Les tentacules phalliques ; Les histoires relatant la vie de pratiquants d’arts martiaux qui décapitent et éventrent à tour de bras ; Les récits fantastiques qui font intervenir des créatures démoniaques avec un appétit sexuel insatiable et impliquant le sacrifice de jeunes vierges ; Les histoires de robots pervers pouvant envoyer une partie de leur corps à l’autre bout de la galaxie ; Les histoires invraisemblables où des ados attardés sont amenés à sauver le monde ; Les difficultés dues à la vie en communauté pour un jeune homme habitant un harem/résidence étudiante/dojo/etc peuplé principalement de jeunes filles affriolantes et impudiques ; Les différentes interactions avilissantes possible entre une jeune homme et un robot/extra-terrestre/clone/esclave sexuel (barrer les mentions inutiles) en tout genre ; Les aventures de collectionneurs compulsifs qui se mettent en tête de récupérer les objets/animaux/monstres de poches les plus stupides dans un but obscur ; Les aventures de tentacules phalliques compulsives qui se mettent en tête de violer les objets/animaux/collégiennes/monstres de poches les plus stupides dans un but obscur“.
Si vous n’avez pas eu le courage de tout lire, cela parlait surtout de tentacules phalliques.
On y apprend également que Naruto est l’histoire de “comment un jeune ninja nommé Salamèche cherche à se taper sa coéquipière Rondoudou” ou Bleach “l’histoire de jeunes gens qui, dans un état second permanent dû à un abus de drogues hallucinogènes sont persuadés de vivre à coté d’un autre monde tout chelou où les gens viendraient sur la Terre (mais ya que eux qui les voient, tiens ! ^^) pour se battre on sait pas pourquoi avec des monstres chelou qu’on peut pas voir non plus (mais ils les voient aussi, comme c’est bizarre…)“. Enfin, dans le même esprit absurde et toujours sur le thème du cinéma, j’aime beaucoup la définition de phylactère: “Panneau de bois sur lequel est écrit le script en Arial taille 72 pour une bonne lecture et compréhension de l’histoire“.
De la difficulté de définir la BD
Avec dérision Désencyclopédie accomplit l’exercice particulièrement délicat de la définition. Délicat parce que selon les mots que l’on choisit pour définir, le sens donné est évidemment changeant. C’est le cas pour n’importe quel terme, depuis “arrosoir” jusqu’à “zèbre”, mais ça l’est plus encore quand il s’agit de définir un art. Si j’ouvre mon bon vieux Petit Larousse en couleurs de 1972, je lis en sous-définition de “bande” que la “bande dessinée, illustrée” est “une histoire racontée en une série de dessins“. Si j’ouvre mon dictionnaire préféré, le Trésor de la Langue Française informatisé, je constate également que la bande-dessinée n’a pas de définition à part entière et qu’elle est “synon. de dessin animé” (sic). Mais surtout qu’il s’agit d’une “séquence d’images, avec ou sans texte, relatant une action au cours de laquelle les personnages types sont les héros d’une suite à épisodes (ex. : Bécassine, les Pieds-Nickelés, Tintin, Astérix, Lucky Luke, les Dalton, etc.)“.
On voit bien que la clé réside dans la succession d’images. Elle est au centre de l’une des tentatives de définition de la BD les plus abouties que j’ai lu, à savoir celle produite par Will Eisner dans son ouvrage “Comics and Sequential Art“. Pour l’auteur génial du Spirit, la BD est avant tout un “art séquentiel” à savoir un “moyen d’expression créatif, discipline à part entière, art littéraire et graphique qui traite de l’agencement d’images et de mots pour raconter une histoire ou adapter une idée“. S’il note lui aussi la parenté avec le cinéma, Eisner remarque aussi que “alors que chacun de ses éléments constitutifs -comme la conception, le dessin, la caricature et l’écriture- ont trouvé une reconnaissance académique, leur combinaison en un médium unique a mis longtemps à se faire une place aux côtés de la littérature et de l’art“. Et de noter, au moment de la parution du livre en 1985, que la BD “restait incapable, en tant que genre, de susciter la moindre critique intellectuelle sérieuse. Comme je l’enseignais souvent à mes élèves “un beau dessin n’est pas suffisant”.
