Créateur de Blueberry, fondateur de Métal Hurlant et auteur génial de science-fiction, un géant de la bande-dessinée s’est éteint. Hommage à chaud.
Sur la route de Coronado, j’ai suivi la piste pour arriver au Fort Navajo. Un aigle solitaire me surplombait, menaçant, annonçant sans aucun doute un tonnerre à l’ouest. On me surnommait l’homme à l’étoile d’argent, je n’étais qu’un cavalier perdu.
Et pourtant face à ce général tête jaune surgissant sur son cheval de fer, il aurait fallu être un homme au poing d’acier qui cesse d’être obsédé par une hypothétique piste des Sioux et une encore plus imaginaire mine de l’Allemand perdu.
Certes, je valais 500 000 dollars, j’avais tué le spectre aux balles d’or et Chihuahua Pearl était amoureuse de moi, complètement Arizona love. Mais j’avais peur. Que le Bandard fou me propose une ballade pour un cercueil un peu trop prolongé. Que ces hors-la-loi d’Angel Face, d’Arzach et de John Watercolor et sa redingote qui tue m’entraîne dans un cauchemar blanc. Avec, toujours, cette question: l’homme est-il bon?
Depuis ma jeunesse, on me nomme Blueberry le Yankee. Je ne suis pas un major fatal mais j’ai les yeux du chat, qui me permet de voir, au loin, descendant la Mississippi River, le cavalier bleu, ce tueur de monde au nez cassé.
A la recherche de l’Incal noir et de lumière au lac des émeraudes, j’ai dû prendre une déviation avec John Difool qui venait de faire une double évasion. Grâce à notre longue marche, nous étions devenus les maîtres du temps, libérés de la complainte de l’homme programme, prêts à lancer notre dernière carte contre la tribu fantôme. «Tous des magiciens !» hurlait alors à raison Lord Darcy, «c’est dans les yeux», ajoutait-il, mais ce n’était qu’un tireur solitaire, ce qui est en bas sur l’étoile pour le monde et les jardins d’Edena.
Dans cette galaxie qui songe, ce qui est en haut, au bout de la piste, tel le cristal majeur, est le désintégré réintégré. Sur l’île de la licorne, il marche les nuits de l’étoile, attendant The Long Tomorrow, prêt à l’emporter, lui, ce surfer d’argent, vers la citadelle aveugle, avec une escale sur Pharagonescia.
Profitant des vacances du Major, ce prince impensable, il doit séduire la déesse des quatre royaumes, sur ordre de Washington, nom de code: mission Sherman. Elle détient le secret d’Aurelys, essentiel pour prévenir le retour du Jouk. L’homme à la Nouvelle-Orléans lui a pourtant bien dit: attention, ce sont des terres aléatoires, les immortels de Shinkara rôdent ! Et le seigneur d’Onyx préférera offrir en sacrifice à l’alligator blanc la folle du Sacré-Coeur plutôt que de tomber dans ce piège de l’irrationnel. Et Stel, le bon roi, n’est plus là pour nous protéger des griffes d’ange. Il a été remplacé par l’homme de Ciguri, le mauvais roi, que tout le monde surnomme Little Nemo.
Certes, je suis devenu Mister Blueberry, mais je suis dans la merde jusqu’au cou ! Les colts, fantômes et zombies font peser une terrifiante ombre sur Tomstone. J’entends le tonnerre au sud, c’est Géronimo l’Apache, revenu fou de la Sorbonne, prêt à rendre la frontière sanglante, dans la nuit noire. Il n’y a plus de nouveau rêve, plus de Sra, plus de réparateurs, plus d’aventuriers du trou blanc, juste de la poussière – Dust ! – à OK Corral et un chasseur qui déprime.
A l’intérieur de Moebius, nous sommes tous des Icare, version irlandaise ou pas, des arpenteurs recensant la faune de mars. Pendant ce temps-là, Zaza et Moeb aiment Cherbourg, peut-être est-ce le principal.
Jean «Moebius» Giraud est donc décédé. Dans mille galaxies et au fin fond de l’ouest américain, on pleure sa mort aujourd’hui. Je reviendrai sans doute en début de semaine prochaine plus longuement sur son oeuvre, je voulais juste, ici, à chaud, réagir sur sa mort avec un texte reprenant les titres de tous ses albums. J’espère qu’ils ont eu pour vous un effet madeleine de Proust, cela permet aussi de prendre conscience de la très grande production de cet auteur. Globalement, dans le déroulé de ce texte, j’ai respecté l’ordre de production de ses albums. Rien qu’avec les titres, on reconnaît les périodes plus Giraud que Moebius, et inversement.
Laureline Karaboudjan
llustration : dessin de Moebius extrait du livre d’illustrations Venise Céleste, DR.
Merci et bravo, très bel hommage… Grand fan du dessinateur, aussi bien de Moebius, de Gir que de Jean Giraud, je n’en reviens toujours pas… So long Mister Giraud 🙁
“Dans mille galaxies on pleure sa mort aujourd’hui.”
Magnifique.
Quel bel hommage, merci, ça console un peu…
Le Sens et la Forme ont perdu un Maître aujourd’hui.
Ces deux Essences parcouraient un périple sans fin, jumelles, sur un anneau de Moebius… magie, magie, miracle des Traits livrant à l’oeil des trajectoires de pure perfection mathématique, et pourtant si organiques – nées d’un coeur, d’une main, d’un oeil on ne peut plus humains.
Être juste un homme, et contenir un au-delà. Et le partager.
Et Inspirer.
Il nous a tant ouvert et empli les yeux que l’immortalité lui était acquise de longue date.
Et plus; si affinités.
L’Inspiré a expiré.
Mais l’Inspiration reste. Ce qui est avec nous.
Un peu de la magie des rêves s’en est allé : quel vide !
Mort Giraud ? Moebius…
Impossible… c’est le début du mythe, de la chasse aux inédits aux premières editions….
Sa cote va artificiellement flambée partout….
En attendant je vais relire sur l’étoile et le monde d’Edena… l’album de mon enfance découvert dans une lecture…. qui ma marquée à jamais….
Bon voyage Gir
Un phare c’est éteint.. .
En voilà un grand qui part! Dans un autre registre, cela me rappelle combien Goscinny manque à la BD francophone..
Jean Giraud a quitté cette vie, c’est vrai, mais Moebius et ses avatars restent parmi nous pour l’éternité de la BD. Quel bel hommage immédiat lui est fait ici!
On savait que cette saleté de cancer le rongeait depuis des années…mais quel vide intersidéral soudainement 🙁
Yep, so long Moeb 😉
Merci pour tous ces rêves
L’homme s’éloigne…. Le talent reste ! Merci de tous ces Trésors en partage ! Ce n’est donc qu’un ” au revoir ” …Fortes pensées en direction de sa Famille et de ses proches .
A K / Pdte ONG MAISONS DOUCES France Sénégal
INCONDITIONNEL !
John Difool et Bleuberry sont orphelins et je m’associe à leur chagrin.
Une petite pensée pour ce grand monsieur qui m’a apporté de grandes heures d’évasions.
J’avoue que la nouvelle m’a beaucoup peiné.
Quelle tristesse.
Souhaitons lui bon vent au Panthéon de la Bande dessinée.
Une grande pensée pour Jean Moebius Giraud ! Qu’il répose en paix.