C’est curieusement la première fois que le président de la République française, friand de tous les sujets de société, aborde ouvertement et clairement la question pandémique. Et il l’a curieusement fait le 27 novembre depuis Port-of-Spain (Trinidad-et-Tobago) en marge du sommet du Commonwealth auquel il participait. Nicolas Sarkozy a ainsi expliqué que face à la demande vaccinale croissante dans l’Hexagone les autorités allaient ouvrir un plus grand nombre de centres et élargir les plages d’ouverture de ces derniers, notamment le mercredi et le samedi.
Bien évidemment le message présidentiel ne se bornait pas au nombre des centres vaccinaux et à leurs jours d’ouverture. Face à la rapide évolution épidémiologique, à l’augmentation du nombre des morts, à l’émergence de mutations virales Nicolas Sarkozy a jugé que le moment était venu de souligner l’importance du phénomène et la justesse de l’action des pouvoirs publics. Mais il a aussi sifflé un rappel à l’ordre à l’adresse des responsables gouvernementaux et des acteurs des médias pour, autant que faire se peut, ajuster les discours à la réalité ; obtenir dans ce domaine un peu plus de cohérence ou un peu moins d’incohérence.
Il faut « prendre au sérieux cette épidémie de grippe » a déclaré M. Sarkozy ajoutant : « Si nous avons acheté des millions de vaccins, c’est parce que nous avons anticipé ce problème qui concerne d’ailleurs le monde entier (…) Dans les journaux, il y avait des sondages disant ‘’les Français ne croient pas à la grippe et ne veulent pas se faire vacciner’’. Trois jours après, il y a la queue dans les centres de vaccination ». Pour le président de la République « gouvernement comme médias, on doit garder notre sang-froid, faire en sorte de ne pas sur-réagir en permanence en disant un jour blanc, l’autre noir ».
Comment interpréter un tel message ? Faut-il voir là une critique à peine voilée de l’action gouvernementale en général et de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé (omniprésente dans tous les médias ou presque) qui n’aurait pas toujours su garder son « sang-froid » ? Et que signifie précisément « sur-réagir » en permanence quand on mesure mal, faute de références stables, la portée de chaque nouvelle information en provenance du front pandémique ? La France, ou plus précisément le gouvernement et les médias, ont-ils été péché par sur-réaction en commentant, comme ils l’ont fait, l’émergence des souches virales mutantes et mortelles et ce au moment même où le président de la République s’exprimait depuis Port-of-Spain ?
Nous avons vu, depuis la fin avril, à quel point les autorités sanitaires (et tout particulièrement la direction générale de l’OMS) ont pu apparaître hésitantes, souffler le chaud, souffler le froid, prendre peur avant de vouloir rassurer. Nous avons vu aussi (et comme l’a plusieurs fois souligné Antoine Flahault c’est un heureux symptôme démocratique) des experts plus ou moins autoproclamés formuler des analyses radicalement différentes. Comment dans un tel contexte les « médias » auraient-ils pu tenir un discours qui ne soit pas mouvant ? Et comment, dans un tel contexte, la blogosphère aurait-elle pu ne pas amplifier à l’infini une formidable somme de rumeurs ?
Le sujet qui cristallise tous ces phénomènes est bien évidemment le vaccin avec ce renversement de tendance assez surprenant dans l’Hexagone concernant la vaccination (750 000 personnes immunisées, dit-on, à ce jour). Certains y verront une nouvelle preuve du caractère décidemment bien versatile des Français. D’autres rappelleront qu’ils avaient annoncé que la bouderie initiale pourrait vite disparaître dès lors que la circulation du H1N1pdm irait s’intensifiant.
A Port-of-Spain les journalistes ne pouvaient manquer de lui poser la question traditionnelle, celle de savoir si lui-même s’était fait vacciner. Et M. Sarkozy de laisser entendre qu’il allait le faire. « C’est difficile de dire aux gens ‘’Vous avez raison de vous faire vacciner’’ et ne pas se faire vacciner soi-même ». Ce serait, en effet difficile. Question connexe : le président de la République se fera-t-il, comme la ministre de la Santé, vacciner devant les caméras de télévision ? Et question finale : pour quelles raisons l’expression « se faire piquer » a-t-elle progressivement depuis quelques semaines pris la place du verbe du classique « se faire vacciner » ? Réponses attendues.
Jean-Yves Nau
Trois scénarios pour cet hiver
Nous arrivons probablement dans la zone des turbulences attendues lorsque l’on dépasse un certain seuil d’une épidémie de grippe. Pendant les grippes saisonnières nous avions remarqué pratiquement chaque année (au sein du réseau Sentinelles de l’Inserm – en dehors donc de tout contexte médiatique et pandémique) un engorgement des hôpitaux, et une certaine tension sur le système de santé dès que l’on s’approchait du pic de l’épidémie ; soit au moment où le nombre de nouveaux cas atteint des niveaux élevés dans l’ensemble du pays.