En encore, je dois avouer que je n’ose pas m’attaquer aux définitions des sous-genres. Par exemple, le terme de «roman graphique» («graphic novel»), a une sérieuse tendance à me donner de l’urticaire quand j’essaye d’en parler: je me sens un peu à chaque fois comme le super-héros dans ce dessin de Chris Ware qui tente de s’envoler d’un building et qui s’écrase lamentablement par terre.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture de Chris Ware, la BD réinventée, DR.
lire le billetDe nombreuses séries de BD ne connaîtront jamais de fin. Frustrant.
Dans la bibliothèque de n’importe quel amateur de BD, on trouvera toujours au moins une série incomplète. Parfois, c’est votre cousin qui vous a emprunté un Astérix dont vous attendez le retour depuis une petite décennie (mais que vous ne voulez pas racheter car vous mettez un point d’honneur à ce qu’on vous rende vos affaires). D’autres fois, plus agaçantes, c’est un album égaré en vacances qui n’est plus réédité, et que vous vous échinez à retrouver à longueur de brocantes. La plupart du temps, c’est surtout que la série en question n’était pas si bien que ça, et que vous n’aurez de toutes façons jamais plus que les trois ou quatre albums que vous possédez, et qui en plus ne se suivent même pas. Ou alors c’est parce que vous avez lus les albums manquants à la bibliothèque municipale.
Et puis, il y a celles qui ne seront jamais entières, même dans les étagères des maniaques qui n’arrivent pas à concevoir qu’ils puissent entamer une série sans la compléter systématiquement (j’en connais, leurs bibliothèques sont monotones et ils me font peur). Parce que certaines séries sont tout simplement inachevées. Soit parce que l’auteur est mort, soit, plus souvent, parce que l’éditeur n’a pas souhaité poursuivre une aventure éditoriale pas assez lucrative. Autant d’histoires sans fin qui ont donné une drôle d’idée à un éditeur indépendant…
Leur première édition est un tome 2
J’ai découvert tout récemment, grâce à un article de Bodoï, l’existence de la toute petite maison d’édition Une idée bizarre, qui a pour ambition de ne publier que des séries abandonnées ou des histoires oubliées. Son originalité, surtout, c’est non seulement de publier les tomes déjà sortis de ces récits maudits, mais d’en sortir également les suites inédites ! Dans la bien-nommée collection “Etcaetera”, le tout premier album publié par Une idée bizarre est ainsi… un tome 2, celui de la BD Ombres et lumière de Régis Parenteau-Denoël, dont le premier volume était sorti chez Glénat en 1997.
Ainsi, c’est le dessinateur original de la série qui a repris plume et pinceaux pour livrer, quatorze ans plus tard, la suite des aventures d’Erik, un peintre hollandais plongé dans les intrigues de la cour de Louis XIV. Bien sûr, le petit éditeur associatif n’a pas du tout la même assise financière qu’une grosse maison comme Glénat et joue donc la carte du collector pour pouvoir rentrer dans ses frais. L’album sort donc en habits d’apparât : tirage limité à 300 exemplaires numérotés et signés, en grand format (26,5 x 36,5 cm) dos toilé et accompagné d’un carnet de croquis. Le tout pour la somme de 51€, bien plus cher que le prix habituel d’une BD, mais un prix que sont prêts à payer les fans inconditionnels de la série.
L’idée, évidemment, me séduit beaucoup et je me suis donc demandée, en lectrice enamourée et nostalgique, quelles sont les séries que j’aimerais voir continuer.
