Les BD du printemps

La Douce, Intrus à l’Etrange, la Pieuvre… C’est le printemps : les arbres bourgeonnent, les oiseaux chantent et les bacs des libraires se remplissent de nouvelles BD. Voici une petite sélection des albums qui m’ont plu ces dernières semaines (et deux qui m’ont déçu pour faire bonne mesure).

  • American Tragedy, Calvez, Delcourt

Ce n’était pas une mince affaire que de s’attaquer à Sacco et Vanzetti, comme l’a fait Florent Calvez dans American Tragedy. Parce que l’histoire de ces deux anarchistes italiens, executés après un procès inéquitable aux Etats-Unis en 1927, est un véritable mythe dont l’avatar le plus célèbre est une chanson de Joan Baez. L’auteur de BD s’en sort pourtant plutôt bien. Il déconstruit toute l’affaire en assumant les zones d’ombres et les parts de doute dans une enquête passionnante. En dépit d’un ton parfois un peu trop didactique, American Tragedy est aussi, à l’instar d’Un Pays à l’aube de Dennis Lehane, une évocation réussie des troubles qui agitent les Etats-Unis dans les années 1920 et un réquisitoire très intelligent contre la peine de mort.

  • La Douce, Schuiten, Casterman

On ne présente plus François Schuiten, le dessinateur belge qui explore depuis près de trente ans les Cités Obscures avec son camarade Benoît Peeters. Il arrive toutefois qu’il travaille seul, comme dans La Douce, un album dont le personnage principal est… une locomotive. Une Atlantic 12 pour être précis, d’où son surnom qui donne son titre à l’album. Dans son habituel univers absurde et onirique, Schuiten fait déambuler un mécanicien à bacchantes à la recherche de sa locomotive promise. Comme d’habitude, c’est beau, poétique et amer à la fois. Les amateurs du dessinateur ne seront pas deçus, pour les autres, c’est une entrée en matière idéale.

  • Le Tampographe, Sardon, L’Association

Ce n’est pas une BD, mais c’est publié à l’Association et Sardon a déjà publié des BDs, il y a longtemps. «En 1995» il dirait sans doute, même si ce n’est pas vrai, mais il est resté bloqué à cette époque-là. Maintenant, il fait des tampons. Le plus souvent, il grave des insultes, “Crève salope” dans toutes les langues. Il décrit aussi sa vie dans un carnet de bord, même s’il la juge globalement sans intérêt et il prend des photos des gens les plus tristes qu’il peut croiser dans la rue. Ca a l’air complètement déprimant présenté comme ça mais c’est un ouvrage fort, original, acide et drôle.

 

  • Intrus à l’Etrange, Hureau, La boîte à bulles

De Simon Hureau, j’avais adoré Palaces, récit de voyage dépressif au Cambodge sur les traces des Khmers Rouges. L’auteur change complétement de registre dans Intrus à l’Etrange puisque cet ouvrage de fiction nous emmène dans un village paumé de la Creuse, au fil d’une intrigue particulièrement mystérieuse. A la mort de son grand-père, le héros hérite d’une valise où figure l’adresse d’un habitant dudit village. Sur place, nulle trace de la personne en question, mais un tombereau d’événements étranges, entre sorcellerie, science fiction et pâté de campagne. L’histoire est particulièremetn prenante et je comprends pourquoi la BD a été primée dans la catégorie Polar à Angoulème. C’est très réussi.

  • Olympe de Gouges, Catel et Bocquet, Casterman

Après le succès de Kiki de Montparnasse, les auteurs s’attaquent à une autre figure féminine, Olympe de Gouges, la révolutionnaire qui rédigea la Déclaration des droits de la femme en 1791. Mais là où beaucoup de biopics dessinés se contentent d’illustrer les grands moments de la vie des personnages dont ils traitent, le livre de Catel et Bocquet s’attache à alterner l’intime et le public, l’anecdote et l’essentiel. Les dialogues sont passionants et, au-delà du personnage d’Olympe de Gouges, éclairants sur la période pré-révolutionnaire et l’esprit des Lumières qui flottait alors sur le Royaume de France.

  • La Famille, Vivès, Delcourt

Vivès est fou. sa famille est bizarre, la tension sexuelle y est permanente alors que la plupart du temps les discussions devraient être banales. Dans une suite de courts strip il poursuit sa série commençait avec Jeux vidéo. C’est toujours aussi bon mais sans doute moins universel: tous les amateurs de jeu vidéo se reconnaissaient, là, sa manière de voir la famille est plus personnel. On image les diners de famille en ce moment, même si je sais qu’il n’a pas de soeur. Le père: Alors, comme ça, Bastien, c’était ça ton enfance, tu nous imagines comme ça? Le silence. Il baisse la tête.

