Menacée par le piratage, la BD ?

La BD est le secteur de l’édition le plus piraté d’après une récente étude. Mais faut-il forcément crier au péril de la création ?

Il n’y a pas que les majors des maisons de disque ni les boîtes de production de cinéma qui avaient des raisons de sabrer le champagne, ce week-end, pour fêter la fermeture de Megaupload. La principale plate-forme de téléchargement direct d’oeuvres piratées causait aussi du tort aux éditeurs de bandes-dessinées. C’est ce qui ressort d’une étude sur le piratage de la BD, rendue publique il y a quelques jours par le MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France), opportunément juste avant le festival d’Angoulême. Elle recense 35.000 à 40.000 titres de BD piratées, dont 8.000 à 10.000 seraient “réellement accessibles” (c’est à dire disponibles en peer-to-peer ou avec des liens de téléchargement direct actifs). D’après l’étude, “la BD est la catégorie éditoriale la plus piratée sur Internet”, victime d’une pratique organisées par une “multitude de teams dédiées à la BD”.

Pour autant, si tous étaient frappés, ils ne mourraient pas tous, aurait pu dire La Fontaine en lisant l’étude. Car quand on se penche sur le détail des chiffres, on se rend compte que le phénomène est loin d’affecter de manière uniforme les différentes séries et les différents éditeurs et surtout, ce n’est pas forcément si négatif. Voici les quelques grandes tendances :

  • Les éditeurs mainstream touchés, les indépendants épargnés

L’étude publie le top 10 des éditeurs ayant le plus de titres piratés en téléchargement direct et en peer-to-peer. Sans surprise, on retrouve aux cinq premières places des poids lourds du marché francophone (Dupuis, Dargaud, Delcourt, Glénat et Le Lombard). On constate aussi l’absence d’éditeurs indépendants et l’étude note “qu’à quelques exceptions près, les BDs de petits éditeurs indépendants ou les BDs d’auteur restent peu piratées ou difficilement trouvables”.

  • Le piratage se concentre sur les mangas, les comics et grands classiques de la BD francophone

Le top 5 des téléchargements de BD piratées en torrent est éloquent. A la première place, “Le guide du sexe en BD” bénéficie de la prime au porn sur Internet. Puis on retrouve une intégrale des 37 albums d’Astérix, un package des 6 premiers tomes de Walking Dead, l’intégrale en 19 albums de XIII et enfin l’intégrale de Tintin en 24 albums. Que des séries francophones classiques ainsi que le plus grand succès d’édition en comic de ces dernières années.

Pour y avoir moi-même recours, je sais que de nombreux lecteurs piratent des œuvres qu’ils possèdent déjà: que ce soit pour des besoins d’illustration parce que cela va plus vite que scanner soi-même ou parce que, en esthète, on veut vérifier un détail sur la dernière case de la page 13 de l’Affaire Tournesol mais la BD est chez les parents ou dans la maison de vacances… Le piratage a un vrai côté pratique.

Par ailleurs, les mangas à succès sont particulièrement touchés par le phénomène du piratage. L’étude relève qu’il existe des centaines de sites proposant des mangas en téléchargement direct, dont certains comptent leurs visiteurs par millions. Ainsi un des principaux sites consacrés à la série One Piece aurait reçu 4,1 millions de visites (1,1 million de visiteurs) en 2011. Cela dit, d’après l’auteur de l’enquête Mathias Daval, il existe un code de l’honneur des pirates de mangas, et de nombreux sites qui proposent des traductions pirates suppriment leur contenu une fois que les mangas sont publiés officiellement en France.

  • Les nouveautés ne sont pas forcément piratées

C’est à mon avis l’information la plus intéressante qui ressort de l’étude : il n’y a pas de piratage systématique des nouveautés BD. Certes, 2 BDs piratées sur 3 datent de moins de 10 ans, mais seules 15% ont été publiées il y a moins de 3 ans et seules 2,7% l’ont été en 2011. Contrairement à ce qu’on peut voir dans la musique ou le cinéma, où l’essor du piratage a entraîné la diffusion illégale de plus en plus de contenus récents, il n’y a pas de piratage systématique des nouveautés en BD. L’étude note même que “les dernières nouveautés en rayon sont nettement moins piratées que les best-sellers des deux dernières années”.

Ce qui veut dire que globalement, ce sont les BDs qui ont déjà marché en papier, qui ont déjà été rentables pour leurs éditeurs, qui sont piratées. Ça relativise la menace que fait peser le piratage sur la BD. Parfois, cela peut même aider, comme le cas de cet auteur de comics américain qui avait vu ses ventes fortement augmenter après qu’un de ses albums a été diffusé gratuitement sur le forum d’images 4chan. L’auteur à l’époque, au lieu de porter plainte, avait décidé d’aller discuter avec les Internautes qui avaient grandement apprécié.