Tintin et l’Alph Art. Évidemment, je ne pouvais pas passer à côté du 24ème album des aventures du plus célèbre des Belges, interrompu à jamais par la mort d’Hergé en 1983. Embarqué dans une enquête sur un faussaire d’art doublé d’un gourou mystique, un certain Endaddine Akass, Tintin se fait attraper. La dernière case de l’album nous montre le reporter emmené, sous la menace d’un pistolet, vers une mort certaine puisqu’il est destiné à être transformé en compression de César. Que va-t-il arriver vraiment ? Milou volera-t-il au secours de Tintin ? Endaddine Akass est-il bien Rastapopoulos comme on le devine tout au long de ce début d’aventure ? Autant de questions laissées sans réponses… Bien-sûr, il y a une dramaturgie involontairement géniale dans cette interruption de l’oeuvre sur un tel pic de suspense, et la série de Tintin ne pouvait pas se terminer de la meilleure façon. Et en même temps, j’ai ce caprice de petite fille de vouloir connaître à tout prix la fin. Mais ne dit-on pas que le désir s’éteint aussitôt qu’il est satisfait ? Au pire, on peut toujours se rabattre sur l’album pirate de Rodier, ou sur les innombrables suites que l’on trouve sans peine sur le Net pour peu qu’on se donne la peine de chercher…
La quête de l’Oiseau du Temps. La première aventure a été publiée en 1983, 28 ans plus tard, il n’y a eu que 7 albums ! Il en reste donc encore 5 publier pour l’aventure scénarisée par Serge Le Tendre et dont le dessinateur principal est Régis Loisel (un tome du cycle avant la quête et tout le cycle après la quête restent à faire). Donc, même si le rythme s’accélère, il reste encore un sacré bout de chemin à parcourir et des années d’attente frustrantes pour le lecteur. Théoriquement, sauf mort précoce des auteurs, le cycle aura une fin, c’est déjà ça. Bon d’ici là j’aurai sans doute ma carte vermeil, mais c’est la vie.
Donjon. Finiront-ils un jour? La série Donjon n’est pas inachevée, me direz-vous, mais on peut légitimement se demander si on en verra le bout. Car les excellentes aventures d’heroic fantasy imaginées par Joann Sfar et Lewis Trondheim, ont un objectif supposé de parution de 300 albums (sans compter les nombreux à côtés) et si le rythme de parution a pu être effréné pendant un temps, avec de nombreux dessinateurs collaborant à la série, force est de constater que ça s’est beaucoup calmé ces dernières années. Pour ne pas parler de quasi point-mort. Sfar confiait sur son blog il y a plusieurs mois déjà que deux albums étaient en préparation qui devraient offrir “une forme de conclusion à tous les albums existants”, tout en promettant que “ça n’est pas du tout la fin de Donjon”. J’espère… Car si je n’ai jamais cru qu’il y aurait 300 albums à terme, les ponts scénaristiques qui ont d’ores-et-déjà été lancés méritent au moins une dizaine d’albums pour être correctement achevées. Après, on peut aussi imaginer au bout d’un temps que les scénaristes comme actuellement les dessinateurs viennent à tourner pour que l’on puisse aller jusqu’au bout car le vrai problème de la série, c’est le succès qu’on connu Sfar et Trodheim dans leurs autres entreprises. Et leur “don” pour s’éparpiller, surtout. Vous verrez, dans trente ans, des blogueuses BD écriront qu’ “il y a une dramaturgie involontairement géniale” dans cette oeuvre fragmentaire…
Jimmy Boy. Les amours de jeunesses sont inoubliables. Ainsi en va-t-il de Jimmy Boy, jeune garçon américain de la Grande Dépression, dont les péripéties ont d’abord été contées en récits courts dans le journal de Spirou avant de paraître en 5 albums édités chez Dupuis au début des années 1990. Si aujourd’hui le ton de la série peut me sembler un peu niais par moments, je me suis passionnée pour ces aventures pleines de rebondissements… et inachevées. Le dernier album, “Le Chat qui fume”, s’achève sur une révélation de la plus haute importance : le père de Jimmy, que l’on voit partir en prison au premier tome pour avoir tué involontairement un briseur de grève, s’est évadé ! “Peut-être que le je le retrouverai un jour” lance le héros à la dernière case de l’album. Mais seize ans plus tard, on ne sait toujours pas si le poor Jimmy Boy a retrouvé son papa. Frustrant.
Lapinot et les Carottes de Patagonie. Pourquoi un nouveau tome pour ce pavé de plusieurs centaines de pages, la première oeuvre délicieusement foutraque de Lewis Trondheim? Justement parce que le principe de départ de la BD était d’écrire le scénario au fil de la plume et de toujours avancer, fuite en avant perpétuelle. Du coup, l’idée même de fin n’a pas vraiment de sens. Lapinot et les Carottes de Patagonie aurait pu être pour Trondheim ce que la suite de nombres croissants a été pour l’artiste Roman Opalka, décédé récemment. Une lutte contre l’infini qui ne prendrait fin qu’avec la mort de l’auteur lui-même. Mais il semble avoir déjà renoncé…
Je pourrais aussi compter toutes les séries que j’aurais aimé voir s’achever avant qu’on ne commette l’album de trop : Astérix, Lucky Luke, XIII ou de nombreux mangas. Prenons One Piece par exemple : je ne sais plus combien j’en ai lu de chapitres et je ne veux pas savoir. Luffy chapeau de paille et ses amis sont entrés dans ma vie, et j’en étais plutôt contente au départ. Mais, au bout d’un moment, j’aimerais qu’ils partent! A chaque chapitre, je me dis désormais: mais tu vas la finir ta putain de quête, oui? C’est le problème avec les manges en général. Dès qu’une série a du succès, une armée de scénaristes et de dessinateurs se penchent dessus dans le seul but que l’histoire dure le plus longtemps possible à des fins commerciales. Et tant pis pour la cohérence de l’histoire.