  • Beauté, tome 2, Kerascoët, Dupuis

Le couple d’auteurs qui se cache derrière le pseudo de Kerascoët poursuit la narration de Beauté, son conte enchanteur. Cette histoire de laideron qui se voit dotée de la plus absolue des beauté par une fée prend toute son épaisseur dans ce deuxième tome. Car évidemment, le souhait de l’héroïne se retourne contre elle et ses atours physiques deviennent bien vite source de tracas. Le récit est très bien rythmé, avec de nouveaux développements toutes les deux pages et le tout servi par un dessin très moderne, particulièrement doux aux yeux.

  • La Pieuvre, Giffone, Longo, Parodi, Les Arènes

Ce roman graphique historique très ambitieux s’est lancé dans l’épopée tragique des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino contre la Cosa Nostra, à la fin des années 70. Une énième histoire de la mafia, cette fois-ci en BD, portée par le scénariste Manfredi Giffone. Publiée aux éditions les Arènes, les mêmes qui publient l’exigeante revue XXI, la BD narre par le détail la corruption et la violence de cette organisation et la volonté teintée d’impuissance de certains juge et policiers. C’est un peu long, il faut prendre le temps de rentrer dedans, même si l’animalisation des personnages -on sent pour le coup que les auteurs ont lu BlackSad – permet aux lecteurs de sortir un peu de l’impression de lire un cours d’histoire.

  • De Cape et de Crocs, tome 10, Ayroles et Masbou, Delcourt

J’ai consacré un papier récemment à De Capes et de Crocs. Vous pouvez le lire ici. Le dixième tome est dans la lignée des précédents, concluant bien l’histoire tout en laissant la possibilité évidemment d’une nouvelle quête sur d’autres mers. Quelques pages sont sublimes, autant dans la narration, le graphisme que la poésie, notamment l’abordage d’une caravelle par une maison volante à mi-chemin entre le soleil et la lune. Ecrit comme cela, ça a l’air bizarre, mais sur le moment, c’est logique.

 

Le Coin du Soupir

  • Saison Brune, Squarzoni, Delcourt

Alors qu’il écrit son précédent ouvrage, Dol, qui analyse la politique de libéralisation sous le second mandat de Jacques Chirac, Philippe Squarzoni se rend compte qu’il manque de culture sur le sujet des politiques environnementales, et plus particulièrement à propos du réchauffement climatique. Il décide donc de se pencher sur la question et y consacre un livre entier, Saison Brune. Si l’ouvrage est très docte et extrémement documenté, la démonstration souffre de son austérité. Je me suis malheureusement très vite ennuyée à la lecture de ce pavé quelque peu indigeste.

  • Ralph Azam, tome 3, Trondheim, Dupuis

Je n’ai jamais su trop quoi penser de cette série. Dessinée et scénarisée par Trondheim elle met en scène un canard qui a des pouvoirs et qui va devoir affronter d’autres canards, aidé par des magiciens et autres brigands, avec l’ambiance médiavalo-fantastique qui va bien. Et non, ce n’est pas Donjon. Alors qu’on attend désespérement un nouvel épisode de cette excellente saga, Trondheim s’est amusé dans son coin avec Ralph Azham sauf qu’il semble n’y avoir jamais vraiment cru. Le scénario est un peu baclé, certains personnages sont moyennement réussis, Trondheim s’est clairement reposé sur ses acquis. C’est dommage, parce que cela aurait pu être vraiment bien.

Laureline Karaboudjan

Illustration : extrait de la couverture de Intrus à l’Etrange, DR.

3 commentaires pour “Les BD du printemps”

  1. V’est vrai que Saison Brune souffre du fait que le texte, très sérieux, bouffe parfois tellement de place que le dessin en devient juste le support (on voit un mec qui parle, et ce sur des planches entières). Mais le sujet est passionnant, et cette BD m’a bouleversée autant que le “1984” de G. Orwell, c’est dire…

  2. Rapidement, et concernant “La Famille” de Bastien Vivès, j’avais compris qu’il se projetait comme père de famille dans ses histoires. Il se projette donc dans un avenir et ne revient pas sur son passé, contrairement à votre analyse. Sinon, merci pour vos chroniques!

  3. Eh bien, on a le choix parmi la liste des bd

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