Il y a quelques années le ministre de la santé d’alors (Philippe Douste-Blazy) avait décidé de mettre en œuvre le « plan blanc » au niveau national. Il s’agit ici d’un dispositif permettant de libérer des lits dans les hôpitaux, de soulager les réanimations et les urgences de tout ce que l’on appelle « les hospitalisations programmées », celles que l’on peut remettre à plus tard le temps que la vague passe. En Italie ou au Royaume-Uni cette même tension était également perceptible et largement relayée dans les médias. Précisons que ces mini-crises sanitaires peuvent être quelque peu instrumentalisées par les syndicats professionnels et/ou par les courants politiques d’opposition au pouvoir en place, tous arguant que les coupures budgétaires dans les services publics ne permettent plus au système de santé de leurs pays de faire face aux épidémies saisonnières naguère encaissées sans souci.
Généralement tout rentrait dans l’ordre en une à deux semaines au grand maximum car, précisément, le pic arrivait et la décrue s’amorçait opportunément. La question qui se pose aujourd’hui, face à la pandémie (question pour laquelle on n’a pas encore de réponse) est de savoir si nous arrivons au pic épidémique (ou au moins à « un premier » pic épidémique), ou bien si l’incidence (le nombre de nouveaux cas de grippe) va continuer son ascension. Plusieurs scénarios se profilent, sans que l’on puisse formellement en privilégier un.
Il se pourrait (1er scénario) que tout rentre dans l’ordre rapidement, comme pour une épidémie saisonnière classique : bientôt le pic suivi de la décrue. L’incidence (voir figure ci-dessous) n’est d’ailleurs pas exceptionnellement élevée à ce jour, mais le taux des hospitalisations est supérieur (1% des cas vus par les généralistes contre 0,3 à 0,4% durant les grippes saisonnières) ; cette situation majore certainement l’impact de la vague sur le système de soins. Mais les digues tiennent.
Un 2ème scénario est aussi possible : la courbe continue son ascension et la propagation géographique continue sa progression pendant plusieurs semaines encore (voir ci-dessous les cartes du réseau Sentinelles pour les trois dernières semaines) ; la gravité de la maladie chez certains patients ne mollissant pas, voire même pouvant être accrue par la circulation de souches mutantes qui seraient plus virulentes ou plus résistantes. Le système sanitaire serait alors sérieusement ébranlé, et c’est à ce scénario que les autorités de santé tentent de se préparer au mieux. Ce scénario n’est certes pas, encore une fois, le plus probable, mais en l’absence de références, en l’absence d’un catalogue des pandémies passées bien fourni (comme on dispose d’un catalogue des cyclones aux Antilles par exemple), il est difficile de lui affecter une probabilité précise.
Le 3ème scénario renvoie à une dynamique multimodale : la reprise après le déroulement du premier scénario d’une ou plusieurs nouvelles vagues épidémiques. L’hiver est encore devant nous, et la saison se prête fort bien à une recrudescence de l’activité grippale dans les mois à venir. La figure montre l’état actuel de la courbe épidémique en référence aux saisons précédentes. Elle indique aussi que depuis que l’on surveille les épidémies de grippe via le réseau Sentinelles en France (novembre 1984), nous n’avons jamais vu deux vagues épidémiques au cours d’une même saison grippale (soit de novembre à mars). Cela ne signifie nullement que cette pandémie ne va pas faire de nouvelles vagues puisque nous ne savons rien encore du potentiel épidémique de cette souche de virus grippal. De plus nous ne comprenons pas clairement, jusqu’à présent, les conditions d’émergence d’une vague épidémique saisonnière ou pandémique. De ce fait quand bien même ce 3ème scénario ne s’est pas réalisé depuis un quart de siècle rien ne permet aujourd’hui de l’écarter. Cette hypothèse ne nous laissera pas tranquille encore pendant les longs mois d’hiver où la vigilance sera de mise ; pour autant une dynamique étalée dans le temps sur plusieurs vagues aurait un avantage substantiel :permettre de mieux absorber le choc sur le système de santé et sur l’organisation sociale toute entière. La campagne de vaccination pourrait se poursuivre. Pour le dire autrement, les digues résisteraient mieux du fait d’une montée des eaux modérée et répétée, toujours préférable à une vague unique et scélérate.
C’est ainsi : entre ces trois scénarios, politiques, experts, et médias sont un peu contraints à des analyses « en yoyo », entre réassurance et appels à l’extrême vigilance.
Antoine Flahault
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