Et puis, il ya les BD dont j’aurais aimé une autre fin, mais là vous allez dire que je suis vraiment difficile. Il n’empêche : dans La jeunesse de Picsou, j’aurais tellement voulu que ce sacré canard ouvre la lettre de Goldie. Comme dirait Pascal (pas Brutal, le philosophe) : la face du monde -ou au moins de Donaldville- en eût été changée.
Laureline Karaboudjan
Illustration : Dernière case de Tintin et l’Alph-Art, DR.
lire le billetSymboles de l’influence culturelle du neuvième art, les héros de BD sont souvent mis en chansons.
Quels sont les deux points communs entre Bob Morane, Bécassine, Superman, Spiderman ou les Dalton? Le premier est évident: ce sont tous des héros de bandes dessinées. L’autre est un poil plus inattendu: ils ont tous été un jour mis en scène dans des chansons. De la variété de Joe Dassin au rap d’Eminem, pas un style musical n’a rendu, à sa manière, hommage au neuvième art. En ce jour de fête de la musique, voici ma playlist bédéphile (que vous pouvez aussi écouter sur Spotify).
lire le billetSur-représentés en BD, les roux y sont également plus valorisés que dans la vraie vie.
Le saviez-vous? Paul Scholes, le joueur de Manchester United, a décidé de prendre sa retraite. Bon, moi je ne le savais pas, mais je l’ai appris grâce à un article de Plat du Pied Sécurité , le blog de foot de Slate. Et, voyez-vous, bien que je ne suive pas spécialement le foot, ça m’a touchée. Car tout l’article se concentre moins sur les crampons de l’anglais que… sur la couleur de ses cheveux. Avec cette assertion pour le moins rapide : “les roux ne sont pas sexys“. Le hasard de la vie faisant que je suis moi-même rousse, cette phrase m’a fait rire tellement elle est fausse. Mais dans les commentaires, des gens bien plus furieux que moi ont animé le débat. Je vous passe tous les développements mais à un moment, l’auteur de l’article finit par en appeler à mes lumières (?) concernant les roux en bande-dessinée. Dont acte.
Si dans la vraie vie, nous ne sommes pas très bien servis en tant que roux, il en va tout autrement en BD. A commencer par les effectifs. Alors que les roux et rousses ne représenteraient qu’entre 1 et 2% de la population mondiale, on en trouve une tripotée dans les aventures dessinées. Une rafale d’exemples ? Obélix, Spirou, Boule (le copain de Bill), le sergent Chesterfield (des Tuniques Bleues), Jérôme K Bloche, Shanks le Roux (du manga One Piece), Lanfeust, Soda, Mortimer… Et chez les filles, citons par exemple Mélusine, Nadia (la copine de Titeuf) et, bien sûr, Laureline (la compagne de Valérian). Il est évidemment impossible de faire un décompte précis de la proportion de roux comparés aux blonds et aux bruns (sans parler des héros aux cheveux bleux ou verts) dans l’univers de la bande dessinée, mais ils semble bien qu’ils soient bien plus visibles que dans le monde réel.
La fascination du orange
Il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre cette invasion de cheveux de feu en BD. La teinte rousse des cheveux, couleur chaude par excellence, est très graphique. Couché sur le papier, un héros roux aura une présence souvent plus forte qu’un équivalent blond ou brun, parce que le orange de ses cheveux attirera plus le regard. Un roux en BD, ça pète, tout simplement. Il est par ailleurs intéressant de noter la largeur de la palette chromatique à disposition des dessinateurs de BD pour représenter la rousseur. Comme le roux est la couleur de transition entre les deux pôles que sont le brun et le blond, de nombreuses déclinaisons sont possibles : depuis les cheveux cuivrés, limite violets, d’un Soda jusqu’au quasi-blond vénitien de Nadia, en passant par le orange carotte de Chesterfield ou de Spirou. Le blond et le brun offrent une gamme de possibilités nettement moins étendue.
