Des bulles dans le djebel

Dix BD pour comprendre la guerre d’Algérie.

On célèbre, aujourd’hui, les 50 ans de la fin de la guerre d’Algérie. Le 19 mars 1962, le lendemain de la signature des accords d’Evian, l’un des conflits de décolonisation les plus durs de l’histoire prenait fin avec un cessez-le-feu. Pourtant, un demi-siècle plus tard, les plaies sont toujours ouvertes et la mémoire de la guerre continue d’alimenter les querelles entre la France et l’Algérie et au sein même des sociétés de chaque pays.

Le corollaire plus heureux, c’est que l’intérêt pour la guerre d’Algérie reste très élevé un demi-siècle après la fin des combats. Du coup, les documentaires, les livres d’Histoire ou les beaux bouquins de photos relatifs au conflit éclosent à foison et permettent, notamment aux plus jeunes, d’appréhender la guerre. La bande-dessinée n’est évidemment pas en reste ! Du coup, je vous ai concocté une petite sélection de 10 albums ou séries qui, d’une façon ou d’une autre, permettent de mieux comprendre cette période si particulière.

Azrayen de Lax et Giroud, Dupuis

Une référence absolue. Un grand scénariste (Frank Giroud) et un grand dessinateur (Lax) conjuguent leurs talents pour livrer une histoire passionnante, sortie initialement en deux tomes et aujourd’hui réunie en intégrale. Celle d’une section de harkis, menée par un lieutenant français, qui disparaît dans les montagnes Kabyles et qu’un capitaine de l’armée française tente de retrouver. La trame rappelle le chef-d’œuvre Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et permet d’embrasser, à travers l’enquête menée par le héros, toute la complexité du conflit.

Carnets d’Orient, de Ferrandez, Casterman
Autre série incontournable que sont les Carnets d’Orient de Ferrandez. L’auteur, spécialisé dans les carnets de voyage, s’intéresse ici sur dix tomes à l’histoire de l’Algérie. Tous n’ont pas trait à la période 1954-1962, mais c’est tout de même le cas pour près de la moitié d’entre-eux. Parce que chaque album qui évoque cette guerre prend un point-de-vue différent, ils se complètent idéalement. Le tout avec des dessins sublimes.

 

 

L’Hôte, de Ferrandez d’après Camus, Gallimard

Ferrandez toujours, guerre d’Algérie toujours, mais cette fois-ci dans l’adaptation d’une nouvelle d’Albert Camus, “L’Hôte”. Comme j’aime beaucoup cet auteur et plus particulièrement cette nouvelle, je ne pouvais pas passer à côté de son adaptation en BD. Presque complétement dénuée de dialogues que cette nouvelle passe très bien en bande-dessinée, car elle nécessite une véritable réflexion sur le découpage, les plans, les regards, que Ferrandez a mené avec brio. Cette histoire d’un prisonnier fellagha amené par un gendarme français et accueilli pour une nuit par un instituteur isolé dans le djébel n’a jamais été aussi poignante.

 

 

Octobre Noir, de Daeninckx et Mako, Ad Libris
Je ne m’étendrai pas trop longtemps puisque j’ai écrit un billet il y a peu sur cette bande-dessinée. Quoiqu’un peu courte, elle a le mérite de mettre en valeur un épisode très particulier de l’histoire de la Guerre d’Algérie, celui de la journée du 17 octobre 1961 où des dizaines de manifestants pour l’indépendance de l’Algérie ont été jeté à la Seine à Paris. L’album prend la forme d’un thriller assez haletant ce qui le rend très accessible.

 

 

Retour à Saint-Laurent des Arabes, de Blancou, Delcourt.
Un album qui vient opportunément de sortir pour accompagner l’anniversaire de la fin du conflit. A travers un long reportage, l’auteur s’intéresse à la problématique particulière du devenir des harkis rapatriés en France à la fin de la guerre d’Algérie. Daniel Blancou interroge ses parents qui étaient instituteurs dans un camp de harkis du Gard. A travers leurs témoignages, on découvre le quotidien très difficile de ces anciens combattants “honteux”, parqués parfois pendant dix ans dans des camps. Le propos est précis et le découpage intelligent, pour un document qui s’annonce déjà incontournable sur le sujet.

 

 

Petite histoire des colonies françaises, tome 3, La décolonisation, Jarry et Otto T., FLBLB
Autre incontournable que cette Petite histoire des colonies françaises en 4 tomes et dont le troisième opus évoque la guerre d’Algérie. Contrairement aux précédentes BD évoquées, le propos est ici très didactique et volontairement désincarné. Les faits et les chiffres prennent le pas sur toute volonté de raconter une histoire avec des personnages et les dessins sont volontiers simplistes, presque abstraits. L’ensemble fonctionne très bien et on apprend énormément de choses.

 

Le Combat Ordinaire, de Larcenet, Dargaud
Certes le classique de Manu Larcenet ne s’intéresse pas directement à la Guerre d’Algérie. Mais dans ce récit semi-autobiographique, le père du narrateur est un ancien appelé  et le conflit ressurgit alors que, justement, il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Pour son fils, un trentenaire des années 2000, c’est une révélation, entre les non-dits de son père et la rencontre avec un voisin âgé, si gentil maintenant, mais ex-tortionnaire. Le tout traité avec tout l’humour et la justesse dont a su faire preuve Larcenet dans cette tétralogie culte.

 

Là-Bas, de Tronchet et Sibran, Dupuis
Des BDs qui s’intéressent aux Algériens, aux soldats français, aux harkis, aux manifestants jetés à la Seine… Et les pieds-noirs alors? Ils sont au cœur de la BD Là-Bas, qui met en scène Alain, un français d’Algérie obligé de quitter son pays natal à la suite de l’indépendance. Il découvre alors Paris et sa grisaille, entretient la nostalgie d’Alger et est hanté par des souvenirs pas forcément heureux. Au-delà de la seule situation des pieds-noirs, la BD parle du déracinement, servie par le dessin très expressif de Tronchet.

 

D’Algérie, de Morvandiau, Maison Rouge-L’Oeil Critique
Un peu à l’instar de Retour à Saint-Laurent des Arabes, l’album de Morvandiau est un récit autobiographique. Celui de la famille de l’auteur, qui a presque entièrement quitté l’Algérie après la guerre, hormis un oncle qui vit toujours sur place. Dans cet album, Morvandiau s’évertue à tisser des liens entre les deux pays à travers la destinée familiale et le récit d’épisodes appartenant à l’histoire intime qu’il relie à la grande Histoire. Passionnant.

 

 

Le chemin de l’Amérique, de Baru, Casterman
Auteur éminemment politique, Baru ne pouvait pas passer à côté de la guerre d’Algérie, qu’il a évoqué dans Le chemin de l’Amérique. Il y raconte l’histoire de Said Boudiaf, boxeur algérien qui se retrouve confronté à un choix : soutenir le FLN et l’indépendance de son pays ou servir de symbole à une Algérie française pacifiée. Il refuse de choisir et se retrouve évidemment rattrapé par les événements. Le récit est très efficace et permet, à travers l’exemple véridique de ce sportif pris dans la tourmente de l’Histoire, de mesurer toute la complexité du conflit.

 

Laureline Karaboudjan

illustration de une extraite des Carnets d’Orient de Ferrandez

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