Une autre étude récente montrait que 5 300 BDs ont été publiés en 2011 mais que, dans le même temps, «quatre groupes dominent désormais l’activité du secteur, assurant à eux seul 43,6% de la production alors que 310 éditeurs ont publié des BDs en 2011», comme l’expliquait début janvier l’AFP.

Le piratage traduit bien ce phénomène là: un petit nombre de BDs attire l’essentiel de l’attention des lecteurs (acheteurs ou pas), et les autres passent globalement inaperçues. C’est de cela qu’il faudrait réellement s’inquiéter et ce n’est pas en luttant contre les téléchargements illégaux sur Internet, que l’on résoudra la problème. Le vrai ennemi de la diversité est le “piratage” par une minorité des rayons des grosses librairies et des grandes surfaces. Donc, au contraire, plus les BDs téléchargées seront nombreuses et variées, plus, d’une certaine manière, cela sera le signe de la bonne santé créative du secteur.

Illustration: extrait de la couverture de Roi Rose de David B.

13 commentaires pour “Menacée par le piratage, la BD ?”

  1. Le problème du piratage est le même que pour celui des autres oeuvres. C’est à dire le prix.
    Quand on voit qu’une BD coûte 13 € et qu’un manga tourne dans les 7 €, le budget est élevé.
    Si l’on prend la série “One piece”, il y a pour le moment près de 60 tomes. A 7€ pièce, il faut compter plus de 400 € pour pouvoir lire l’histoire. Sachant que c’est majoritairement une population jeune et donc aux revenus faibles qui lit ça, on ne peut que se rendre compte que le prix n’est pas adapté. Il ne faut donc pas s’étonner que des moyens détourné comme le piratage apparaissent.
    Conclusion, pour moi, si l’on revoit le prix des ouvrages à la baisse, le piratage diminuera. 😉

  2. j’avais un peu fouillé le net il y a peu, je partage ce constat. On trouve surtout facilement les séries phares, assez peu de très récents … et des tonnes de manga que de toute façon le lectorat ne peut pas se payer vu le flot que ça représente ! 60 tomes pour une série c’est un peu fou quand même, non ? (je fais écho au commentaire de 7BD).

  3. Merci pour cet article que je trouve – pour une fois quand on parle de piratage – assez censé. Il a le bon goût de dédramatiser la situation. ça fait du bien de lire ce genre de chose.
    Je voudrais réagir aux propos de 7BD. Je suis d’accord, la BD coûte cher pour les amateurs. Cependant, il faut savoir que le livre (et la BD) est l’un des biens culturels qui a le moins souffert de l’inflation sur les 10 dernières années (je n’ai plus le chiffre en tête pardon.
    Ensuite, il faut savoir aussi ce que l’on veut. Des beaux livres, avec un papier qui respecte la mise en couleurs, de belles reliures solides, bref un livre qu’on pourra garder des années, ça coûte un certain prix. Sans compter que les auteurs doivent également vivre (et les éditeurs) et sans eux, pas de livres. Moi je ne dirais pas non à une baisse du prix, ça me permettrait d’en acheter plus souvent, mais il faut penser aussi aux conséquences. La gratuité et le discount c’est bien, sauf que c’est un peu égoïste. Une solution peut-être car à marcher avec le roman : pourrait-on avoir une sorte de livre de poche de la BD ?
    Après, hors porte monnaie, il existe de nombreuses possibilités pour découvrir la bande dessinée légalement les bibliothèques, le prêt entre amis… ça marchait plutôt pas mal ce système avant Internet, non ?

  4. […] http://www.europe1.fr/France/France-Internet-40-000-titres-de-BD-pirates-912641/- https://blog.slate.fr/des-bulles-carrees/2012/01/24/menacee-par-le-piratage-la-bd/- http://www.generation-nt.com/bande-dessinee-bd-motif-piratage-actualite-1530391.html- […]

  5. Bonjour,

    Premier commentaire sur ce blog que je suis par ailleurs depuis un moment. J’en profite donc pour dire merci !

    Le point de vue développé ici est très intéressant et ne manquera pas de faire réagir, notamment d’autres blogs à forte visibilité traitant de la BD (je pense au Comptoir de la BD) farouchement opposés au piratage, scantrad etc. En tout cas, ça a le mérite de faire entendre un autre son de cloche que ce qu’on peut lire habituellement (oui, je lis des sons de cloches).

    Bonne continuation !