Notons pour l’anecdote que cette fascination du roux dépasse les frontières de la BD et peut s’appliquer aux arts graphiques en général. Est-ce pour cela que la photo la plus chère du monde, un cliché de Cindy Sherman vendu aux enchères le 11 mai dernier à New York pour la bagatelle de 2,76 millions d’euros, est un hommage à la rousseur, avec son orange omniprésent ?
Sexy-rouquins
Non seulement les roux sont sur-représentés en bande-dessinée, mais ils ont également très souvent un rôle valorisant. Quand très peu de méchants de BD sont roux (peut-être que j’occulte inconsciemment, auquel cas vous me rafraîchirez la mémoire dans les commentaires), on ne compte plus ceux qui tiennent la tête d’affiche des séries dans des rôles positifs et variés. Mortimer est un scientifique de génie, Matt Murdoch (alias Daredevil) un avocat de talent doublé d’un super-héros redoutable en dépit de sa cécité.
Et, contrairement aux clichés qui collent aux roux, certains sont plus que craquants en BD. Prenons Spirou, Shanks le Roux, Lanfeust ou Soda par exemple, soit, dans l’ordre d’apparition, un aventurier, un pirate, un héro, et un flic qui fait croire à sa mère que c’est un gentil prêtre. Difficile de faire plus sexy pour gagner sa croûte non? De tous, c’est sans doute Spirou qui est le plus célèbre. Il a en quelque sorte légitimé l’idée qu’un héros puisse être roux. Après lui, le boulevard était ouvert. Shanks est une réincarnation de Barbe Rousse dans One Piece. Beau gosse, toutes les filles (dont moi) ont un peu le béguin pour lui. Lanfeust est un peu niais, mais il sauve le monde, puis la galaxie. C’est important, il ne faut pas l’oublier. Quant à Soda, il aime sa maman et porte les Ray-Ban comme personne. Chez les filles, je pourrais déblatérer longtemps sur Laureline, mon homonyme qui parcourt l’espace-temps avec Valérian. Mais une recherche Google images sera bien plus éloquente qu’un inutile paragraphe.
Tout ceci ne doit pas faire oublier que dans la vraie vie, être roux peut tout de même être mal vécu. C’est ce que veut nous raconter Fabrice Erre dans Le Roux, une des seules BD à ma connaissance à aborder cette question frontalement. A travers le personnage de Pierre Leroux, qui comme son nom l’indique a les cheveux oranges, c’est tout le sujet du droit à la différence qui est évoqué. Le héros rouquin, lassé des moqueries, décide de se faire le porte-parole des roux et de revendiquer fièrement sa couleur de cheveux. Quitte à blâmer ses semblables qui s’éloignent du droit chemin. Ou comment on peut devenir intolérant à vouloir trop combattre l’intolérance au point de tomber dans l’affirmation identitaire.
Laureline Karaboudjan
PS: Tintin est-il roux?
Tout tintinophile s’est déjà posé la question: le reporter belge est-il blond ou roux? Selon le site Rousseur.org, notre journaliste préféré est roux. «Des doutes ? Dans plusieurs BD, il apparaît clairement roux même si ce n’est pas flagrant», y explique-t-on de façon un peu nébuleuse. En tous cas, la question est sujette à de grands débats sur YahooAnswer.
Effectivement, selon les albums il est plutôt roux ou blond, question de rendus d’impression sans doute. Mais pour les adaptations en dessin animé, les auteurs avaient plutôt choisi le roux. Ce qui semble d’ailleurs être le cas également pour le film de Jackson et Spielberg (dont la bande-annonce est sortie récemment et m’inquiète grandement). Du coup, je suis perturbée. Je l’avoue, pour moi, il avait toujours été blond. Cela correspondait plus à son profil idéologique et les conséquences néfastes que cela a pu impliquer aux époques les plus sombres de notre histoire. Je termine ma chronique sur les roux avec un point Godwin. Et oui.
Illustration : DR.
Bonus track (trouvée ici) :
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