  6. Si la musique, les vidéos, les livres et les BD sont dans la tablette, que mettrons nous sur les étagères !

  7. lire sur un ecran n est pas tres agreable.
    C est pour ca que la BD sur papier a toujours un avenir
    Le livre (BD) ou non a bien moins a craindre que la musique ou la video, ou en effet, le telechargement rend les choses plus pratiques (regarder un DVD = devoir attendre qu il soit disponible,se payer la pub pour d autre films dont on n a rien a faire+le bandeau anti piratage)

  8. Les amateurs de BDs sont (en généra)l des passionnés. Et en grande majorité, ils aiment l’objet en lui même. Ils apprécient les couleurs, les styles graphiques, le papier…
    Les “pirates” de BDs représentent, à mon sens, une catégorie à part. Pour la plupart d’entre eux, ils possèdent déjà la version papier (un format numérique devrait d’ailleurs être proposé lors de l’achat du format papier…). Et pour les jeunes qui ne peuvent se payer une version papier, eh bien ! Qu’ils téléchargent !! S’ils prennent l’habitude de lire des BDs, dès qu’ils en auront les moyens, ils viendront à la version papier. De la même façon pour les livres. Ne vaut-il pas une jeune génération qui lit, s’instruit, profite de la culture ? Dès lors qu’ils seront en age de “consommer” comme il se doit, ils auront des envies de lire alimenter par leurs habitudes… et les moyens d’assouvir leurs envies.

    Enfin, avec l’arrivée des tablettes, beaucoup d’amateurs se laissent tenter au téléchargement car il est quand même plus facile de lire une BDs dans les transport en commun (par exemple) sur une tablette. De plus, il est possible d’en emporter un grand nombre (impossible, par exemple, dans un RER ou un métro bondé de sortir sa BD).

    Bref, pour chaque domaine, les excuses sont différentes, mais il subsiste néanmoins un “critère commun” (ce qu’on arrive à percevoir à demi mot dans ce bulletin), ou encore la question qui fâche : le piratage n’est-il pas finalement une bonne chose, un manque à gagner dérisoire par rapport aux bénéfices d’une publicité gratuite?

  9. Le pb tiens aussi dans les série qui ne sont plus édités ni publiées, là seul le “piratage” offre une solution.

  10. Oui et les grandes séries à succès un peu (beaucoup) anciennes, genre Tintin, Astérix, … les auteurs n’ont pas été suffisamment rémunérés ?
    Pourquoi interdire la copie

    Mickey n’est toujours pas dans le domaine public. Il faut rémunérer le bon vieux Walt qui sinon dépérirait …

  11. Je tenais à faire une petite précision sur mon commentaire (tout en haut. ^^).
    Quand je parle de revoir le prix à la baisse, je ne parle pas de diminuer le salaire des auteurs. (Beaucoup m’en ont parlé via la page contact de mon site. http://www.7bd.fr/ ^^)
    Il existe plusieurs moyens pour baisser le prix:
    – Diminuer la TVA sur les livres
    – Diminuer les marges de l’éditeur
    – Diminuer les marges des distributeurs

    Personnellement, si j’étais éditeur, je préfèrerais diminuer ma marge, mais augmenter mon volume de vente et donc toucher plus de futurs lecteurs et le fidéliser, plutôt que de perdre des sous à cause d’un grand nombre de piratage.

    Je ne dis pas que cette solution éradiquerait totalement le problème, mais en tout cas, elle y contribuerait.
    😉

  12. Diminuer le prix des BD : oui.
    Mais une BD, ça coûte cher à fabriquer (plus cher qu’un roman), et les tirages restent faibles.
    Et celle qui se vend beaucoup (celle sur laquelle l’éditeur fait des marges considérables) finance toutes celles où il perd de l’argent.

  13. Là encore cher 7BD, nous ne sommes pas tout à fait d’accord ^^
    C’est une fausse idée de croire qu’une baisse des prix aura une incidence mécanique sur le nombre de lecteurs.
    Tout d’abord parce que si c’était aussi simple, ça se saurait depuis longtemps ^^ Capitalisme culturel oblige.
    Ensuite, ce n’est pas parce qu’on divise par 2 le prix, qu’on augmente par 2 le nombre de lecteurs… Penses-tu vraiment que le lecteur “type” de Lanfeust se jettera sur Gilles Rochier ou Matt Konture juste parce qu’il est vendu 4€ ? Personnellement, j’ai des doutes. C’est juste une question d’intérêt (ou de pubs).
    Ce qui marcherais éventuellement avec les gros best-sellers ne fonctionnera jamais avec les livres plus confidentiels.

    Après, diminuer la marge de l’éditeur, oui c’est possible… Mais là encore on se pose à un problème de structure. C’est encore une histoire de “gros”, Media Participation ou Casterman pourrait le faire. Mais les charges restant fixes, je ne vois pas comment des maisons indé pourraient y survivre.
    Il suffit de voir la situation des requins marteaux.
    Et pourtant, ce sont bien ces maisons d’éditions qui sont les moteurs actuels de la BD de création (cf le palmarès d’Angoulême où les gros ont eu mal aux dents).

    Quant aux circuits de distribution, avec la hausse de la TVA sur le livre (qui passe de 5 à 7%), les libraires vont déjà souffrir, alors bon…

    Moi aussi je reverrai d’une BD pas chère, mais je le répète, si on veut des livres de qualités, ça ne coutera pas rien.

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